ciale, incluse dans la prévention, l’hygiène mentale, l’exi-
gence de sécurité. Le récent projet de circulaire du ninistère
de l’Intérieur est exemplaire de cette « gestion des risques »
[5]. Criminalisation des malades mentaux, actions ciblées
sur certaines populations, détection précoce des troubles
chez les enfants par les enseignants eux-mêmes, fichiers
nationaux des patients hospitalisés en psychiatrie... en té-
moignent.
Cette demande du pouvoir politique est légitimement à
travailler, à questionner au quotidien, dans nos institutions :
que fait-on ? pourquoi ? et en quel nom ?
Dans ses développements, M. Foucault force le trait,
caricature la démarche des aliénistes dans le sens mono-
idéïque du pouvoir psychiatrique : les faits (la cure) ne sont
pas rapportés à une logique de soins. L’argumentaire, par
souci pédagogique, est excessif, mais surtout déplacé des
moyens à la finalité.
La posture de F. Leuret exemplifie le travers : l’aliéniste
est entièrement tendu vers la guérison à toutes fins. Sa
devise pourrait être « la fin justifie les moyens » : manœu-
vre, intimation, intimidation, vexation, action sur le corps
avec l’utilisation de la douche dans toutes les variantes de
l’hydrothérapie, sont là pour insécuriser le délirant, pour
déséquilibrer sa conviction et lui faire « lâcher prise » quant
à ses idées fausses. F. Leuret se défend de ce que lui-même
désigne du nom de « supplice, de barbarie », dont la seule
légitimité et ambition serait le malade : « devant un malade
je ne pense pas à mes assistants ; je ne pense pas à moi :
je pense à lui » [12]. Le bien de l’autre, la visée de la
méthode, « le devoir éthique d’effıcacité »
2
[18] servent ici
de caution et d’alibi thérapeutiques.
Apports de F. Leuret à la stratégie
de la cure
F. Leuret est un aliéniste en situation : il s’expose dans
ses énoncés, ses hypothèses et expose la problématique à
partir d’un travail monographique documenté qui vise
l’élucidation de questions cruciales au regard de son objec-
tif thérapeutique : la guérison, même fugace, des patients
aliénés.
Des questions toujours d’actualité sur le statut de
l’aliéné, sur les causes de l’affection, sur les leviers et les
effets de la cure. La folie est opposée à la raison ; l’aveu
signe la reconnaissance de la maladie et les moyens de
détruire les idées fausses sont recherchés en contrariant les
aliénés, cela afin de redresser leur raison. Nous avons isolé
chez Leuret quelques points doctrinaux [12].
L’absence de recette, de protocole préétabli. Versus de
l’aliéniste : « il n’y a pas de précepte, il ne peut pas y en
avoir ; il y a seulement des indications, et ces indications
varient à l’infini, car elles dépendent de la nature d’esprit
du malade, de son caractère, de l’éducation qu’il a reçue,
de son âge, de son sexe, de la forme, des causes et de la
durée de son délire, de sa position sociale ». Ailleurs il est
dit qu’il n’y a pas de « médication uniforme », elles dépen-
dent aussi et tout autant « du médecin, de son caractère, de
son activité, de ses ressources, enfin de ce qui, dans
l’esprit d’un homme peut agir sur un autre homme ». Ces
propos témoignent de l’engagement de Leuret, chercheur,
expérimentateur, qui met à l’épreuve ses principes théra-
peutiques. Son ouvrage se conclut par cette formule à la fois
humble et ambitieuse : « venez, voyez, et faites mieux »
[12] aux accents d’un défi faisant emprunt à une formule
impériale bien connue. Versus de l’aliéné : l’aliéné résiste,
tend de tromper par un effet de la réticence, de la résistance
«le malade cédait, mais il nous trompait en cédant ». Plus
loin, « j’ai tacitement admiré la ruse de mon adversaire »
[12] : F. Leuret peut surprendre dans ses actions orientées,
ses points de conviction, il fait le pari de la parole : « un
vésicatoire, une potion, si effıcaces en pareil cas, ne me
parurent pas nécessaires, je n’emploierai d’autres puis-
sances que celles de mes paroles. Ailleurs, c’est son
silence qui est utilisé pour aiguillonner le patient et
l’inciter à se livrer ». Enfin, l’entreprise de l’aliéniste vise
à faire passer le patient de « l’état d’hostilité, ou au moins
de la méfiance à celui de docilité » (accéder à l’observance
thérapeutique ?).
Dans sa démarche, F. Leuret abandonne les principes
philantropiques de ses prédécesseurs « n’employez pas les
consolations (avec les malades) car elles sont inutiles »
cité par P. Morel [12] : il ne s’agit pas de développer de la
bonne conscience mais de la rigueur (la sévérité), du calcul
thérapeutique et de la logique, c’est la stratégie de la cure.
L’aliéniste inaugure la « co-thérapie » en associant deux
figures de thérapeutes : l’un prenant le rôle « d’ami offi-
cieux », l’autre exerçant « la puissance suprême ». Une
image caricaturée bien sûr, du couple psychologue-
psychiatre actuel ?
Leuret fait une place au travail de réhabilitation dans
l’éventail thérapeutique, il a par ailleurs le souci de la
transmission de l’art du traitement moral « comment l’ex-
périence acquise pourra-t-elle profiter à ceux qui vien-
dront après nous ? » confie-t-il.
Il apparaît que F. Leuret pose les bonnes questions, plus
que les bonnes réponses... Quant au « traitement possible
de la psychose », pour reprendre un fragment du titre d’un
article de J. Lacan [10], en tout cas, il ne se dérobe pas
devant la tâche.
Deux points sont à souligner : l’articulation de la causa-
lité à la thérapeutique, la stratégie et le positionnement du
thérapeute.
L’articulation de la causalité à la thérapeutique
M. Foucault signale que F. Leuret ne théorise jamais, ne
donne aucune explication qui serait fondée soit sur une
2Notre intitulé est déduit de cette formulation de T. Trémine qui
concrétise toute la démarche intellectuelle et éclectique de F. Leuret.
La prescription : une éthique de l’efficacité ?
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 81, N° 2 - FE
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