Irrationalité d`une infinité de valeurs de la fonction zêta aux entiers

Digital Object Identifier (DOI) 10.1007/s002220100168
Invent. math. 146, 193–207 (2001)
Irrationalit´
e d’une infinit´
edevaleurs
de la fonction zêta aux entiers impairs
Keith Ball1,Tanguy Rivoal2
1Department of Mathematics, UCL, Gower Street, London WC1E 6BT, UK
2Laboratoire SDAD, CNRS FRE 2271, D´
epartement de Math´
ematiques, Universit´
ede
Caen, Campus II, BP 186, 14032 Caen c´
edex, France
Oblatum 5-VI-2000 & 25-V-2001
Published online: 13 August 2001 – Springer-Verlag 2001
1. Introduction
Au contraire des nombres ζ(2n)=
k11/k2n=(1)n122n1B2nπ2n/(2n)!
(n1), dont la transcendance est une cons´
equence de celle de π,peude
r´
esultats sont actuellement connus sur la nature arithm´
etique des nombres
ζ(2n+1)=k11/k2n+1. On peut citer en particulier les r´
esultats suivants.
En 1978, Ap´
ery [1] est parvenu à montrer l’irrationalit´
edeζ(3),maissa
d´
emonstration n’a pas pu être g´
en´
eralis´
ee aux nombres ζ(2n+1)avec
n2 : voir Van der Poorten [20], Cohen [6] et Reyssat [14] pour des expo-
s´
es de la m´
ethode d’Ap´
ery. D’autres d´
emonstrations ont ´
et´
e donn´
ees de-
puis par Beukers [2,4,5], Nesterenko [11], Sorokin [19] et Pr´
evost [13].
Des mesures d’irrationalit´
edeζ(3)ont aussi ´
et´
e´
etablies par Ap´
ery [1],
Dvornicich-Viola [7], Hata [9] et Rhin-Viola [16].
En 1979, Gutnik [8] a d´
emontr´
e que, pour tout qQ, au moins un des
deux nombres suivants est irrationnel
3ζ(3)+qζ(2), ζ(2)+2qlog(2).
En 1981, Beukers [3] a indiqu´
edesr
´
esultats similaires à ceux de Gut-
nik : les deux ensembles qui suivent contiennent au moins un nombre
irrationnel
π4
ζ(3),7π4log(2)
ζ(3)15π2,7π6
3240ζ(3)ζ(3)
ζ(3)
π2,ζ(3)2
π2π4
360 (3230ζ(5), ζ(3)ζ(5)
π2π6
2268 .
194 K. Ball, T. Rivoal
Dans cet article, nous d´
emontrons qu’une infinit´
e de valeurs de la fonction
ζaux entiers impairs sont lin´
eairement ind´
ependantes sur Q. De façon plus
pr´
ecise, nous prouvons le
Théorème 1 Soit a un entier impair 3et notons δ(a)la dimension du
Qespace vectoriel engendr´
e par 1(3), ζ(5), . . . , ζ(a). Onaalors
δ(a)1
3log(a).
De plus, pour tout ε>0, il existe un entier A(ε) tel que si a >A(ε),
δ(a)1ε
1+log(2)log(a).
Nous montrons ´
egalement le
Théorème 2 Il existe un entier impair j 169 tel que 1,ζ(3)et ζ( j)sont
lin´
eairement ind´
ependants sur Q.
Les d´
emonstrations de ces th´
eorèmes sont donn´
ees au paragraphe 3, après
celles des r´
esultats auxiliaires, ´
enonc´
es au paragraphe 2.
Les m´
ethodes de cet article s’inspirent du travail de Nikishin [12] sur
l’approximation simultan´
ee des polylogarithmes Lin(z)en des valeurs ra-
tionnelles. Ces fonctions sont d´
efinies par le d´
eveloppement en s´
erie entière,
pour zC,|z|<1,
Lin(z)=
+∞
k=0
zk
(k+1)n.
En particulier, Li1(z)=−log(1z)/zdiverge au voisinage de 1, alors que
si n2, Lin(1)=ζ(n).Lad
´
emarche de Nikishin le conduit à introduire
des s´
eries de la forme
Nn,a,b(z)=
+∞
k=0
k(k1)···(kan b+2)
(k+1)a(k+2)a···(k+n)a(k+n+1)bzk
avec a,b,nentiers 1, 1 baet zun nombre complexe de module 1,
z= 1. Ces s´
eries fournissent des approximants de Pad´
e de type I des poly-
logarithmes : sp´
ecialis´
ees en z=−1, elles donnent donc des combinaisons
lin´
eaires à coefficients rationnels en les ζimpairs, les ζpairs et log(2).La
croissance en ades coefficients est n´
eanmoins trop rapide pour obtenir un
r´
esultat arithm´
etique non trivial dans ce cas.
Plus r´
ecemment, Sorokin [18] a propos´
e une m´
ethode pour ´
eliminer (en
particulier) les ζimpairs : pour cela, il r´
esout explicitement un problème
d’approximation simultan´
ee de certaines fonctions multizêtas, parvenant
ainsi à donner une nouvelle mesure de transcendance de π. Dans la direc-
tion oppos´
ee, en g´
en´
eralisant les int´
egrales de Beukers [2], Vasilyev [21]
a construit une combinaison lin´
eaire (à coefficients an,bnet cnentiers)
Irrationalit´
e d’une infinit´
e de valeurs de la fonction zêta aux entiers impairs 195
Jn(5)=anζ(5)+bnζ(3)+cntendant vers 0 quand ntend vers +∞ :la
pr´
esence de ζ(3)ne permet malheureusement pas la d´
emonstration directe
de l’irrationalit´
edeζ(5).
Reyssat [15] a utilis´
e les approximants de Pad´
esimultan´
es des puissances
de log(1x)pour montrer, avec a/b>1 rationnel fix´
e, l’ind´
ependance
lin´
eaire sur Qd’une infinit´
e des nombres logk(a/b)(où kN), ce qui suffit
pour prouver la transcendance de log(a/b).
Ce dernier r´
esultat suggère que, plutôt que la recherche, à la manière
d’Ap´
ery, de l’irrationalit´
e de chacune des valeurs de la fonction ζaux
entiers impairs, il peut être fructueux de les consid´
erer tous ensemble, afin de
prouver leur ind´
ependance lin´
eaire sur Q,ouunr
´
esultat dans cette direction.
Pour parvenir à cela, deux autres id´
ees sont n´
ecessaires. La première consiste
àmodierlas
´
erie de Nikishin de la façon suivante :
+∞
k=0
qn(k)
(k+1)a···(k+n+1)azk
qn(k)est un polynôme qui est une fonction paire de k+n/2+1. La parit´
e
de qnassure en effet qu’une fois la fraction rationnelle d´
ecompos´
ee en frac-
tions partielles, les polynômes correspondant aux d´
enominateurs avec une
puissance paire s’annulent pour z=1 : on obtient ainsi des combinaisons
lin´
eaires à coefficients rationnels uniquement en les ζimpairs. La deuxième
id´
ee est de param´
etrer le nombre de z´
eros entiers de qnpar un entier ret
d’ajuster celui-ci de sorte que les coefficients des combinaisons lin´
eaires
aient une croissance moins importante que pour la s´
erie de Nikishin, tout
en gardant une d´
ecroissance rapide de la combinaison elle-même.
Pour cela, nous introduisons la s´
erie
Sn,a,r(z)
=n!a2r
+∞
k=0
k···(krn +1)(k+n+2)···(k+(r+1)n+1)
(k+1)a(k+2)a···(k+n+1)azk
n,ret asont des entiers v´
erifiant 1 r<a/2, nN. Les conditions
sur aet rassurent que Sn,a,r(z)converge pour tout complexe zde module
1. Pour simplifier l’expos´
edesr
´
esultats, nous ´
ecrirons cette s´
erie sous la
forme
Sn(z)=n!a2r
+∞
k=0
(krn +1)rn(k+n+2)rn
(k+1)a
n+1
zk
(α)kest le symbole de Pochammer :
(α)0=1et(α)k=α(α +1)···+k1)si k=1,2,...
196 K. Ball, T. Rivoal
Comme nous l’a sugg´
er´
e le referee, il est aussi utile de remarquer que Sn(z)
est une fonction hyperg´
eom´
etrique g´
en´
eralis´
ee :
Sn(z)=zrn1n!a2rΓ(rn +1)a+1Γ((2r+1)n+2)
Γ((r+1)n+2)a+1
×a+2Fa+1rn +1,... , rn +1,(2r+1)n+2
(r+1)n+2,... , (r+1)n+2
z1.
Le paragraphe 2 est consacr´
l
´
etude pr´
ecise de cette s´
erie : le Lemme 1
montre que la s´
erie Sn(1)fournit bien des combinaisons lin´
eaires à coeffi-
cients rationnelles en les ζimpairs lorsque nest pair. Le Lemme 2 donne
une expression int´
egrale similaire à celles de Beukers [2] et de Dvornicich-
Viola [7], §1.3, ce qui permet d’estimer facilement lim
n→+ ∞ |Sn(1)|1/n(Lem-
me 3). Nous suivons ensuite Nikishin pour la d´
emonstration des Lemmes 4
et 5, qui concernent les propri´
et´
es asymptotiques et arithm´
etiques des coeffi-
cients des combinaisons lin´
eaires. Enfin, pour montrer que les s´
eries Nn,a,b(z)
fournissent des approximations des polylogarithmes lin´
eairement ind´
epen-
dantes, Nikishin ´
evalue un d´
eterminant : nous ´
evitons cette complication en
appliquant un critère d’ind´
ependance lin´
eaire, dû à Nesterenko [12].
Remerciements. Nous remercions le referee, dont les remarques ont permis
de simplifier les d´
emonstrations des Lemmes 2 et 4. Le second auteur tient
par ailleurs à exprimer toute sa gratitude à F. Amoroso pour ses pr´
ecieux
conseils qui ont permis de grandement am´
eliorer une pr´
ec´
edente version,
ainsi qu’à M. Waldschmidt pour sa patiente relecture et son soutien constant.
2. R´
esultats auxiliaires
Dans toute la suite, on pose Dλ=1
λ!
dλ
dtλet
Rn(t)=n!a2r(trn +1)rn(t+n+2)rn
(t+1)a
n+1
de sorte que
Sn(z)=
+∞
k=0
Rn(k)zk.
Pour l∈{1,... ,a}et j∈{0,... ,n}, on note aussi
cl,j,n=DalRn(t)(t+j+1)a|t=− j1Q,(1)
P0,n(z)=−
a
l=1
n
j=1
cl,j,n
j1
k=0
1
(k+1)lzjket Pl,n(z)=
n
j=0
cl,j,nzj.(2)
Les Pl,n(z)sont donc des polynômes à coefficients rationnels.
Irrationalit´
e d’une infinit´
e de valeurs de la fonction zêta aux entiers impairs 197
Lemme 1 Ona:
Sn(1)=P0,n(1)+
a
l=2
Pl,n(1)ζ(l). (3)
De plus,
si (n+1)a+l est impair, alors Pl,n(1)=0.(4)
En particulier, si n est pair et a impair 3,P
l,n(1)=0pour tout l
{2,... ,a}pair et Sn(1)est alors une combinaison lin´
eaire uniquement en
les ζimpairs :
Sn(1)=P0,n(1)+
(a1)/2
l=1
P2l+1,n(1)ζ(2l+1). (5)
D´
emonstration
En d´
ecomposant Rn(t)en fractions partielles, on obtient :
Rn(t)=
a
l=1
n
j=0
cl,j,n
(t+j+1)l.
D’où si |z|>1
Sn(z)=
a
l=1
n
j=0
cl,j,n
+∞
k=0
1
zk
1
(k+j+1)l
=
a
l=1
n
j=0
cl,j,nzj+∞
k=0
1
zk
1
(k+1)l
j1
k=0
1
zk
1
(k+1)l
=
a
l=1
Lil(1/z)
n
j=0
cl,j,nzj
a
l=1
n
j=1
cl,j,n
j1
k=0
1
(k+1)lzjk.
On a donc
Sn(z)=
a
l=1
Pl,n(z)Lil(1/z)+P0,n(z). (6)
Comme 2r<a,ledegr
´
e total de la fraction rationnelle Rn(t)est ≤−2,
donc P1,n(1)=n
j=0Rest=− j(Rn(t)) =0et
lim
z1
|z|>1
(P1,n(z)Li1(1/z)) =0,
ce qui montre (3).
1 / 15 100%

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