20 Clinicien plus mars 2012
Exit le culbutage :
Quand les bactéries
sen donnent à cœur joie
Dr Jean-Fraois Roussy estsident V en microbiologie-infectiologie.
Il pratique psentement au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.
Cet article est écrit en collaboration avec le Dr Alain Martel, microbiologiste-infectiologue, interniste.
Dr Martel pratique psentement au Centre hospitalier de l’Universi Laval.
Info infectiologie
Présentation
clinique du patient
Vous êtes appelé en consultation pour un homme
de 86 ans faisant de la fièvre et présentant un
tableau de confusion de novo.
En effet, sa femme l’aurait surpris à uriner dans la
poubelle de la salle à manger! Avant l’épisode
actuel, il était parfaitement autonome. Il vit avec
sa femme à la maison.
Ce tableau de confusion a débuté moins de
48 heures avant l’hospitalisation. L’homme dit se
sentir toutefois plus fatigué depuis une semaine
et aurait peut-être noté un peu plus de nycturie.
Le reste de la revue des systèmes est négative.
Le patient souffre d’hypertrophie bénigne de la
prostate, laquelle est traitée, et il a subi une
opération il y a environ un an pour un anévrysme
de l’aorte abdominale infrarénale. À ce moment-
là, du matériel synthétique a été mis en place
dans le système endovasculaire.
À son arrivée, malgré une température à 39,7 °C,
sa tension artérielle est normale. L’examen
neurologique ne montre pas de signes
neurologiques focaux, et le patient est apathique
mais demeure orienté dans les trois sphères. Un
bilan septique est effectué; la radiographie
pulmonaire est normale; l’analyse d’urine montre
Dans le cas présent, vous avez affaire à un patient
ayant une bacriémie soutenue avec quatre
bouteilles d’hémocultures à BGP.
Le plus souvent, en clinique, la présence de BGP con-
firme une contamination par des corynébactéries, bac-
téries présentes normalement sur la peau. Ainsi, il s’agit
peut-être d’une mauvaise technique de prélèvement des
bouteilles d’hémocultures avec un bris dans l’asepsie.
Toutefois, une contamination est plus probable quand
seulement le résultat d’une bouteille sur quatre ou un
même ensemble d’hémocultures se révèle positif, ce qui
n’est pas le cas actuellement. Il y a donc confirmation de
la présence d’une « vraie » bactériémie.
En microbiologie, la présence de bacilles Gram posi-
tifs (BGP) courts associés à une mobilité en « culbutage »
doit vous faire redouter la Listeria monocytogenes.
Dans le cas présent, les tests supplémentaires confir-
ment vos doutes : le patient est infecté par une bac-
tériémie à L. monocytogenes.
Quelle est l’épidémiologie de cette bactérie et
sa transmission?
La bactérie Listeria est un saprophyte de l’environnement
qu’on retrouve chez plusieurs mammifères, oiseaux,
poissons et crustacés. Cette bactérie s’imisce dans la
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Info infectiologie
chaîne alimentaire avec contamination de
viandes fraîches, de poulet frais ou transfor-
mé, de charcuteries, de fromages au lait cru
(non pasteurisé) et même de légumes.
En fait, le tractus gastro-intestinal de
l’adulte est souvent colonisé par des
souches non pathones de Listeria (non
monocytogenes) et parfois me colonipar
des souches pathones monocytogenes (de
1 à 5 % des adultes dans certaines études).
La majorité des cas de listériose se mani-
festeront chez des individus avec une con-
dition médicale sous-jacente affectant typi-
quement l’immunité cellulaire, la bactérie
ayant les moyens à ce moment de ne plus
être qu’un simple colonisant. Toutefois, une
augmentation de cas de listériose se produit
depuis quelques années chez des hôtes dits
immunocompétents et reflète l’augmenta-
tion d’éclosions en lien avec des aliments
contaminés à la Listeria.
Votre patient est-il à risque de
développer une listériose?
Votre patient est à risque de listériose de
par son âge avancé (Encadré 1). Au ques-
tionnaire plus poussé, il nie avoir mangé
des charcuteries, des fromages au lait cru
ou des viandes non cuites. Il dit toutefois
boire de l’eau non filtrée d’un ruisseau
près de chez lui. Sa femme et ses enfants
ne sont pas malades.
Quelles sont les présentations
cliniques classiques de la
Listeria
?
La majori des individus atteints et immuno-
compétents ne développeront qu’un simple
tableau de gastro-entérite environ 24 heures
après l’ingestion de l’aliment contaminé, et le
tout dure en moyenne deux jours. Chez
l’adulte surtout immunosupprimé, une sep-
ticémie peut se produire et pourra causer, par
la suite, une méningite ou même une ménin-
goencéphalite. La mortalité à ce moment est
de près de 50 %. Une atteinte classique est la
rhomboencéphalite à Listeria.
Que devez-vous éliminer chez
votre patient en connaissant ces
présentations?
Il faut garder en tête la possibilité d’infec-
tion focale secondairement à la septicémie.
Ainsi, du matériel prosthétique ou une
valve cardiaque pourraient être des foyers
de persistance de l’infection.
Encadré 1
Les facteurs de risques classiques de la listériose
1.Les extrêmes d’âge : près de 50 % des cas se produisent chez des patients de plus de 60 ans ou
chez des enfants de moins d’un mois;
2.Femme enceinte : il y a altération du système immunitaire durant la grossesse et elle est donc à
risque de développer une listériose. Le plus souvent, le tableau clinique ressemblera à l’Influenza.
Toutefois, dans le cas d’une bactériémie transitoire, il pourra y avoir subséquemment amnionite
ou placentite pouvant infecter par la suite le fœtus. Des avortements spontanés, des bébés
morts-nés et des accouchements prématurés sont bien décrits dans la littérature.
3.Nouveau-né : deux tableaux cliniques selon le moment a eu lieu la transmission. « Early-
onset » (aussi appelé Granulomatose infanseptica) : atteinte disséminée du nouveau-né incluant les
organes vitaux et le système nerveux central ; « Late-onset » : se produit environ 14 jours après
la naissance et serait causé par la colonisation du vagin de la mère avec infection subséquente
lors du passage de l’enfant pendant l’accouchement.
seulement une augmentation de bactéries à la microscopie, et la culture d’urine, une
flore variée. Les globules blancs sont à 12 000 avec une numérotation différentielle
normale. La créatinine, les électrolytes et un bilan hépatique se révèlent tous normaux.
Une tomodensitométrie de la tête effectuée à l’urgence est sans particularité...
Un traitement empirique à base de ciprofloxacine débute donc dans le but de traiter
une possible infection urinaire (nycturie sans dysurie ni pollakiurie).
Au moment de rencontrer le patient, qui est maintenant afébrile depuis 24 heures avec
la prise de ciprofloxacine, vous apprenez du laboratoire que les quatre bouteilles
d’hémocultures sont toutes positives pour des bacilles gram positifs (BGP) courts. On
vous dit également avoir fait un état frais pour évaluer la mobilité de la bactérie sous le
microscope...celle-ci se déplace en culbutant littéralement sur elle-même! Cette
trouvaille vous rend très énervé… Vous demandez sur-le-champ des tests
supplémentaires au laboratoire pour confirmer votre suspicion.
Pourquoi êtes-vous si agité?
À quelle bactérie croyez-vous avoir affaire?
Suite de la page 20
Votre patient est donc septicémique.
Toutefois, vous devez craindre la ménin-
gite vu l’atteinte confusionnelle transi-
toire, ce qui prolongera la durée du traite-
ment. Une ponction lombaire doit être
effectuée pour éliminer cette possibilité.
De me, la présence de matériel
endovasculaire à la suite de la chirurgie
d’anévrysme du patient doit vous faire
craindre la possibilité de surinfection de ce
matériel. Un PET-scan ou une scintigra-
phie au Gallium devra être effectué. Vous
devez aussi recontrôler les hémocultures
en cours de traitement pour vous assurer
de la bonne réponse aux antibiotiques.
Une échographie cardiaque est aussi
nécessaire pour éliminer l’endocardite.
Qu’entreprenez-vous comme
traitement, et pour combien de
temps?
Le traitement de choix demeure encore
l’ampicilline et la gentamicine en doses de
synergisme. Un patient allergique à la péni-
cilline (anaphylaxie) pourra recevoir du
sulfathoxazole/triméthroprime (TMP-
SMX) ou de la moxifloxacine. Il est à noter
que la Listeria est résistante intrinsèque-
ment aux céphalosporines. De plus, des cas
de résistances ont été décrits pour les tétra-
cyclines et les macrolides. D’ailleurs, ces
deux derniers antibiotiques sont bactério-
statiques et sont donc sous-optimaux dans
un contexte de bactériémie ou méningite.
La durée de la prise des antibiotiques
dépendra du niveau d’atteinte. La méningite,
la méningo-encéphalite, l’endocardite et la
bactériémie chez un hôte immunosuppri
seront traitées avec la combinaison ampi-
cilline et gentamicine durant trois semaines,
parfois plus longtemps dans le cas de l’endo-
cardite ou de l’infection de prothèse
endovasculaire. La bactériémie chez la
femme enceinte sera traitée avec l’ampi-
cilline IV 2 g aux quatre heures pendant
deux semaines, sans ajout de gentamicine.
Du matériel prosthétique ou une valve
cardiaque pourraient être des foyers de
persistance de l’infection.
Conclusion du cas
Votre patient avait une échographie cardiaque, une ponction lombaire et un PET-scan
dans les limites de la normale. Vous décidez donc de le traiter comme recommandé
avec de l’ampicilline 2 g IV aux 4 heures et de la gentamicine 1 mg/kg aux 8 heures
(basé sur un poids idéal) durant au moins 3 semaines.
Les hémocultures en cours de traitement et quelques jours après la fin du traitement
demeurent négatives. La santé publique a été avisée et l’enquête n’a pas démontré la
présence d’une éclosion. La femme du patient vous remercie chaleureusement…elle a
pu remettre la poubelle à sa place, dans la cuisine!
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