Info infectiologie Exit le culbutage : Quand les bactéries s’en donnent à cœur joie Dr Jean-François Roussy est résident V en microbiologie-infectiologie. Il pratique présentement au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Cet article est écrit en collaboration avec le Dr Alain Martel, microbiologiste-infectiologue, interniste. Dr Martel pratique présentement au Centre hospitalier de l’Université Laval. Le patient souffre d’hypertrophie bénigne de la prostate, laquelle est traitée, et il a subi une opération il y a environ un an pour un anévrysme de l’aorte abdominale infrarénale. À ce momentlà, du matériel synthétique a été mis en place dans le système endovasculaire. ans le cas présent, vous avez affaire à un patient ayant une bactériémie soutenue avec quatre bouteilles d’hémocultures à BGP. Le plus souvent, en clinique, la présence de BGP confirme une contamination par des corynébactéries, bactéries présentes normalement sur la peau. Ainsi, il s’agit peut-être d’une mauvaise technique de prélèvement des bouteilles d’hémocultures avec un bris dans l’asepsie. Toutefois, une contamination est plus probable quand seulement le résultat d’une bouteille sur quatre ou un même ensemble d’hémocultures se révèle positif, ce qui n’est pas le cas actuellement. Il y a donc confirmation de la présence d’une « vraie » bactériémie. En microbiologie, la présence de bacilles Gram positifs (BGP) courts associés à une mobilité en « culbutage » doit vous faire redouter la Listeria monocytogenes. Dans le cas présent, les tests supplémentaires confirment vos doutes : le patient est infecté par une bactériémie à L. monocytogenes. À son arrivée, malgré une température à 39,7 °C, sa tension artérielle est normale. L’examen neurologique ne montre pas de signes neurologiques focaux, et le patient est apathique mais demeure orienté dans les trois sphères. Un bilan septique est effectué; la radiographie pulmonaire est normale; l’analyse d’urine montre Quelle est l’épidémiologie de cette bactérie et sa transmission? La bactérie Listeria est un saprophyte de l’environnement qu’on retrouve chez plusieurs mammifères, oiseaux, poissons et crustacés. Cette bactérie s’imisce dans la Présentation clinique du patient Vous êtes appelé en consultation pour un homme de 86 ans faisant de la fièvre et présentant un tableau de confusion de novo. En effet, sa femme l’aurait surpris à uriner dans la poubelle de la salle à manger! Avant l’épisode actuel, il était parfaitement autonome. Il vit avec sa femme à la maison. Ce tableau de confusion a débuté moins de 48 heures avant l’hospitalisation. L’homme dit se sentir toutefois plus fatigué depuis une semaine et aurait peut-être noté un peu plus de nycturie. Le reste de la revue des systèmes est négative. 20 Clinicien plus • mars 2012 D Info infectiologie chaîne alimentaire avec contamination de viandes fraîches, de poulet frais ou transformé, de charcuteries, de fromages au lait cru (non pasteurisé) et même de légumes. En fait, le tractus gastro-intestinal de l’adulte est souvent colonisé par des souches non pathogènes de Listeria (non monocytogenes) et parfois même colonisé par des souches pathogènes – monocytogenes (de 1 à 5 % des adultes dans certaines études). La majorité des cas de listériose se manifesteront chez des individus avec une condition médicale sous-jacente affectant typiquement l’immunité cellulaire, la bactérie ayant les moyens à ce moment de ne plus être qu’un simple colonisant. Toutefois, une augmentation de cas de listériose se produit depuis quelques années chez des hôtes dits immunocompétents et reflète l’augmentation d’éclosions en lien avec des aliments contaminés à la Listeria. Votre patient est-il à risque de développer une listériose? Votre patient est à risque de listériose de par son âge avancé (Encadré 1). Au questionnaire plus poussé, il nie avoir mangé des charcuteries, des fromages au lait cru ou des viandes non cuites. Il dit toutefois boire de l’eau non filtrée d’un ruisseau près de chez lui. Sa femme et ses enfants ne sont pas malades. Quelles sont les présentations cliniques classiques de la Listeria? La majorité des individus atteints et immunocompétents ne développeront qu’un simple tableau de gastro-entérite environ 24 heures après l’ingestion de l’aliment contaminé, et le tout dure en moyenne deux jours. Chez l’adulte surtout immunosupprimé, une septicémie peut se produire et pourra causer, par Encadré 1 Les facteurs de risques classiques de la listériose 1. Les extrêmes d’âge : près de 50 % des cas se produisent chez des patients de plus de 60 ans ou chez des enfants de moins d’un mois; 2. Femme enceinte : il y a altération du système immunitaire durant la grossesse et elle est donc à risque de développer une listériose. Le plus souvent, le tableau clinique ressemblera à l’Influenza. Toutefois, dans le cas d’une bactériémie transitoire, il pourra y avoir subséquemment amnionite ou placentite pouvant infecter par la suite le fœtus. Des avortements spontanés, des bébés morts-nés et des accouchements prématurés sont bien décrits dans la littérature. 3. Nouveau-né : deux tableaux cliniques selon le moment où a eu lieu la transmission. « Earlyonset » (aussi appelé Granulomatose infanseptica) : atteinte disséminée du nouveau-né incluant les organes vitaux et le système nerveux central ; « Late-onset » : se produit environ 14 jours après la naissance et serait causé par la colonisation du vagin de la mère avec infection subséquente lors du passage de l’enfant pendant l’accouchement. la suite, une méningite ou même une méningoencéphalite. La mortalité à ce moment est de près de 50 %. Une atteinte classique est la rhomboencéphalite à Listeria. Que devez-vous éliminer chez votre patient en connaissant ces présentations? Il faut garder en tête la possibilité d’infection focale secondairement à la septicémie. Ainsi, du matériel prosthétique ou une valve cardiaque pourraient être des foyers de persistance de l’infection. Suite de la page 20 seulement une augmentation de bactéries à la microscopie, et la culture d’urine, une flore variée. Les globules blancs sont à 12 000 avec une numérotation différentielle normale. La créatinine, les électrolytes et un bilan hépatique se révèlent tous normaux. Une tomodensitométrie de la tête effectuée à l’urgence est sans particularité... Un traitement empirique à base de ciprofloxacine débute donc dans le but de traiter une possible infection urinaire (nycturie sans dysurie ni pollakiurie). Au moment de rencontrer le patient, qui est maintenant afébrile depuis 24 heures avec la prise de ciprofloxacine, vous apprenez du laboratoire que les quatre bouteilles d’hémocultures sont toutes positives pour des bacilles gram positifs (BGP) courts. On vous dit également avoir fait un état frais pour évaluer la mobilité de la bactérie sous le microscope...celle-ci se déplace en culbutant littéralement sur elle-même! Cette trouvaille vous rend très énervé… Vous demandez sur-le-champ des tests supplémentaires au laboratoire pour confirmer votre suspicion. Pourquoi êtes-vous si agité? À quelle bactérie croyez-vous avoir affaire? Clinicien plus • mars 2012 21 Info infectiologie Conclusion du cas Votre patient avait une échographie cardiaque, une ponction lombaire et un PET-scan dans les limites de la normale. Vous décidez donc de le traiter comme recommandé avec de l’ampicilline 2 g IV aux 4 heures et de la gentamicine 1 mg/kg aux 8 heures (basé sur un poids idéal) durant au moins 3 semaines. Les hémocultures en cours de traitement et quelques jours après la fin du traitement demeurent négatives. La santé publique a été avisée et l’enquête n’a pas démontré la présence d’une éclosion. La femme du patient vous remercie chaleureusement…elle a pu remettre la poubelle à sa place, dans la cuisine! Votre patient est donc septicémique. Toutefois, vous devez craindre la méningite vu l’atteinte confusionnelle transitoire, ce qui prolongera la durée du traitement. Une ponction lombaire doit être effectuée pour éliminer cette possibilité. De même, la présence de matériel endovasculaire à la suite de la chirurgie d’anévrysme du patient doit vous faire craindre la possibilité de surinfection de ce matériel. Un PET-scan ou une scintigraphie au Gallium devra être effectué. Vous devez aussi recontrôler les hémocultures en cours de traitement pour vous assurer de la bonne réponse aux antibiotiques. Une échographie cardiaque est aussi nécessaire pour éliminer l’endocardite. D Qu’entreprenez-vous comme traitement, et pour combien de temps? Le traitement de choix demeure encore l’ampicilline et la gentamicine en doses de synergisme. Un patient allergique à la pénicilline (anaphylaxie) pourra recevoir du sulfaméthoxazole/triméthroprime (TMPSMX) ou de la moxifloxacine. Il est à noter que la Listeria est résistante intrinsèquement aux céphalosporines. De plus, des cas de résistances ont été décrits pour les tétracyclines et les macrolides. D’ailleurs, ces deux derniers antibiotiques sont bactériostatiques et sont donc sous-optimaux dans un contexte de bactériémie ou méningite. La durée de la prise des antibiotiques dépendra du niveau d’atteinte. La méningite, la méningo-encéphalite, l’endocardite et la bactériémie chez un hôte immunosupprimé seront traitées avec la combinaison ampicilline et gentamicine durant trois semaines, parfois plus longtemps dans le cas de l’endocardite ou de l’infection de prothèse endovasculaire. La bactériémie chez la femme enceinte sera traitée avec l’ampicilline IV 2 g aux quatre heures pendant deux semaines, sans ajout de gentamicine. u matériel prosthétique ou une valve cardiaque pourraient être des foyers de persistance de l’infection. 22 Clinicien plus • mars 2012