Trois époques du système éducatif par Antoine Prost

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10h – 11h : Trois époques du système éducatif, trois figures du conseiller d’orientation Conférence d’Antoine PROST Antoine Prost est historien, professeur à l’Université de Paris 1 et spécialiste de la société française du XXe siècle et particulièrement du système éducatif. Antoine Prost commenta les divers contextes socio­politiques qui ont contribué à façonner, du dedans et du dehors, les services d’orientation et les différentes formes du métier de conseiller, respectivement avant et après 1936. Il a présenté une périodisation en trois moments des problématiques de notre profession, qui vont de l’orientation professionnelle à sa progressive entrée dans l’école. ­ 1 ère période : Le Front Populaire. L’orientation est professionnelle et non scolaire. ­ 2 ème période : De 1959 à 1973. On assiste à la mise en place des dispositifs d’orientation scolaire et professionnelle. ème ­ 3 période : A partir de 1991 avec l’acquisition du statut de conseiller d’orientation psychologue. Au début du 20 ème siècle l’orientation, issue d’un besoin social et économique dans le contexte de l’après guerre de 1914, est née « à la porte des métiers » : elle est rattachée à l’enseignement technique (ministère du commerce et de l’industrie). Le décret du 26/09/1922 signe l’acte de naissance des offices d’orientation professionnelle. Mais ceux­ci ont peu de moyens financiers et le travail est confié à des bénévoles. Ce n’est pas réellement un métier. La mission est de placer rationnellement les ados. L’idée est qu’il faut une science pour organiser scientifiquement la société. L’idéologie est celle d’un eugénisme progressiste : l’accès aux métiers doit être démocratique, mais avec une sélection, au mérite. Cette idée d’une organisation sociale scientifique fait apparaître comme nécessaire la professionnalisation des conseillers qui s’est développée dans les années 30 avec la création de l’INOP en 1928 et les premiers diplômes de conseillers d’orientation professionnelle en 1931. En 1943, la moitié des 260 praticiens de l’orientation sont diplômés de l’INOP. La psychologie devient une discipline autonome fondée sur la méthode expérimentale. En 1937 (sous le Front Populaire) est instaurée l’obligation d’un examen pour les apprentis dans les centres d’orientation professionnelle. Tous les jeunes de 14 à 17 ans, employés ou ouvriers doivent avoir un certificat d’orientation . Chaque département doit avoir au moins un Centre d’orientation. Les directeurs d’école doivent envoyer une fiche sur chaque élève. Il faut discerner les aptitudes et les goûts des élèves, dégager leur profil psychologique. L’idée de l’orientation est indissociable de celle de la scolarisation de tous, chacun à la place qui lui convient. (ndlr : il est difficile de ne pas voir une « concordance des temps » avec des tentatives du Ministre actuel, mais à l’époque, c’est la Droite qui voyait un fichage dans cette mesure...). En 44, création d’un DE et mise en place d’un Secrétaire à l’Orientation auprès des Recteurs. En 51, les conseillers sont pris en charge par l’Etat. En 56, ils sont recrutés par concours parmi les titulaires du DE. Dans les années 60, la massification de l’enseignement va mette à jour la nécessité d’une orientation scolaire faite par des spécialistes et non uniquement par les enseignants. C’est ainsi que progressivement le conseiller d’orientation fait son entrée dans l’école. La pratique est centrée sur la passation de tests collectifs et d’examens psychotechniques dans les classes de collège, c’est la période des « conseillers testeurs ». C’est l’âge d’or de la psychologie expérimentale (Reuchlin), de l’analyse factorielle et aussi des classes de perfectionnement. La psychologie scolaire se développe avec la création de ce nouveau métier
1 en 1960. L’accès aux professions de psychologue scolaire et de CO permet la mobilité sociale des instituteurs. L’école se démocratisant, les jeunes restent plus longtemps à l’école, au lycée, à l’université. L’orientation nde devient plus scolaire que professionnelle, mais avec un objectif de sélection à l’entrée en 2 et à l’université. Mais la sélection doit être soft : le Ministre de l’Education Nationale du Général De Gaulle de 1962 à 1967 dit : « L’orientation permet d’éviter la sélection et ce qu’elle aurait de brutal ». Il s’agit pour lui de transformer des mesures d’exclusion en mesures d’orientation. (ndlr : ceci est à avoir à l’esprit et à méditer en lisant dans le récent rapport de Gilles Kepel les propos des jeunes de banlieue sur notre métier). A partir de 1972, les CO sont de plus en plus dans les établissements scolaires puisqu’ils sont chargés de l’observation continue des élèves en vue de leur adaptation. En 1973, mise en place des procédures d’orientation, les CO sont appelés à y jouer un rôle. Dans les années 80, la forte montée du chômage rend prégnante la problématique de l’insertion et se développent les missions locales et les PAIO pour y répondre. Parallèlement, les pratiques des COP évoluent avec l’entretien individuel et la dimension éducative de l’orientation par l’EAO. On assiste à une remise en cause de la psychologie expérimentale pour la remplacer par la psychologie cognitive, clinique et psychanalytique. La méthodologie des tests est critiquée ainsi que le caractère de sélection déguisée des procédures d’orientation que les COP contestent comme « une entreprise de sélection au service du Capital ». Avec l’irruption de la psychologie et de la psychanalyse dans l’espace social et culturel, les COP se définissent dans leur mission de lutte contre l’échec scolaire et d’aide au projet personnel et ils ont une pratique libérale au sein de la fonction publique. Etant donné la baisse de recrutement des COP depuis 2002, Antoine Prost pense que la profession évolue vers une dissolution dans un ensemble plus vaste. Mais parce qu’il est historien, il nous dit de ne pas être du côté de la fatalité car on peut toujours infléchir le cours des évènements par ses actions. Lors des questions posées par les congressistes, A. Prost apporte quelques précisions à son exposé. En voici quelques unes : Il faut bien avoir à l’esprit que l’orientation est née à la porte des métiers, d’un besoin social. Elle n’est pas une sous­pente de la psychologie. Après la guerre de 14, il y avait peu de main d’œuvre. Le besoin d’un conseil à la sortie de l’école se faisait sentir. C’est en quelque sorte une pratique paternelle ou pastorale laïcisée. A sa création, l’INOP est une école professionnelle, ce n’est pas un département de psychologie. Après la guerre 39/45, sous Jean Zay et le plan Langevin Wallon, l’orientation reste à la porte des métiers et l’orientation scolaire est toujours la tâche des professeurs. Le CO s’occupe de ceux qui ne continuent pas leurs études. Pour Langevin et Wallon, l’orientation ne se pose que pour des cas spécifiques. Ils n’ont pas vu que l’allongement de la scolarité allait poser des problèmes de gestion des flux pour les élèves qui ne continuent pas jusqu’au bac. C’est en 63 que l’orientation entre dans l’école. Le point de vue de De Gaulle est qu’il y a trop de jeunes qui font de l’enseignement supérieur sans en être capables. Il faut remplir les filières en fonction des besoins de l’économie : c’est dans la logique du plan. Pompidou, lui, est contre les psychologues. Il est méfiant à l’égard des orienteurs qu’il qualifie « d’esprits faux ». Il faut en faire des avocats du technique ; orienter, c’est dire à un enfant qu’il n’est pas fait pour l’enseignement long. En plus, les orienteurs sont de gauche. « Je suis convaincu qu’ils sont pour le tronc commun ; ce sont des esprits faux ». (Fouchet, lui, n’était pas malthusien : pour lui, plus on éduque, mieux c’est). Si ensuite on fait venir les « orienteurs » dans les classes, c’est notamment parce que Reuchlin promeut les tests collectifs aussi efficaces et plus économiques que les examens individuels. Le nombre de conseillers testeurs augmente, en 75/76, 400.000 élèves de 3 ème passent les tests collectifs. (ndlr : Décidément, le passé éclaire le présent…) rédigé par Chantal Jouanen et Betty Perrin
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