COUT / BENEFICE DES NOUVEAUX AGENTS ANESTHESIQUES B. Bissonnette, Department of Anaesthesia, The Hospital for Sick Children, University of Toronto, 555 University Avenue; Toronto, Ontario, Canada, M5G 1X8. INTRODUCTION Dans le domaine des soins médicaux, le mécanisme du changement, alimenté par les inquiétudes engendrées par le déficit et la dette, est en marche. Qui tient le gouvernail ? Quelle route a-t-on choisie ? Comment est-ce que l'anesthésie sera affectée ? Sommes-nous aussi responsables des coûts de la santé ? De quelle façon pouvons-nous participer à l'amélioration des dépenses associées aux coûts globaux ? Autant de questions que l'anesthésiste d'aujourd'hui devra se poser dans les années à venir. Les mots employés pour décrire ce changement - restructuration, reconfiguration, dévolution, capitation, programmes de soins, régionalisation - sont encore étrangers à la plupart d’entre nous. Quoiqu'ils influencent maintenant notre vie de tous les jours, ils ont très peu à voir avec notre rôle fondamental d'administrer des soins anesthésiques de la plus haute qualité. Cependant, est-il approprié de se MAPAR 1997 demander si, sans affecter ce rôle fondamental, l'administration des soins anesthésiques peut-être accomplie d'une manière «économiquement efficace» ? Cet entretien sera surtout orienté vers la prise de conscience de la réalité qui nous entoure, c'est-à-dire, notre participation dans cette restructuration économique médicale à titre de consommateur des finances publiques. Dans un deuxième temps, nous essayerons de voir comment un département d'anesthésie et ses membres peuvent prévenir des catastrophes économiques futures. 1. IMPACT ECONOMIQUE DE LA DECISION THERAPEUTIQUE EN ANESTHESIE : ILS PAIENT LA FACTURE, NOUS DECIDONS ET UTILISONS ! La disponibilité des moyens financiers de nos pays nécessite une révision en profondeur de nos services de santé. La crise financière actuelle motive les changements récents et futurs de toutes les politiques sanitaires quelles qu'elles soient. Quoique les dépenses médicales continuent sans cesse d'augmenter (nouvelle technologie, développement d'une médecine plus agressive et performante, etc...), nos ressources financières n'ont cessé de décroître. Les coûts hospitaliers dans une médecine socialisée telle qu'au Canada, représente plus de 39 % de toutes les dépenses de la santé [1]. La nécessité de réduire les coûts sanitaires aura donc un effet important sur les soins de santé et inévitablement sur notre vie quotidienne à titre de praticien médical. La pression exercée se fera sentir indubitablement sur les coûts des services anesthésiques et chirurgicaux. Ainsi, il sera de plus en plus difficile de maintenir la qualité des soins sans la présence d'idée innovatrice et de créativité individuelle. 2. LE COUT DE L'ANESTHESIE Pour participer activement à la réduction des dépenses des soins de santé et surtout en tirer des avantages substanciels, les anesthésistes doivent assumer la responsabilité de la gestion des leurs propres ressources financières et de leurs utilisations. Ceci nécessite que chaque département d'anesthésie adopte une structure centralisée sur la rationalisation des coûts spécifiques à l'anesthésie. Ainsi, l'établissement d'un système de contrôle interne à chaque département d'anesthésie permettra à celui-ci, non seulement d’éviter l'inexactitude de la distribution des coûts relatif aux prestations anesthésiques (salle de réveil, coût global de la pharmacie, personnel etc..) mais aussi de connaître et gérer plus étroitement les coût inhérents aux médicaments et drogues utilisés par nous. Tout en participant d'avantage à la gestion journalière des finances de leurs départements, les 308 Session professionnelle anesthésistes pourront avoir une influence favorable sur l'utilisation des médicaments et au choix de leurs techniques anesthésiques. Par exemple, une étude en double-insu et randomisée de Morley-Forster et ses collègues a démontré que le kétorolac n'est pas plus efficace que l'indométhacine pour le soulagement de la douleur postopératoire légère mais que le coût associé à l'utilisation de cet agent était de 3,5 fois plus élevé [2]. Il est essentiel que l'anesthésiste reconnaisse que tous les nouveaux médicaments ne sont pas nécessairement indiqués dans toutes les situations peri-opératoire et que leur non utilisation pourrait représenter une économie importante dans le budget du département. L'utilisation de la morphine per- et postopératoire peut être cliniquement très avantageuse mais aussi très économique. Il est bien connu que l'utilisation de la morphine intraveineuse discontinue ou en perfusion continue durant toute la période peropératoire ou en postopératoire est très efficace, sécuritaire (même chez les tout petits) et ne coûte virtuellement rien ($0,21 Cdn ou 1 FF/10 mg !!). Ainsi, pendant la période d'austérité que nous traversons, il est non seulement essentiel de s'intéresser à connaître le coût des agents anesthésiques utilisés dans notre pratique quotidienne, mais aussi de prendre conscience des économies réelles possibles sans nécessairement affecter la qualité des soins de santé administrée à nos patients. Par ailleurs, le fait qu'une drogue anesthésique soit moins coûteuse qu'une autre et surtout moins récente ne doit pas représenter le seul critère de sélection mais doit quand même être pris en compte dans le contexte général des soins péri-opératoires. L'anesthésiste a malheureusement peu de chance d'apprécier l'ordre de grandeur des coûts de l'anesthésie et des drogues utilisées. Ce sujet est rarement abordé dans les publications modernes relatives à l'anesthésie. Il n'y a que 2 % des publications qui discutent sérieusement des coûts directement reliés à l'anesthésie [3-7]. 3. QUESTIONS FONDAMENTALES La pratique de l'anesthésie moderne fait face à plusieurs demandes conflictuelles, c'est-à-dire, le besoin d'une technologie plus compétitive, un rendement clinique de qualité supérieure et plus performant mais un contrôle plus étroit de nos dépenses et ce, à un coût beaucoup moindre. Les questions fondamentales sont : - Que coûtent les drogues utilisées en anesthésie ? - Quel est notre choix en fonction des besoins cliniques ? - Quelle est l'influence réelle du coût des drogues sur les services d’anesthésie ? - Quels sont les agents qui participent le plus aux coûts globaux de l'anesthésie ? - Est-ce que les avantages cliniques justifient les coûts associés au choix d'un médicament par rapport à un autre ? 309 MAPAR 1997 Autant de questions nécessaires pour permettre l'élaboration de projets d'étude orientés sur l'analyse de l'application de la thérapeutique anesthésique dans un contexte de maintien de la qualité des soins mais aussi de la réduction du coût des services d’anesthésie. 4. COUTS : DIRECT ET INDIRECT Le coût des drogues anesthésiques ne représente que 0,3 % du budget d'un hôpital de soins généraux non spécialisés [8] mais il atteint 3,3 % des frais d'un hôpital neurologique américain [6]. Les drogues anesthésiques représentent de façon générale environ 10 % du budget global de la pharmacie d'un l'hôpital Canadien, ce qui se transcrit en un coût réel de 0,3 % du budget opérationnel hospitalier. Johnstone et al. ont confirmé que les coûts associés aux drogues anesthésiques représentaient seulement 1,4 % de toutes les dépenses opérationnelle d'un hôpital américain [9]. L'anesthésiste doit, dans l'application de sa science, le choix de sa technique et pour le bien-être de son patient, établir une balance entre les facteurs suivants : 1. Qualité des soins Meilleur résultat clinique 2. Coût des anesthésiques Choix 3. Coût pour le département Options 4. Coût pour le système de santé Participation Il doit se poser la question suivante lorsqu'il planifie une anesthésie : Est-ce que l’agent utilisé permettra de diminuer les coûts directs et indirects tout en maintenant la meilleure qualité de soin pour son patient. Ainsi, il est de notre responsabilité de s'interroger si l'utilisation des nouveaux médicaments est justifiable, rationnel et logique pour les besoins de la procédure chirurgicale planifiée et la période postopératoire du patient. Par exemple, Saidman s’est interrogé sur le rôle d'un des nouveaux agents volatils dans la pratique moderne de l'anesthésie [10] : Est-ce que le desflurane est suffisamment meilleur que les agents anesthésiques par inhalation, spécialement l'isoflurane, pour justifier son incorporation générale à toutes les pratiques anesthésiques ? L’anesthésiste doit pouvoir, dans son évaluation et le choix des agents anesthésiques, se poser les mêmes questions qui lui permettrons d'établir avec certitude que l’utilisation des nouveaux agents répond aux critères suivants : 1. Est-ce que le nouvel agent anesthésique est suffisamment meilleur que les agents couramment utilisés ? 2. Est-ce qu'il y a des coûts supplémentaires à l'utilisation de ce nouvel agent ? 3. Est-ce qu'il y a des avantages indirects tel qu'une diminution de la morbidité du patient, une diminution de la période de réveil, une diminution réelle de la durée 310 Session professionnelle d'hospitalisation, une diminution du nombre de personnel nécessaire pour la prise en charge du malade, etc.. Ainsi, l'anesthésiste sera plus à même de justifier l'emploi de tel agent suivant une décision rationnelle et logique bien établie. Todd et al ont trouvé que les coûts associés aux drogues anesthésiques utilisés chez les patients subissant une crâniotomie exploratrice supratentorielle pour la résection d'une tumeur allaient de 1 à 10 entre les trois techniques anesthésiques mais sans toutefois démontrer que le résultat clinique final était différent [6]. Quoique cette étude soit plutôt concluante, il n’en demeure pas moins que le coût représenté par la technique anesthésique la plus chère des trois ne représente en moyenne que 0,3 % de la facture totale du patient à la sortie de l'hôpital. Il y a peu d'évidence que le choix de la médication anesthésique affecte directement ou indirectement d'une façon significative les coûts globaux du système de santé. Cependant, pouvons-nous analyser cette conclusion différemment et en tirer des avantages ? Il est important de noter qu'en présence d'un choix de plusieurs techniques anesthésiques pour la conduite sécuritaire et optimale d'une intervention chirurgicale, la planification intelligente de celle-ci en vertu des différents facteurs influençant le résultat final tel que principalement le maintien de la qualité des soins doit aussi inclure le coût des drogues. Une appréciation du coût réel des différents anesthésiques reliés à leurs utilisations peut représenter une économie et un gain financier important pour le budget du département d'anesthésie. Ainsi, la réduction des coûts associés aux drogues anesthésiques peut être une façon simple et efficace d'assurer un apport financier interne de façon à maintenir les autres activités d'un département, telle que la recherche scientifique et l’enseignement médical continu. De plus, la gestion appropriée de ces économies par chaque département d'anesthésie à la place de l'hôpital permettra par exemple de maintenir un équipement anesthésique de meilleur qualité, permettra à chacun d’accéder à l'enseignement médical continu grâce au fond de roulement alimenté par ces économies et aussi de pouvoir garder son personnel de soutien anesthésique sans avoir à justifier ou obtenir d'autorisation hospitalière administrative. Il s'agit d'une façon simple «d'acheter» de l’indépendance individuelle tout en assurant le rendement professionnel du département d'anesthésie. CONCLUSION L'analyse des coûts associés à la pratique de l'anesthésie moderne est essentiel dans la planification du futur d'un département. La planification se définie comme étant la possibilité de prendre le contrôle de la destiné de son département et des activités inhérentes à sa survie. 311 MAPAR 1997 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Canadian Medical Association. Toward a new consensus on health care financing in Canada: Ottawa: The Association, 1993. [2] Morley FP, Newton PT, Cook MJ. Ketorolac and indomethacin are equally efficacious for the relief of minor postoperative pain (see comments). Can J Anaesth 1993;40(12):1126-30 [3] Claud B, Tourret J, Francois AM, Derrieu R. (The cost price of an hour of anesthesia). [French]. Cah Anesthesiol 1986;34(6):519-21 [4] Spence AG, Allan LG, Gordon NH. The cost of an anaesthetic. Health Bull (Edinb) 1985;43(6):296-300 [5] Bengtson JP, Sonander H, Stenqvist O. Comparison of costs of different anaesthetic techniques. Acta Anaesthesiol Scand 1988;32(1):33-5 [6] Todd MM, Warner DS, Sokoll MD, Maktabi MA, Hindman BJ, Scamman FL, et al. A prospective, comparative trial of three anesthetics for elective supratentorial craniotomy. Propofol/fentanyl, isoflurane/nitrous oxide, and fentanyl/nitrous oxide [see comments]. Anesthesiology 1993;78(6):1005-20 [7] Bailey PW. Pricing of anaesthetic techniques. Anaesthesia 1978;33(3):235-41 [8] Torsher L, Martineau R, Tierney M, Hopkins H, Miller D. A survey of anaesthetic drug expenditures. Can J Anaesth 1992;39:A113 [9] Johnstone RE, Martinec CL. Costs of anesthesia (see comments). Anesth Analg 1993;76(4):840-8 [10] Saidman L. The role of desflurane in the practice of anesthesia. Anesthesiology 1991;74:399-401 312