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Le système KiSS/GPR54 :
un exemple de dimorphisme sexuel
The Kisspeptin/GPR54 system as an example of sexual dimorphism
Lukas Huijbregts, Carine Villanueva, Laure Villoing, Sandrine Jacquier, Nicolas de Roux*
points FORTS
▲▲ Les kisspeptines, codées par le gène KiSS1, sont les ligands du récepteur couplé aux protéines G GPR54.
▲▲ GPR54 est nécessaire à la survenue normale de la puberté.
▲▲ Les patients homozygotes pour une mutation inactivatrice de GPR54
présentent un hypogonadisme hypogonadotrope sévère sans anosmie.
▲▲ Les kisspeptines en activant GPR54 modulent directement la sécrétion
de GnRH.
▲▲ Dans l’hypothalamus de rongeur, les neurones exprimant KiSS1 sont
localisés dans le noyau arqué et dans le noyau antéroventral périventriculaire. Leur répartition est sexuellement dimorphique.
▲▲ Les neurones KiSS du noyau arqué impliqués dans le rétrocontrôle
négatif de l’axe gonadotrope par les stéroïdes sexuels, ceux qui sont localisés dans l’AVPV, pourraient jouer un rôle dans la survenue du pic ovulatoire de LH.
▲▲ Peu avant le déclenchement de la puberté, l’expression de KiSS1
augmente dans l’hypothalamus et les neurones à GnRH deviennent plus
sensibles à l’effet des kisspeptines. Ces mécanismes pourraient être
responsables de l’initiation de la puberté.
▲▲ Les neurones à KiSS pourraient jouer le rôle de relais de certains signaux
métaboliques, ce qui expliquerait le lien entre des perturbations de l’axe gonadotrope et certains troubles métaboliques tels que le diabète ou l’anorexie.
Mots-clés : Kisspeptines – GPR54 – Hypogonadisme hypogonadotrope
– Puberté.
Keywords: Kisspeptin – GPR54 – Hypogonadotropic hypogonadism –
Puberty.
L’
axe gonadotrope est l’acteur principal de la fonction
de reproduction dont les
mécanismes de régulation sont très
complexes. Cet axe est composé
* Équipe avenir génétique et physiologie de
l’initiation de la puberté, Inserm U690, hôpital
Robert-Debré, Paris.
de facteurs hypothalamiques dont
le plus connu est la GnRH, d’hormones hypophysaires LH et FSH,
et de stéroïdes sexuels ou de facteurs gonadiques tels que l’inhibine. Il est maintenant bien admis
que toutes les boucles de régulation
de l’axe gonadotrope passent par
la régulation de la sécrétion de la
thématique
Dossier
GnRH. Notamment, le début de la
puberté est dû à une augmentation
de la sécrétion hypothalamique de la
GnRH alors que le pic ovulatoire de
LH dépend directement d’une régulation positive de la sécrétion de la
GnRH par les estrogènes. Ces deux
boucles majeures de régulation de
l’axe gonadotrope font l’objet d’un
dimorphisme sexuel, puisque la
réactivation de l’axe gonadotrope est
plus tardive chez le garçon que chez
la fille alors que la régulation positive par les estrogènes n’est décrite
que dans l’hypothalamus féminin.
Pendant de nombreuses années,
les mécanismes moléculaires de
ce dimorphisme sexuel étaient
inconnus. La découverte, en 2003,
du système kisspeptines/GPR54
comme étant un élément clé de la
régulation de l’axe gonadotrope, a
ouvert des perspectives inattendues
(1, 2). Plusieurs équipes ont notamment démontré que le dimorphisme
sexuel de la régulation hypothalamique de l’axe gonadotrope dépendait d’un dimorphisme sexuel de
l’expression hypothalamique des
kisspeptines (3).
Cet article résume le rôle clé des
kisspeptines et de leur récepteur
GPR54 dans la régulation de l’axe
gonadotrope chez l’adulte et au
cours de l’initiation de la puberté,
ainsi que leur implication dans le
dimorphisme sexuel de cette régulation. Les lecteurs intéressés par
une revue plus détaillée de la littérature sur le kisspeptine/GPR54
pourront se référer aux articles
récents cités dans les références 3
et 21.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008
207
Dossier
thématique
Description du système
KiSS/GPR54
Les kisspeptines sont les ligands naturels de GPR54, qui est un récepteur
couplé aux protéines G s’exprimant
notamment à la surface des neurones
à GnRH dans l’aire préoptique de
l’hypothalamus. Le rôle majeur de ce
récepteur dans la régulation neuro­
endocrine de l’axe gonadotrope a été
décrit pour la première fois en 2003
par deux équipes indépendantes qui
ont identifié des mutations homozygotes du gène codant pour GPR54
chez des patients atteints d’hypogonadisme hypogonadotrope isolé (1, 2).
Le gène KiSS1 code pour les kisspeptines. Ce gène a été initialement
décrit comme un gène suppresseur de
tumeur chez l’homme (4). Les kisspeptines sont des neuropeptides issus
d’une prohormone de 145 acides
aminés, qui va subir, à la suite de l’action d’une proconvertase, un clivage
générant notamment un peptide de
54 acides aminés, appelé Kp54 ou
métastine. Plusieurs peptides plus
petits correspondant à la partie C
terminale de Kp54 ont également
été purifiés à partir du placenta. Pour
des raisons expérimentales, les kisspeptines de 10 et 54 acides aminés
(Kp10 et Kp54) ont été principalement utilisés, la fonction biologique
des peptides intermédiaires reste à
déterminer.
Le gène KiSS1 est exprimé dans le
noyau arqué (ARC) de l’hypothalamus des primates mais également
dans le noyau antéroventral périventriculaire (AVPV) chez les rongeurs, ce
qui est concordant avec une fonction
de régulation de l’axe gonadotrope.
Kisspeptines et régulation
de l’axe gonadotrope
L’axe gonadotrope est composé de
trois structures, l’hypothalamus,
l’hypophyse et les gonades, qui vont
208
interagir entre elles. L’hypothalamus
contient les neurones à GnRH qui
vont synthétiser la GnRH de façon
pulsatile durant la vie fœtale, à la
puberté puis tout au long de la vie
adulte. La GnRH est sécrétée dans
le système porte hypophysaire et
stimule les cellules gonadotropes
qui vont synthétiser la LH (luteinizing hormone) et la FSH (folliclestimulating hormone). Ces deux
hormones vont à leur tour activer
la synthèse de testostérone et d’estradiol par les cellules gonadiques.
La maturation de l’axe gonadotrope
pendant la période juvénile chez
l’animal de laboratoire ou pendant
l’enfance dans l’espèce humaine
est indispensable à la survenue de
la puberté et à l’acquisition d’une
fonction de reproduction normale.
Le rôle des kisspeptines dans l’initiation de la puberté a été suggéré à la
suite de la description de mutations
inactivatrices de GPR54 (1, 2) chez
des patients ayant un déficit gonadotrope congénital. Très rapidement,
les différents modèles expérimentaux ont démontré que Kp10 et Kp54
étaient les sécrétagogues les plus
puissants de la GnRH chez l’adulte,
quelle que soit l’espèce étudiée.
L’administration de kisspeptines
en intracérébroventriculaire ou en
périphérie chez le rongeur mâle et
chez la femelle, chez le singe mâle
ou bien chez le mouton, entraîne une
augmentation de la concentration
plasmatique en LH et FSH (3). Cet
effet est bloqué par l’administration
préalable d’agoniste de la GnRH, ce
qui signifie que l’effet des kisspeptines passe par une stimulation de
la sécrétion de la GnRH ou de son
action.
Une approche très puissante pour
analyser la fonction d’une nouvelle
hormone et de son récepteur consiste
à invalider les gènes de la souris
codant pour ceux-ci. Un modèle
de souris invalidée pour le récepteur GPR54 (souris GPR54-/-) a été
généré. Ces souris sont infertiles,
avec des concentrations plasmatiques très basses de gonadotrophines
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008
et de stéroïdes circulants, les autres
hormones hypophysaires sont
normales, elles ont donc un déficit
gonadotrope isolé. Un traitement par
GnRH exogène permet une augmentation de la sécrétion de gonadotrophines et rétablit le pic préovulatoire
de LH chez la femelle, ce qui indique
que les fonctions hypophysaires et
gonadiques sont préservées. Sur le
plan anatomique, il n’y a pas d’anomalie de migration des neurones à
GnRH. L’injection de kisspeptines
chez les souris GPR54-/- n’induit
pas d’augmentation des gonadotrophines LH et FSH (3). Ces neuropeptides agissent donc directement
et uniquement sur l’axe gonadotrope
via un récepteur : GPR54. Lors d’un
traitement par testostérone chez le
mâle adulte et par estrogènes chez la
femelle adulte, les souris GPR54-/ont un comportement sexuel adapté
à leur sexe, ce qui confirme que
GPR54 n’est pas nécessaire à l’acquisition d’un comportement sexuel
mâle ou femelle (5).
Le gène KiSS1 a également été invalidé chez la souris par deux groupes
différents. Les souris KiSS1-/ont un déficit gonadotrope sévère
comme les souris GPR54-/-. Il faut
noter qu’un groupe a rapporté que
50 % des femelles ont un phénotype moins sévère avec des gonades
dont le poids est similaire à celui des
souris non invalidées (6). Des études
complémentaires sont nécessaires
pour comprendre cette différence,
elle pourrait dépendre du protocole
d’invalidation utilisé. Chez les souris
KiSS1-/-, l’injection périphérique
en sous-cutané de Kp10 restaure la
sécrétion des gonadotrophines, ce
qui confirme l’effet hormonal des
kisspeptines et élimine définitivement un rôle dans le développement
de l’axe gonadotrope (3).
Chez l’homme, les mutations inactivatrices de GPR54 sont responsables
de la survenue d’un hypogonadisme
hypogonadotrope qui peut être
congénital (1). Les travaux démontrant l’effet hormonal des kisspeptines dans l’espèce humaine sont
pour l’instant limités à deux articles
provenant du même groupe. Il ressort
de ces études que l’administration
intraveineuse de Kp54 chez des
hommes adultes volontaires sains
entraîne une augmentation de LH et
de FSH, puis de testostérone. L’effet
de Kp54 sur la LH est beaucoup plus
important que l’effet observé sur la
FSH. Lors de l’administration de
Kp54 en sous-cutané chez la femme
ayant des cycles menstruels réguliers, l’effet de Kp54 sur les concentrations plasmatiques de LH et FSH
est plus prononcé pendant la phase
préovulatoire (3). Cette sensibilité
variable de la concentration plasmatique de la LH à l’administration
de Kp54 en fonction des différentes
phases du cycle, est également
observée chez la rate (3, 7).
Ces résultats montrent que la fonction des kisspeptines sur l’axe gonadotrope est identique dans les deux
sexes bien que les variations de la
sensibilité hypothalamique à ces
neuropeptides au cours du cycle
soient une première indication d’un
dimorphisme sexuel pour le système
kisspeptines/GPR54.
Kisspeptines et puberté
La réactivation de l’axe gonadotrope
est plus précoce chez les femelles
que chez les mâles quelle que soit
l’espèce étudiée. Chez le rongeur
et le primate, le début de la puberté
correspond à une augmentation de
la sécrétion hypothalamique de la
GnRH après une phase de quiescence de l’axe gonadotrope pendant
toute la période infantile (figure 1).
La régulation de la sécrétion de
GnRH dépend en partie de la plasticité neuronale lors de la transition
entre la période juvénile et la période
adulte. Il était donc tentant d’envisager que cette plasticité dépende
d’une augmentation de l’expression du gène KiSS1 et donc de la
synthèse des kisspeptines hypothalamiques. En effet, le nombre de
Phase prépubertaire juvénile
NPY, NO, facteurs
neurotrophiques,
glutamate, norépinéphrine,
kisspeptines
+
HYPOTHALAMUS
Phase prépubertaire précoce
NPY, NO, facteurs
neurotrophiques,
glutamate, norépinéphrine,
Neurones
GABA
kisspeptines
–
Pulse de GnRH
+
HYPOTHALAMUS
Neurones
GABA
–
thématique
Dossier
Pulse de GnRH
HYPOPHYSE
HYPOPHYSE
LH, FSH
LH, FSH
Figure 1. Régulation centrale de la sécrétion pulsatile de GnRH par les neurotransmetteurs
pendant la période juvénile et au début de la puberté.
NPY : neuropeptide Y – NO : monoxyde d’azote.
neurones KiSS se multiplie dans le
noyau antéroventral périventriculaire
(AVPV) de l’hypothalamus à la fin
de la phase juvénile du rongeur. Chez
le singe, l’expression du gène KiSS1
augmente également au moment de
la puberté dans l’hypothalamus, juste
avant l’intensification de la sécrétion
pulsatile de GnRH (8, 9). De plus,
une augmentation de l’apposition
des axones des neurones KiSS sur
les corps cellulaires des neurones
à GnRH est observée à la fin de la
phase juvénile chez le rongeur, ce
qui suggère une plus grande interaction fonctionnelle entre ces deux
neurones au début de la puberté.
L’hypothèse d’une sensibilité plus
importante de l’hypothalamus à l’action des kisspeptines a également été
testée. Pendant la période juvénile,
seuls quelques neurones à GnRH
sont stimulés par les kisspeptines,
alors que chez l’adulte presque tous
les neurones à GnRH le sont. Cette
sensibilité accrue n’est pas associée
à une augmentation de l’expression
hypothalamique de GPR54 entre la
période juvénile et la période adulte.
Elle pourrait dépendre de modifi-
cations des voies de signalisation
intracellulaire du récepteur GPR54.
L’administration de kisspeptines en
intracérébroventriculaire chez le rat
femelle juvénile (10) ou en intraveineux chez le singe juvénile induit
une activation précoce de l’axe gonadotrope (11).
Il ressort des travaux publiés chez
l’animal de laboratoire ou bien lors
de la caractérisation de mutations
inactivatrices de GPR54 dans l’espèce humaine, que l’intégrité du
système kisspeptines/GPR54 est
indispensable à la survenue de la
puberté, participe à son déclenchement, bien que ce système ne soit pas
le facteur initiateur de la maturation
hypothalamique débutant pendant
l’enfance (12).
Régulation de KiSS1
par les stéroïdes sexuels
Le rétrocontrôle négatif des peptides
hypothalamiques par les hormones
périphériques est décrit pour chaque
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008
209
Dossier
thématique
axe endocrinien. Les neurones à
GnRH n’exprimant pas le récepteur aux estrogènes, ERα (13), ce
rétrocontrôle passe obligatoirement
par des interneurones sensibles aux
stéroïdes sexuels. Les neurones
KiSS, dont la majorité exprime ERα,
sont rapidement devenus un sérieux
candidat pour la régulation négative
dans les deux sexes. À l’inverse,
chez la femelle, un rétrocontrôle
ARC
+ Neurones
KiSS
ARC
Neurones
KiSS
–
AVPV
positif de la sécrétion de la GnRH
par les estrogènes est décrit depuis
de nombreuses années sans que le
mécanisme soit connu. Il dépend
d’interneurones présents dans
l’AVPV de l’hypothalamus. Le gène
KiSS1 étant exprimé dans ce noyau,
il était tentant de tester l’hypothèse
que le dimorphisme sexuel de la
régulation positive de l’axe gonadotrope dépendrait du système kiss-
–
Hypothalamus
+
Neurones
KiSS
AVPV
Neurones
GnRH
+
Pulse de GnRH
Hypothalamus
+
Neurones
GnRH
Pulse de GnRH
Neurones
KiSS
Hypophyse
Hypophyse
LH
FSH
Testostérone
Testicules
LH
FSH
Estrogènes
Ovaires
Figure 2. Mécanismes d’action des kisspeptines chez les rongeurs mâle (gauche) et femelle (droite).
ARC : noyau arqué – AVPV : noyau antéroventral périventriculaire.
peptines/GPR54. Plusieurs modèles
animaux ont été utilisés pour étudier
la régulation de l’expression du
gène KiSS1 par les stéroïdes sexuels
dont, notamment, les souris femelles
ESR1-/- invalidées pour le gène
codant ERα (14) ou la gonadectomie
suivie d’un traitement par estrogènes
ou testostérone (figure 2).
Il ressort de ces travaux que la
gonadectomie induit une augmentation de l’expression de KiSS1 dans
l’ARC alors que celle-ci diminue
dans l’AVPV. L’administration d’estrogènes chez la souris gonadectomisée femelle ou de testostérone
chez le mâle restaure une expression normale de KiSS1 (figure 3).
L’expression de KiSS1 est donc
stimulée dans l’ARC en l’absence
de stéroïdes sexuels, indiquant que
les neurones KiSS dans ce noyau
hypothalamique pourraient intervenir dans le rétrocontrôle négatif
des stéroïdes sur l’axe gonadotrope.
Chez les femelles ESR1-/-, l’expression de KiSS1 n’est plus régulée par
les estrogènes, ce qui signifie que
cette régulation passe par ERα et
non par ERβ (15, 16). La régulation
négative est probablement identique
dans l’espèce humaine, puisque,
chez la femme ménopausée, l’expression hypothalamique de KiSS1
augmente dans l’infundibulum,
probablement à la suite de la baisse
de la synthèse ovarienne d’hormones
stéroïdes sexuelles (17).
Dimorphisme sexuel
des neurones KiSS
et rôle dans le pic
ovulatoire de LH
Figure 3. Mise en évidence expérimentale de la régulation de KiSS1 par les estrogènes (d’après 15).
Sur ces coupes d’hypothalamus de souris femelle, la quantité de points lumineux est directement
corrélée au niveau d’expression du gène KiSS1.
OVX : ovariectomie – ARC : noyau arqué – AVPV : noyau antéroventral périventriculaire –
3V : troisième ventriculaire.
210
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008
Le dimorphisme sexuel de la régulation hypothalamique de l’axe
gonadotrope était connu depuis
de nombreuses années. Le rôle
des kisspeptines dans la régulation de la sécrétion de la GnRH et
leur expression dans l’AVPV du
rongeur suggérait fortement que
ce système participe en partie à ce
dimorphisme. Cette hypothèse a été
testée en comparant la répartition
des neurones KiSS entre les mâles et
les femelles. Il ressort de ces travaux
que la répartition hypothalamique
des neurones KiSS est sexuellement dimorphique : le nombre de
neurones KiSS est beaucoup plus
important dans l’AVPV chez la
femelle que chez le mâle alors qu’il
n’y a pas de différence notable dans
l’ARC (figure 2) [18]. La répartition
des neurones KiSS est déterminée
au cours d’une période critique périnatale qui pourrait dépendre de la
présence de testostérone chez le mâle
et de son absence chez la femelle. En
effet, des femelles traitées avec de la
testostérone à la naissance auront un
profil de répartition des neurones
KiSS similaire à celui observé chez
le mâle (19).
Il est à noter que c’est au cours de la
même période critique que se détermine un autre trait sexuellement
dimorphique majeur : la survenue
d’un pic préovulatoire de GnRH/
LH au cours du cycle ovarien chez la
femelle adulte. Ce pic est déclenché
par les estrogènes qui, peu avant
l’ovulation, vont passer du statut
d’inhibiteurs de l’axe (rétrocontrôle
négatif) à celui d’activateurs (rétrocontrôle positif).
Il est connu depuis plusieurs années
que le noyau hypothalamique AVPV
est essentiel à la survenue du pic
préovulatoire de LH, l’administration d’estrogènes dans l’AVPV étant
capable d’induire l’apparition d’un
pic, alors que sa lésion le bloque.
L’hypothèse du rôle des neurones
KiSS de l’AVPV dans le relais
du rétrocontrôle positif vers les
neurones à GnRH a donc rapidement
été émise et vérifiée par plusieurs
groupes. En effet, l’expression de
KiSS1 dans l’AVPV augmente sous
l’effet des stéroïdes sexuels de façon
concomitante à la survenue du pic
préovulatoire de LH chez la femelle
(20). Lorsque les kisspeptines hypothalamiques sont neutralisées par
l’injection d’anticorps spécifiquement dirigés contre celles-ci, le pic
est inhibé (21).
Chez l’homme et chez le singe, la
situation est moins claire. En effet,
les neurones KiSS ne sont pas
détectés dans l’AVPV mais dans
l’infundibulum, qui est l’homologue de l’ARC chez le rongeur.
Les rétrocontrôles négatifs et positifs des stéroïdes sexuels sur l’axe
gonadotrope passeraient donc par
des neurones KiSS différents mais
situés dans le même noyau hypothalamique. Il est certain que la preuve
expérimentale de cette hypothèse ne
sera pas facile à obtenir. Un schéma
identique semble se dessiner chez la
brebis, puisque les neurones KiSS
sont concentrés dans l’ARC qui est
impliqué dans le rétrocontrôle négatif
et dans la survenue du pic préovulatoire de LH. Bien que l’ensemble des
neurones KiSS de l’ARC présente
une augmentation de l’expression de
KiSS1 après ovariectomie, seule une
portion des neurones KiSS situés
dans la partie caudale de l’ARC est
activée au moment du pic préovulatoire de LH. Ce résultat suggère
que seule cette sous-population de
neurones KiSS de l’ARC est capable
de relayer le rétrocontrôle positif des
stéroïdes sexuels sur la sécrétion de
GnRH chez la brebis (22).
Influence des facteurs
environnementaux
et du métabolisme
sur l’expression de KiSS1
La reproduction représente une
dépense énergétique importante.
Lorsque la balance énergétique est
négative (anorexie, exercice physique
excessif ou lactation), l’axe gonadotrope est inhibé. Cette inhibition peut
retarder la survenue de la puberté ou
bien perturber le fonctionnement
normal de l’axe gonadotrope chez
l’adulte. De plus en plus de résultats
expérimentaux suggèrent une régulation de l’expression de KiSS1 par
des facteurs métaboliques circulants,
tels que l’insuline ou la leptine. Les
souris déficientes en leptine (souris
ob/ob) ont un niveau d’expression
de KiSS1 dans l’ARC de l’hypothalamus inférieur à celui des souris
sauvages et des souris traitées à la
leptine. Cet effet pourrait être direct,
car près de la moitié des neurones
KiSS de l’ARC exprime la forme
active du récepteur à la leptine.
Enfin, l’expression hypothalamique
de KiSS1 d’un rat privé de nourriture
est inférieure à celle d’un rat témoin
(22). Le traitement de rats avec de la
streptozotocine, qui induit un diabète
de type 1 en détruisant sélectivement
les cellules bêta des îlots pancréatiques, s’accompagne d’une baisse
de l’expression hypothalamique de
KiSS1. Finalement, une variation
de l’expression du gène KiSS1 a
été observée chez les animaux ayant
une reproduction saisonnière avec
des diminutions de l’expression
hypothalamique pendant la phase de
quiescence de l’axe gonadotrope.
thématique
Dossier
Conclusion
La découverte du rôle du système
kisspeptines/GPR54 en 2003 a
constitué une avancée majeure dans
la compréhension des mécanismes
neuroendocriniens de la réactivation de l’axe gonadotrope lors de
la puberté et de la régulation de
l’axe gonadotrope au cours de la vie
adulte. La régulation différentielle
par les stéroïdes sexuels et le dimorphisme sexuel de la répartition des
neurones KiSS dans l’hypothalamus,
couplés aux très nombreux résultats
révélant l’implication des kisspeptines et GPR54 dans la régulation
de la sécrétion de GnRH, démontrent que les neurones KiSS jouent
un rôle fondamental de médiateur
central du rétrocontrôle par les
stéroïdes sexuels sur la sécrétion des
gonadotrophines. Ces résultats ont
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008
211
Dossier
thématique
bien sûr une importance fondamentale pour comprendre la physiologie
de l’axe gonadotrope. Ils pourraient
également permettre la compréhension de l’hypofertilité dans certaines
pathologies, dont le déficit en
21-hydroxylase, entraînant un excès
d’exposition des femmes à la testostérone en période néonatale.
■
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Auto-test
1. L’action majeure des kisspeptines est de :
a. réguler directement la sécrétion de LH
b. réguler directement la sécrétion de GnRH
c. réguler directement la sécrétion de stéroïdes
2. Au début de la puberté, l’action des kisspeptines sur les neurones à GnRH est :
a. plus importante du fait d’une sensibilité accrue de GPR54 aux kisspeptines
b. plus importante du fait d’une augmentation de l’expression de GPR54
c. plus faible du fait d’une baisse de l’expression hypothalamique de GPR54
3. Les neurones à KiSS impliqués dans le rétrocontrôle négatif des stéroïdes sexuels
sur l’axe gonadotrope sont localisés :
a. dans l’AVPV de l’hypothalamus
b. dans l’ARC de l’hypothalamus
c. dans les noyaux hypothalamiques AVPV et ARC
Réponses : 1b ; 2a ;3b.
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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008
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