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au contraire caractérisées par un "nettoyage idéologique" de la science. En 1936 un décret du
comité central de P.C. sur "Les perversions idéologiques dans le système d'éducation" a eu
comme conséquence l'arrêt du développement puis la quasi disparition de la psychotechnique :
l'application de toutes les méthodes psychotechniques pour la sélection a été interdite. En réalité
l'impact de ce décret a été bien au delà du champ de l’éducation. L'ensemble des recherches dans
les différents domaines de la psychologie appliquée et pratique s'est trouvé mis en cause et
considérablement réduit. Une période de latence s'ouvrait qui allait durer plus de 30 ans.
C'est seulement après la mort de Staline (1953) et le "dégel" de la société soviétique initié par
Khroutchev dans les années 60 qu'un redémarrage est devenu possible. La psychotechnique va
renaître sous l'appellation de "systémotechnique" dans un contexte marqué par l'émergence de la
cybernétique, par la compétition avec les USA et par l'apparition de demandes sociales,
essentiellement issues des ingénieurs, adressées à la psychologie : “que peut la psychologie pour la
conception des grands complexes techniques, des avions, des fusées ?".
Les principaux psychologues de cette période, B.G.Ananiev, A.N.Leontiev et B.M.Teplov ont
chargé B.F.Lomov (un élève de Ananiev) d'examiner comment, au plan théorique, mais aussi
idéologique, la psychologie, pouvait trouver une insertion dans les pratiques sociales. Lomov va
créer, au sein de l'université de Leningrad, le premier laboratoire de psychologie industrielle
d'URSS qui deviendra ensuite le laboratoire de "Psychologie de l'ingénierie".
La psychologie de l'ingénierie est alors apparue en URSS comme porteuse d'une perspective
nouvelle : créer autour de l'homme au travail dans les systèmes techniques complexes, un milieu
psychologiquement adapté, développer des outils de travail qui constituent un élargissement des
mains et des pensées de l'homme. En 1963 Lomov va publier simultanément deux textes décisifs.
Le premier co-signé avec Leontiev [1] est un article qui positionne la nouvelle psychologie de
l'ingénierie dans les débats idéologiques de l'époque. Cet article va rendre l'existence de la
psychologie de l'ingénierie légitime. Le second est un ouvrage de synthèse, "L'homme et la
technique" [2], qui rend compte des travaux des spécialistes occidentaux de la psychologie du
travail, de l'ergonomie et des Human Factors (par exemple, Chapanis, McCormic, Taylor,
Welford, Wiener and Rosenblucth, Backer et autres). Cet ouvrage écrit en langage simple va
devenir un livre de chevet pour les ingénieurs. Il leur présente à la fois les résultats de recherche et
les utilisations pratiques possibles et va les convaincre de la nécessité de prendre en compte le
facteur humain lors de la conception des outils et des systèmes de travail.
Cependant le système de la science restait encore fermé aux sciences humaines jugées trop
"molles". L'ouverture se produira progressivement au début des années 60 lorsqu'un Conseil
scientifique en cybernétique sera créé en tant que département de l'académie des sciences de
l'URSS. Son président A.I.Berg, un académicien, spécialiste mondialement connu en
cybernétique, va créer rapidement une section de psychologie qui sera ainsi la première des
sciences humaines a être reconnue dans le système institutionnel de la science. Les présidents
furent D.A.Ochanine puis A.N.Leontiev et enfin B.F.Lomov. La création de l'Institut de
psychologie de l'Académie des sciences de l'URSS, en décembre 1971, viendra ensuite confirmer
la place nouvelle de la psychologie. Dans le système de la science soviétique, la création d'un
institut au sein de l'Académie des sciences signifiait la reconnaissance officielle par l’État du
domaine scientifique correspondant. Une autre science humaine, la sociologie, devra par exemple
attendre les années 90 pour être institutionnalisée de la même façon par la transformation d'un
institut de recherche sociologique en "Institut de sociologie".