LE MONDE SELON BILL STERLING W ILLIAM S TERLING S TRATÈGE M ONDIAL Jusqu'où ira le dollar canadien ? « M’étant efforcé de prévoir les taux de change pendant plus d’un demi-siècle, j’ai, de façon compréhensible, développé une grande humilité s’agissant de mes capacités en la matière. » Alan Greenspan 30 novembre 2001 Dans l’édition de Perspective du mois dernier, nous avons hasardé l’opinion selon laquelle le dollar américain avait atteint un sommet et pourrait être entré dans une phase de repli important vis-à-vis d’un bon nombre de devises, y compris le dollar canadien. Continuons donc sur la même ligne de pensée et soyons précis : De combien le dollar américain pourrait-il se replier par rapport au dollar canadien ? Comme indiqué par le commentaire d’Alan Greenspan ci-dessus, c’est une question qui doit MARGE DE REMONTÉE ? Cents US par dollar canadien être abordée avec beaucoup de prudence. Mais pour ceux qui comme nous pensent que le dollar canadien est fondamentalement sous-évalué, il existe quelques points de références qui peuvent aider à mesurer le potentiel de hausse par rapport à son homologue américain. Nous avons abordé ce sujet le mois dernier en décrivant l’analyse du magazine « The Economist » sur la standardisation économique. Une fois par an, les journalistes de ce magazine essayent de mesurer le pouvoir d’achat relatif de plusieurs devises en fonction d’une enquête visant à définir le coût d’un produit standardisé, en l’occurrence le hambourgeois Mc Donald, à travers le monde. 100 95 90 85 80 75 70 65 60 1985 1990 1995 2000 ANNÉE Source: Datastream Tableau 1. Même après une légère remontée par rapport au dollar américain, le dollar canadien a perdu environ 27 % de sa valeur depuis 1991. PA G E 4 PERSPECTIVE DE JUIN AU 31 MAI 2002 Selon cette mesure, le dollar canadien était sousévalué d’environ 15 % au moment de l’enquête du magazine « The Economist ». En d’autres termes, alors que le dollar canadien se négociait à 63,7 cents par dollar US, il s’établissait à un niveau de 15 % inférieur à celui du taux de 75 cents déterminé comme étant la parité de pouvoir d’achat du hambourgeois. Au taux de 75 cents, le hambourgeois canadien se situerait exactement au même niveau que son homologue américain. LE MONDE SELON BILL STERLING Jusqu'où ira le dollar canadien ? (suite) Si l’indice Mc Donald est une indication quelconque, l’amorce de remontée du dollar canadien pourrait avoir encore pas mal de chemin à parcourir. Le tableau 1 montre que, malgré sa remontée récente, le dollar canadien est toujours 27 % en dessous de son niveau de négociation par rapport au dollar américain de 1991, et bien en dessous du niveau moyen de 76 cents qui prévalait depuis 1980. Au-delà de la standardisation économique Il est certain que l’enquête du magazine « The Economist » est simplement une tentative goguenarde d’évaluation du principe économique classique de « la loi du prix unique ». Ce principe veut que les prix dans un pays ne puissent pas s’éloigner de trop des prix d’un même article dans un autre pays. En pratique, des divergences de prix existent bien évidemment, et quelquefois perdurent sur plusieurs années. Ceci est particulièrement vrai pour des produits locaux, comme le hambourgeois, qui ne font pas l’objet d’un commerce inter-frontalier intense. Il est tout de même intéressant de noter que cette enquête simpliste du magazine « The Economist » ÉVALUATION DE LA PARATIÉ DE POUVOIR D’ACHAT DU $ CA Cents US par dollar canadien 84 82 80 78 76 74 72 1985 1990 1995 2000 ANNÉE Source: Datastream, CI Global Advisors Tableau 2. En fonction de la parité de pouvoir d’achat (PPA), le dollar canadien devrait de négocier aux environs de 80 cents américains. La valeur de PPA du dollar canadien a progressé depuis 1991 en raison d’une inflation plus faible au Canada. a souvent correspondu de près à d’autres enquêtes plus sérieuses sur la parité du pouvoir d’achat ayant essayé de comparer le pouvoir d’achat de différentes devises en fonction d’un panier important de marchandises et de services. Pour obtenir une image plus fidèle des niveaux de prix relatifs d’un pays à un autre, nous utilisons une méthode développée par le Fonds monétaire international. Selon cette méthode, nous obtenons une évaluation de la parité de pouvoir d’achat à un taux de change de 80 cents pour un dollar américain. Chose intéressante, ce niveau est près de celui de l’estimation faite par « The Economist », et laisse à penser que le dollar canadien est toujours sous-évalué de 18 %. Cette évaluation se fonde sur la comparaison des indices des prix à la consommation des deux pays sur leurs moyennes à long terme. Elle se fonde également sur l’hypothèse que sur de longues périodes, disons 20 ans, les marchés arrivent à un taux de change à peu près correct en termes de nivellement des prix inter-frontaliers. Selon cette analyse, comme le montre le tableau 2, la valeur intrinsèque du dollar canadien (du moins en termes de pouvoir d’achat relatif) a progressé depuis 1991. Ceci en raison du fait que l’inflation au Canada a été inférieure à celle des États-Unis depuis cette date. Ce qui fait suite à une période (les années 80) au cours de laquelle la valeur intrinsèque du dollar canadien s’est écroulée, parce que l’inflation était beaucoup plus élevée au Canada qu’aux États-Unis. De toute évidence, les marchés des changes internationaux ont accordé peu de crédit au Canada pour l’amélioration de ses données fondamentales au cours de la dernière décennie, car le taux de change réel à continué à baisser. (L’écart du taux de change réel par rapport au niveau suggéré par la parité de pouvoir d’achat est indiqué sur le tableau 3.) Ayez pitié des PERSPECTIVE DE JUIN AU 31 MAI 2002 PA G E 5 LE MONDE SELON BILL STERLING Jusqu'où ira le dollar canadien ? (suite) hommes politiques que les médias ont diffamé pour avoir laissé le dollar canadien chuter en dépit d’une inflation beaucoup plus faible, de surplus budgétaires et de l’émergence d’un important surplus commercial. canadien. L’inversement de tendance qui parait maintenant se dessiner a exactement l’effet contraire, il s’agit d’une faiblesse générale du dollar en réaction à un nombre d’évènements dont nous avons parlé le mois dernier. La principale raison du repli du dollar canadien était simple. Malgré des données fondamentales en amélioration, les capitaux sortaient en masse du Canada pour tirer parti des tendances économiques qui semblaient être beaucoup plus prometteuses au sud de la frontière, compte tenu de l’explosion économique américaine. Durant cette forte expansion économique, les États-Unis ont été une sorte d’aimant des capitaux, ayant pour résultat de faire monter de façon spectaculaire le dollar américain par rapport à pratiquement toutes les devises, et pas seulement le dollar canadien. La liste de facteurs sapant maintenant le dollar américain est longue et s’allonge encore. Elle comprend les importants déficits commerciaux et des comptes courants, la résurgence de déficits budgétaires au niveau fédéral et des états, les rendements décevants des capitaux sur les marchés financiers américains dus à la faiblesse des taux d’intérêt et au faible rendement des actions, ainsi que les problèmes de confiance affectant les épargnants. Les problèmes de confiance ne sont pas uniquement liés aux scandales relatifs aux pratiques comptables ou des chefs d’entreprise, ils sont également liés à une pléthore de décisions controversées de l’administration Bush à propos de problèmes de commerce international comme celui du bois d’œuvre, de l’acier ou des subventions agricoles. Les craintes de conflits font aussi partie du décor, car les États-Unis doivent financer la guerre au terrorisme à l’aide de leurs propres ressources alors que cela n’avait pas été le cas pour la guerre du Golfe. Vigueur canadienne ou faiblesse américaine ? Dans un sens, ce n’était pas la faiblesse du dollar canadien à proprement parler, mais plutôt la vigueur du dollar américain qui fut la principale force derrière une telle sous-évaluation du dollar ÉCART DU $ CA PAR RAPPORT À LA PARATÉ DE POUVOIR D’ACHAT (vs $ US, en pourcentage) 30 $ CA, surévalué 20 10 0 -10 -20 $ CA, sous-évalué -30 1985 1990 1995 2000 ANNÉE Source: Datastream, CI Global Advisors Tableau 3. Même après la remontée du début d’année, le dollar canadien continue à se négocier 18 % en dessous de la valeur de parité de pouvoir d’achat estimée à 80 cents US. PA G E 6 PERSPECTIVE DE JUIN AU 31 MAI 2002 Dans un tel environnement, comme nous l’indiquions le mois dernier, ils existent des analystes qui croient que le dollar américain devra chuter de pratiquement 40 % par rapport aux devises de ses principaux partenaires commerciaux, au rang desquels le Canada est le premier. Nous avons exprimé l’opinion selon laquelle un fort soutien de la part de la Chine et du Japon pourrait aider à un atterrissage en douceur du dollar avec un repli global d’environ 10 % au cours de l’année à venir. Ceci dit, l’hypothèse d’une faiblesse plus prononcée du dollar américain ne peut pas, en tout état de cause, être écartée. LE MONDE SELON BILL STERLING Jusqu'où ira le dollar canadien ? (suite) Avertissement – Ceci pourra prendre plusieurs années. soit surévalué pour un temps, comme cela a été le cas à la fin des années 80. Il est extrêmement important de noter que de grands écarts par rapport à la parité de pouvoir d’achat peuvent prendre des années à se former et des années avant d’être corrigés. Le fait que le dollar canadien soit sous-évalué de 18 % selon la parité de pouvoir d’achat (PPA) ne signifie pas qu‘il va remonter de 18 % le mois prochain ou même l’année prochaine. Le consensus parmi les chercheurs académiques est que la vitesse de convergence des taux de PPA est relativement lente, avec une réduction d’environ 15 % de l’écart pour une année normale. Dit différemment, il faut environ 4 ans pour réduire de moitié les écarts de taux de PPA des nations industrialisées. Les décideurs n’aiment pas voir la devise de leur pays monter ou descendre trop rapidement. Une variété de forces compensatoires, qui peuvent ralentir l’ajustement des taux de change, ont donc tendance à agir. Un dernier avertissement est que même si le dollar canadien est sous-évalué par rapport au dollar américain, cela ne signifie pas qu’il soit sous-évalué par rapport à toutes les devises principales. Comme l’indique le tableau 4, selon les estimations de la Deutsche Bank, le dollar canadien est actuellement légèrement surévalué par rapport à l’euro (4 %) et au dollar australien (5 %), tout en étant sous-évalué par rapport au yen (13 %) et à la livre sterling (13 %). Toutefois, il vaut aussi la peine de noter que les taux de change peuvent dépasser, et souvent le font, leur valeur de PPA dans un sens ou dans un autre. Une fois donc qu’une tendance se dessinera pour corriger la sous-évaluation du dollar canadien, il ne serait pas surprenant que celui-ci LE DOLLAR CANADIEN N’EST PAS SOUS-ÉVALUÉ PAR RAPPORT À TOUTES LES DEVISES Devise (vs $ CA) cours au 31 mai 02 Dollar US Euro Yen japonais Livre sterling Dollar australien 0,65 0,70 81,31 0,45 1,15 En conclusion, nous continuons à nous tenir à l’écart du dollar américain et du yen japonais dans nos fonds et privilégions l’euro et certaines devises sélectionnées des marchés émergents. En nous fondant sur notre opinion au sujet des devises, nous continuons à croire que les fonds communs largement diversifiés à l’international enregistreront probablement de meilleurs résultats que les fonds américains au cours de l’année à venir, alors que les fonds d’obligations internationales obtiendront des résultats relativement bons par rapport aux fonds d’obligations nationaux. Pour finir, si vous avez des projets de vacances à l’étranger, il est peut-être temps de songer à l’Europe continentale ou à la Scandinavie. Attendez plutôt l’année prochaine pour vos vacances aux États-Unis. Estimation % de sur/ de PPA sous-évaluation 0,80 0,67 93,36 0,52 1,10 -18,2 % 4,2 % -12,9 % -12,9 % 5,3 % William Sterling, Stratège mondial, CI Global Advisors LLP Tableau 4. Le dollar canadien n’est pas uniformément sous-évalué par rapport aux principales devises et semble même légèrement surévalué par rapport à l’euro et au dollar australien. PERSPECTIVE DE JUIN AU 31 MAI 2002 PA G E 7