Livret des communications - Colloque « les nouvelles figures de la dangerosité » -Énap - Agen - 15 - 17 janvier 2008 Page 1 / 58
Anne Biadi-Imhof
Sociologue au CNRS
GRASS (Groupe d’Analyse du Social et de la Sociabilité)
Tandis que la question de la dangerosité (violence, contagion de la déraison, etc.) n'a cessé d'être
accolée aux représentations de la folie, justifiant durant un siècle et demi les pratiques les plus
barbares de la psychiatrie, les dérives liées à l'usage de stupéfiants, tant que cet usage est resté
l'apanage d'une élite intellectuelle, ont plutôt trouvé au sein de l'institution psychiatrique des
aménagements de traitements un peu plus respectueux des personnes que ceux réservés ordinairement
aux aliénés. Les phantasmes d'insécurité liée à la toxicomanie, à partir des années 1960-70, vont de
pair avec un phénomène de consommation devenu massif et sans frontière, mais surtout avec le fait
qu'il s'agit d'un phénomène de jeunes. Ces trois dimensions, massification (même si d'autres types de
consommation, l'alcool par exemple offrait déjà cette caractéristique), débordement des frontières
(prémices de la mondialisation) et jeunesse (même si les jeunes ne sont pas les seuls usagers) ont
contribué à placer la toxicomanie sur le registre de la dangerosité extrême, et à justifier, jusqu'au
milieu des années 90 leur exclusion du système de santé et plus spécifiquement encore des structures
psychiatriques qui aux termes de la loi de 70 leur étaient destinées.
En effet, à partir de la loi du 31 décembre 1970 l'interprétation de cette question par la justice oscille
entre l’usager de stupéfiant « délinquant » ou « malade », mais la psychiatrie publique n’a de cesse de
rejeter les toxicomanes, malgré les « injonctions de soins » qui leur sont faîtes, sous prétexte qu’ils
n'ont pas de demande et qu’ils sont ingérables. Il faut l’arrivée du Sida, et la prise de conscience
sociale d’une nécessité de « gestion des risques » lié à l'usage de drogues pour amener un changement
de perspective et ouvrir aux toxicomanes certaines possibilités de soins (CSST, ECIMUD, médecine
de ville) à distance respectable de l’institution psychiatrique.
Les mouvements désaliénistes des années 70 ont largement contribué à remettre en question la
dangerosité des malades mentaux, [1] mais on ne peut oublier que cette « révolution » est étroitement
corrélée avec l’arrivée des médicaments psychotropes à la fin des années 50. Parallèlement, tandis que
les représentations de la toxicomanie les excluaient du système de santé, le déplacement opéré par la
gestion des risques s'appuyait là encore sur une réalité instrumentale, celle des procédures de
substitution, soulignant là encore le lien entre les représentations du danger et les outils permettant d’y
faire face.
Cette communication s’appuie sur deux recherches [2] et interroge, à partir d’angles différents, les
relations entre la psychiatrie et les toxicomanes.
Elle fait apparaître l'intérêt d'un nombre croissant de psychiatres pour le soin aux toxicomanes, nouvel
espace clinique, directement en prise avec les questions de société (notamment celle de la jeunesse),
plus indépendant des cadres nosographiques contraignants de la psychiatrie. Mais elle souligne aussi
l’ambivalence des intervenants pour gérer la dimension de l'illicite, pour interpréter et répondre à
l’urgence/danger (pour l'individu ou pour la société), pour jongler entre contrat et contrainte, rejet et
fascination.
Les toxicomanes et la psychiatrie : des outils pour dompter la peur