C A S C L I N I Q U E À propos d’une déhiscence du golfe de la jugulaire ● P. Charpentier*, M. Tomasi*, O. Coulet*, S. Romdhane*, P. Salgas* L es variations anatomiques de l’hypotympanum regroupent essentiellement les procidences et déhiscences plus ou moins marquées du golfe de la jugulaire et de la carotide interne. Ces anomalies ne doivent pas être méconnues car elles peuvent modifier le déroulement normal de la séquence opératoire. Une observation récente illustre le fait qu’un examen clinique bien conduit ne peut pas toujours évoquer une procidence du golfe de la jugulaire dans la caisse. Cela pose donc la question de l’intérêt d’une imagerie systématique avant toute chirurgie de l’oreille moyenne à tympan pathologique. OBSERVATION Il s’agit d’une jeune femme de 20 ans qui présente une otorrhée chronique, isolée, peu importante, fétide et intermittente, négligée depuis plus d’un an. L’examen clinique montre une oreille très inflammatoire avec un volumineux polype mésotympanique et la présence de squame épidermique dans la partie postérosupérieure de l’atrium ; l’oreille controlatérale est normale. Un traitement local (gouttes d’ofloxacine deux fois par jour) et général (amoxicilline et acide clavulanique à 1,5 g par jour) apporte une nette amélioration. La régression du polype, toujours présent, laisse apparaître une importante poche de rétraction mésotympanique non contrôlée en arrière et en avant, toujours remplie d’épiderme. On effectue, dans le cadre du bilan lésionnel d’un cholestéatome, une tomodensitométrie du rocher. Cette imagerie nous permet de découvrir une anomalie anatomique, sous la forme d’une ectasie importante du golfe de la jugulaire, située à la partie postéro-inférieure de la caisse. On remarque l’absence de lame osseuse, ce qui laisse supposer l’existence d’une déhiscence (figures 1 et 2). On note en outre une procidence du sinus latéral. Une intervention à type de tympanoplastie en technique fermée est proposée. La topographie de cette variante anatomique de la jugulaire nous incite à davantage de prudence lors de l’intervention, et nous conduit à aborder la caisse différemment. Le relèvement du lambeau tympano-méatal montre, à l’approche de la caisse, une anomalie à la partie postéro-inférieure du conduit auditif externe, sous la forme d’une dépression osseuse. L’accès à la caisse se fait en douceur à la partie postérosupérieure du cadre * Services d'ORL et de chirugie cervico-faciale, HIA Laveran, boulevard Laveran, BP 50, 13998 Marseille. 12 tympanique. La poursuite du geste s’avère plus difficile vers le bas en raison des adhérences entre l’annulus, le tympan et la paroi veineuse du golfe de la jugulaire. Celle-ci se présente sous la forme d’une masse bleutée très sombre. Il s’agit bien d’une déhiscence car elle est dépressible, et les limites des berges osseuses se voient bien. Une dissection prudente permet un décollement complet du lambeau, et un bon déroulement de la suite de l’intervention. DISCUSSION Les variations anatomiques de l’oreille moyenne sont bien connues. Celles concernant le golfe de la jugulaire restent peu fréquentes (1), alors que les déhiscences du canal carotidien, pourtant plus souvent décrites dans les ouvrages classiques (2, 3), sont encore plus rares (1,4 %) (4). En effet, la déhiscence du golfe est diagnostiquée dans 2,4 % (5) à 3,9 % (4) des cas, alors que la présence d’un golfe haut placé, recouvert d’une lamelle osseuse, est plus fréquente, allant jusqu’à 20 % des cas pour Atilla et coll. (4). Le développement semble toujours plus important à droite (6, 7), ce qui est effectivement le cas dans l’observation présentée. Figure 1. Coupe tomodensitométrique axiale montrant la déhiscence du golfe de la jugulaire. La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 238 - décembre 1998 Figure 2. Coupe tomodensitométrique coronale montrant la déhiscence du golfe de la jugulaire. Figure 3. Coupe tomodensitométrique coronale montrant, en avant de la déhiscence du golfe de la jugulaire, la persistance du polype réactionnel visible en otoscopie et qui cache la procidence veineuse. Si les variations en hauteur et en topographie sont nombreuses, on insistera davantage sur la présentation clinique d’une telle anomalie. Un examen clinique, avec un tympan normal ou subnormal peut évoquer une ectopie du golfe si l’on remarque une voussure ou une masse bleutée par transparence. Dans le cas d’une otite moyenne chronique, avec un tympan inflammatoire ou la présence d’un polype, l’examen s’avère beaucoup plus difficile. Dans l’observation présentée, c’est le polype résiduel, persistant après le traitement locorégional, qui venait masquer l’ectasie jugulaire (figure 3), et ce alors que toute otorrhée avait disparu. La demande systématique de la tomodensitométrie nous permet de faire un bilan lésionnel du cholestéatome, ainsi que de son extension ; il montre en outre les repères anatomiques classiques et, enfin, recherche d’éventuelles anomalies anatomiques. L’intérêt d’une telle recherche est de nous guider, non pas tant dans l’indication que dans l’abord topographique de la caisse. En effet, un abord classique à la partie inférieure du cadre aurait immédiatement entraîné une hémorragie profuse de sang veineux avec report de l’intervention. Le principe de l’hémostase se limite à une compression locale avec mise en déclive de la tête afin de prévenir une embolie gazeuse (8). L’abord plus postérieur nous a permis d’exposer correctement la région anormale et donc de disséquer avec davantage de sécurité. Il y a un réel risque chirurgical hémorragique. Faut-il pour cela effectuer une imagerie avant toute chirurgie de l’oreille ? Certainement pas. Dans le cas particulier du cholestéatome, le recours systématique à une tomodensitométrie a été rapporté lors du VIe Congrès francophone d’ORL et de CCF à Beyrouth. Le problème est bien de cibler les situations où cette exploration est justifiée. L’évolution médicolégale actuelle, qui nous impose d’informer le patient des risques de la chirurgie, est un argument supplémentaire nous incitant à demander un scanner du rocher en préopératoire, en présence d’un tympan anormal dans sa partie postéro-inférieure. ■ CONCLUSION Les variations anatomiques du golfe de la jugulaire ne sont pas si rares ; celles qui peuvent poser problème sont en rapport avec une procidence importante et/ou une déhiscence associée, ce qui rend la paroi veineuse vulnérable. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Thomassin J.M., Belus J.F. Anatomie de l’oreille moyenne. Encycl Méd Chir Oto-rhino-laryngologie 1995; 20-015-A-10, 5. 2. Paturet G. Traité d’anatomie humaine. Masson, Paris, T1, 156. 3. Proctor B. Surgical anatomy of the ear and temporal bone. Thieme Med Pub, New York, 1986 ; 11. 4. Atilla S., Akpek S., Uslu S., Ilgit E.T., Icsik S. Computed tomographic evaluation of surgically significant vascular variations related with the temporal bone. Eur F Radiol 1995; 20 (1) : 52-6. 5. Tomura N., Sashi R., Kobayashi M., Hirano H., Hashimoto M., Watarai J. Normal variation of the temporal bone on high-resolution CT : their incidence and clinical significance. Clin Radiol 1995 ; 50 (3) : 144-8. 6. Andrieu-Guitrancourt J., Marie J.P., De Sevin E., Dehesdin D. Ectopie du golfe de la jugulaire et du sinus latéral dans le conduit auditif externe. JFr Otorhinolaryngol 1995 ; 44 (3) : 200-3. 7. Aslan A., Falcioni M., Russo A., De Donato G., Baylan F.R., Taibah A., Sanna M. Anatomical consideration of high jugular bulb in lateral skull base. J Laryngol Otol 1997 ; 111 (4) : 333-6. 8. Moore P.J. The high jugular bulb in ear surgery : three case reports and a review of the literature. J Laryngol Otol 1994 ; 108 (9) : 772-5. La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 238 - décembre 1998 13