Il n’est pas toujours facile de situer la limite entre l’utilisation
normale et l’utilisation nuisible d’une substance. Souvent, il faut
un certain temps pour que la consommation excessive d’une
substance fasse diminuer objectivement les performances de
travail de manière perceptible pour l’entourage. Les troubles de
la dépendance sont souvent liés à des problèmes psychiques
ou à des maladies, tels qu’une dépression, des conflits sur le
lieu de travail ou au sein de la famille et/ou un surmenage chro-
nique (burnout). Dans ce contexte, des substances acceptées
socialement et apparemment inoffensives jouent également un
rôle important, telles que la nicotine ou les stimulants.
Comportements de dépendance
En plus des problèmes de dépendance liés à des substances
(p. ex. alcool, médicaments ou drogues), on parle aussi de
troubles liés à la dépendance dans certaines manières de se
comporter. Les troubles les plus importants du point de vue
psychiatrique et médical sont les troubles alimentaires tels
que l’anorexie et la boulimie. Toutefois, il existe encore d’au-
tres comportements de dépendance tels que la dépendance
au travail (workoholism), au jeu, à internet, etc. Dans ce cas,
il est encore plus difficile de déterminer la limite entre une
conduite compulsive et une vraie dépendance, étant donné
qu’en général il n’y a aucun symptôme de dépendance physi-
que, mais seulement des symptômes psychiques. En cas
d’une dépendance au jeu ou à internet, des symptômes de
«craving» (besoin impérieux) surgissent, ceux-ci se manifes-
tant par de la nervosité, de l’irritation, voire même de l’agres-
sivité. Quiconque passe 20 heures par semaine à surfer sur
internet à la maison est considéré comme «menacé». Selon
une étude de l’université de Humboldt à Berlin, la dépen-
dance commence à partir de 35 heures.
Le sanatorium de Kilchberg est spécialisé, entre autres, dans le
traitement des troubles alimentaires. En parallèle, nous traitons
toutes sortes de troubles de la dépendance dans notre clinique.
Toutefois, il s’agit le plus souvent de patients dépendants de
l’alcool ou de la drogue. Les offres de traitement stationnaires
sont complétées par des thérapies semi-stationnaires et ambu-
latoires. Dans le domaine des drogues illégales, par exemple
l’héroïne, des traitements de désintoxication ou de substitution
sont effectués (p. ex. thérapie de substitution à la méthadone).
Le traitement
Lors du traitement d’une dépendance, le premier pas consiste
à ce que la personne concernée se rende compte du problème
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Contrainte intérieure à la consommation, faculté réduite de contrôler la consommation
Symptômes de manque physique lorsque la consommation est arrêtée ou réduite
Développement d’une tolérance, la dose doit être augmentée afin d’obtenir le même effet
D’autres intérêts sont négligés, temps requis plus élevé pour l’achat, la consommation et le temps de repos après la consommation
Bien que l’atteinte à la santé existante soit connue, la consommation continue
feel juin 2007 – Interviewfeel juin 2007
Lorsqu’il s’agit de «dépendance sur le lieu de travail»,
collègues, supérieurs et service du personnel sont parti-
culièrement sollicités. Nous avons parlé du rôle de l’en-
treprise dans de tels cas avec Felix Gutzwiller, directeur
de l’Institut pour la médecine sociale et préventive de
l’Université de Zurich.
Peut-on sensibiliser les collaborateurs avec des campa-
gnes et des informations sur l’attitude à adopter en cas
de «dépendance sur le lieu de travail»? Pour la majorité
d’entre nous, le lieu de travail est une part importante de notre
vie et la plupart des employés y sont facilement accessibles. Il
est donc judicieux que les employeurs abordent des sujets tels
que la santé et les substances pouvant engendrer une dépen-
dance.
Mais concrètement, le sujet n’est-il pas souvent tabou et
considéré comme une affaire privée? Qui aborde volon-
tiers le sujet avec son collègue qui sent toujours l’alcool
après le dîner? Effectivement, ce n’est pas si simple et nom-
breux sont ceux qui préfèrent éviter ce genre de discussions
pour des raisons de politesse ou de prudence. Personne n’a
envie de suspecter quelqu’un de manière injustifiée. Cepen-
dant, les symptômes en cas de dépendance à l’alcool, parfois
aussi en cas de consommation de drogues illégales, sont sou-
vent perçus très tôt par l’entourage, donc à un moment où l’on
pourrait facilement intervenir.
A quoi devrait ressembler une telle intervention ou un tel
soutien? L’important, c’est d’établir le dialogue avec la per-
sonne concernée. Cela nécessite une certaine sensibilité au
service HR et de la part des supérieurs et un climat d’entreprise
où le collaborateur sait qu’il ne sera pas mis à la porte s’il s’ou-
vre au dialogue, mais qu’au contraire, il sera soutenu. Con-
crètement, il faut expliquer comment se traduit la dépendance
et comment et où la personne concernée peut et doit deman-
der de l’aide. En ce qui concerne l’alcool et les drogues, il y a
d’innombrables services spécialisés et offres de thérapie.
Et dans quelle mesure peut-on forcer un collaborateur?
Il est important que l’entreprise exige que la personne concer-
née entreprenne quelque chose, mais aussi qu’elle la sou-
tienne. Par exemple, un contrat concernant les thérapies ou la
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et qu’elle ose en parler et chercher de l’aide. Dans les entre-
prises, le service médical pour le personnel peut être un inter-
locuteur utile pour l’aiguiller dans la bonne direction. Dans ce
cas, il est important d’établir un diagnostic clair qui aura une
grande influence sur les étapes suivantes de la thérapie.
Souvent, le médecin de famille est aussi un interlocuteur impor-
tant. Qu’une thérapie soit nécessaire et qu’elle ait lieu de
manière stationnaire à l’hôpital, resp. dans une clinique psy-
chiatrique ou de manière ambulatoire chez le médecin, le psy-
chiatre, le psychologue ou une autre institution adéquate, ceci
dépendra de l’anamnèse personnelle effectuée minutieuse-
ment et des résultats obtenus.
En principe, la thérapie comporte une «phase de désintoxica-
tion» et une «phase de réhabilitation». La «désintoxication» se
rapporte particulièrement à la désintoxication physique, qui peut
être effectuée avec ou sans médicament et qui dure en géné-
ral quelques jours. La phase la plus difficile et la plus longue du
traitement consiste dans le traitement des aspects psychologi-
ques de la dépendance. Aujourd’hui, celle-ci se base en parti-
culier sur les principes de la thérapie de comportement, durant
laquelle on apprend et on exerce des stratégies pour résoudre
des problèmes, l’attitude à adopter face au comportement de
craving, des stratégies de maîtrise ainsi que la préparation cog-
nitive à l’abstinence. Dans les cliniques psychiatriques, on pro-
pose ce genre de procédures thérapeutiques sous forme de
thérapies individuelles ambulatoires et aussi souvent sous
forme de thérapies de groupe ambulatoires.
Dans une clinique comme la nôtre, on n’effleure souvent que la
«pointe de l’iceberg», c’est-à-dire les cas les plus lourds de
comportement d’addiction. Etant donné que les troubles de la
dépendance peuvent être bien traités, il est important que le
sujet ne soit pas rendu tabou dans l’entreprise, mais que l’on
recherche le dialogue avec les collaborateurs «en danger». Voici
les symptômes d’une éventuelle dépendance:
■absences fréquentes et maladies de courte durée
■brèves absences répétées (afin de consommer la substance)
■manque de ponctualité, troubles de la mémoire et de la con-
centration
■variation de la performance, manque de soin
■accidents répétés, etc.
Une chose est certaine, plus les troubles sont reconnus et trai-
tés tôt, plus la thérapie a des chances de réussir.
Quand est-on dépendant?
L’AUTEUR
Le professeur Erich Seifritz est le directeur médical de la clinique psychiatrique privée
Sanatorium Kilchberg depuis le 1er mars 2007. Il est né dans le canton de Thurgovie,
a étudié la médecine à l’université de Bâle et suivi une formation de médecin spécia-
lisé FMH pour la psychiatrie et la psychothérapie dans diverses cliniques à
Königsfelden, Bâle et San Diego. De 2004 à 2007, il était vice-directeur de la Clinique
universitaire de psychiatrie de Berne. Il a passé son agrégation sur le thème de la
dépression à l’université de Bâle et est professeur titulaire à l’université de Berne.
Le professeur Felix Gutzwiller est directeur de l’Institut pour la médecine
sociale et préventive de l’Université de Zurich et Président du PDR aux
Chambres fédérales.
Interview
«L’important, c’est d’établir
le dialogue»
cure de désintoxication peut être établi. Les succès et progrès
concrets doivent ensuite être attestés.
Cela n’est-il pas un paradoxe lorsque d'un côté, les
entreprises exigent toujours plus de leurs collaborateurs
et que d’un autre côté, elles les informent sur les sub-
stances pouvant engendrer une dépendance et les inci-
tent à adopter un mode de vie plus sain? Cela ne me paraît
pas être un paradoxe, mais fait partie de notre vie en mouve-
ment. Auparavant, la vie professionnelle et la vie privée étaient
plus nettement séparées. Le jour de travail finissait vers 17
heures et le style de vie était considéré comme une affaire pri-
vée. Les entreprises modernes exigent plus de leurs employés,
mais elles les soutiennent aussi en ce qui concerne la santé ou
la gestion du stress. Elles ont remarqué qu’elles peuvent prati-
quer une politique de la santé concrète, par exemple en met-
tant des locaux non fumeurs à disposition, et en proposant des
fruits ou de la nourriture saine à la cantine. Des examens ont
montré qu’une accumulation de problèmes privés et profes-
sionnels peut souvent conduire à une dépendance. Cela facilite
donc les choses si l’employeur est, à ce moment-là, un interlo-
cuteur de confiance.