L`approche échographique d`une défaillance respiratoire aiguë Le

L’approche échographique d’une défaillance respiratoire aiguë
Le BLUE-protocol
D. Lichtenstein
Ce texte est un condensé dérivé du chapitre 20 de l’Échographie corps entier chez le patient
critique, publié par le Springer-Verlag.
Le BLUE-protocol concentre dix-huit années d’efforts visant à soulager le patient
asphyxique [1]. Il est le fruit d’un travail initié en 1989 dans le service pionnier de l’échocardio-
graphie en réanimation [2] et respecte le principe n° 1 (sur 7) de l’échographie pulmonaire : la
simplicité. Utilisant des appareils simples (l’ADR-4000 de François Jardin de 1982 et l’Hitachi
405 avec sa sonde micro-convexe de 5 MHz de 1992 à ce jour), nous avions pu étendre l’écho-
graphie au corps entier, le poumon étant un organe comme les autres ayant juste la particularité
de ne pas gurer dans les ouvrages jusqu’alors. Le concept était publié dès 1991-1993 [3], à
une époque où il n’était pas routinier précisément à un moment où il fallait “aller vite”. Cette
conception des choses a été à l’origine de rejets en masse. Ces considérables retards à la publi-
cation des briques successives à l’élaboration de la nomenclature d’une sémiologie standardisée
puis de ses applications a été lourd de conséquences (principalement l’acquisition massive par
la communauté d’équipements issus d’autres cultures et non parfaits pour notre usage). Notre
premier arbre pour gérer une défaillance respiratoire aiguë, publié en 1995 [4], a été régulière-
ment simplié, avec suppression de l’item péricarde, puis veine cave inférieure, puis ventricule
droit et, nalement, ventricule gauche, pour des raisons autant scientiques qu’historiques
(lire détails dans le livre si besoin) [5]. L’arbre du BLUE-protocol publié en 2008 [6] a été
non seulement plus simple, mais paradoxalement plus performant, paradoxe explicable car le
BLUE-protocol étudie le poumon lui-même, organe tout de même concerné par l’insufsance
respiratoire (par exemple, si le BLUE-protocol montre l’absence d’œdème pulmonaire, l’ana-
lyse ne des cavités cardiaques gauches perd de son sens).
Le BLUE-protocol est une approche purement échographique. Il doit s’intégrer aux outils
simples que sont l’interrogatoire, l’examen physique [7] et quelques examens de base. Ils
sufsent dans la majorité des cas (74 % dans notre article princeps) [6]. Le BLUE-protocol a été
créé pour aller plus loin. Et ce, d’autant que la salle d’urgence bondée n’est pas un lieu propice à
un diagnostic serein [8, 9]. Le document en ligne de Chest détaille ces 26 % d’erreurs diagnos-
tiques. Nous aimerions aussi voir le BLUE-protocol comme une solution élégante pour éviter le
recours quasi systématique au scanner, un peu trop irradiant [10].
Le design du BLUE-protocol
Le test était pratiqué sur des patients consécutifs présentant une défaillance respiratoire
aiguë nécessitant l’admission en réanimation médicale d’un hôpital universitaire parisien. Le
gold standard était le diagnostic gurant dans le compte-rendu établi par l’équipe.
Le BLUE-protocol propose l’analyse de quatre items binaires, collectés sur les points stan-
dardisés thoraciques (BLUE-points supérieur et inférieur, PLAPS-point) et veineux) [11] :
- abolition du glissement pleural antérieur ;
- fusées pleurales antérieures ;
- syndrome alvéolaire et/ou pleural, postérieur et/ou latéral, une association appelée
“PLAPS”. Cette onomatopée, qui suggère une éclaboussure et en représente bien l’image, a
l’avantage d’englober ces deux désordres, dont la distinction (certes possible, voire facile) n’est
pas requise dans l’arbre du BLUE-protocol. Parler de PLAPS devant une image postérieure
structurelle permet d’être toujours correct, qu’il s’agisse d’épanchement sans consolidation ou
l’inverse, de consolidation par atélectasie ou infection… ;
- thrombose veineuse.
Introduction aux BLUE-profiles
Le patient est examiné en position semi-couchée (en respiration spontanée) ou couchée
(quand il a dû être intubé en urgence). Le concept du BLUE-protocol est d’associer un signe à
un signe et à un territoire, créant sept prols. Un arbre décisionnel a été créé an de donner, pour
le concept le plus simple possible, une acuité supérieure à 90 %.
- Le prol A associe des lignes A antérieures bilatérales prédominantes et un glissement
pleural (Fig. 1).
- Le prol A désigne un prol A avec glissement aboli.
- Le prol B associe des fusées antérieures bilatérales prédominantes à un glissement
pleural (Fig. 2).
- Le prol B’ désigne un prol B avec glissement aboli.
- Le prol A/B désigne un hémi-prol B d’un côté, A de l’autre.
- Le prol C désigne toute consolidation pulmonaire antérieure.
- Le prol normal, ou nu, associe un prol A à l’absence de PLAPS et de thrombose
veineuse.
Ces prols sont corrélés schématiquement.
- Le prol A (plus thrombose veineuse) avec l’embolie pulmonaire.
- Le prol B avec l’œdème pulmonaire.
- Le prol A (plus le point poumon) avec le pneumothorax.
- Le prol B’, A/B et C avec la pneumonie.
1
Correspondance : Service de Réanimation Médicale, Hôpital Ambroise-Paré, AP-HP, 9 avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne-Billancourt, France, e-mail : [email protected]
2
- Le prol A-V-PLAPS avec la pneumonie (le terme V sous-entend réseau veineux visité
et normal).
- Le prol nu avec la BPCO ou l’asthme (groupes considérés ensemble).
Fig. 1. - Profil A
A gauche, la ligne pleurale (flèches horizontales supérieures) est répétée, créant une ligne A (flèches horizontales
inférieures). Flèches verticales, côtes. A droite, l’espace de Keyes (au-dessus des flèches) est homogène telles des
vagues. L’espace inférieur est sablé, à partir du niveau précis de la ligne pleurale (flèches). Noter sur cet appareil de
1992 que les deux images sont parfaitement superposées). Cliché pris avec un Hitachi 405 (1992, 32 cm de large)
et sa sonde micro-convexe (Adapté de L’Echographie corps entier chez le patient critique, Springer-Verlag, 2011).
Fig. 2. - Fusées pleurales
Cette coupe montre 4 à 5 lignes B. La définition la plus récente de la ligne B (ne figurant pas dans la conférence de
consensus internationale de 2012) comporte trois signes constants (100 %) et quatre signes quasi constants (entre 93
et 99 %). La ligne B est toujours un artefact en queue de comète, issue de la ligne pleurale, mobile avec le glissement
pleural. Elle est toujours ou presque hyperéchogène telle la ligne pleurale, bien définie tel un faisceau laser, longue
sans épuisement et dominante sur les lignes A qu’elle efface. Une telle définition a l’avantage d’être universelle.
Cliché pris avec un Hitachi 405 (1992, 32 cm de large) et sa sonde micro-convexe (Adapté de L’Echographie corps
entier chez le patient critique, Springer-Verlag, 2011).
Résultats
Les causes principales de défaillance respiratoire aiguë vues dans nos murs étaient la pneu-
monie (31 %), l’œdème pulmonaire (24 %), la BPCO décompensée sans cause (18 %), l’asthme
sévère (12 %), l’embolie pulmonaire (8 %) et le pneumothorax (3 %).
Chacun des BLUE-proles a garanti une spécicité supérieure à 90 %. Le tableau I détaille
l’acuité de l’échographie pour chaque diagnostic.
Œdème pulmonaire hémodynamique aigu : 97 % des cas ont donné le prol B. Des
PLAPS étaient présent dans 90 % des cas.
Embolie pulmonaire : 95 % des cas avaient un prol A. Aucun n’avait de fusées anté-
rieures (dans les variantes B, A/B ou B’). Une thrombose veineuse profonde était visible dans
81 % des cas. Un PLAPS était vu dans 50 % des cas.
Exacerbation de BPCO, asthme sévère : les patients avaient habituellement un prol nu.
Pneumothorax : tous avaient un prol A et 88 % avaient un point poumon.
Pneumonie : 89 % avaient un des quatre prols B’, A/B, C, A-V-PLAPS, par fréquence
croissante. La somme assurait une sensibilité de 89 %, une spécicité de 94 %.
Tableau I
Acuité des profils.
Pathologie Profils du BLUE-protocol Sensibilité Spécificité Valeur
prédictive
positive
Valeur
prédictive
négative
Œdème aigu
pulmonaire
hémodynamique
Profil B 97 % 95 % 87 % 99 %
BPCO
ou
asthme aigu
Profil nu
89 % 97 % 93 % 95 %
Embolie
pulmonaire
Profil A avec thrombose veineuse 81 % 99 % 94 % 98 %
Pneumothorax Glissement pleural antérieur absent,
lignes B antérieures absentes
et point poumon présent
88 % 100 % 100 % 99 %
Pneumonie Profil B’ 11 % 100 % 100 % 70 %
Profil A/B
14,5 % 100 % 100 % 71,5 %
Profil C 21,5 % 99 % 90 % 73 %
Profil A-V-PLAPS 42 % 96 % 83 % 78 %
Ces 4 profils 89 % 94 % 88 % 95 %
3
Physiopathologie du BLUE-protocol par les syndromes
Œdème aigu pulmonaire hémodynamique ou cardiogénique (OAPC)
Le transsudat sous pression envahit tous les septa interlobulaires contre la gravité jusqu’à la
paroi antérieure. L’œdème des septa interlobulaires est un fait constant [12]. Les fusées pleurales
sont quasi constamment présentes, disséminées à la paroi antéro-latérale des deux poumons. Le
transsudat est un lubriant qui favorise le glissement pleural (voir infra).
La transformation de lignes A en lignes B survient d’un instant à l’autre lorsqu’une quantité
critique de liquide élargit le septum interlobulaire. Ce septum sous-pleural parle pour le compar-
timent plus profond, non accessible. De vastes zones de septa interlobulaires sous-pleuraux sont
atteintes simultanément, générant les fusées pleurales.
Les fusées antérieures correspondent aux lignes de Kerley antérieures, jamais visibles
sur les radiographies de face, mais les plus importantes cliniquement. Le syndrome interstitiel
latéral n’a pas été considéré dans notre arbre par simplicité. Le syndrome interstitiel postérieur
n’était pas recherché, pouvant être lié à la gravité [13].
La recherche de PLAPS n’était pas requise.
Des zones antérieures de consolidation n’étaient pas observées dans l’OAPC. De telles
zones auraient la signication d’un comblement alvéolaire massif, postéro-antérieur dans l’axe
ciel-terre, un désordre incompatible avec la survie dans notre hypothèse.
Embolie pulmonaire
Elle n’a pas de raison de donner un syndrome interstitiel sauf cas particuliers (embolie sur
SDRA, forte interférence septale). Une surface antérieure normale est attendue. Le prol A est
un signe sensible non spécique car vu dans les BPCO, l’asthme et certaines pneumonies.
La valeur prédictive positive d’une thrombose veineuse profonde seule était de 89 %, mais
de 94 % si elle était associée au prol A. Cette recherche doit donc être faite après analyse
pulmonaire révélant un prol A.
Le prol C peut être certes vu, à un infarctus antérieur, mais les causes infectieuses
étaient 18 fois plus fréquentes.
BPCO et asthme
Les bronches, entourées d’air, sont inaccessibles à l’échographie de surface qui est donc
normale, signe indirect notable.
Pneumothorax
Il mène au prol A dans 100 % des cas. Le point poumon, d’une sensibilité de 88 %,
était spécique à 100 %. Il correspond à la visualisation d’une image de type prol A, B, C…
remplaçant brutalement une image de type A en un point précis. Ce point indique le volume
du pneumothorax. Le glissement aboli est un signe insufsant, très fréquent dans l’insufsance
respiratoire aiguë avec, dans le BLUE-protocol, une valeur prédictive positive de 27 %. Les
sondes linéaires condamnent à ne pouvoir ni étudier les artefacts qui s’étendent en profondeur,
ni examiner le patient pléthorique, ni être posées sur de petites surfaces et à une perte de temps
(et d’argent, et un risque d’infection) quand il faut la changer précipitamment pour une sonde
cardiaque, abdominale, etc., dans l’exploration corps entier d’un patient critique. Les laptops
modernes chargés de ltres non permutables et responsables d’un décalage temporel rendent
la sémiologie bien plus difcile qu’avec notre appareil. Les sondes micro-convexes de certains
laptops n’ont pas les propriétés de la nôtre. Les laptops modernes peuvent supprimer les arte-
facts ou, pire, les multiplier, ce qui crée une confusion dans une discipline initialement simple.
Pneumonie
Comme de multiples micro-organismes peuvent être vus, plusieurs prols seront générés.
Le prol B’, vu dans un tiers des cas dans le BLUE-protocol, est expliqué par les adhé-
rences inammatoires dues à l’exsudat, trouble décrit depuis longtemps [7].
La pneumonie peut être ubiquitaire, c’est pourquoi l’asymétrie est un trait majeur : latéro-
latérale (prol A/B), antéro-postérieure (prol A-V-PLAPS). La localisation antérieure d’une
consolidation (prol C) est quasi spécique.
Physiopathologie du BLUE-protocol par les signes
Les lignes A indiquent l’air, physiologique (surface pulmonaire normale dans BPCO,
asthme, embolie pulmonaire…) ou pathologique (pneumothorax).
Les fusées pleurales antérieures indiquent le syndrome interstitiel. L’OAPC et quelques cas
de pneumonie afchent des fusées antérieures et symétriques.
Un PLAPS est commun à l’œdème pulmonaire, la pneumonie, l’embolie pulmonaire. Il est
donc sans grand intérêt discriminatif si recherché seul. Un PLAPS non associé à des anomalies
interstitielles antérieures ou une thrombose veineuse indique en principe une pneumonie.
Le glissement pleural est présent dans l’OAPC, l’embolie pulmonaire, la BPCO et (obser-
vation du BLUE-protocol) l’asthme.
Le glissement pleural est aboli dans de nombreuses pneumonies et le pneumothorax.
Usage pratique du BLUE-protocol
Pour obtenir une acuité de 90,5 % en trois minutes (ou moins), nous vérions d’abord le
glissement pleural antérieur. Sa présence élimine le pneumothorax. Des lignes B antérieures
sont alors recherchées. Le prol B dirige d’emblée sur l’OAPC, son absence l’élimine. Les
prols B’, A/B et C dirigent sur la pneumonie. Le prol A fait chercher un point poumon. En
son absence ou en cas de manque de temps (patient critique), on sait que la probabilité de pneu-
mothorax est grande, majeure si elle est associée au moindre signe clinique évocateur.
En cas de prol A, le poumon est provisoirement laissé de côté et le réseau veineux analysé,
dans un ordre séquentiel précis (en cours de soumission). Dès qu’une thrombose est mise en
évidence (sans Doppler, sans sonde vasculaire et sans compression si elle est jugée inutile),
l’association avec le prol A indique l’embolie pulmonaire (spécicité 99 %). En l’absence de
thrombose, des PLAPS sont cherchés. Leur présence (prol A-V-PLAPS) appelle pour la pneu-
monie, leur absence (prol nu) pour la BPCO ou l’asthme aigu grave (sans que l’embolie soit
formellement éliminée puisque le BLUE-protocol n’a pas trouvé de thrombose dans 20 % des
cas).
La raison d’être du BLUE-protocol est d’être inséré dans l’étape précoce de la prise en
charge habituelle, décisive et souvent sufsante, qui comprend l’histoire, l’examen physique,
des tests basiques (ECG, NFS, D-dimères…). Il vise à réduire l’intérêt des tests sophistiqués :
4
échocardiographie experte, irradiants : scanner, coûteux : tous, douloureux : gaz du sang. Au
sujet des gaz, leur prescription routinière ne fait que traduire l’inconfort dans lequel se trouve le
médecin, réduit à étudier le niveau de capnie pour saisir la cause de la détresse.
On comprend que la combinaison de l’étape précoce et d’un test donnant 90,5 % d’acuité
résoudra la majorité des problèmes.
Le BLUE-protocol évite les redondances. Un examen exhaustif du poumon, du réseau
veineux, même non requis, est bien sûr louable. Le médecin “pilote” en permanence le BLUE-
protocol et décide si le prol obtenu est compatible avec le diagnostic attendu, ou contraire, mais
dans une gamme de diagnostics acceptables et raisonnables (comme tout processus de pensée
en médecine).
Considérations générales
Le chapitre 23 de notre livre répond aux questions que l’on peut effectivement se poser
devant toute méthode nouvelle, simple et prétendant faire aussi bien, sinon mieux, que les
méthodes établies.
Nous apprécions la possibilité de soulager vite le patient dyspnéique en lui donnant la théra-
peutique appropriée. Les conséquences d’erreurs initiales devraient diminuer. La perspective
d’apporter une solution standardisée au problème brûlant de l’irradiation thoracique générée par
le scanner devrait retenir l’intérêt de la communauté radiologique qui a une opportunité de se
positionner sur cette méthode.
La durée publiée du BLUE-protocol en a intrigué certains [14]. Trois minutes (disons moins
de 4) étaient un temps moyen, autorisé par le protocole rapide que nous avons déni depuis
1992 : une machine bien pensée, une sonde universelle, un réglage unique, pas de Doppler et
notre produit de substitution au gel. Le poumon étant superciel, le temps pour trouver une
fenêtre est nul, contrairement au cœur. Détecter des lignes A ou B est immédiat. Notre sonde
explorant poumon, veines et cœur participe à cette durée, qui peut être raccourcie à moins d’une
minute dans ces 46 % de cas où, mettant en lumière un prol A’, B, B’, A/B ou C, le BLUE-
protocol ne requiert pas l’analyse veineuse ni pulmonaire postérieure. Un novice est bien sûr
libre de prendre plus de temps.
Le BLUE-prole n’était pas conforme avec le diagnostic ofciel dans 9,5 % des cas.
Certaines limites étaient réelles, telle l’embolie pulmonaire sans thrombose veineuse, d’autres
contournables, telle la pneumopathie donnant un prol B. Une moitié de ces cas semble corres-
pondre à une insufsance agrante (mais compréhensible) du diagnostic ofciel. Un patient
étiqueté BPCO mais présentant des PLAPS ou un prol B est, à l’évidence, victime d’un dossier
ayant induit l’équipe en erreur.
Les causes rares (< 3 %) ont été exclues an de garder le BLUE-protocol simple et utili-
sable. Une innité de diagnostics rares ou rarissimes peut se rencontrer. Notons déjà que
diagnostic rare ne veut pas dire difcile. Parmi les causes fréquentes de diagnostics rares,
l’épanchement pleural massif dyspnéisant (1,3 %) ne pose guère de problème, pas plus que
la énième poussée de maladie interstitielle chronique (1 %). Lors de la première poussée, le
patient étiqueté OAPC par le seul BLUE-protocol verra le tir corrigé par l’intuition du médecin,
l’absence de PLAPS et la sonographie cardiaque simpliée, montrant schématiquement un
ventricule gauche intègre et un ventricule droit dilaté. Atélectasie massive, sténose trachéale,
embolie graisseuse, « dyspnées » métaboliques, dilatation gastrique aiguë et d’innombrables
raretés donnent chacune un prol parmi les sept du BLUE-protocol. Exprimé différemment, le
BLUE-protocol est un travail préliminaire qui sera complété d’une version plus sophistiquée
(extended BLUE-protocol) dans les années à venir, une fois les équipes familiarisées. Ce dernier
intègre d’autres signes (bronchogramme aérien dynamique, sonographie cardiaque simpliée
et autres), la ponction pleurale exploratrice, l’intégration de données cliniques, paracliniques,
évolutives… Il sera alors possible d’établir des diagnostics rares ou mixtes et de réduire d’autant
les explorations traditionnelles.
Certains patients ont été exclus car ils présentaient plusieurs diagnostics. Notre ouvrage
répond à cette question. Brièvement, le BLUE-protocol, conçu pour fournir un diagnostic,
établissait déjà presque toujours un des deux diagnostics et n’était donc pas en défaut.
Des patients ont été exclus car ils n’ont jamais eu de diagnostic ofciel et ne peuvent être
inclus dans aucune méthodologie. Remarquons que l’ensemble de ces patients avait un BLUE-
prol précis. C’est précisément ce type de patient qui bénéciera le plus du BLUE-protocol.
Un grand vainqueur devrait émerger de l’inclusion du poumon dans la cour de l’échogra-
phie : le cœur. Le concept de sonographie cardiaque simpliée, décrit en 1992 et précurseur du
FATE-protocol, est cette discipline simple et holistique qui utilise le même matériel que celui
utilisé pour le poumon et les veines.
Le cœur ne gure pas dans le BLUE-protocol qui propose une approche directe à un
problème respiratoire. Il y est soigneusement associé, mais pas inclus, ce qui est différent. Il
se fait juste après. Les données cliniques et la sonographie cardiaque simpliée augmentent
dramatiquement l’acuité du seul BLUE-protocol qui est, rappelons-le, de 90,5 %. Un prol B
chez un jeune homme fébrile sans histoire cardiaque avec ventricule gauche contractant bien
sera vite considéré comme une pneumopathie, malgré un “BLUE-diagnostic” d’OAPC. Le
BLUE-protocol ne s’oppose aucunement à la pratique d’une échocardiographie Doppler experte
à condition qu’elle puisse se faire en tout lieu et toute heure, incluant l’ensemble du globe
terrestre.
L’introduction du poumon suggère ainsi une révision des priorités. Dans la culture du
réanimateur, l’échographie cardiaque est usuellement l’élément quasi exclusif. Mais cette vue
sous-entend un cœur expert. L’inversion des priorités offre ces avantages : l’échographie pulmo-
naire se maîtrise bien plus vite que l’échocardiographie experte. Le médecin est libre d’initier
une formation en échocardiographie traditionnelle qui lui permettra, une fois maîtrisée, de mieux
comprendre des situations bien plus rares, par exemple, quand il est temps de réparer une valve
cardiaque en extrême urgence. Des détails innombrables et longs à expliquer confèrent une
courbe d’apprentissage rapide du BLUE-protocol (exemple : la philosophie de la sonde unique,
le concept de PLAPS). Un signe de la fractale au premier posé de sonde et le protocole est
conclu. Bref, le BLUE-protocol n’est pas réservé à une élite (ce qu’est, au passage, la commu-
nauté réanimatoire, qui maîtrise des domaines bien plus pointus). L’écart inter-observateur est
réduit. Tout patient a une fenêtre pulmonaire. L’économie est substantielle.
Un nombre illimité de situations est géré par un usage éclairé. La question de la distinc-
tion entre OAPC et SDRA revient souvent. Le prol B qui caractérise l’OAPC n’est vu
que dans 14 % des cas de SDRA, les 86 % restants sont partagés entre prols B’, A/B, C et
A-V-PLAPS. La physiopathologie de ces deux désordres explique ces signes. La question de
l’embolie pulmonaire sans thrombose veineuse visible (20 % des cas) est simple : le médecin
qui “pilote” le BLUE-protocol et a une suspicion d’embolie doit aller plus loin. Nous avons
juste la possibilité de donner une nouvelle vie à la scintigraphie, bien moins irradiante que le
5
scanner. Le scanner était indiqué pour chercher l’embolie mais, au passage, toute autre cause.
Avec le BLUE-protocol, ce besoin ira diminuant. De nombreux collègues ont lu à propos de
lésions sous-pleurales spéciques de l’embolie pulmonaire [15]. Ce signe ne fonctionne pas
dans le BLUE-protocol où les patients sont différents (embolie massive), les contrôles différents
(toutes dyspnées graves, sans sélection préalable) et ce signe n’est ni sensible en antérieur, ni
spécique en postérieur, c’est pourquoi le BLUE-protocol ne l’utilise pas, tout en fournissant
une acuité supérieure. La situation du patient modérément dyspnéique géré aux urgences n’est
pas dans le champ du BLUE-protocol mais s’ouvre sur des points basiques, car l’OAPC, même
modéré, génère un syndrome interstitiel précoce, le pneumothorax, même minime, se détecte.
Peut-être ces petites embolies pulmonaires distales génèreront-elles plus de prol C. Le patient
« difcile » est une force paradoxale de l’échographie pulmonaire, car tissus gras et aériques
ont un gradient d’impédence acoustique adéquat. L’OAPC compliquant une brose pulmo-
naire, présenté comme une limitation possible [14], donne à cette brose une note alvéolaire
et/ou pleurale qui, déjà, alertera, entre autres signes ; ceci étant, nous sommes dans le cadre
d’une complication peu fréquente d’une maladie exceptionnelle. Le BLUE-protocol peut-il être
exporté ? Dans de nombreuses zones précaires, les populations et les pathologies ne seront pas
les mêmes ; elles bénécieront du world-BLUE-protocol (travail en cours).
Retombées du BLUE-protocol
Le BLUE-protocol est notre réponse à la culture des laptops qui se développe aux urgences
et en réanimation depuis près de dix ans, avec ses trois sondes usuelles. Il voudrait voir une
simplication du matériel utilisé, des signes, des applications.
Une retombée essentielle du BLUE-protocol est le FALLS-protocol qui associe une
approche simple du cœur aux artefacts pulmonaires pour gérer le remplissage d’une insufsance
circulatoire aiguë. L’absence de prol B indique une pression artérielle pulmonaire d’occlusion
inférieure à 18 mmHg avec des conséquences directes sur la gestion hémodynamique [16].
Conclusion : pourquoi le terme « BLUE-protocol » ?
Le bleu est le ton dominant de ces patients. Le bleu, couleur des veines, souligne que l’ana-
lyse veineuse est intégrée. Le terme « BLUE-protocol » ne rappelait aucun concept particulier
connu. L’acceptation du travail par Chest a initié la création du SLAM. Il faut lire le chapitre
30 de [17] pour savoir si « BLUE » est un acronyme ou non. Notre souhait était de créer une
association d’idées indiquant d’emblée à l’utilisateur qu’il :
- utilise un protocole rapide adapté à l’urgence extrême,
- n’a besoin que d’un appareil très simple, sans Doppler, s’allumant en 7 secondes,
- analyse le poumon (un organe supposé interdit aux ultrasons),
- bénécie de points standardisés (les BLUE-points),
- utilise seulement sept signes,
- n’utilise pas plus de sept prols,
- procède à une approche adaptée des veines, utilisant la même sonde,
- utilise un produit de contact sans gel contribuant à un examen vraiment rapide
(< 3 minutes),
- intègre en permanence cette approche au contexte clinique, ce qui augmente d’autant le
taux d’acuité qui est déjà de 90,5 %.
Pour en savoir plus
L’article original publié par Chest se trouve sur le site www.CEURF.net et les résultats
détaillés du BLUE-protocol dans le document on-line de l’article de Chest (134 : 117-125).
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