Faut-il me croire conteur? Je raconte des
histoires depuis tant d’années, la raison à cela, si
je conte ? Que le monde ne me change pas. Ce
qui importe à mes lèvres, mon regard, mon
ressenti, c’est cette part de subjectivité
singulière, que j’appelle faute de mieux la poésie.
Elle est toujours là pour montrer, ce grain de
folie être l’étincelle de la vie…Celle qui donne
sens et naissance à l’être des mots, qu’on abrite
sous la peau. La parole vivante est l’histoire fait
de chair et de rêve, que la bouche forme en elle;
le récit des hommes qui traverse le fleuve du
temps.
Habitant la terre et habitée par cette parole
vagabonde, émouvante où je peux rendre
compte à mon semblable de la teneur du
mystère et de l’opacité du monde. L’existence
parait se noyer dans le crépuscule de
l’insignifiance, mais je raconte comme au début,
il était une fois, une poignée de certitudes dans
une main de cendre. La promesse des châteaux
de sable s’effondre dans le va et vient des siècles,
les civilisations se font et se défont dans le
vacarme des guerres. Les marchands de fables,
d’hier ou d’aujourd’hui, comme souvent ne
vendent que du vent, cette poussière étoilée du
savoir, de la supposée paillette d’or avec lequel le
monde fait son miel. Dans ma monodie, qui me
soutient, par le récit épargné de la monotonie et
protégé de l’ennui, le conte que j’apporte est
une trêve dans le combat des hommes.
c’est une trêve verte à l’ombre d’un feuillu où je
me demande si c’en est vraiment fini, du grand
souffle des forêts de jadis. Pourquoi la beauté ne
peut-elle pas exalter à la longue le coeur des
hommes? Pourquoi nul n’a encore réussi à
chanter le monde où l’épopée de paix triomphe?
Pourquoi cette paix ne se laisse -t-elle pas
raconter? Faut-il pour autant renoncer? Et si je
renonce? Que deviendra l’enfance? Si elle perd
le conteur du même coup elle perdra les
histoires. Celles qui recèlent des trésors, une
brouette remplie d’astres comme autant de
possibles pour l’horizon. L’enfant de humanité
sera-t-il sans rêve si il est privée de cette
féerie ? Mais tant qu’il y aura le conteur le ciel
des hommes sera-t-il moins obscur?