Athérosclérose et infections

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Athérosclérose et infections
● L. Capron*
Antoine de Saint-Exupéry, le Petit Prince
L‘
hypothèse infectieuse de l’athérosclérose est à la mode.
On en a récemment parlé dans la presse grand public, à
la suite d’un colloque qui s’est tenu à Annecy en
décembre dernier sous l’égide de l’INSERM et de la Fondation
Marcel-Mérieux (1). L’écho a pu en sembler exagéré, mais, pour
la première fois, des spécialistes d’Amérique et d’Europe se
réunissaient pour ne débattre, pendant trois jours, que du rôle possible des infections dans une maladie dominante de notre époque,
jusqu’ici considérée plutôt comme dégénérative et métabolique
que comme microbienne. Les enjeux sont considérables puisque
la vérification de l’hypothèse mènerait à traiter l’athérosclérose
par des médicaments anti-infectieux pour, ensuite, la prévenir à
l’aide d’un vaccin, avec la perspective finale de parvenir à l’éradiquer. Plutôt que développer ces espérances encore très prématurées, je souhaite expliquer le cheminement de pensée et l’accumulation des faits qui y ont mené et qui les rendent envisageables.
DES ARGUMENTS PATHOGÉNIQUES
L’idée de départ est pathogénique. L’athérosclérose présente les
quatre caractères distinctifs d’une inflammation chronique :
1. infiltrat mononucléé, avec un nombre élevé de monocytes
macrophages et de lymphocytes T, mêlés à des cellules musculaires lisses artérielles ; 2. sclérose conjonctive représentant, en
volume, habituellement plus des trois quarts de la lésion ; 3. prolifération cellulaire intéressant les trois familles cellulaires résidentes (monocytes, lymphocytes et cellules musculaires) ; 4. prolifération vasculaire, avec développement de microvaisseaux en
proportion du volume de la plaque. Bien que ce constat soit parfois annoncé comme nouveau (2), il a été formulé dès le milieu
du XIXe siècle par Rudolf Virchow (3). L’inflammation est la
réaction d’un tissu vivant à une agression ; son but est la réparation du dommage causé ; si l’agression déclenchante se répète ou
se perpétue, l’inflammation devient chronique et, dépassant alors
son but, peut être source de lésion.
Au-delà de son intérêt pathogénique, largement exploité dans les
recherches actuelles (2), l’inflammation athéroscléreuse - là est
sont ressort majeur - mène à la question étiologique fondamen* Université de Paris 6, service de médecine interne, Hôtel-Dieu, 75181 Paris
Cedex 04.
La Lettre du Cardiologue - n° 310 - avril 1999
tale : quelle est la nature des agressions qui l’allument et l’entretiennent ? Tous les facteurs de risque identifiés jusqu’ici (cholestérol, hypertension, diabète, tabac, etc.) sont à considérer
comme autant de réponses, mais d’autres agresseurs peuvent être
examinés, et c’est ici que l’infection trouve sa place. Les microbes
potentiellement en cause doivent avoir certaines propriétés : une
large répartition épidémiologique ; un tropisme pour la paroi artérielle ; des capacités de rémanence, de latence et de récurrence,
rendant respectivement compte du fait que la maladie se développe sur une longue période de temps, qu’il n’y a pas de présence microbienne évidente dans les plaques, et que les plaques
progressent et se compliquent essentiellement par cycles évolutifs. Il existe bien une cohérence théorique entre le schéma pathogénique de l’athérosclérose inflammatoire et l’intervention de
tels agents (4), mais qu’en est-il ?
Les quatre arguments utilisables pour suspecter la participation
d’un micro-organisme donné dans l’athérosclérose sont :
1. d’ordre expérimental (modèles animaux et cellulaires d’infection) ; 2. d’ordre épidémiologique (enquêtes sérologiques établissant des corrélations entre la prévalence ou l’incidence de la
maladie coronaire et la séropositivité contre l’agent incriminé) ;
3. d’ordre anatomopathologique (détection de molécules ou de
corps microbiens au sein des plaques athéroscléreuses) ; 4. d’ordre
thérapeutique (amélioration du pronostic de la maladie coronaire
par l’administration d’un traitement anti-infectieux adapté à
l’agent incriminé).
J.P. Batisse
“Et le géographe, ayant ouvert son registre, tailla son crayon.
On note d’abord au crayon les récits des explorateurs.
On attend, pour noter à l’encre,
que l’explorateur ait fourni des preuves.”
Les virus : quel est leur rôle ?
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L’histoire de l’hypothèse infectieuse est fort ancienne (5), mais
sa période contemporaine s’est principalement focalisée sur
deux catégories de microbes : une famille de virus, les herpèsvirus ; une bactérie, Chlamydia pneumoniae. Les herpèsvirus
ont été les premiers suspectés, en 1976, avec les travaux de
Catherine et Julius Fabricant sur l’infection expérimentale des
poulets par le virus de la maladie de Marek (6). Depuis, des
arguments d’ordre expérimental, épidémiologique et anatomopathologique se sont accumulés en faveur surtout du 5e herpèsvirus humain, le cytomégalovirus. Une
histoire assez similaire a commencé en
1986 pour C. pneumoniae à partir
d’une association observée en Finlande entre la maladie coronaire et le
titre des anticorps sériques contre la
bactérie (7). Les preuves accumulées
sont d’ordre différent mais de poids
global à peu près similaire pour les
deux pathogènes (8).
DES ESSAIS THÉRAPEUTIQUES
À CONFIRMER
potentielles ? Comment concilier le bras herpétique et le bras chlamydial de l’hypothèse infectieuse sans imaginer une étiologie au
moins bimicrobienne de l’athérosclérose ? Que penser des autres
micro-organismes candidats (1) que sont les entérovirus, Helicobacter pylori ou les pyogènes dentaires ? Au fond, et c’est sans
doute l’interrogation essentielle, la participation de l’infection
pourrait ne pas être spécifique, c’est-à-dire liée à l’intervention
d’un ou de deux microbes particuliers ; elle pourrait être générique,
c’est-à-dire liée à une activation non spécifique de l’inflammation
athéroscléreuse par un grand nombre
d’infections très variées, voire par toute
infection, quelle qu’elle soit.
Voilà donc où nous en sommes face à
un virage qui pourrait être capital dans
notre compréhension et notre maîtrise
de l’athérosclérose. L’ébauche est tracée au crayon. Nous attendons l’encre
pour faire de l’infection une composante établie de l’athérosclérose. Si les
preuves requises ne venaient pas, l’hypothèse infectieuse resterait un éloquent témoignage du fait que nous
devons rester audacieux et imaginatifs
dans notre réflexion sur l’athérosclérose si nous voulons en percer les mystères persistants.
■
La pression a brutalement monté durant
l’été 1997 avec la publication de deux
essais cliniques menés en Angleterre
(9) et en Argentine (10) qui, mettant
audacieusement à profit le fait que C.
pneumoniae est sensible à plusieurs
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antibiotiques courants, montraient la
capacité des macrolides à améliorer le
1. Les actes peuvent en être consultés à l’adresse
pronostic de la maladie coronaire dans
http://www.inserm.fr/athero/mi.
ses formes chronique (9) et aiguë (10).
2. Ross R. Atherosclerosis - An inflammatory
Les deux études comptaient de faibles Lésions diffuses sur l’aorte et les rénales.
disease. N Engl J Med 1999 ; 340 : 115-26.
effectifs, et leurs méthodes n’étaient
pas tout à fait irréprochables. Il faut donc considérer leurs résul3. Capron L. Évolution des théories sur l’athérosclérose. Rev Prat (Paris) 1996 ;
46 : 533-7.
tats comme des indications préliminaires d’une efficacité potentielle. Aucun essai n’a encore examiné l’action éventuelle des
4. Capron L. Mécanismes inflammatoires de l’athérosclérose : inférences pathogéniques et étiologiques. Arch Mal Cœur 1993 ; 86 (I) : 19-30.
médicaments actifs contre les herpèsvirus, ceux dont nous disposons étant de maniement délicat, d’efficacité incomplète et de
5. Nieto F.J. Infections and atherosclerosis : new clues from an old hypothesis ?
Am J Epidemiol 1998 ; 148 : 937-48.
coût élevé.
6. Fabricant C.G., Fabricant J., Litrenta M.M., Minick C.R. Virus-induced atheMalgré les justes réserves qu’on doit leur appliquer, les résultats
rosclerosis. J Exp Med 1978 ; 148 : 335-40.
des macrolides ont mis le feu aux poudres : alors qu’elle était
7. Saikku P., Leinonen M., Mattila K. et coll. Serological evidence of an associajusque-là marginale, l’infection est devenue un thème d’intérêt
tion of a novel Chlamydia, TWAR, with chronic coronary heart disease and acute
respectable et même prometteur dans l’athérosclérose ; les tramyocardial infarction. Lancet 1988 ; ii : 983-5.
vaux de recherche se sont rapidement intensifiés ; surtout, au
8. Danesh J., Collins R., Peto R. Chronic infections and coronary heart disease :
moins 5 essais thérapeutiques des macrolides ont été lancés, resis there a link ? Lancet 1997 ; 350 : 430-6.
pectant cette fois les canons habituels de la prévention secondaire
9. Gupta S., Leatham E.W., Carrington D. et coll. Elevated Chlamydia pneumode la maladie coronaire. Leurs premiers résultats sont attendus
niae antibodies, cardiovascular events, and azithromycin in male survivors of
pour le milieu de l’année 2000.
myocardial infarction. Circulation 1997 ; 96 : 404-7.
D’ici là, une foule de questions se posent. A-t-on choisi de bons
10. Gurfinkel E., Bozovich G., Daroca A., Beck E., Mautner B. for the ROXIS
protocoles antibiotiques pour traiter efficacement l’infection à
Study Group. Randomised trial of roxithromycin in non-Q wave coronary synC. pneumoniae, et s’est-on notamment mis à l’abri de résistances
dromes : ROXIS pilot study. Lancet 1997 ; 350 : 404-7.
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