La Lettre du Cardiologue - n° 310 - avril 1999
4
L’histoire de l’hypothèse infectieuse est fort ancienne (5), mais
sa période contemporaine s’est principalement focalisée sur
deux catégories de microbes : une famille de virus, les herpès-
virus ; une bactérie, Chlamydia pneumoniae. Les herpèsvirus
ont été les premiers suspectés, en 1976, avec les travaux de
Catherine et Julius Fabricant sur l’infection expérimentale des
poulets par le virus de la maladie de Marek (6). Depuis, des
arguments d’ordre expérimental, épidémiologique et anatomo-
pathologique se sont accumulés en faveur surtout du 5eherpès-
virus humain, le cytomégalovirus. Une
histoire assez similaire a commencé en
1986 pour C. pneumoniae à partir
d’une association observée en Fin-
lande entre la maladie coronaire et le
titre des anticorps sériques contre la
bactérie (7). Les preuves accumulées
sont d’ordre différent mais de poids
global à peu près similaire pour les
deux pathogènes (8).
DES ESSAIS THÉRAPEUTIQUES
À CONFIRMER
La pression a brutalement monté durant
l’été 1997 avec la publication de deux
essais cliniques menés en Angleterre
(9) et en Argentine (10) qui, mettant
audacieusement à profit le fait que C.
pneumoniae est sensible à plusieurs
antibiotiques courants, montraient la
capacité des macrolides à améliorer le
pronostic de la maladie coronaire dans
ses formes chronique (9) et aiguë (10).
Les deux études comptaient de faibles
effectifs, et leurs méthodes n’étaient
pas tout à fait irréprochables. Il faut donc considérer leurs résul-
tats comme des indications préliminaires d’une efficacité poten-
tielle. Aucun essai n’a encore examiné l’action éventuelle des
médicaments actifs contre les herpèsvirus, ceux dont nous dis-
posons étant de maniement délicat, d’efficacité incomplète et de
coût élevé.
Malgré les justes réserves qu’on doit leur appliquer, les résultats
des macrolides ont mis le feu aux poudres : alors qu’elle était
jusque-là marginale, l’infection est devenue un thème d’intérêt
respectable et même prometteur dans l’athérosclérose ; les tra-
vaux de recherche se sont rapidement intensifiés ; surtout, au
moins 5 essais thérapeutiques des macrolides ont été lancés, res-
pectant cette fois les canons habituels de la prévention secondaire
de la maladie coronaire. Leurs premiers résultats sont attendus
pour le milieu de l’année 2000.
D’ici là, une foule de questions se posent. A-t-on choisi de bons
protocoles antibiotiques pour traiter efficacement l’infection à
C. pneumoniae, et s’est-on notamment mis à l’abri de résistances
potentielles ? Comment concilier le bras herpétique et le bras chla-
mydial de l’hypothèse infectieuse sans imaginer une étiologie au
moins bimicrobienne de l’athérosclérose ? Que penser des autres
micro-organismes candidats (1) que sont les entérovirus, Helico-
bacter pylori ou les pyogènes dentaires ? Au fond, et c’est sans
doute l’interrogation essentielle, la participation de l’infection
pourrait ne pas être spécifique, c’est-à-dire liée à l’intervention
d’un ou de deux microbes particuliers ; elle pourrait être générique,
c’est-à-dire liée à une activation non spécifique de l’inflammation
athéroscléreuse par un grand nombre
d’infections très variées, voire par toute
infection, quelle qu’elle soit.
Voilà donc où nous en sommes face à
un virage qui pourrait être capital dans
notre compréhension et notre maîtrise
de l’athérosclérose. L’ébauche est tra-
cée au crayon. Nous attendons l’encre
pour faire de l’infection une compo-
sante établie de l’athérosclérose. Si les
preuves requises ne venaient pas, l’hy-
pothèse infectieuse resterait un élo-
quent témoignage du fait que nous
devons rester audacieux et imaginatifs
dans notre réflexion sur l’athérosclé-
rose si nous voulons en percer les mys-
tères persistants. ■
BIBLIOGRAPHIE
1. Les actes peuvent en être consultés à l’adresse
http://www.inserm.fr/athero/mi.
2. Ross R. Atherosclerosis - An inflammatory
disease. N Engl J Med 1999 ; 340 : 115-26.
3. Capron L. Évolution des théories sur l’athérosclérose. Rev Prat (Paris) 1996 ;
46 : 533-7.
4. Capron L. Mécanismes inflammatoires de l’athérosclérose : inférences patho-
géniques et étiologiques. Arch Mal Cœur 1993 ; 86 (I) : 19-30.
5. Nieto F.J. Infections and atherosclerosis : new clues from an old hypothesis ?
Am J Epidemiol 1998 ; 148 : 937-48.
6. Fabricant C.G., Fabricant J., Litrenta M.M., Minick C.R. Virus-induced athe-
rosclerosis. J Exp Med 1978 ; 148 : 335-40.
7. Saikku P., Leinonen M., Mattila K. et coll. Serological evidence of an associa-
tion of a novel Chlamydia, TWAR, with chronic coronary heart disease and acute
myocardial infarction. Lancet 1988 ; ii : 983-5.
8. Danesh J., Collins R., Peto R. Chronic infections and coronary heart disease :
is there a link ? Lancet 1997 ; 350 : 430-6.
9. Gupta S., Leatham E.W., Carrington D. et coll. Elevated Chlamydia pneumo-
niae antibodies, cardiovascular events, and azithromycin in male survivors of
myocardial infarction. Circulation 1997 ; 96 : 404-7.
10. Gurfinkel E., Bozovich G., Daroca A., Beck E., Mautner B. for the ROXIS
Study Group. Randomised trial of roxithromycin in non-Q wave coronary syn-
dromes : ROXIS pilot study. Lancet 1997 ; 350 : 404-7.
ÉDITORIAL
Lésions diffuses sur l’aorte et les rénales.