La Lettre du Cardiologue - n° 310 - avril 1999
3
“Et le géographe, ayant ouvert son registre, tailla son crayon.
On note d’abord au crayon les récits des explorateurs.
On attend, pour noter à l’encre,
que l’explorateur ait fourni des preuves.
Antoine de Saint-Exupéry, le Petit Prince
hypothèse infectieuse de l’athérosclérose est à la mode.
On en a récemment parlé dans la presse grand public, à
la suite d’un colloque qui s’est tenu à Annecy en
décembre dernier sous l’égide de l’INSERM et de la Fondation
Marcel-Mérieux (1). L’écho a pu en sembler exagéré, mais, pour
la première fois, des spécialistes d’Amérique et d’Europe se
réunissaient pour ne débattre, pendant trois jours, que du rôle pos-
sible des infections dans une maladie dominante de notre époque,
jusqu’ici considérée plutôt comme dégénérative et métabolique
que comme microbienne. Les enjeux sont considérables puisque
la vérification de l’hypothèse mènerait à traiter l’athérosclérose
par des médicaments anti-infectieux pour, ensuite, la prévenir à
l’aide d’un vaccin, avec la perspective finale de parvenir à l’éra-
diquer. Plutôt que développer ces espérances encore très préma-
turées, je souhaite expliquer le cheminement de pensée et l’accu-
mulation des faits qui y ont mené et qui les rendent envisageables.
DES ARGUMENTS PATHOGÉNIQUES
L’idée de départ est pathogénique. L’athérosclérose présente les
quatre caractères distinctifs d’une inflammation chronique :
1. infiltrat mononucléé, avec un nombre élevé de monocytes
macrophages et de lymphocytes T, mêlés à des cellules muscu-
laires lisses artérielles ; 2. sclérose conjonctive représentant, en
volume, habituellement plus des trois quarts de la lésion ; 3. pro-
lifération cellulaire intéressant les trois familles cellulaires rési-
dentes (monocytes, lymphocytes et cellules musculaires) ; 4. pro-
lifération vasculaire, avec développement de microvaisseaux en
proportion du volume de la plaque. Bien que ce constat soit par-
fois annoncé comme nouveau (2), il a été formulé dès le milieu
du XIXesiècle par Rudolf Virchow (3). L’inflammation est la
réaction d’un tissu vivant à une agression ; son but est la répara-
tion du dommage causé ; si l’agression déclenchante se répète ou
se perpétue, l’inflammation devient chronique et, dépassant alors
son but, peut être source de lésion.
Au-delà de son intérêt pathogénique, largement exploité dans les
recherches actuelles (2), l’inflammation athéroscléreuse - là est
sont ressort majeur - mène à la question étiologique fondamen-
tale : quelle est la nature des agressions qui l’allument et l’entre-
tiennent ? Tous les facteurs de risque identifiés jusqu’ici (cho-
lestérol, hypertension, diabète, tabac, etc.) sont à considérer
comme autant de réponses, mais d’autres agresseurs peuvent être
examinés, et c’est ici que l’infection trouve sa place. Les microbes
potentiellement en cause doivent avoir certaines propriétés : une
large répartition épidémiologique ; un tropisme pour la paroi arté-
rielle ; des capacités de rémanence, de latence et de récurrence,
rendant respectivement compte du fait que la maladie se déve-
loppe sur une longue période de temps, qu’il n’y a pas de pré-
sence microbienne évidente dans les plaques, et que les plaques
progressent et se compliquent essentiellement par cycles évolu-
tifs. Il existe bien une cohérence théorique entre le schéma patho-
génique de l’athérosclérose inflammatoire et l’intervention de
tels agents (4), mais qu’en est-il ?
Les quatre arguments utilisables pour suspecter la participation
d’un micro-organisme donné dans l’athérosclérose sont :
1. d’ordre expérimental (modèles animaux et cellulaires d’infec-
tion) ; 2. d’ordre épidémiologique (enquêtes sérologiques éta-
blissant des corrélations entre la prévalence ou l’incidence de la
maladie coronaire et la séropositivité contre l’agent incriminé) ;
3. d’ordre anatomopathologique (détection de molécules ou de
corps microbiens au sein des plaques athéroscléreuses) ; 4. d’ordre
thérapeutique (amélioration du pronostic de la maladie coronaire
par l’administration d’un traitement anti-infectieux adapté à
l’agent incriminé).
ÉDITORIAL
Athérosclérose et infections
L. Capron*
*Université de Paris 6, service de médecine interne, Hôtel-Dieu, 75181 Paris
Cedex 04.
L
Les virus : quel est leur rôle ?
J.P. Batisse
La Lettre du Cardiologue - n° 310 - avril 1999
4
L’histoire de l’hypothèse infectieuse est fort ancienne (5), mais
sa période contemporaine s’est principalement focalisée sur
deux catégories de microbes : une famille de virus, les herpès-
virus ; une bactérie, Chlamydia pneumoniae. Les herpèsvirus
ont été les premiers suspectés, en 1976, avec les travaux de
Catherine et Julius Fabricant sur l’infection expérimentale des
poulets par le virus de la maladie de Marek (6). Depuis, des
arguments d’ordre expérimental, épidémiologique et anatomo-
pathologique se sont accumulés en faveur surtout du 5eherpès-
virus humain, le cytomégalovirus. Une
histoire assez similaire a commencé en
1986 pour C. pneumoniae à partir
d’une association observée en Fin-
lande entre la maladie coronaire et le
titre des anticorps sériques contre la
bactérie (7). Les preuves accumulées
sont d’ordre différent mais de poids
global à peu près similaire pour les
deux pathogènes (8).
DES ESSAIS THÉRAPEUTIQUES
À CONFIRMER
La pression a brutalement monté durant
l’été 1997 avec la publication de deux
essais cliniques menés en Angleterre
(9) et en Argentine (10) qui, mettant
audacieusement à profit le fait que C.
pneumoniae est sensible à plusieurs
antibiotiques courants, montraient la
capacité des macrolides à améliorer le
pronostic de la maladie coronaire dans
ses formes chronique (9) et aiguë (10).
Les deux études comptaient de faibles
effectifs, et leurs méthodes n’étaient
pas tout à fait irréprochables. Il faut donc considérer leurs résul-
tats comme des indications préliminaires d’une efficacité poten-
tielle. Aucun essai n’a encore examiné l’action éventuelle des
médicaments actifs contre les herpèsvirus, ceux dont nous dis-
posons étant de maniement délicat, d’efficacité incomplète et de
coût élevé.
Malgré les justes réserves qu’on doit leur appliquer, les résultats
des macrolides ont mis le feu aux poudres : alors qu’elle était
jusque-là marginale, l’infection est devenue un thème d’intérêt
respectable et même prometteur dans l’athérosclérose ; les tra-
vaux de recherche se sont rapidement intensifiés ; surtout, au
moins 5 essais thérapeutiques des macrolides ont été lancés, res-
pectant cette fois les canons habituels de la prévention secondaire
de la maladie coronaire. Leurs premiers résultats sont attendus
pour le milieu de l’année 2000.
D’ici là, une foule de questions se posent. A-t-on choisi de bons
protocoles antibiotiques pour traiter efficacement l’infection à
C. pneumoniae, et s’est-on notamment mis à l’abri de résistances
potentielles ? Comment concilier le bras herpétique et le bras chla-
mydial de l’hypothèse infectieuse sans imaginer une étiologie au
moins bimicrobienne de l’athérosclérose ? Que penser des autres
micro-organismes candidats (1) que sont les entérovirus, Helico-
bacter pylori ou les pyogènes dentaires ? Au fond, et c’est sans
doute l’interrogation essentielle, la participation de l’infection
pourrait ne pas être spécifique, c’est-à-dire liée à l’intervention
d’un ou de deux microbes particuliers ; elle pourrait être générique,
c’est-à-dire liée à une activation non spécifique de l’inflammation
athéroscléreuse par un grand nombre
d’infections très variées, voire par toute
infection, quelle qu’elle soit.
Voilà donc où nous en sommes face à
un virage qui pourrait être capital dans
notre compréhension et notre maîtrise
de l’athérosclérose. L’ébauche est tra-
cée au crayon. Nous attendons l’encre
pour faire de l’infection une compo-
sante établie de l’athérosclérose. Si les
preuves requises ne venaient pas, l’hy-
pothèse infectieuse resterait un élo-
quent témoignage du fait que nous
devons rester audacieux et imaginatifs
dans notre réflexion sur l’athérosclé-
rose si nous voulons en percer les mys-
tères persistants.
BIBLIOGRAPHIE
1. Les actes peuvent en être consultés à l’adresse
http://www.inserm.fr/athero/mi.
2. Ross R. Atherosclerosis - An inflammatory
disease. N Engl J Med 1999 ; 340 : 115-26.
3. Capron L. Évolution des théories sur l’athérosclérose. Rev Prat (Paris) 1996 ;
46 : 533-7.
4. Capron L. Mécanismes inflammatoires de l’athérosclérose : inférences patho-
géniques et étiologiques. Arch Mal Cœur 1993 ; 86 (I) : 19-30.
5. Nieto F.J. Infections and atherosclerosis : new clues from an old hypothesis ?
Am J Epidemiol 1998 ; 148 : 937-48.
6. Fabricant C.G., Fabricant J., Litrenta M.M., Minick C.R. Virus-induced athe-
rosclerosis. J Exp Med 1978 ; 148 : 335-40.
7. Saikku P., Leinonen M., Mattila K. et coll. Serological evidence of an associa-
tion of a novel Chlamydia, TWAR, with chronic coronary heart disease and acute
myocardial infarction. Lancet 1988 ; ii : 983-5.
8. Danesh J., Collins R., Peto R. Chronic infections and coronary heart disease :
is there a link ? Lancet 1997 ; 350 : 430-6.
9. Gupta S., Leatham E.W., Carrington D. et coll. Elevated Chlamydia pneumo-
niae antibodies, cardiovascular events, and azithromycin in male survivors of
myocardial infarction. Circulation 1997 ; 96 : 404-7.
10. Gurfinkel E., Bozovich G., Daroca A., Beck E., Mautner B. for the ROXIS
Study Group. Randomised trial of roxithromycin in non-Q wave coronary syn-
dromes : ROXIS pilot study. Lancet 1997 ; 350 : 404-7.
ÉDITORIAL
Lésions diffuses sur l’aorte et les rénales.
1 / 2 100%