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font que les évolutions de l’une enga-
gent décidément l’autre.
Son exposé est historique, il décrit
la constitution du « régime aristocra-
tique du goût », puis sa « conversion
économique » et enfin, « l’industriali-
sation du plaisir esthétique ». C’est là,
que les choses se gâtent et que la
consommation aliène le consommateur,
plus qu’elle ne satisfait ses attentes.
D’où le recours à Tarde et à sa concep-
tion de la mode, ce tour de passe-passe
qui accélère l’obsolescence des biens.
L’auteur écrit justement que
la volatilité des goûts est une source
psychique et immatérielle de plus-value
économique.
Et plus loin, il constate :
La consommation trouve dans la des-
tructibilité sa source principale de plus-
value.
Le philosophe Olivier Assouly sort
l’économie de son habituelle étude des
conditions de production des mar-
chandises, de leur circulation et de la
répartition des richesses, générées par
la consommation, pour élaborer un
« capitalisme esthétique », dans lequel,
le marché n’est pas le lieu de produc-
tion du goût, mais celui de la captation,
de la formalisation et de l’exploitation
des jouissances.
À une économie quantitative, il sub-
stitue une économie des appréciations
et ouvre ainsi une piste passionnante
pour comprendre la mutation actuelle
du capitalisme, prolongeant ainsi les
travaux d’André Gorz sur l’immaté-
riel… Le second est plus impertinent
et polémique, les auteurs n’hésitent pas
à brocarder la science économique
dominante (à dire vrai, toujours en
retard d’une crise…) et à en changer
les bases. Pour Tarde, ce sont les idées
(et les idées que les économistes se
font de l’économie, aussi) qui guident
les transformations des sociétés. Les
auteurs notent que chez Tarde, « rien
dans l’économie est objectif, tout est
subjectif ou, plutôt, intersubjectif », ce
qui invalide la prétendue rationalité de
l’homo eoconomicus et oriente l’étude
du comportement économique des indi-
vidus, si l’on veut conserver ce voca-
bulaire, vers « les intérêts passion-
nés ». C’est dire si l’économie est irra-
tionnelle et trouve ses explications hors
d’elle. Dans Psychologie économique,
il écrit :
Le problème se résume, en somme, à
ceci : serrer le plus près possible la
genèse des inventions, et les lois de
leurs imitations. Le progrès économique
suppose deux choses : d’une part, un
nombre croissant de désirs différents ;
car, sans différence dans les désirs,
point d’échange possible, et, à chaque
nouveau désir différent qui apparaît, la
vie de l’échange s’attise. D’autre part,
un nombre croissant d’exemplaires sem-
blables de chaque désir considéré à
part ; car, sans cette similitude, point
d’industrie possible, et, plus cette simi-
litude s’étend ou se prolonge, plus la
production s’élargit et s’affermit.
Ce n’est pas l’accumulation qui sert
de carburant à la machine économique,
mais l’invention. Quant à l’instance
économique, elle s’imbrique entière-
ment dans le social. On le voit, ces
deux essais proposent de penser l’éco-
nomie hors de son domaine spécifique,
qui n’existe pas au demeurant, et don-
nent à l’appréciation de chacun, à l’es-
thétique, l’invention, la mode, l’imita-
tion, et aux innombrables intersubjec-
tivités qui s’entrelacent, etc., les rôles
essentiels dans ce « fragment d’his-
toire » en cours.
Thierry Paquot
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