A la une / Reportage
Du parti unique à la démocratie en passant par Lech Walesa
Pologne : chronique d’une transition réussie
Longtemps éprouvée par la domination et le régime communiste, la Pologne aux confluents de l’influence russe
et allemande a réussi sa transition grâce à la lutte des ouvriers et à la lucidité de son régime. Aujourd’hui, elle
fait figure de pays parmi les plus performants économiquement en Europe. Reportage.
“Ce sont les meilleures vingt-cinq années de l’histoire de la Pologne. Nous sommes un pays indépendant, on fait
partie de l’UE et de l’Otan. Il y a de la sécurité et beaucoup d’opportunités. Depuis vingt-cinq ans, l’économie se
développe à un rythme soutenu et mon pays est aujourd’hui propre.” Derrière ses lunettes de sherpa, la
silhouette frêle, Jan Litynski, septuagénaire et conseiller du président polonais, Bronislaw Komorowski, savoure,
non sans quelque fierté, le chemin parcouru par son pays depuis l’ouverture démocratique en 1989, soit la
même année que celle opérée en Algérie. Cette année-là, le parti communiste au pouvoir depuis la fin de la
Seconde Guerre mondiale, confronté à une crise économique anémique et à des grèves menées par le
mouvement d’opposition, Solidarnosc, du charismatique Lech Walesa, prix Nobel de la paix, fort de dix millions
d’adhérents, crée en 1980 (en Algérie le mouvement berbère lance son “printemps”) accepte de s’asseoir
autour d’“une table ronde” avec l’opposition et sous l’observation de l’église catholique.
Résultat : Solidarnosc est agréé et les principes d’une élection arrêtés. “Ces pourparlers initient la révolution
sans bain de sang dans les mois qui suivent”, se plaît à souligner Jan Litynski à des journalistes algériens.
L’année suivante, le mouvement Solidarnosc s’empare du tiers des sièges de la Diète (Chambre basse du
Parlement), comme convenu dans l’accord, et de la totalité des sièges au Sénat. Le parti communiste qui,
comme le FLN en Algérie, régnait sans partage, est dissous et sera suivi par une purge au sein de la police
politique, également dissoute, remplacée par une nouvelle structure. “Le plus important était le consensus
politique et l’acceptation d’élections libres. Il y a eu des réformes politiques avec l’autorisation des partis et le
bannissement de la censure ; des réformes économiques avec l’autorisation d’entreprises privées et la mise en
place de nouveaux mécanismes même si aujourd’hui l’on s’interroge s’il fallait aller doucement ou opter pour la
rupture et, enfin, des réformes administratives avec la décentralisation et des pouvoirs délégués aux mairies”,
explique cet ancien opposant depuis les années 1960, membre de Solidarnosc, qui a connu le président dans les
geôles du parti communiste à la fin des années 1970. “Aujourd’hui, on ressemble à l’Occident, il y a un saut
civilisationnel”, se réjouit-il, lui qui a connu les affres du système communiste avec son cortège de privations et
de pénuries.
Quand l’esprit d’initiative se libère
Il n’a sans doute pas tort : la Pologne affiche aujourd’hui l’une des économies les plus performantes de l’UE.
Malgré quelques insuffisances, elle présente les aspects d’un pays en plein développement où de grandes
entreprises internationales ont pignon sur rue. Presque entièrement rasée pendant la Seconde Guerre mondiale
par les Nazis, Varsovie a été reconstruite et d’anciens quartiers ont été réhabilités à l’identique grâce à des
tableaux de peintres récupérés
d’Allemagne. “La transition a libéré l’esprit d’initiative et la débrouille. Les politiques ont pris des décisions
audacieuses qui ont permis de relancer l’économie. La privatisation du patrimoine public s’est faite entre une à
deux années. En plus d’avoir connu un afflux rapide des capitaux étrangers, la main-d’œuvre a un coût faible (le
Smig est à 1 680 zlotys, soit 420 euros) alors que le cadre juridique a rassuré les étrangers. On a gardé un
avantage concurrentiel. La Pologne est sans doute le pays qui a su profiter de l’adhésion à l’UE, en termes de
fonds utilisés”, explique Mme Julita Zylinska, journaliste, coordinatrice chargée des questions économiques à
l’agence de presse polonaise. Et si la Pologne a été épargnée par la crise qui a touché l’Europe depuis 2008,
c’est parce que le pays coopère essentiellement avec l’Allemagne, son principal partenaire, elle aussi épargnée
par la crise, et dispose d’un grand marché intérieur.
À cela s’ajoute le fait que le pays n’a pas encore intégré l’euro zone. “La Pologne a réussi à tirer profit des aides
européennes. Les Européens, en voulant une Pologne forte, veulent montrer que le projet européen est solide”,
soutient cette ancienne correspondante à Bruxelles. Rien qu’entre 2014 et 2020, la Pologne s’attend à recevoir
la bagatelle de 100 milliards d’euros.
Parmi les secteurs aidés, ceux de l’infrastructure routière et ferroviaire, mais aussi l’industrie dont, notamment,
les entreprises innovantes. Les aides sont également orientées vers les projets écologiques et
environnementaux. “Nous utilisons les fonds européens pour rattraper le retard”, soutient Julita. Tout en
gardant la haute main sur certains secteurs stratégiques, comme l’énergie, l’armement ou encore certains
services communaux, l’État a privatisé de nombreuses entreprises, à telle enseigne que la Pologne est
aujourd’hui un grand exportateur de produits alimentaires, de produits industriels semi-finis, d’industrie de
pointe, comme les turbines pour avion.
Des réformes audacieuses
Autre facteur à l’origine de la métamorphose du pays de Chopin : la Bourse de Varsovie. “Nous avons le marché
le plus dynamique d’Europe. Nous sommes le seul pays à avoir une croissance positive”, se réjouit un cadre de
cette Bourse dont le bâtiment qui l’abrite fut jadis le siège du parti communiste. Avec 64 sociétés cotées, la
disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée et des avantages compétitifs, la Bourse a concentré ses efforts en
interne et dans les régions et adopté une approche “proactive” pour attirer les investisseurs privés, les plus
importants, explique ce cadre. Même la situation en Russie et en Ukraine arrange ses affaires, les investisseurs
voyant dans cette Bourse une porte pour l’Europe. “Oui, la Bourse a contribué grandement à la croissance du
pays. C’est un outil qui a permis au gouvernement de vendre les grandes sociétés. Cette voie a permis une
privatisation dans la transparence”, dit-il, non sans se référer à la phrase du président de la République : “La
Bourse est le visage du changement qui a eu lieu en Pologne.” Et l’on ne veut pas s’arrêter en si bon chemin.
L’optimisme pour les années à venir est de rigueur. “Nous sommes en train d’étudier, poursuit ce cadre, avec le
ministre des Finances la possibilité de mettre en place de nouveaux mécanismes fiscaux pour permettre aux
entreprises d’entrer en Bourse. Et grâce à elle, nous avons aujourd’hui plus de banques et plus de cabinets
conseils. La Bourse a contribué au changement. Nous avons enregistré 3% de croissance au 1er trimestre 2014
et, selon les experts, l’économie polonaise va continuer à croître. Notre Bourse table sur une croissance de 7%”.
En plus de la Bourse, la création de 14 zones franches dans la région de Poméranie, grâce à des mesures
incitatives (deux à trois mois suffisent à un investisseur pour s’installer alors que la création d’une entreprise
nécessite seulement une à deux semaines) a permis de créer des milliers d’emplois. “Le bilan est positif pour
nous depuis l’ouverture démocratique”, se félicite Anna Rozycka, représentante de la zone économique de
Poméranie et qui assure, par ailleurs, que “la corruption s’estompe progressivement”, même si elle trouve que
“la législation est encore lourde”. Mais il n’y a pas qu’en politique et en économie que la Pologne a réussi sa
mue.
La scène médiatique a aussi connu sa révolution. Il est loin le temps où la Tribune populaire, journal du parti
communiste, comme notre El Moudjahid à nous, gavait la population par la propagande. “Nous sommes en plein
pluralisme médiatique. Grâce aux médias privés, il n’est plus possible de faire l’embargo sur l’information
même si nous avons encore des efforts à faire dans les relations entre les institutions et les médias”, affirme
Julita Zylinska. Autre tare : “Il y a beaucoup d’influence des politiques que de l’argent sur les médias. Ce qu’il
faut aussi, peut-être, reprocher aux médias, c’est le traitement parfois superficiel de l’information, les
journalistes écrivant sur tout. Nous n’avons presque plus de journalistes enquêteurs”, déplore-t-elle. Mais, détail
important : “L’agence n’a jamais été un outil du régime communiste, même s’il y avait un accès limité à
certaines informations.”
De l’insurrection à Lech Walesa, une révolution sans sang
Mais avant d’accéder à la démocratie à la fin des années 1980, la Pologne a connu une succession
d’événements historiques dont la similitude avec l’Algérie est frappante. Longtemps occupée, elle ne connaît
son indépendance qu’entre 1918 et 1939, année où elle sera de nouveau envahie par l’Allemagne nazie, puis
par les Soviétiques, qui signe le début de la Seconde Guerre mondiale. Six millions de Polonais seront tués dont
plus de la moitié sont des juifs alors que des milliers seront déportés dans des camps de concentration. Comme
en Algérie, lors des événements du 8 Mai 1945, la population organise l’insurrection en 1943 puis en 1944.
Après la libération de la domination nazie, elle tombe sous l’influence russe, période de la terreur stalinienne.
À partir de 1956, alors que le parti communiste au pouvoir lâche du lest, des mouvements de grève sont lancés
par vagues successives par les ouvriers jusqu’au milieu des années 1970 durant lesquelles un comité de
défense des ouvriers, créé par l’intelligentsia en soutien aux travailleurs, voit le jour. Des maisons d’édition
clandestines sont même créées. Cet activisme clandestin connaîtra son point d’orgue avec la grève en 1980,
comme en Kabylie, à Gdansk, ville du Nord sur les bords de la mer Baltique qui aboutit à la création du
mouvement Solidarnosc mené par Lech
Walesa. “C’était inédit. Et l’église a joué un rôle important dans ce mouvement et dans le changement”, se
rappelle Jan Litynski. Mais les maigres acquis démocratiques obtenus alors par l’opposition sont vite remis en
cause l’année suivante par le régime puisque l’état de siège est instauré alors que beaucoup d’activistes sont
arrêtés et Solidarnosc interdit d’activité. “L’avantage, il n’y avait que quelques dizaines de morts”, précise
Litynski. Confronté à une crise économique aiguë et à la détermination de l’opposition, le pouvoir accepte,
enfin, à la fin des années 1980, des négociations qui engagent le pays sur la voie de la démocratie.
Événement précurseur de la chute du mur de Berlin et du communisme dans les pays de l’Est. “Nous avons
déclenché une révolution sans sang. Nous avons changé nos destins et notre vie sans utiliser des armes, mais
en utilisant l’intelligence. Et la solidarité. La solidarité du monde entier qui a fini par nous remarquer. Nous
avons résisté et nous avons persisté. Aujourd’hui, chaque Polonais peut dire : ‘Nous avons gagné ! Et chacun
doit se rappeler que c’est ici que tout a commencé !’”, a écrit en 2009 dans une préface d’un livre, Lech Walesa.
Revers de la médaille
Mais, comme dans toute transition, il y a un prix à payer. Et la Pologne n’est pas en reste. “La solidarité sociale
est brisée par le libéralisme, il y a des disparités, une société civile marginalisée, une classe politique faible, une
justice insuffisante, l’église conservatrice qui devient un frein et la crainte de l’essor du nationalisme qui
peuvent à l’avenir être un obstacle au développement”, observe Jan Lyutinski. “Il y a de la pauvreté dans
certaines régions, des disparités salariales entre les hommes et les femmes, alors que les jeunes préfèrent de
plus en plus vivre à l’étranger”, se désole, pour sa part, Marta, une sociologue alors que
Stanislaw Krajewski, coprésident du Conseil des chrétiens et des juifs, trouve qu’“il y a des attitudes antijuifs
désagréables”, même s’il se montre optimiste “pour la situation actuelle” des juifs estimés à près de 20 000.
Mais qu’à cela ne tienne, beaucoup de Polonais, notamment les jeunes, savourent la liberté retrouvée.
En plein cœur de Varsovie, et particulièrement chaque samedi soir, les jeunes se retrouvent dans les bistrots et
autres night-clubs de l’avenue du “nouveau monde” pour festoyer. Leur pays renaît d’une longue nuit du
communisme.
K. K.
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