
Association pour la recherche interculturelle
Bulletin No 45 /décembre 2007 21
symptômes médicalement inexpliqués (Dominicé Dao, 2006). Afin de situer la problématique du
patient dans un contexte concret, des entretiens ont eu lieu non seulement avec les patients mais
aussi avec leur médecin traitant. Ceux-ci ont permis de comparer la congruence des explications de
chacun et surtout d’évaluer la connaissance qu’avaient les médecins des explications de leurs
patients pour leurs symptômes.
Les patients recrutés étaient ceux souffrant de symptômes médicalement inexpliqués (SMI), c’est-
à-dire un symptôme qui dure depuis au moins trois mois, pour lequel le médecin ne trouve pas de
diagnostic malgré les investigations appropriées (Nimnuan et al, 2001). Les symptômes
médicalement inexpliqués sont rencontrées fréquemment en médecine de premier recours et
peuvent représenter jusqu’à un tiers de leurs consultations ambulatoires (Fink et al, 1999). Ils sont
grevés de beaucoup de détresse et de handicap pour les patients -en particulier en ce qui concerne
les co-morbidités psychiatriques (dépression et anxiété)- et ils sont associés à beaucoup de
frustration et de sentiments d’impuissance pour le médecin (Henningsen et al, 2003 ; Reid et al,
2001 ; Reid et al, 2003 ; Lin et al, 1991). Le choix que nous avons fait d’explorer des situations
avec des SMI provient du nombre important de difficultés de prise en charge qui leur sont liées,
mais aussi parce que l’absence de diagnostic médical laisse davantage de place au patient pour
élaborer ses propres hypothèses explicatives.
Différentes problématiques liées au recrutement, comme par exemple la définition d’un groupe
ethnique précis et la multiplicité des nationalités représentées parmi la patientèle, nous ont conduit
à redéfinir deux sous-groupes de patients comme suit: a) les Canadiens de souche, et b) les
immigrants récents, définis comme étant au Canada depuis 10 ans maximum, et ayant immigré
après leur 16ème anniversaire (variable de substitution pour l’acculturation) (Salant & Lauderdale,
2003). Ainsi la médecine occidentale telle que pratiquée au Canada a été considérée elle-même
comme une variable culturelle à laquelle les patients immigrants sont plus ou moins acculturés.
Finalement seize situations de SMI ont été recrutées dans deux centres de premier recours d’un
quartier multiculturel de Montréal. Des entretiens semi-structurés ont été conduits avec les patients
puis leurs médecins. Ces entretiens ont été enregistrés puis transcrits sous forme de texte afin de
subir une analyse détaillée de contenu. Celle-ci se fait selon une approche anthropologique
interprétative, avec identification des thèmes récurrents par induction (Strauss & Corbin 1994 ;
Charmaz, 2002). Il est évident que notre expérience de pratique de la médecine de premier recours
en milieu multiculturel et d’enseignement aux résidents en formation constitue un facteur important
enrichissant notre perspective dans l’analyse de ces transcriptions.
Les résultats détaillés de ce projet ne font pas l’objet de cet article et peuvent être consultés ailleurs
(Dominicé Dao, 2006). Pour cette communication, nous nous sommes penchés spécifiquement sur
les 16 entretiens avec les médecins, en nous concentrant sur les perceptions et les représentations
qu’ils ont de leurs patients avec des symptômes médicalement inexpliqués, mais aussi leurs
réactions face à leurs patients nouveaux arrivants et de leur perception de la différence culturelle.
Nous souhaitons montrer comment l’aberration de l’absence de diagnostic représente ici une
altérité bien plus importante pour le médecin que la différence culturelle avec son patient.
L’échantillon des médecins est représentatif des équipes médicales qui officient dans ces deux
cliniques. On peut noter que la diversité culturelle se retrouve non seulement au niveau du groupe
des patients (comme nous l’avions recherché), mais également chez les médecins, dont trois sur
quatorze sont nés à l’étranger et six autres ont au moins un des deux parents étranger, ce qui
correspond pratiquement à la démographie montréalaise.
Les différents SMI (douleurs, fatigue, plaintes neurologiques, gastro-intestinales et autres) dont se
plaignent les patients sont qualifiés par leurs médecins traitants comme des plaintes vagues, pas
claires, sans facteur déclenchant ou précipitant, inhabituels, difficiles à expliquer, multiples. Ces
plaintes comme le comportement du patient qui en découle sont vécues difficilement par leur
médecin.