Mise au point sur la prise en charge des intoxications digitaliques

Synthèse
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012 ; 10 (4) : 355-63
Mise au point sur la prise en charge des
intoxications digitaliques chez le sujet âgé
À propos d’un cas traité par anticorps
antidigitaliques
Focus on digitalis intoxication in the elderly
Report of a case treated with digoxin-specific
Fab antibody fragments
Éric Pautas1,2
Clara Lopez1
Adeline Gouronnec1
Sophie Gravelaine1
Isabelle Peyron3
FrÉdÉric Lapostolle4
1Unité gériatrique aiguë, Groupe
hospitalier Pitié-Salpêtrière-Charles Foix,
AP-HP, Paris, France
2UFR de médecine Pierre et Marie
Curie, Université Paris 6, France
3Pharmacie, Groupe hospitalier
Pitié-Salpêtrière-Charles Foix, AP-HP,
Paris, France
4Samu 93, Hôpital Avicenne, AP-HP,
Bobigny, France
Tir´
es `
a part :
É. Pautas
Résumé. Les indications de la digoxine sont actuellement limitées à de rares cas
d’insuffisance cardiaque et/ou de fibrillation atriale. Son utilisation devrait donc être rare
en gériatrie, d’autant que ses spécificités pharmacologiques, associées aux modifications
liées au vieillissement et aux comorbidités, exposent particulièrement les patients âgés
au risque de surdosage. La digoxine reste pourtant trop prescrite car environ un tiers des
patients âgés souffrant d’insuffisance cardiaque et/ou de fibrillation auriculaire serait sous
digitalique. Un surdosage digitalique peut se manifester par des signes digestifs, des signes
neurologiques, et surtout des troubles de la conduction et/ou du rythme cardiaque, expli-
quant un risque vital avec un taux de mortalité élevé. Le traitement de référence actuel
est l’administration d’anticorps antidigitaliques. Des critères de mauvais pronostic, très fré-
quemment présents en cas de surdosage digitalique chez un patient âgé, ont été établis
afin de guider l’indication et la posologie de ces anticorps. Il est important, pour un gériatre,
de reconnaître les signes de surdosage et d’avoir une idée des critères orientant vers un
traitement par anticorps, ce qui permet de déclencher une prise en charge adaptée en
s’aidant du conseil des centres anti-poison et d’un éventuel transfert en soins intensifs.
Mots clés : intoxication, digoxine, immunothérapie, sujet âgé, iatrogénie
Abstract. The indications for digoxin are currently limited to rare cases of heart failure and/or
atrial fibrillation. Its use should be even more rare in geriatrics its pharmacological charac-
teristics, associated with age-related changes and comorbidities, particularly increase the
risk of digoxin poisoning in the elderly. However, at least a third of aged patients suffering
from heart failure and/or atrial fibrillation is treated by digitalis. Digoxin intoxication can pro-
voke gastrointestinal troubles, neurological disturbances and, above all, cardiac conduction
impairment and dysrythmias, which explain its severity and high mortality rate. Presently,
first-line therapy is the administration of digoxin specific antibodies. Poor prognosis factors,
frequently found in digoxin intoxications in the elderly, have been established for guiding
the prescription of antibodies and their dosage. It is important for geriatricians to be able to
recognize poisoning signs and the conditions in which an antidote treatment is necessary.
This will permit a more effective management of the case, with the support of a poison
control center and possible referral of the patient to an intensive care unit.
Key words: intoxication, digoxin, immunotherapy, elderly, iatrogenic effect
Les digitaliques n’ont quasiment plus leur place
dans le traitement de l’insuffisance cardiaque avec
rythme sinusal et ils ne sont que rarement utiles
dans la fibrillation atriale [1, 2]. Ils restent cependant trop fré-
quemment prescrits, en particulier chez les sujets âgés chez
qui la prévalence de ces pathologies est élevée [3, 4]. Or, les
patients âgés sont particulièrement exposés au risque de
surdosage compte tenu de spécificités pharmacologiques
du médicament et de l’effet du vieillissement ou des comor-
bidités. L’intoxication digitalique est rare mais grave, et
cette gravité est clairement sous-estimée par la plupart
des praticiens [5]. Il est notamment important de recon-
doi:10.1684/pnv.2012.0382
Pour citer cet article : Pautas É, Lopez C, Gouronnec A, Gravelaine S, Peyron I, Lapostolle F. Mise au point sur la prise en charge des intoxica-
tions digitaliques chez le sujet âgé. À propos d’un cas traité par anticorps antidigitaliques. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012; 10(4) :355-63
doi:10.1684/pnv.2012.0382
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É. Pautas, et al.
naître les symptômes d’intoxication chez tout patient traité
par digitalique, et de connaître les modalités de prise en
charge urgente, dominées par l’utilisation d’anticorps anti-
digitaliques.
À propos d’un cas typique d’intoxication digitalique
survenue chez une patiente âgée traitée par anticorps anti-
digitaliques, nous présentons une revue de la littérature sur
cet incident iatrogène et sa prise en charge thérapeutique.
L’observation
Une femme âgée de 79 ans est hospitalisée dans un
service de court séjour gériatrique pour une altération de
l’état général associée à des nausées persistantes.
Historique médical
Ses principaux antécédents sont :
une fibrillation atriale (FA) paroxystique ;
un rétrécissement mitral traité par commissurotomie per-
cutanée ;
une hypertension artérielle ;
une insuffisance rénale chronique de sévérité moyenne
(clairance de la créatinine calculée à 40 ml/min par la formule
de Cockcroft).
Son traitement au long cours comporte :
amiodarone 200 mg/jour ;
aspirine 75 mg/jour ;
ésoméprazole 40 mg/jour ;
supplémentation vitamino-calcique.
Deux mois avant l’hospitalisation, de la digoxine
(Hémigoxine®0,125 mg/jour) a été ajoutée à l’amiodarone
après la mise en évidence de troubles du rythme auricu-
laire sous la forme d’une alternance de rythme sinusal, de
tachysystolie auriculaire et de flutter.
Quatre jours avant l’hospitalisation, des nausées sans
vomissement ont été traitées symptomatiquement par anti-
émétique, dans l’hypothèse d’une gastroentérite aiguë. La
persistance des symptômes digestifs avec une anorexie
puis une asthénie majeure motive l’hospitalisation.
Clinique
À l’arrivée, le tableau clinique associe des signes
digestifs (nausées et douleurs abdominales), un syndrome
confusionnel et une bradycardie irrégulière à 50/min. Le
reste de l’examen clinique est normal, notamment sans
trouble visuel ni signe d’insuffisance cardiaque, et la pres-
sion artérielle est normale à 110/65 mmHg.
L’électrocardiogramme (ECG) retrouve une FA avec une
fréquence cardiaque (FC) moyenne à 45/min (figure 1A).
Le bilan biologique retrouve une clairance de la créatinine
calculée à 28 mL/min, sans trouble ionique associé (kaliémie
à 4,3 mmol/L). La digoxinémie est à 4,50 ng/mL, confirmant
le diagnostic d’intoxication digitalique.
Thérapeutique
La digoxine est arrêtée. Après avis du centre antipoison,
l’administration de fragments Fab antidigitaliques est déci-
dée, avec une posologie correspondant à la neutralisation
d’une dose de 1 mg de digitalique [6-8]. Les signes digestifs
régressent dans les 12 heures suivantes, la régression des
signes confusionnels étant plus lente, sur environ 3 jours.
L’ECG, 12 heures après le traitement, retrouve le trouble
du rythme auriculaire avec une FC à 57/min (figure 1B). Un
ECG, réalisé douze jours après, retrouve un rythme sinusal
à 73/min (figure 1C).
La patiente rentre à son domicile avec un traitement
antiarythmique limité à la Cordarone®.
Revue de la littérature
Rappel sur la pharmacologie des digitaliques
Les glycosides digitaliques dérivent des plantes du
genre Digitale. Ces dernières sont parfois consommées
de fac¸on accidentelle ou à visée suicidaire [9, 10]. La digi-
toxine n’est plus commercialisée en France depuis 2004. La
digoxine est donc le seul digitalique actuellement prescrit
en France : Digoxine Nativelle®(comprimé à 0,25 mg, solu-
tion buvable à 0,05 mg/mL, ampoule injectable 0,5 mg/amp)
et Hémigoxine Nativelle®(comprimé à 0,125 mg).
Le mode d’action des digitaliques est lié à une aug-
mentation du tonus vagal et à l’inhibition de la pompe
sodium/potassium adénosine-triphosphate-dépendante
membranaire (pompe Na+/K+-ATPase), avec laquelle ils se
lient de fac¸on réversible. Il en résulte une augmentation
du sodium intracellulaire (et du potassium extracellulaire),
d’où une augmentation du calcium intracellulaire par reten-
tissement sur l’échangeur Na+/Ca++ (figure 2) [11-13]. Les
échanges ioniques transmembranaires permettent, à l’état
de base, la création du potentiel d’action cellulaire et donc
de l’influx nerveux. La surcharge intracellulaire en calcium,
induite par l’inhibition de la pompe Na+/K+-ATPase, entraîne
une accélération de la dépolarisation et du post-potentiel.
Les modifications ioniques induites par les digitaliques
conduisent donc à des effets inotrope et bathmotrope
positifs (augmentation de la force de contraction du
myocarde et de l’excitabilité) et à des effets dromotrope
et chronotrope négatifs (ralentissement de la vitesse de
conduction dans le nœud auriculo-ventriculaire et baisse
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Prise en charge des intoxications digitaliques chez le sujet âgé
A
B
C
III
V1
V2
V1
V2
a VR
V4
V3
Figure 1. A : électrocardiogramme au moment du diagnostic d’intoxication digitalique. À noter la présence d’une cupule digitalique, bien
visible en V4. B:électrocardiogramme 12 heures après injection d’anticorps antidigitaliques. C:électrocardiogramme 12 jours après le
traitement par anticorps antidigitaliques.
Figure 1. A: electrocardiogram at diagnosis of digoxin intoxication. Note the reverse tick ST segment depression. B: electrocardiogram
12 hours after infusion of Fab fragments of digoxin-specific antibodies. C: electrocardiogram 12 days after treatment with digoxin-specific
antibodies.
de la FC par ralentissement de la vitesse de dépolarisation
automatique des cellules du nœud atrio-ventriculaire).
Les digitaliques sont donc considérés principalement
comme des traitements antiarythmiques et font partie de
la classe V de la classification de Vaughan-Williams. Leur
utilisation thérapeutique est liée à leur capacité à contrôler
le rythme cardiaque au repos (mais très peu à l’exercice)
et à diminuer la conduction auriculo-ventriculaire.
La digoxine a une biodisponibilité de 60 % et une fixa-
tion protéique de 25 %. Ses métabolites sont actifs. Le pic
d’efficacité survient entre 1,5 et 6 heures après la prise.
Son élimination se fait à 90 % par voie rénale (en grande
majorité par filtration glomérulaire et très faiblement par
excrétion tubulaire), ce qui explique sa dangerosité en cas
d’insuffisance rénale, d’autant que sa demi-vie est longue
(30 heures) [6, 14].
Le dosage plasmatique du médicament est réalisable
par de nombreuses techniques immunologiques avec de
faibles variations intra- et inter-techniques, surtout pour des
digoxinémies moyennes à élevées [15]. La concentration
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n 4, décembre 2012 357
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É. Pautas, et al.
DIGOXINE
K+K+
Na-K-ATPase
Na+Na+
Cellule
Echanges
Na
+
/Ca
++
Ca++
Ca++ Na+
Figure 2. Interactions entre les digitaliques et les échanges
ioniques cellulaires.
Figure 2. Digitalis interaction with cellular ion exchange.
thérapeutique habituellement considérée comme accep-
table est de 0,5 à 2 ng/mL (0,6 à 2,6 nmol/L), mais il est
le plus souvent conseillé de «viser »une digoxinémie entre
0,5 et 1,2 ng/mL car la digoxine est un médicament à marge
thérapeutique étroite. Chez les patients les plus à risque
de surdosage, insuffisants rénaux et/ou âgés, il peut être
recommandé de mesurer la digoxinémie 8 jours (5 demi-
vies) après l’initiation du traitement, puis une fois par an, de
fac¸on systématique.
Chez les patients âgés, plusieurs facteurs pharmaco-
logiques majorent le risque de surdosage digitalique et
expliquent la fréquente nécessité de recourir à des doses
réduites de digoxine [6, 16] :
une insuffisance rénale, dont la prévalence augmente
avec l’âge, est clairement associée à une diminution de
l’élimination de la digoxine. L’insuffisance rénale chro-
nique peut, de plus, être aggravée lors d’une intoxication
digitalique, avec une part fonctionnelle secondaire à la
déshydratation liée à des troubles digestifs ;
le volume de distribution de la digoxine est diminué en
raison d’une diminution de la masse musculaire avec l’âge ;
le risque d’interactions médicamenteuses est évidem-
ment majoré chez les patients polymédiqués. De nombreux
médicaments antiarythmiques peuvent entraîner une aug-
mentation de la digoxinémie : amiodarone, vérapamil,
diltiazem. L’interaction médicamenteuse à risque la plus
fréquente chez le sujet âgé est la co-prescription d’un
diurétique. Une étude taïwannaise a ainsi montré une aug-
mentation du risque de surdosage chez les patients sous
diurétiques : risque 3 fois plus élevé avec un diurétique
de l’anse, 4,6 fois plus élevé avec l’hydrochlorothiazide
et 3,8 fois plus élevée pour l’association de 2 classes
de diurétiques [17]. De plus, un diurétique kaliurétique
peut entraîner une hypokaliémie, dont nous verrons qu’elle
s’associe à un risque accru de torsade de pointe dans le cas
d’une intoxication digitalique.
À ces facteurs identifiés dans la littérature dans le cadre
des traitements digitaliques, s’ajoutent d’autres facteurs de
risque généraux de iatrogénie chez le patient âgé, notam-
ment l’existence de troubles cognitifs ou sensoriels pouvant
poser des problèmes d’observance.
Indications thérapeutiques des digitaliques
La digoxine est encore fréquemment prescrite, alors
que ses indications sont très limitées à l’heure actuelle.
Ces indications ont été rappelées très récemment dans
les recommandations 2012 de la Société européenne de
cardiologie, concernant le traitement de l’insuffisance car-
diaque et la prise en charge de la FA [1, 2]. Un traitement
par digoxine ne devrait être discuté que dans les situations
suivantes :
en seconde intention après un bêtabloquant, en cas de
FA paroxystique (forme injectable IV) ou permanente (forme
per os) pour ralentir le rythme, mais plutôt chez un patient
sédentaire. Pour mémoire, les digitaliques sont efficaces
pour ralentir la FC dans la FA, mais ne préviennent pas la
récidive de FA chez un patient repassé en rythme sinusal ;
en seconde ligne, après les bêtabloquants et les inhi-
biteurs calciques bradycardisants, en cas d’insuffisance
cardiaque symptomatique avec coexistence d’une FA rapide
(FC >80/min au repos ou >110-120/min à l’exercice) ;
en tout dernier recours, après que les autres traitements
aient été utilisés à dose maximale (bêtabloquants, inhibi-
teurs de l’enzyme de conversion ou sartans, diurétiques
anti-aldostérone), en cas d’insuffisance cardiaque avec dys-
fonction systolique majeure (fraction d’éjection ventriculaire
gauche [FEVG] 40 %) ou avec symptômes sévères.
Même si les indications de la digoxine se sont nettement
réduites sur les dernières décennies, des études de pres-
cription récentes ont noté qu’au moins un tiers des patients
insuffisants cardiaques et/ou en FA avait un traitement digi-
talique au long cours [3, 4]. De plus, cette prescription
semblait plus fréquente chez les patients âgés : 34 % dans
le groupe des plus de 80 ans (âge médian 84 ans) ver-
sus 29 % dans le groupe des patients plus jeunes (âge
médian 69 ans) de la cohorte de l’Euro Heart Failure Survey
(p<0,001) [3]. Ceci peut être expliqué par l’augmentation
de prévalence de l’insuffisance cardiaque et de la FA avec
l’âge. La prévalence de l’insuffisance cardiaque est ainsi
estimée, en Europe, entre 2 et 3 % dans la population
globale, mais serait comprise entre 10 et 20 % chez les
70-80 ans [1]. La prévalence de la FA, inférieureà1%
dans la population générale européenne, augmente autour
de6%chezles65-79 ans, et devient supérieure à 10 %
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Prise en charge des intoxications digitaliques chez le sujet âgé
chez les octogénaires [2]. Enfin, il existe une association éta-
blie entre insuffisance cardiaque et FA, dont la coexistence
chez un patient âgé joue par ailleurs un rôle péjoratif sur le
pronostic vital [18]. Il est cependant important de rappeler
que, même pour ces deux pathologies, la prescription de
la digoxine devrait dorénavant être rare chez le patient âgé
en raison d’une balance bénéfice-risque penchant le plus
souvent en défaveur de son utilisation.
Pour mémoire, les contre-indications cardiologiques du
traitement par digoxine sont l’existence d’un bloc atrio-
ventriculaire (BAV) de grade 2 ou 3 ou une maladie
rythmique auriculaire non appareillées, ainsi qu’un syn-
drome de pré-excitation (Wolff-Parkinson-White).
Diagnostic de l’intoxication digitalique
L’intoxication digitalique est une intoxication médica-
menteuse rare mais grave. Elle peut correspondre à deux
situations bien distinctes :
les intoxications aiguës accidentelles ou volontaires ;
les surdosages au cours d’un traitement chronique.
Dans ce dernier cas, qui est la situation le plus souvent
rencontrée chez les patients âgés, l’intoxication survient
avec des doses répétées de digoxine, chez un patient
avec cardiopathie sous-jacente et souvent une insuffi-
sance rénale. Un épisode de surdosage, toutes gravités
confondues, surviendrait dans6à23%destraitements
prolongés [5]. Le surdosage au cours d’un traitement chro-
nique représentait 86 % des cas dans une cohorte de
838 patients pris en charge pour une intoxication digitalique
en 1999-2000 [17]. Dans une cohorte nord-américaine de
1991, 71 % des 717 cas d’intoxications sévères étaient
sous traitement au long cours [19]. L’intoxication digita-
lique concerne majoritairement des patients âgés, comme
le montrent les âges médians des cohortes franc¸aises et
américaines citées, respectivement 83 et 74 ans [16, 19].
Le meilleur reflet de la gravité des intoxications digita-
liques est le taux de mortalité élevé, estimé autour de 25 %,
que l’intoxication soit aiguë ou chronique [7, 14]. Dans le
premier cas, la gravité tient aux doses massives ingérées.
Dans le second cas, la gravité paraît liée aux comorbidi-
tés, principalement cardiovasculaires, mais aussi au retard
diagnostique et au sous-traitement [5].
Les signes de surdosage digitalique sont dominés par
les symptômes digestifs et neurologiques. Ces signes
doivent alerter chez un patient sous digoxine. Les symp-
tômes cardiologiques sont responsables de la gravité de
l’intoxication.
Les signes digestifs sont quasiment constants, à type
d’anorexie, de nausées, de vomissements, de diarrhées ou
de douleurs abdominales [6, 20]. De rares cas d’infarctus
mésentériques ont été décrits [6]. Ces symptômes digestifs
sont aspécifiques. Ils sont plus fréquents chez des sujets
âgés et peuvent être progressifs chez les patients traités
au long cours. Ces éléments expliquent qu’ils puissent être
négligés ou insuffisamment rapportés à l’intoxication [6].
Les signes neurologiques sont variés, eux aussi peu
spécifiques et potentiellement progressifs :
somnolence ;
céphalées ;
confusion ;
– délire.
Les troubles visuels sont plus caractéristiques, mais
peuvent également être des signes d’imprégnation digita-
lique, sans surdosage [21] :
classique trouble de vision des couleurs, ou dyschroma-
topsie ;
scotomes scintillants ;
vision floue.
Pour l’anecdote, les couleurs de certains tableaux de
Vincent Van Gogh (La nuit étoilée,Le café de nuit place
Lamartine à Arles...) pourraient être liées à un traitement
par digitale qui était parfois prescrit comme traitement anti-
épileptique à l’époque [22]. Van Gogh a d’ailleurs peint un
célèbre Portrait du Docteur Gachet avec branche de digi-
tale, visible au musée d’Orsay à Paris. D’autres symptômes
très aspécifiques tels que céphalées, myalgies et asthénie
intense sont également rapportés.
Enfin, les signes électrocardiographiques, variés, résul-
tant des propriétés cardiotropes évoquées précédemment,
font toute la gravité de l’intoxication digitalique [8, 23, 24] :
troubles de la conduction cardiaque (bloc sino-auriculaire,
BAV des trois degrés) ;
troubles du rythme (bradycardie sinusale, réponse ven-
triculaire lente sur FA, rythme jonctionnel, extrasystoles
ventriculaires, tachycardie, voire fibrillation ventriculaire).
Ces symptômes cardiaques sont responsables des
décès par asystolie et fibrillation ventriculaire. Il est impor-
tant de distinguer ces complications cardiaques des signes
d’imprégnation digitalique, normaux au cours d’un traite-
ment au long cours par digoxine [13] :
onde T aplatie ou inversée et sous-décalage du
segment ST réalisant la classique cupule digitalique (prin-
cipalement dans les dérivations à grandes ondes R) ;
raccourcissement de l’espace QT ;
augmentation de l’espace PR ;
augmentation de l’onde U.
La digoxinémie est le marqueur biologique de
l’intoxication. Elle confirme l’intoxication et permet, le cas
échéant, le calcul précis de la dose de digitaliques à neutra-
liser.
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