Intoxication par la digoxine F. Chafiq, N. Rhalem, R. Soulaymani 1

publicité
Intoxication par la digoxine
F. Chafiq, N. Rhalem, R. Soulaymani
1. Cas clinique :
L’unité d’information toxicologique du Centre national Anti poison a été contactée par une
clinique privée au sujet d’un patient de 25 ans qui avait tenté de se suicider en avalant 15
comprimés de digoxine. Une heure après sa tentative, il a été admis aux urgences dans un
tableau de nausées et de douleurs abdominales.
Le médecin traitant voulait connaître les risques encourus par le malade, le pronostic de cette
intoxication et les modalités de prise en charge.
2. Introduction :
Les intoxications par les glycosides digitaliques sont le plus souvent dues à la digoxine, plus
rarement à la digitoxine et encore moins aux plantes contenant des glucosides digitaliques.
La digoxine est un digitalique extrait de plantes à fleurs et plus particulièrement de la digitale
laineuse. Elle fait partie de l’arsenal thérapeutique de la fibrillation auriculaire avec réponse
ventriculaire rapide, de la tachycardie supra ventriculaire et de l’insuffisance cardiaque
congestive. L’utilisation de la digoxine demande une attention particulière car elle possède
un index thérapeutique étroit.
L’intoxication à la digoxine est peu fréquente mais reste grave avec une mortalité élevée par
fibrillation ventriculaire, asystolie prolongée ou choc cardiogénique.
L’intoxication est souvent d’origine accidentelle, notamment par surdosage chez le sujet âgé
porteur d’une cardiopathie.
3. Métabolisme et pharmacocinétique de la digoxine :
Son absorption se fait par un mécanisme de diffusion passive, essentiellement dans le
duodénum et le jéjunum (58 et 84 %).
La digoxine est absorbée partiellement (55 à 70 % pour les comprimés et 80 % pour la
solution). La fraction libre se fixe rapidement sur les organes vascularisés : cœur, rein, foie,
poumons et muscles squelettiques. Sa demi - vie plasmatique est de 33 à 34 heures. Le
volume de distribution est de 5,6 l/kg. Son élimination est urinaire.
Tableau 1 : pharmacocinétique des digitaliques per os
Glucoside
Digoxine
Digitoxine
biodisponibilité
60 %
100%
Demi vie sérique
1à 2 j
5à7j
urinaire
Biliaire (90 %)
Excrétion
Cycle entérohépatique
Volume de distribution
5,6 l /kg
0.46 l/kg
Durée d’action
4à7j
14 à 21 j
Délai d’action
3h
3à5h
1
4. Physiopathologie
4.1. Aux doses thérapeutiques
Les digitaliques inhibent la sodium-potassium adénosine triphosphatase membranaire (NaKATPase). Cette inhibition entraîne une baisse de K+ intracellulaire associée à une
accumulation de Na+ et de Ca++5 (fig1). C’est ce dernier effet sur le calcium qui explique
l’augmentation de la contractilité myocardique. Les digitaliques dépriment par le biais
d’une activation du tonus vagal, l’automatisme du nœud sinusal et du nœud auriculo
ventriculaire (BAV).
L’action des digitaliques est figurée en + et en -
+
+
Na+ Ca++
K+
-
-
-
K+
Nak
ATPase
Na+
Cellule
Echange
Na+ Ca++
fig.1:Effets des digitaliques sur les flux ioniques transmembranaires par l’intermediaire de la
NaK-ATPase.
4.2. Aux doses toxiques :
L’inhibition de la NaK-ATPases est responsable de l’accélération de la dépolarisation et de la
survenue de post-potentiels, à cette inhibition s’associe la stimulation du sympathique qui
augmente l’automatisme des foyers ectopiques.
5. Circonstances de l’intoxication :
L’intoxication aigue aux digitaliques résulte le plus souvent d’un surdosage après une erreur
de posologie, lors d’une confusion entre deux médicaments ou par mésusage chez l’enfant.
Elle peut être également secondaire à une ingestion massive volontaire dans un but
suicidaire. L’altération de la fonction rénale, notamment chez le sujet âgé potentialise cette
intoxication. Par ailleurs, l’intoxication à la digoxine peut survenir lors d’association à un
traitement hyperkaliémiant. L’association à l’amiodarone impose la diminution des doses du
digitalique.
2
6. Doses toxiques :
La grande variabilité interindividuelle de la dose toxique s’explique à la fois par l’importance
des facteurs pronostiques associés, par les variations de sensibilité d’un sujet à l’autre et par le
faible index thérapeutique de la digoxine.
La toxicité peut se manifester dès l’ingestion d’une prise unique de 2 à 3 mg (10 comprimés à
0.25mg de digoxine) chez l’adulte. Chez l’enfant elle correspond à 10 fois la dose
thérapeutique.
Les concentrations sanguines toxiques de la digoxine sont supérieures à 2,5 nmol/l..
7. Symptomatologie :
Le tableau de l’intoxication digitalique aigue associe des troubles digestifs et neurosensoriels,
cependant, la gravité est due aux troubles cardiaques :
7.1. Troubles digestifs :
Les manifestations digestives sont représentées par les nausées, l’anorexie et les
vomissements qui surviennent dès les premières heures de l’intoxication. Ces troubles
résultent probablement d’une action excitatrice des digitaliques. Les douleurs abdominales et
les diarrhées sont souvent associées.
Des cas de nécrose hémorragique du tube digestif ont été rapportés au cours d’intoxications
massives.
L’apparition de ces signes digestifs chez le sujet âgé traité par les digitaliques doit faire penser
systématiquement à un surdosage. Ces symptômes ne cèdent pas à l’atropine mais répondent
favorablement à l’immunothérapie.
7.2. Troubles neurosensoriels et psychiques
- Les troubles visuels sont fréquents lors du surdosage et se traduisent par une vision floue,
une baisse de l’acuité visuelle, des scotomes scintillants ou une dyschromatopsie avec
xanthopsie ou des auréoles colorées. Ces signes son précoces et peuvent être aggravés par
l’atropine.
- Des complications neuro-psychiatriques ont également été rapportées : confusion mentale,
asthénie, myalgie, agitation, angoisse précoce voire véritable accès de délire aigu de type
psychotique.
7.3. Manifestations cardiaques
Elles font le pronostic de l’intoxication. On distingue les troubles de l’automatisme et de la
conduction qui sont dans la plus part des cas associés et qui justifient des mesures
thérapeutiques d’urgence.
- Parmi les troubles de la conduction ; on peut citer en particulier les troubles de la
conduction sino-auriculaire, auriculo-ventriculaire (bloc auriculo-ventriculaire de différents
degrés) qui peuvent conduire à des bradycardies extrêmes avec désynchronisation des
périodes réfractaires, à l’origine d’une tachycardie ventriculaire.
- Les troubles de l’automatisme prennent une valeur réellement péjorative à l’étage
ventriculaire. Ils sont variés et comportent des extrasystoles ventriculaire bigéminées,
polymorphes voire bidirectionnelles, un rythme jonctionnel accéléré, des foyers ectopiques
(hyper automatisme) ou des phénomènes de ré-entrée.
Outre les troubles de la conduction et les troubles de rythme, on peut observer :
3
•
Un aplatissement de l’onde T qui devient volontiers négative.
•
Un abaissement du point J avec sous décalage du segment ST
•
Une forme d’une cupule à concavité supérieure du segment ST
•
Un raccourcissement du segment ST
Par ordre de fréquence, le décès peut survenir dans les suites d’une fibrillation ventriculaire
(65 % des cas), d’une asystolie prolongée (25 %) ou d’une insuffisance circulatoire sévère
(10 %).
8. Critères de gravité :
Les facteurs pronostiques reconnus pour l’intoxication aux digitaliques sont :
•
Le sexe masculin.
•
L’âge supérieur à 55 ans.
•
Un bloc auriculo-ventriculaire dès l’admission et quelque soit son degré.
•
Une hyperkaliémie supérieure ou égale à 4,5mmol/l.
•
Des antécédents cardio-vasculaires.
9. Prise en charge thérapeutique :
Les méthodes conventionnelles et l’immunothérapie spécifique représentent actuellement les
deux volets souvent complémentaires, du traitement de l’intoxication digitalique.
Le transport de l’intoxiqué doit être médicalisé, sous scope.
L’hospitalisation en milieu spécialisé est nécessaire s’il existe une cardiopathie sévère, des
troubles de rythme et de la conduction ou une forte concentration sanguine de la digoxine.
9.1. Bilan à réaliser en urgence
•
Dosage de la kaliémie : une hyperkaliémie signale une intoxication grave.
•
Electro-cardiogramme à la recherche des premières modifications :
-
Onde T aplatie,
-
QT aplatie,
-
QRS fin
• Concentration sérique de la digoxine :
Les concentrations toxiques sont supérieures à 2,5 nmol/l
•
Calciurie : il faut savoir que l’hpercalciurie augmente la sensibilité aux diurétiques
9.2. Traitement évacuateur :
Le lavage gastrique n’est préconisé que dans les intoxications vues précocement pour ne pas
favoriser l’arythmie menaçante et après administration d’atropine.
Le charbon activé (25 à 50 mg toutes les 6 heures) peut être utile dès les premières heures
qui suivent une ingestion suicidaire.
9.3. Correction des troubles électrolytiques :
L’hyperkaliémie est un signe indirect de l’importance de l’intoxication, et ne doit pas être
considérée comme une entité qui nécessite un traitement.
4
L’hypocalcémie diminue la toxicité des digitaliques et doit donc être respectée
9.4. En cas de bradycardie :
Il faut administrer rapidement de l’atropine 1 mg IV en répétant la dose si c’est nécessaire,
pour maintenir une fréquence cardiaque au delà de 60 battements par minute.
Les traitements classiques (dihydan, xylocaine) utilisés dans les troubles de rythme peuvent
réduire les manifestations d’hyperexcitabilité ventriculaire, mais ils ont un effet
cardiopresseur et peuvent induire des troubles rythmiques sévères.
Le choc électrique n’est indiqué qu’en cas de nécessité absolue (fibrillation ventriculaire)
car il peut induire des troubles de rythme majeurs (asystolie, fibrillation ventriculaire..).
9.5. Traitement spécifique par fab
Il s’agit d’un fragment Fab d’immunoglobilines ovines antidigitaliques (non disponible au
Maroc).
L’utilisation des anticorps antidigitaliques, qui ont moins d’effets indésirables et qui sont plus
efficaces, a permis de limiter le recours aux sondes de stimulations cardiaques et aux
médicaments antiarythmiques.
Cette immunothérapie est d’autant plus efficace qu’elle est administrée précocement, avant
la survenue des complications cardiaques les plus graves. Du fait de son coût élevé, les
indications sont limitées aux intoxications digitaliques potentiellement graves mettant en
jeu le pronostic vital.
Le calcul de la dose est fonction de la concentration sérique du digitalique. Elle est
habituellement de 1 à 2 ampoules de 80 mg pour les accidents thérapeutiques et à doses plus
importantes pour les intoxications volontaires.
Prévention : adapter la posologie
Pour prévenir les intoxications à la digoxine il faut :
•
Prescrire une posologie plus faible chaque fois que le risque de surdosage est
plus élevé :
- sujet âgé ou en mauvais état général ;
- si association au vérapamil, à l’amiodarone ou à une quinidine.
Dans ces différentes situations il est recommandé de pratiquer un dosage des digitaliques
dans le sang.
•
En cas d’insuffisance rénale il faut réduire fortement la posologie de la digoxine et
prévoir une surveillance de la concentration sérique de la digoxine. .
•
La surveillance du traitement est effectuée en fonction des données de la clinique et
de l’électrocardiogramme.
•
La mesure de la concentration plasmatique peut être intéressante en cas de signes de
toxicité ou d’inefficacité de traitement
Attitude préconisée chez notre patient
o Hospitalisation en réanimation avec monitorage cardiaque continu.
o Lavage gastrique réalisé avec précaution.
o Surveillance clinique, surveillance sous scope.
5
o Dosage de la kaliémie.
L’évolution a été favorable après quelques jours de surveillance. L’ECG n’a pas montré
d’anomalies, le patient n’a pas présenté de troubles ioniques et sa fonction rénale est restée
normale.
10. Conclusion
La digoxine a un faible index thérapeutique, nécessitant une surveillance régulière, avec
risque d'effets secondaires, d'interactions médicamenteuses, d'intoxication qui reste rare mais
potentiellement grave.
Références
1. Bertolotti E., Descotes J., Frantz P. Digitaliques : Les urgences en toxicologie. Paris.
Maloine 1992 :177-182.
2. Taboulet P., Bismuth C. Intoxication par les digitaliques : Intoxication aigues, Paris :
Elsevier 1999 : Pp 223-231.
3. Moritz F., Droy J-M. Intoxication digitalique : Intoxication aigue en réanimation.
1998. Rouen. 2°édition. Pp 409-423.
4. Aronson J.K. Positive inotropic drugs and drugs used in dysarythmias. Meyler’side
effects of drugs.1996.Elsevier, Science. 13th édition.
5. Kelly RA., Smith TW. Recognition and management of digitalis toxicity. AM J
Cardiol 1992, 69: 108-118.
6. Dubuc A. intoxication à la digoxine pahamactuel vol.33 N°1. Janvier/Février 2000
7. Bismuth C., Salib P., Benaaissa L., Immunotoxicothérapie, la Revue du Praticien.
Paris 1997,47.
6
Téléchargement