D O S S I E R T H É M A T I Q U E Traitements locorégionaux et radiothérapie métabolique Locoregional treatment and metabolic radionucleotide receptor scintigraphy in the management of patients with metastatic endocrine tumors of the digestive tract ● D. O’Toole* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ Les métastases hépatiques sont fréquentes chez les malades avec des tumeurs endocrines digestives. ■ Des stratégies de traitement locorégional, dont l’occlusion vasculaire avec induction d’une ischémie tumorale (embolisation intra-artérielle hépatique et chimioembolisation), sont efficaces pour le contrôle des symptômes et à visée antitumorale. ■ La radiofréquence ou la cryothérapie seules ou associées à la chirurgie peuvent être utiles chez certains patients. RATIONNEL DU TRAITEMENT LOCORÉGIONAL Les métastases hépatiques sont fréquentes chez les malades ayant des tumeurs endocrines digestives (TED) (25-90 %) (1). Leur présence a des implications négatives sur la qualité de vie et le pronostic. La survie à 5 ans pour les tumeurs développées à partir de l’intestin moyen (jéjunales basses, iléales, appendiculaires et cæcales) est de 75 à 99 % en l’absence de métastases hépatiques et de 0 à 40 % en cas de métastases hépatiques (2). La vitesse de progression des métastases hépatiques est également un facteur * Fédération médico-chirurgicale d’hépato-gastroentérologie, hôpital Beaujon et université de Paris-VII, Clichy. 114 important dans la prise en charge des malades (1, 3). La présence de métastases est souvent responsable des symptômes, liés à une hyperproduction hormonale et généralement difficiles à contrôler. Les analogues de la somatostatine sont fréquemment efficaces dans le contrôle des symptômes tel le syndrome carcinoïde. Cependant, leurs effets bénéfiques régressent au cours du temps du fait d’une tachyphylaxie et de la progression tumorale (4). Des mesures agressives telle une chirurgie de cytoréduction (résection d’au moins 90 % du volume tumoral) sont parfois nécessaires. Alors que la chirurgie des métastases hépatiques doit toujours être envisagée, cette option n’est que rarement possible, car les métastases sont souvent trop diffuses au moment du diagnostic. Le fait que les métastases au cours de TED sont souvent confinées au foie plaide en faveur d’un traitement locorégional telles une embolisation ou une chimioembolisation. La chimiothérapie systémique est décevante dans cette indication, avec des taux de réponse objective inférieurs à 10 à 20 % (5, 6). Les stratégies chirurgicales ou radiologiques d’occlusion vasculaire avec induction d’une ischémie des métastases hypervasculaires sont disponibles depuis plusieurs années. Auparavant, les techniques employées incluaient une ligature de l’artère hépatique au cours d’un geste chirurgical, une ischémie hépatique transitoire ou une dé-artérialisation séquentielle de l’artère hépatique. Ces dernières sont largement obsolètes en raison d’une morbidité trop importante ou du développement d’un réseau vasculaire collatéral (7). La combinaison d’une chimiothérapie intra-artérielle hépatique avec embolisation est courante dans le traitement des métastases hépatiques d’origine endocrine depuis plusieurs années. Une efficacité accrue de l’association d’une embolisation avec des molécules de chimiothérapie telles l’adriamycine, la mitomycine C ou la streptozotocine n’est pas prouvée ; cependant, il a été suggéré que la chimiothérapie est plus efficace en cas de conditions anoxiques (8). La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VIII - mai-juin 2005 D O S S I E R T H LA CHIMIOEMBOLISATION INTRA-ARTÉRIELLE HÉPATIQUE (CIAH) É M A T I Q U E Résultats Contrôle des symptômes et réponse biochimique La plupart des études ont été réalisées dans le traitement des métastases émanant de l’intestin moyen avec un syndrome carcinoïde, et la réponse symptomatique peut être réellement jugée en termes de contrôle de la diarrhée et des flushs. La CIAH est efficace dans 63 à 100 % pour leur contrôle symptomatique (tableau I). Des résultats intéressants jusqu’à 4 ans ont été rapportés avec des séances de CIAH répétées (11). Une réduction des 5-HIAA urinaire (supérieure à 50 %) est démontrée après CIAH chez 50 à 91 % des malades avec syndrome carcinoïde (9, 11-15). Technique La première étape consiste en une artériographie du tronc cœliaque et de l’artère mésentérique supérieure afin d’évaluer la distribution des artères hépatiques et des métastases. Un temps portal doit être réalisé, car la CIAH est contre-indiquée en cas de thrombose portale. Par la suite, un mélange de cytotoxiques-adriamycine 50 mg/m2 ou streptozotocine (STZ) 1,5 g/m2 dans 10 cc de sérum physiologique, combiné à l’huile iodée (Lipiodol®), est injecté dans les branches de l’artère hépatique en aval de l’origine de l’artère gastroduodénale. L’embolisation est réalisée par l’injection de particules emboligènes (par exemple, du Curaspon®) jusqu’au ralentissement progressif du flux sanguin hépatique (9). Une prémédication avec des analogues de la somatostatine doit être systématiquement utilisée en cas de syndrome carcinoïde afin d’éviter une crise carcinoïde. De plus, une hydratation adéquate et des antibiotiques sont recommandés pendant 48 à 72 heures. Il est également nécessaire de prévoir des antiémétiques et antalgiques en cas de besoin. Le geste doit être réalisé sous anesthésie générale en cas d’utilisation de la streptozotocine en raison des douleurs générées par son acidité (pH : 3,5-4,5). Les contre-indications sont une thrombose complète du tronc porte, une insuffisance hépatocellulaire et un antécédent d’anastomose biliodigestive (10). Des métastases diffuses sans insuffisance hépatocellulaire ne sont pas une contre-indication formelle, la procédure pouvant alors être réalisée en alternant le foie droit et gauche. Réponse tumorale Des taux de réponse objective de 33 à 80 % ont été confirmés avec CIAH dans plusieurs séries utilisant les critères stricts de l’OMS (tableau II ; [9, 11-15]). Cette réponse n’est pas en rapport avec le type de tumeur. Cependant, le choix du cytotoxique ainsi que de l’intervalle de temps entre les séances rend l’analyse comparative difficile. L’utilisation des analogues de la somatostatine, de façon quasi systématique en cas de syndrome carcinoïde, est un autre facteur qui peut influencer les résultats. Toutefois, ces malades sont souvent traités de longue date avec ces molécules, et les résultats symptomatiques et carcinologiques doivent donc être attribués à la CIAH. Ces bons résultats ont été confirmés dans une étude récente où la CIAH entraînait une réponse objective chez 12 malades sur 14 (86 %) (dont 10 avaient une TED dont l’origine était l’intestin moyen) (11). Dans cette étude de Roche et al., la survie à 5 et 10 ans était de 83 et 56 % respectivement (11). Ces auteurs ont également montré en analyse multivariée que l’atteinte hépatique était un facteur prédictif de réponse. Le taux de réponse était de 53 % et 7 % et, en cas d’atteinte hépatique, < 30 % et > 60 % respectivement (11). La taille des métastases, l’origine de la tumeur primitive, la différenciation tumorale et les traitements antérieurs n’étaient pas prédictifs de la réponse tumorale. Il est également intéressant de souligner que deux séances semblent être le nombre optimal, car les taux de réponse varient de 25 % après une séance de CIAH à 56 % après deux et à 19 % après trois (11). Indications La CIAH doit être réservée à des malades ayant des TED avec métastases hépatiques progressives et non résécables (4). Chez des malades avec des métastases progressives ou symptomatiques provenant de l’intestin moyen et en cas de métastases uniquement hépatiques, voire à prédominance hépatique, la CIAH doit être considérée en première ligne. Tableau I. Chimioembolisation intra-artérielle hépatique dans les tumeurs endocrines digestives : contrôle des symptômes et de la sécrétion hormonale. Références N/type Chimiothérapie Réponse symptomatique durable (%) Réduction des 5-HIAA urinaires > 50 % (%) Therasse et al. 1993 (9) 23 : IM ADR 100 91 Ruszniewski et al. 1993 (12) 18 : IM 5 : autre ADR 73 57 Clouse et al. 1994 (14) 14 : IM ADR 90 69 Diaco et al. 1995 (13) 10 : IM Ruszniewski et al. 2000 (15) Roche et al. 2003 (11) CDDP, MMC, ADR* 100 – 8 : IM 7 : autre STZ (1,5 g/m2) 67 50 10 : IM 4 : autre ADR 70 75 IM : tumeur endocrine de l’intestin moyen ; ADR : adriamycine ; MMC : mitomycine ; CDDP : cisplatine ; STZ : streptozotocine. * Traitement également par du 5 fluoro-uracile intra artériel séquentiel. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VIII - mai-juin 2005 115 D O S S I E R T H É M A T I Q U E Tableau II. Chimioembolisation intra-artérielle hépatique dans les tumeurs endocrines digestives : réponse tumorale (selon les critères de l’OMS). Références N/type Réponse objective (%) Durée de réponse (médiane, mois) Taux de progression (%) Therasse et al. 1993 (9) 23 : IM 35 – 12 Ruszniewski et al. 1993 (12) 18 : IM 5 : autre 33 2,1 17 Clouse et al. 1994 (14) 20 : IM ou autre 78 6-8,5 – Diaco et al. 1995 (13) 10 : IM 60 42,5 – 8 : IM 7 : autre 53 10,5 26 10 : IM 4 : autre 86 – 14 Ruszniewski et al. 2000 (15) Roche et al. 2003 (11) IM : tumeur endocrine de l’intestin moyen. Tolérance et complications Des effets indésirables minimes sont fréquents après une CIAH, et notamment le syndrome post-embolisation : nausées et vomissements de façon transitoire (50-70 %), douleurs abdominales (50-60 %), fièvre jusqu’à 38,5 °C (30-60 %) et augmentation des transaminases hépatiques (100 %). Ces symptômes, qui peuvent durer plusieurs jours, sont facilement contrôlés, mais le malade doit être prévenu. Des complications majeures tels une insuffisance hépatique ou rénale et des ulcères hémorragiques gastriques ou duodénaux sont rares. régional n’est pas réellement possible. Ces nouveaux analogues marqués par des émetteurs bêta donnent des résultats préliminaires encourageants. Ainsi, les études de phases I et II avec le DotaTyr-3Octréotide marqué à l’90Yttrium (Octréother®) rapportent un taux de réponse complète ou partielle de l’ordre de 20 à 25 % (18). La tolérance rénale est améliorée par la perfusion d’acides aminés cationiques. Des études préliminaires avec le 177Lutétium-DOTATyr-Octréotide (Octréotate®) ont montré une affinité pour les récepteurs de la somatostatine dix fois supérieure à celle de l’octréotide. Des résultats préliminaires excellents ont été notés pour les TED avec l’Octréotate®, avec un taux de contrôle tumoral de 83 % (réponse partielle : 33 %, stabilisation : 50 %) (19, 20). LA RADIOFRÉQUENCE Le principe du traitement est la destruction des cellules tumorales en utilisant une ou plusieurs aiguilles qui génèrent une hyperthermie entre 50 et 60 °C. La voie d’abord est percutanée ou chirurgicale (y compris par cœlioscopie). Les limites de cette technique sont des lésions de diamètre > 35 mm, un nombre > 5 et une localisation au contact des gros vaisseaux. La morbidité est habituellement mineure, mais des cas d’hémorragie, d’abcès et de perforations sont décrits (16). Des taux de réponse de 87 à 96 % ont été décrits à 18 et 25 mois (17). Bien que sa place reste relativement limitée, cette technique semble intéressante en association avec la chirurgie. RADIOTHÉRAPIE MÉTABOLIQUE Étant donné la résistance des TED à la chimiothérapie ou à la radiothérapie, ainsi que leur capacité à exprimer des récepteurs de la somatostatine, une nouvelle méthode thérapeutique a été testée, utilisant des traceurs spécifiques, et notamment les analogues radiomarqués de la somatostatine. Ce type de traitement est surtout utile en cas de maladie multimétastatique où un traitement loco116 CONCLUSION La chimioembolisation intra-artérielle hépatique est une méthode fiable dans le traitement des métastases hépatiques non résécables de tumeurs endocrines digestives. Ce traitement est efficace dans le contrôle de symptômes (surtout en cas de syndrome carcinoïde) et entraîne une réponse objective tumorale chez environ un malade sur deux. D’autres méthodes de destruction locale de métastases, telles que la radiofréquence, semblent également efficaces, mais leur utilisation est restreinte par le nombre et la taille des lésions. Des résultats préliminaires avec la radiothérapie métabolique (utilisant des analogues de la somatostatine marquée à l’90Yttrium ou au 177Lutétium) sont encourageants, et ces avancées techniques ouvrent de nouvelles perspectives dans le traitement de tumeurs multimétastatiques. ■ Mots-clés : Tumeur endocrine digestive - Chimioembolisation Métastases hépatiques - Radiofréquence. Keywords: Endocrine tumours - Gastro-enteropathic - Chemoembolisation - Liver metastases - Radiofrequency ablation. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VIII - mai-juin 2005 D R É O F É R E S N C E S S B I I B L E I O G R R A P H T I Q U E S 1. Jensen R. Nautural history of digestive endocrine tumors. In : Recent advances in the pathophysiology and management of inflammatory bowel disease and digestive endocrine tumors. Edited by Mignon MCJ: John Libbey Eurotext, 1999:192-219. 2. McDermott EW, Guduric B, Brennan MF. Prognostic variables in patients with gastrointestinal carcinoid tumours. 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La Lettre de l’hépato-gastroentérologue vous souhaite un bel été et vous remercie de la fidélité de votre engagement. Le prochain numéro paraîtra en septembre 2005 La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VIII - mai-juin 2005 117