Avifaune migratrice Exemple d’études et de recherche Profil d’abondance et différenciation génétique des populations de grives à pieds jaunes Parmi les 9 946 espèces d’oiseaux recensées dans le monde, 0,6 % sont endémiques des DOM-TOM. L’originalité et la fragilité du patrimoine ornithologique de ces territoires confèrent par conséquent à la France une responsabilité particulière sur la scène internationale en matière de conservation. Les espèces endémiques se caractérisent par de petites populations et des aires de répartition géographique restreintes. Ces différentes caractéristiques sont source d’une fragilité structurelle qui les expose d’avantage aux risques d’extinction, lesquels se montrent par ailleurs renforcés dans un contexte d’insularité et d’exploitation cynégétique. Pour les espèces concernées, l’évaluation et/ou l’élaboration de mesures de gestion conservatoire se heurtent bien souvent à une profonde méconnaissance de leurs profils d’abondance et du fonctionnement de leurs populations. Dans ce contexte, un programme d’étude dédié à la grive à pieds jaunes (Turdus lherminieri) est conduit depuis 2009 sur le territoire de la Guadeloupe en partenariat avec le Parc national et l’Université de Bourgogne*. Endémique des Petites Antilles, la grive à pieds jaunes est inscrite comme espèce « Vulnérable » sur la liste rouge établie par l’UICN et bénéficie d’un statut de protection intégrale à l’exception de la sous-espèce T. l. lherminieri dont la chasse est autorisée en Guadeloupe uniquement sur la Basse-Terre (figure 1). F Figure 1. Carte de qualité des habitats pour la grive à pieds jaunes établie d’après une analyse factorielle de niche écologique (résolution 200 x 200 m) reliant la présence de l’espèce sur un réseau de sites avec leurs caractéristiques environnementales (e.g. occupation du sol, degré de fragmentation de la matrice paysagère, topographie, climat…). Un premier volet du programme d’étude vise à apprécier les potentialités d’accueil pour l’espèce à l’échelle de l’île et évaluer en parallèle la fraction sécurisée par l’emprise du Parc national de la Guadeloupe. À cet effet, nous avons approximé la niche écologique inhérente à l’espèce et établi une cartographie de la qualité des habitats à l’aide d’une analyse factorielle de niche écologique (Ecological Niche Factor Analysis ; figure 1). L’occurrence de l’espèce a été appréciée sur la base de l’inventaire de 991 points d’écoute répartis selon les grandes unités écologiques qui forment le paysage de l’île, mais aussi à partir d’observations enregistrées lors de relevés de terrain conduits dans le cadre des autres volets d’étude inclus dans le programme. Les analyses * Ce programme bénéficie du soutien financier de l’Europe (FEDER) et de la DEAL Guadeloupe. préléminaires indiquent que l’espèce recherche des sites caractérisés par un fort régime de précipitations, une altitude élevée et un manteau forestier cohésif. À l’inverse, un fort évitement est noté envers les paysages urbanisés, morcelés ou dédiés majoritairement à l’agriculture (canne à sucre et bananeraie incluses). Si l’on ne considère que les habitats à très forte potentialité (i.e. score ≥ 75, figure 1), la Basse-Terre concentrerait à elle seule 93 % des surfaces concernées.Toutefois, seuls 37 % des habitats à fort potentiel bénéficieraient de la protection apportée par le Parc national, suggérant que la conservation des populations de grives ne peut se satisfaire de ce seul outil de protection. Ceci se révèle particulièrement vrai pour ce qui concerne le maintien de l’espèce en Grande-Terre. Sur cette partie de l’île, les surfaces très favorables à l’espèce s’y révèlent en effet très faibles et exposées au mitage engendré par l’urbanisation faute de mesures de protection. Un second volet vise à appréhender la structure génétique des populations. Un échantillonnage des populations a ainsi été conduit sur les îles de la Dominique, Montserrat, Sainte-Lucie et Guadeloupe, chacune hébergeant une sous-espèce différente. Fondées sur 12 marqueurs microsatellites, les analyses révèlent une très forte différenciation génétique entre les îles (figure 2) et la très forte singularité de la population dominicaise tant au niveau de la richesse allélique que du degré de différenciation (Fst moyen de 38 et 46 %, figure 2). Une approche identique réalisée à l’échelle de la Guadeloupe révèle quant à elle un niveau de différenciation inattendu entre les oiseaux de la Grande-Terre et ceux de la Basse-Terre. En moyenne, cette différenciation atteint 11 %, c’est-à-dire une valeur proche du niveau observé entre les populations de Guadeloupe et de Montserrat. La distance géographique entre les sites échantillonnés en Guadeloupe n’apparaît pas comme un élément structurant majeur de cette différenciation, ce qui suggère plutôt qu’une rupture de la continuité des habitats favorables à l’espèce entre ces deux entités géographiques (figure 1) pourrait en être l’origine. Les résultats témoignent également d’un appauvrissement génétique des oiseaux de Grande-Terre (Richesse allélique : 2,58 vs. 2,90, figure 2). Dans ce contexte, restaurer artificiellement des flux de gènes par la translocation d’individus depuis la Basse-Terre pourrait se révéler une mesure palliative. La pertinence d’une telle opération est supportée par le fait que les oiseaux de Grande-Terre ne concèdent aucune particularité génétique (i.e. aucun allèle privé) avec ceux de la Basse-Terre. F Figure 2. Différenciation génétique des populations de grives à pieds jaunes entre les différentes îles (Dominique, Montserrat et Guadeloupe) et au sein de la Guadeloupe, entre Basse-Terre (BT) et Grande-Terre (GT). Les valeurs de Fst moyen sont indiquées pour chaque paire de populations. La richesse allélique moyenne est indiquée entre parenthèses et le nombre de sites échantillonnés (N) est mentionné. NB : aucun oiseau n’a été détecté et capturé sur Sainte-Lucie. ONCFS IIII RAPPORT SCIENTIFIQUE 2011 19