Le dépistage systématique
de l’hémochromatose
héréditaire : état des lieux
Pr H. Michel (président de l’Association
Hémochromatose France, Nîmes)
Le dépistage systématique de l’hémo-
chromatose héréditaire (HH) HFE-1 (géno-
type C282Y homozygote) est primordial,
mais, à ce jour encore, non réalisé, car
“repoussé” par les autorités de santé. Or,
plusieurs arguments plaident en faveur
de ce dépistage, demandé, entre autres,
depuis 1989, par l’Association Hémochro-
matose France (AHF) :
–la haute prévalence de l’HH, reconnue
comme la maladie héréditaire la plus fré-
quente dans la population caucasienne
(1/300 d’après le Secrétariat national des
maladies métaboliques et héréditaires) ;
–la gravité de l’HH en raison à la fois du
handicap qu’elle génère (asthénie, at-
teinte articulaire, endocrinienne, etc.)
et de son pronostic vital (cirrhose avec
cancer, cardiopathie, diabète insulino-
requérant, etc.) ;
–la facilité du diagnostic, aussi bien du
point de vue clinique que biologique,
par la saturation de la transferrine et
surtout par le test génétique HFE-1 ;
–l’efficacité du traitement par phlébo-
tomies, qui en fait une maladie bénigne
lorsqu’elle est diagnostiquée précoce-
ment, mais invalidante et mortelle lors-
qu’elle n’est que tardivement reconnue ;
–la méconnaissance de cette maladie
par les médecins et le public du fait de
son polymorphisme clinique, de l’ab-
sence de publicité des laboratoires phar-
maceutiques et des difficultés de commu-
nication des résultats génétiques.
Deux types de dépistage sont à envisager :
–dans la population générale ;
–dans la famille.
◗Le dépistage systématique
dans la population générale
Dans la première stratégie (la plus com-
mune), le dépistage associe d’abord le
test de saturation de la transferrine, puis
le test génétique. Dans la deuxième stra-
tégie, il associe le test de saturation de
la transferrine à la ferritine puis au test
génétique. Le test de saturation de la
transferrine, toujours fait en premier et
à jeun, est pathologique (au-dessus de
45 % chez l’homme et de 50 % chez la
femme), informatif (première expression
phénotypique de l’HH avant toute lésion
viscérale ou métabolique), peu coûteux
(B50 : 13,50 €). Il peut être négatif en
cas de syndrome inflammatoire ou chez
la femme (deux contrôles à 5 ans et à
10 ans sont alors à faire). Il peut être faus-
sement positif (10 % des cas) en cas de
surcharge non HFE-1 C282Y homozygote,
ou d’hépatopathie alcoolique ou non,
mais, dans ce dernier cas, il sera corrigé
par le test génétique HFE-1.
En fait, le dépistage dans la population
doit se faire à tout âge (idéalement à
20 ans
chez l’homme et à 30 ans chez la
femme). La
découverte des signes clini-
ques, les antécédents familiaux (diabète,
cirrhose, décès précoces) orientent le dia-
gnostic d’HH. De même, un dépistage
ciblé est utile en cas de diabète ou de cir-
rhose – souvent considérée à tort comme
alcoolique –, et chez tout sujet rhumati-
sant, cardiaque ou dépressif. Les résul-
tats des études contrôlées dans la litté-
rature démontrent deux faits : le dépis-
tage réduit la morbidité et la mortalité
et le dépistage génétique est supérieur
au dépistage phénotypique.
◗Le dépistage familial
Il a une efficacité supérieure à celle du
dépistage dans la population, car, du fait
de la transmission autosomique, il con-
cerne un milieu à plus haut risque d’être
porteur de la mutation C282Y homozy-
gote. Ainsi, à partir du probant (sujet por-
teur de la mutation averti par son méde-
cin et lui-même seul autorisé à informer
les membres de sa famille), il faut recher-
cher la mutation :
–d’abord chez les frères et sœurs
(coefficient de saturation de la transfer-
rine et gène HFE-1). Ils sont les apparen-
tés les plus à risque : 100 % si les deux
parents sont homozygotes, 50 % si un
parent est homozygote et le deuxième
hétérozygote pur ou composite, 25 % si
les deux parents sont hétérozygotes
purs ou composites ;
–puis chez les parents du probant,
d’abord par le coefficient de saturation
de la transferrine et, s’il est normal, par
le test génétique ;
–enfin, chez le conjoint du probant, par
le test génétique uniquement. En effet,
le résultat du test permet de prévoir le
risque chez leurs enfants. Ce risque est
de 100 % si le conjoint est homozygote,
de 50 % si le conjoint est hétérozygote et
de 0 % si le conjoint n’a pas de mutation.
Le dépistage à partir de nouveau-nés tes-
tés au hasard et identifiés comme étant
homozygotes C282Y augmente de 17 fois
la probabilité de diagnostiquer de nou-
veaux cas.
Donc, le dépistage génétique familial est
économiquement supérieur à un dépis-
tage phénotypique et au dépistage de la
population en général, du fait du plus
faible nombre de personnes pour iden-
tifier un homozygote C282Y.
◗État des lieux à ce jour
Les conclusions sur le dépistage de
l’HH HFE-1 faites en 2004 par l’ANAES
sont décevantes : “Le dépistage systéma-
tique de l’HH HFE1 reste posé ; la faisa-
bilité d’un tel dépistage n’est pas démon-
trée. Le dépistage familial doit être ren-
forcé. Le test génétique doit être utilisé
en première intention.” En fait, ce test
génétique (B200 : 52 €) n’est pas encore
remboursé. Pendant ces dix ans d’attente
et de réunions (ANDEM 1995, ANAES*
1999 et 2004), des malades ont souffert,
ont vu leur pathologie s’aggraver et sont
morts, alors que nous disposons aujour-
d’hui d’informations et de moyens dia-
gnostiques pour reconnaître une maladie
héréditaire bénigne, mais rendue grave,
et même mortelle, en l’absence de déci-
sion sur le dépistage. En attendant, pour
l’AHF, l’information à faire passer auprès
des médecins est d’ajouter systémati-
quement le test de saturation de la trans-
ferrine et la ferritine (et, s’ils sont posi-
tifs, le test génétique) au cours de tout
bilan sanguin au moins une fois dans la
vie d’un individu sain ou malade pour
pouvoir détecter l’HH.
* ANAES : Évaluation clinique et économique du
dépistage de l’hémochromatose HFE1,mai 2004.
DOSSIER THÉMATIQUE
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 2 - vol. VIII - mars-avril 2005 77