PHARMACOLOGIE NEUROLOGIE Récepteurs au sphingosine-1phosphate : une nouvelle cible en neurologie Sphingosine-1-phosphate receptor: a new target for neurological diseases R. Bordet* L * Département de pharmacologie médicale, institut de médecine prédictive et de recherche thérapeutique, université Lille-Nord de France, université Lille-2 et centre hospitalier universitaire de Lille, faculté de médecine, Lille. es sphingosines sont des composants moléculaires de la structure des membranes cellulaires et sont la source de multiples lipides bioactifs dérivés de leur métabolisme : céramide, sphingosine, sphingosine-1-phosphate (S1P), céramide-1-phosphate (1, 2). Le S1P est le dérivé actif terminal du métabolisme du sphingosine, résultat de l’action de la sphingosine kinase, qui peut être activée par de nombreuses hormones, des immunoglobulines, des facteurs trophiques et des cytokines (figure 1). Il est dégradé en métabolites inactifs par la S1P lyase. Le S1P est libéré de manière paracrine et autocrine. Il exerce son action biologique par le biais de 5 récepteurs couplés à une protéine G exprimés dans de multiples organes, ce qui sous-tend la diversité des actions biologiques. Il pourrait également avoir une action directe intracellulaire. Le S1P circule dans le sang et dans le système lymphatique, ce qui explique une action relativement ubiquiste. Initialement décrit comme un activateur de la prolifération cellulaire, il s’est révélé avoir des propriétés dans la survie cellulaire et des effets antiapoptotiques ainsi qu’une action de modulation de la migration et de l’invasion cellulaires. Il exerce également des effets sur Sphingosine S1P phosphatase Sphingosine kinase Sphingosine-1-phosphate S1P lyase Hexadécénal + éthanolamine-P Figure 1. Voie métabolique des sphingolipides. 38 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 25 - n° 1 - janvier-février-mars 2011 le système cardio-vasculaire : effets endothéliaux ; régulation du tonus et de la perméabilité vasculaires ; action sur les myocytes auriculaires responsable d’un effet sur le rythme cardiaque ; effet angiogénique (3). Ses récepteurs sont la cible de plusieurs agonistes en cours de développement, dont un des plus avancés en matière de développement et d’enregistrement est le FTY720, ou fingolimod. Sur le plan cérébral, l’action du S1P est double (4, 5). Elle est d’abord liée à l’action périphérique du S1P sur le système immuno-inflammatoire et aux interactions neuroimmunologiques. Elle est également directement centrale dans la mesure où le S1P est également libéré par les sphingosines cérébrales et agit sur ses récepteurs, qui sont exprimés dans tous les types cellulaires du tissu cérébral (neurones, astrocytes, microglie et oligodendrocytes), mais aussi du réseau vasculaire cérébral. Cette double action explique que les modulateurs pharmacologiques des récepteurs au S1P aient été en priorité étudiés et développés dans les pathologies cérébrales dans lesquelles les liens entre système nerveux central et système immunitaire sont les plus étroits. La sclérose en plaques en est l’exemple type, avec des démonstrations cliniques maintenant établies. D’autres pathologies sont également concernées, comme les accidents vasculaires cérébraux, en particulier ischémiques. Néanmoins, les maladies neurodégénératives pourraient également être des pathologies cibles, dans la mesure où une baisse de S1P favorise la mort cellulaire. Rôle de la voie du S1P et de ses récepteurs Les effets immunitaires de la voie du S1P sont surtout liés à l’expression du récepteur S1P1 par les lymphocytes (5, 6). L’adaptation immunitaire résulte princi- Résumé Le sphingosine-1-phosphate (S1P), produit du métabolisme des sphingosines, régule de nombreuses fonctions biologiques (prolifération et survie cellulaire, migration cellulaire, fonctions immunitaires, fonctions cardio-vasculaires) par le biais de 5 sous-types de récepteurs. Leur expression dans tous les types cellulaires du cerveau sous-tend différentes fonctions (myélinisation, neurogenèse, neuroprotection, etc.) qui justifient l’intérêt de leur modulation dans de nombreuses pathologies cérébrales, en particulier celles mêlant des désordres immunitaires au développement des lésions cérébrales. Si plusieurs agonistes des récepteurs au S1P sont en cours de développement clinique, seul le fingolimod est enregistré dans le traitement de la sclérose en plaques. Ses effets bénéfiques peuvent s’expliquer à la fois par son action sur les lymphocytes et par son action sur les mécanismes cellulaires cérébraux de la sclérose en plaques. palement de la circulation régulière des lymphocytes entre le sang et les organes lymphoïdes à la recherche d’antigènes. Quand un antigène actif est détecté dans les ganglions lymphatiques, il se produit une séquestration puis une activation ou une réactivation des lymphocytes T. Après activation, les lymphocytes T retournent dans la circulation sanguine pour gagner les sites inflammatoires. La rétention et la recirculation des lymphocytes T est régulée, d’une part, par le gradient de concentration du S1P entre circulation sanguine et tissu lymphoïde et, d’autre part, par le niveau d’expression lymphocytaire du récepteur S1P1, comme l’ont montré des expériences réalisées sur des souris génétiquement modifiées. Lorsqu’un antigène pénètre dans un ganglion lymphatique ou dans le thymus, le niveau d’expression du récepteur S1P1 diminue, ce qui explique la rétention lymphocytaire. Le niveau d’expression augmente à nouveau après activation des lymphocytes T, favorisant alors leur recirculation. Sur le plan cérébral, le S1P et ses différents récepteurs agissent sur l’ensemble des composants cellulaires : oligodendrocytes, neurones, cellules gliales, cellules endothéliales (4, 5). Les récepteurs S1P1 et S1P5 sont préférentiellement exprimés au niveau des oligodendrocytes et favorisent leur survie, leur migration et leurs effets de myélinisation. En raison de l’expression des récepteurs S1P1 et S1P3, le S1P exerce des effets de protection neuronale et favorise la migration des cellules souches neurales. Les astrocytes expriment préférentiellement les récepteurs S1P1 et S1P3, qui sont impliqués dans la prolifération, la migration et l’activation des astrocytes. La microglie exprime quant à elle les récepteurs S1P1, S1P2 et S1P3. Par son action sur les cellules endothéliales, le fingolimod peut également exercer des actions de régulation au niveau de la barrière hémato-encéphalique (figure 2, p. 40). simod, ONO-4641, CS-0777) qui sont à des stades précoces de leur développement clinique (7). Le FTY720, ou fingolimod, vient, quant à lui, d’être enregistré par la FDA et a reçu un avis favorable du Comité des médicaments à usage humain de l’EMA. Il s’agit d’un dérivé de la myoricine, issue d’une plante médicinale chinoise, qui possède des propriétés immunosuppressives mais qui se révèle toxique. Les modifications structurales de la myoricine ont permis d’aboutir à la structure du fingolimod avec un meilleur profil en termes de sécurité toxicologique (7). Le fingolimod est un promédicament phosphorylé par la sphingosine kinase de type 2 en fingolimod-P, qui est la molécule active et agoniste des 5 sous-types de récepteurs S1P. Le fingolimod induit une lymphopénie, qui est essentiellement le résultat de son action sur le récepteur S1P. Les actions directes sur le système nerveux central sont plus complexes et font intervenir d’autres sous-types de récepteurs S1P. Le fingolimod exerce également des effets cardio-vasculaires qui expliquent notamment 2 effets indésirables importants en dehors des conséquences de la modulation immunitaire (infection) : des bradycardies ou des blocs auriculoventriculaires résultant de l’action sur le récepteur S1P2 et des œdèmes maculaires liés à des effets sur la perméabilité vasculaire. L’action du fingolimod est probablement plus complexe que le seul effet agoniste, puisqu’il induit rapidement une internalisation et une dégradation des récepteurs S1P1 sur lesquels il se fixe, ce qui aboutit à un effet antagoniste fonctionnel. La pharmacocinétique du produit permet son utilisation par voie orale. Le fingolimod a été développé principalement dans le traitement de la sclérose en plaques, pathologie pour laquelle il a été approuvé par les agences d’enregistrement. Un intérêt potentiel existe également dans d’autres maladies neurologiques. Des agonistes approuvés ou en cours de développement Le fingolimod dans les maladies neurologiques La caractérisation de la voie du S1P et de ses propriétés physiologiques ou de ses implications physiopathologiques a conduit au développement de plusieurs agonistes (BAF-312, KRP-203, poné- Dans la sclérose en plaques, l’action du fingolimod est double (4, 5, 8). Sur le plan immunitaire, l’anta­ gonisme fonctionnel lié à l’internalisation et à la dégradation du récepteur S1P1 permet au fingolimod Mots-clés Sphingosine-1phosphate Sclérose en plaques Fingolimod Summary Sphingosine-1-phosphate (S1P), product of sphingosine metabolism, is involved in several biological functions (cell proliferation and survival, cell migration, immune system, cardio-vascular functions) through five receptor sub-types. Their expression in all cellular types of brain underlie many functions (myelinization, neurogenesis, neuroprotection, etc.) and justify the interest of their modulation in several cerebral pathologies, in particular diseases mixing both immune disorders and brain lesions. Several agonists of S1P receptors are under clinical development, but only fingolimod is registered for the treatment of multiple sclerosis. Beneficial effects could be explained both by action on lymphocytes and action on cerebral mechanisms of multiple sclerosis. Keywords Sphingosine-1-phosphate Multiple sclerosis Fingolimod La Lettre du Pharmacologue • Vol. 25 - n° 1 - janvier-février-mars 2011 | 39 PHARMACOLOGIE NEUROLOGIE Oligodendrocytes S1P1, S1P5 Neurones S1P1, S1P3 Endothélium S1P1, S1P3 Microglie S1P1, S1P2, S1P3 Astrocytes S1P1, S1P3 Figure 2. Expression des différents sous-types de récepteurs du sphingosine-1-phosphate au niveau cérébral. de bloquer la sortie des lymphocytes des ganglions lymphatiques, évitant ainsi la circulation de lymphocytes T autoagressifs. La lymphopénie induite par le fingolimod est rapidement réversible, ce qui traduit bien un effet de séquestration et non de destruction des lymphocytes. Les lymphocytes séquestrés ne peuvent plus passer la barrière hémato-encéphalique, ce qui prévient leurs effets délétères directs sur les constituants cellulaires cérébraux. En traversant la barrière hémato-encéphalique, le fingolimod exerce également des effets directs sur le paren- chyme cérébral. En modulant le fonctionnement des oligodendrocytes, il favorise la remyélinisation ou, à tout le moins, ralentit la démyélinisation. Il exerce également des effets de neuroprotection ainsi qu’un effet sur les cellules souches neurales avec des conséquences en matière de neuroréparation. Le fingolimod diminue la neuroinflammation par son action sur les astrocytes et la microglie. Il tend à protéger la barrière hémato-encéphalique. Toutes ses propriétés pharmacologiques expliquent que le fingolimod ait des effets bénéfiques dans les modèles expérimentaux d’encéphalopathie auto-immune qui mime une sclérose en plaques. Un essai clinique contre placebo et un autre versus INFβ ont montré la capacité du fingolimod à réduire le nombre de poussées dans les formes récurrentes de sclérose en plaques. Au-delà de la sclérose en plaques, qui en est la seule indication reconnue à ce jour, le fingolimod offre des perspectives intéressantes dans d’autres maladies neurologiques. Compte tenu des mécanismes d’action mêlant modulation immunologique, neuroprotection, neuroréparation et protection de la barrière hémato-encéphalique, le fingolimod pourrait être bénéfique dans les pathologies neurologiques aiguës (accidents vasculaires cérébraux, traumatisme cérébral ou médullaire), comme en témoignent des études expérimentales récentes (9, 10). Dans la mesure où la voie du S1P est altérée au cours de la maladie d’Alzheimer, le fingolimod est une piste pharmacologique à tester (2). Bien qu’aucune donnée ne soit actuellement disponible, l’évaluation du fingolimod dans des modèles de maladie de Parkinson ou de sclérose latérale amyotrophique n’est pas à négliger. ■ Références bibliographiques 1. Strub GM, Maceyka M, Hait NC, Milstien S, Spiegel S. Extracellular and intracellular of sphingosine-1-phosphate. Adv Exp Med Biol 2010;688:141-55. 2. Leong WI, Saba JD. S1P metabolism and other pathological conditions. Biochimie 2010;92:716-23. 3. Daum G, Grabski A, Reidy MA. 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