MISE AU POINT Les récepteurs à sphingosine 1-phosphate Sphingosine 1-phosphate receptors O. Cuvillier* Le métabolisme de la sphingosine 1-phosphate La sphingosine 1-phosphate (S1P), un lysophospholipide régulant d’importantes fonctions biologiques, est issue de la phosphorylation de la sphingosine par la sphingosine kinase dont 2 isoformes (SphK1 et SphK2), différant par leur régulation et leur distribution, ont été décrites (1). La S1P produite après la stimulation de la sphingosine kinase peut agir à l'intérieur de la cellule ou être libérée dans le milieu extracellulaire pour exercer des effets paracrines ou autocrines. Elle est présente en grande quantité dans le plasma (jusqu’à 1 µM), liée à plus de 90 % * Institut de pharmacologie et de bio­ logie structurale, CNRS UMR 5089, Toulouse. Tableau. Différents sous-types de récepteurs à sphingosine 1-phosphate. Récepteur S1P1 (EDG-1) S1P2 (EDG-5) S1P3 (EDG-3) S1P4 (EDG-6) S1P5 (EDG-8) Expression tissulaire Principaux effets biologiques Expression ubiquitaire dont : Angiogenèse cellules endothéliales, Intégrité de la barrière cellules musculaires lisses, endothéliale cellules immunitaires, Circulation lymphocytaire cellules neuronales, Migration cardiomyocytes Neurogenèse Survie à l’ischémie-reperfusion des cardiomyocytes Expression ubiquitaire dont : Rôle dans le système cellules immunitaires, vestibulaire et auditif cellules musculaires lisses, cardioRégulation du tonus myocytes vasculaire (contraction) Rôle dans l’excitabilité neuronale Inhibition de la migration Dégranulation des mastocytes Survie à l’ischémie-reperfusion des cardiomyocytes Expression ubiquitaire dont : Régulation du rythme cellules immunitaires, cardiaque cellules endothéliales, Régulation du tonus cellules musculaires lisses, cardiovasculaire (relaxation) myocytes, Survie à l’ischémiecellules neuronales reperfusion des cardiomyocytes Cellules immunitaires Cellules musculaires lisses bronchiques Cellules immunitaires Survie des oligodendrocytes Cellules neuronales matures myélinisants Phénotype des souris KO Létal (E12.5-E14.5) Agonistes Antagonistes SEW2871 FTY720c KRP203 BAF312c ACT-128800c ONO-4641c CS-0777c VPC23019 VPC44116 W146 Convulsions sporadiques parfois létales entre 3 et 7 semaines d’âge Surdité NDa JTE013 Sans FTY720c KRP203c VPC23019 CAY-1044 ND a FTY720c KRP203c NDa Sans FTY720c KRP203c BAF312c NDa Nomenclature officielle : S1P1-5 (ordre de découverte). a ND, information non disponible ; c FTY720, BAF312, ACT-128800, ONO-4641, CS-0777 sont utilisés en clinique ou en phase de développement clinique (en tant qu’agents induisant une réduction du nombre de lymphocytes circulants). La Lettre du Pharmacologue • Vol. 26 - n° 2 - avril-mai-juin 2012 | 63 Mots-clés Points forts Sphingosine 1-phosphate Récepteur couplé aux protéines G Athérogenèse Inflammation Perméabilité vasculaire »» La sphingosine 1-phosphate (S1P) est un lipide qui régule de nombreuses fonctions biologiques en tant que second messager ou en raison de son interaction avec des récepteurs de type récepteurs couplés aux protéines G. »» Cinq récepteurs à S1P (S1P1-5) ont été décrits, qui présentent des profils d’expression différents et des modes d’action parfois antagonistes en réponse à la S1P. »» De nombreux travaux ont particulièrement fait état de leurs rôles dans la physiologie des systèmes cardiovasculaire, immunitaire et nerveux central. »» Un défaut dans la signalisation dépendante des récepteurs à S1P peut conduire au développement de nombreuses conditions pathologiques comme le cancer, l’athérosclérose ou la sclérose en plaques. Highlights aux lipoprotéines de haute densité et à l’albumine. Les cellules d’origine hématopoïétique – plaquettes, mastocytes et surtout érythrocytes – constituent les sources majeures de S1P dans le plasma. Dans la lymphe, où la S1P est aussi présente (environ 100 nM), c’est l’endothélium qui représenterait la source principale. de sa dégradation (4). Cette divergence entre S1P et FTY720-P serait la conséquence d’une ubiquitinylation différente du S1P1. La polyubiquitinylation du S1P1 induite par le FTY720 phosphorylé conduit à sa dégradation, alors qu’une mono-ubiquitinylation est observée en réponse à son agoniste naturel, la S1P (5). Les récepteurs à sphingosine 1-phosphate et leur régulation Les fonctions physiologiques régulées par les récepteurs à S1P »» Sphingosine 1-phosphate (S1P) is a lipid that mediates critical biological responses as a second messenger or by its binding to G protein-coupled receptors. »» Five distinct S1P receptors (S1P1-5) have been identified, each with a different cellular pattern of expression that influences the responses to S1P. »» A number of studies have illustrated their many effects in the physiological regulation of the cardiovascular, immune and central nervous sytem. »» A d e f a u l t i n t h e S 1 P receptor-dependent signaling can contribute to the development of multiple pathological conditions such as cancer, atherosclerosis, or multiple sclerosis. Keywords Sphingosine 1-phosphate G protein coupled receptors Atherogenesis Inflammation Vascular permeability Si le rôle de second messager de la S1P est encore mal défini, sa signalisation extracellulaire via son interaction avec 5 récepteurs de type récepteurs couplés aux protéines G (RCPG) est bien documentée. Depuis que l'on a découvert que la S1P était le ligand du récepteur orphelin EDG-1 (Endothelial Differentiation Gene-1) [2], il est devenu clair que nombre de ses effets biologiques font appel à ce rôle de ligand. D’autres récepteurs ayant une forte affinité avec la S1P (Kd allant de 2 à 63 nM) ont été caractérisés depuis, à savoir les récepteurs EDG-3, -5, -6 et -8. Cette famille porte dorénavant la nomenclature S1P1-5 (tableau, p. 63). Ces récepteurs sont exprimés de façon différentielle d’un type cellulaire à l’autre, œuvrant en synergie ou en antagonisme, et l’effet biologique observé en réponse à la S1P représente au final la somme de toutes leurs actions. Lorsque la S1P se lie à son récepteur, ce dernier inter­a git avec une protéine G trimérique qui se dissocie en sous-unités α-GTP et βγ, capables d’activer différents effecteurs cellulaires (figure). Dans les secondes ou les minutes qui suivent l’activation des récepteurs RCPG, ceux-ci sont phosphorylés, ce qui conduit à leur découplage fonctionnel et promeut leur internalisation. Une fois le compartiment endosomique atteint, les récepteurs internalisés peuvent être recyclés vers la membrane plasmique ou dégradés via la fusion des endosomes avec les lysosomes. La phosphorylation des récepteurs à S1P a été bien étudiée pour le S1P1, rapidement internalisé après sa liaison avec la S1P (ou son agoniste synthétique SEW2871), puis recyclé (3). Un autre agoniste, le fingolimod (FTY720) phosphorylé, induit une internalisation du S1P1, suivie 64 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 26 - n° 2 - avril-mai-juin 2012 Le récepteur S1P1 Le S1P1, ubiquitaire et liant la S1P avec une forte affinité (Kd = 8 à 20 nM) [2], est le seul récepteur exclusivement couplé à la protéine Gi (figure). Son activation conduit à : ➤➤ la diminution de la concentration en AMPc ; ➤➤ la stimulation des MAP kinases ; ➤➤ l’augmentation de la production d’inositol phosphates et de calcium ; ➤➤ l’activation de la voie PI3 kinase/Akt conduisant à l’activation de eNOS (endothelial Nitric-Oxide Synthase) et la libération d’oxyde nitrique dans les cellules endothéliales, ou à l’activation de Rac, une petite GTPase de la famille Rho. D’une manière générale, l’activation du S1P1 conduit à la prolifération, la survie, la migration cellulaire et le maintien du tonus vasculaire. Un rôle majeur du S1P1 est celui joué dans la régulation de l’angiogenèse. Les effets induits par la S1P sur les cellules endothéliales et sur les cellules musculaires lisses stimulent le développement des vaisseaux sanguins. L’étude des souris knock-out pour le gène S1p1 a validé le rôle capital de ce récepteur dans le développement vasculaire. Ces souris présentent un défaut de maturation du système vasculaire qui conduit à la mort au stade embryonnaire entre E12.5 et E14.5 par hémorragies (6). Le S1P1 joue aussi un rôle important dans le maintien de l’intégrité de la barrière endothéliale en conjonction avec les récepteurs S1P2 et S1P3. Si le S1P1 fait obstacle à la perméabilité vasculaire, l’activation du S1P2 ou du S1P3 dans les cellules endothéliales l’augmente, car les récep- MISE AU POINT teurs S1P1 d’un côté, et les récepteurs S1P2 ou S1P3 de l’autre, sont couplés à des voies de signalisation différentes et parfois antagonistes (PTEN activé par la voie Gα12/13 faisant obstacle à l’activation de Rac par la voie Gαi/o). L’expression relative de S1P2 ou de S1P3 versus S1P1 dans l’endothélium régulerait ainsi la perméabilité vasculaire (7-9). Les types cellulaires exprimant le S1P1 sont nombreux (tableau, p. 63). À ce titre, le S1P1 est intimement lié à la fonction des cellules du système immunitaire (cf. chapitre suivant). Le récepteur S1P2 Comme le S1P1, le récepteur S1P2 est largement exprimé (tableau, p. 63), liant la S1P avec une grande affinité (Kd = 16 à 27 nM). Il s’associe avec les protéines Gi, Gq et G12/13 pour : ➤➤ activer les MAPK ; ➤➤ activer la voie PI3K/Akt ; ➤➤ activer la voie Rho/ROCK (Rho-associated protein kinase) ; ➤➤ activer la phospholipase C (PLC) associée à la production d’inositol phosphates et à l’augmentation du calcium. La fixation de la S1P sur S1P 2 conduit également à l’activation de l’adénylate cyclase par un mécanisme dépendant ou pas de Gs selon les études. Les souris knock-out pour le gène S1p2 naissent sans défauts anatomiques ou physiologiques apparents, mais il a été rapporté qu’elles souffrent sporadiquement de convulsions parfois létales entre l'âge de 3 et de 7 semaines (10). Sur le plan cellulaire, la perte du S1P2 conduit à une forte augmentation de l’excitabilité des neurones pyramidaux du néocortex (10). Le S1P2 serait aussi essentiel à un fonctionnement normal des systèmes vestibulaires et auditifs, et la déficience en S1P2 a pour résultat la surdité des animaux (11). Chez le poisson zèbre, l’analyse d’une mutation dans le gène miles apart (mil) – un orthologue du S1P2 –, pour laquelle les embryons présentent 2 cœurs résultant d’un défaut de fusion des primordia cardiaques, a établi que la migration des précurseurs cardiaques dépendait de la S1P (12). Cela suggérerait une fonction centrale pour le S1P2 dans l’organogenèse cardiaque. Contrairement au S1P1, l’activation du récepteur S1P2 par la S1P est plutôt associée à l’inhibition de la prolifération et de la migration de nombreux types cellulaires par la formation de fibres de stress via l’activation de la voie Rho/ROCK/PTEN interférant avec l’effecteur Rac. S1P3 S1P2 S1P4 S1P5 S1P1 G12/13 Gq Rho PLC ROCK Gs ? Gi Ras PI3K IP3 DAG MAPK AKT Ca2+ PKC eNOS AC Rac AMPc PKA PTEN Figure. Voies de transduction associées aux récepteurs à S1P. Le récepteur S1P3 Le S1P3 lie la S1P (Kd = 23 à 26 nM). Son ARNm est exprimé dans le cœur, le placenta, les reins, le foie et le pancréas, et la protéine est principalement retrouvée dans le cerveau, la rate, le cœur et les poumons. Les voies de signalisation majoritairement activées par le S1P3 sont la voie PI3K/AKT, PLC, MAPK ainsi que les petites GTPases Rho et Rac, qui permettent au S1P3 de réguler la prolifération, la survie, la migration ainsi que le tonus vasculaire grâce à la libération d’oxyde nitrique via eNOS. Les souris knock-out pour le gène S1p3 sont viables et fertiles. Elles se développent normalement, sans aucune anomalie phénotypique évidente indiquant le rôle non essentiel de ce récepteur dans le développement, et suggérant que la perte du S1P3 est compensée par d’autres récepteurs. En revanche, la délétion simultanée des S1P2 et S1P3 est associée à une augmentation de la mortalité périnatale, cela sans phénotype évident (13), mais avec une susceptibilité accrue aux lésions induites par l’ischémie/ reperfusion (I/R) myocardique (14). Comme le S1P1, le S1P3 joue un rôle important dans l’angiogenèse (15). La triple délétion de S1P1, S1P2 et S1P3 induit des défauts vasculaires encore plus précoces que ceux portant une délétion pour le récepteur S1P1 uniquement (16), et qui mettent en lumière le rôle des signalisations combinées des S1P2 et S1P3. Illustrant La Lettre du Pharmacologue • Vol. 26 - n° 2 - avril-mai-juin 2012 | 65 MISE AU POINT Les récepteurs à sphingosine 1-phosphate les effets opposés des récepteurs à S1P au sein d’un même type cellulaire, le S1P3 promouvrait la perméabilité vasculaire induite par le système thrombine/ PAR-1, un effet inhibé par l’activation du S1P1 (9). Le récepteur S1P4 Le S1P 4 a un profil d’expression restreint, car il est principalement localisé dans les cellules des systèmes hématopoïétique et lymphatique, mais aussi dans les cellules musculaires lisses pulmonaires. Le S1P4 (Kd = 12 à 63 nM) est couplé aux protéines Gi et G12/13 qui activent préférentiellement les voies PLC/IP3/Ca 2+, MAPK et Rho. Ses effets biologiques sont mal caractérisés, même s’il a été rapporté que la surexpression du S1P 4 induisait l’inhibition de la prolifération des lymphocytes T, mais cet effet serait attribuable au contrôle par le S1P 4 de la sécrétion de cytokines régulant la prolifération lymphocytaire (17). Bien que couplé à la protéine G12/13, son effet sur la migration n’est pas clair puisque l’activation du S1P4 n’induirait pas la migration des lymphocytes T (17). Le récepteur S1P5 Dernier récepteur à avoir été identifié et caractérisé, S1P5 possède un profil d’expression limité, essentiellement retrouvé dans les oligodendrocytes. Possédant une forte affinité pour la S1P (Kd = 2 à 6 nM), S1P5 est couplé aux protéines Gi et G12/13 qui activent préférentiellement les voies PLC/IP3/ Ca2+, PI3K/AKT, Rho et l’inhibition de l’adénylate cyclase. Le S1P5 est impliqué dans l’inhibition de la prolifération et de la migration cellulaires, et plus particulièrement dans les cellules précurseurs d’oligodendrocytes et dans celles précurseurs de préoligodendrocytes (18, 19). En revanche, le S1P5 médie la survie des oligodendrocytes matures myélinisants (18). Ce changement fonctionnel de l’effet de l’activation de S1P5 pourrait être associé à un changement de couplage avec les protéines G : S1P5/G12/13 dans les cellules immatures, et S1P5/Gi dans les oligodendrocytes matures. Cependant, les souris knock-out pour S1p5 n’ont pas de déficit de myélinisation (18), ce qui suggère que le rôle précis du S1P5 dans la fonction des oligodendrocytes reste à élucider. S1P5 est aussi exprimé dans les cellules du système immunitaire, notamment dans les cellules NK (natural killer), où il jouerait un rôle dans leur mobilisation vers les sites inflammatoires (20). 66 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 26 - n° 2 - avril-mai-juin 2012 Rôles physio(patho)logiques de la S1P Le système cardiovasculaire Les récepteurs à S1P exercent des fonctions physio­ logiques importantes dans le système cardiovasculaire, notamment dans la morphogenèse vasculaire, la fonction cardiaque, le tonus vasculaire, l’athéro­ sclérose, la perméabilité vasculaire et l’angiogenèse tumorale. L’endothélium est très sensible à la S1P, ce qui se traduit par l’induction de la prolifération des cellules endothéliales, leur migration, leur survie et la morphogenèse vasculaire (15). La S1P promeut l’intégrité de l’endothélium vasculaire maintenue par des structures d’adhérence jonctionelle via le S1P1 (7). La délétion du S1P1 chez les souris bloque la maturation vasculaire, phénomène par lequel les cellules murales recouvrent et stabilisent les tubes endothéliaux naissants (6). L’invalidation du S1P1 inhibe la croissance tumorale en altérant la stabilisation des néovaisseaux (21), et le FTY720 inhibe l’angiogenèse tumorale vraisemblablement en induisant la séquestration du S1P1 (22). Ces données suggèrent que cibler la voie du S1P1 pourrait représenter une nouvelle approche thérapeutique dans des conditions pathologiques associées à une dérégulation de l’angio­g enèse, comme cela a été observé dans les tumeurs. Les récepteurs à S1P sont également impliqués dans le contrôle du tonus vasculaire, régulant à la fois la contraction et la relaxation des cellules musculaires lisses. Le S1P3 (23) et le S1P2 (24) ont été proposés pour médier le rôle vasoconstricteur de la S1P. Le S1P3 induirait la relaxation des cellules musculaires lisses via la production de monoxyde d'azote (NO) à partir de l’endothélium (25). La taille des vaisseaux et l’expression différentielle des différents récepteurs à S1P sur les différents lits vasculaires (cellules endothéliales/cellules musculaires lisses) expliqueraient ces effets contradictoires sur le tonus vasculaire. Un rôle protecteur des récepteurs à S1P contre l’athérosclérose et l’infarctus du myocarde (IDM) a été proposé. Dans un modèle animal d’I/R myocardique, la S1P réduit la taille de l’infarctus (26), avec, comme mécanismes sous-jacents, une inhibition de l’apoptose des cardiomyocytes et du recrutement des leucocytes. Cette cardioprotection implique une synthèse de NO dépendante du récepteur S1P3 (25, 26). D’autres effets athéroprotecteurs peuvent être apportés par les S1P1 et S1P3 au niveau de l’endothélium, à savoir l’inhibition du recrutement et de l’adhésion des monocytes (27), MISE AU POINT un événement précoce du processus d’athérogenèse impliquant le NO, connu pour inhiber l’expression des molécules d’adhésion. Si un rôle généralement athéroprotecteur est établi pour la S1P, il faut garder à l’esprit que d’autres études rapportent a contrario un effet proathérogénique de la S1P. Ainsi, le S1P2 stimulerait la migration vers l’intima, l’activité proinflammatoire et la rétention des macrophages dans la plaque athéromateuse (28). En conclusion, les effets pro- et antiathérogéniques de la S1P peuvent être débattus, et ces effets doivent varier selon sa source (plasma versus production locale), sa concentration, la nature de son transporteur (HDL versus LDL) et le profil d’expression des récepteurs à S1P dans les différents types cellulaires impliqués avec, semble-t-il, un effet proathérogénique joué par le S1P2, contrairement aux récepteurs S1P1 et S1P3. Il a également été suggéré que la S1P pouvait jouer un rôle dans la protection du myocarde lors de la phase aiguë de l’infarctus. Dans les modèles cellulaires, la S1P protège, par l’activation du S1P1, de l’apoptose des cardiomyocytes en réponse à l’hypoxie puisque ses effets sont mimés par l’agoniste SEW2871, ainsi que de faibles concentrations de FTY720 (29). Dans des modèles animaux d’I/R, l’addition de S1P mime les effets positifs du préconditionnement, c’est-à-dire de brefs épisodes d’I/R, mais aussi ceux du postconditionnement par un mécanisme dépendant du S1P1 et/ ou du S1P3, car le VPC23019 bloque ces effets (30). Concernant le possible rôle du S1P1 des cardiomyocytes dans l’effet protecteur de la S1P, des observations divergentes ont été rapportées, qui suggèrent plutôt un rôle combiné des S1P2 et des S1P3 sur la base de l’aggravation des dommages cardiaques chez les souris doublement délétées pour ces récepteurs, leur délétion unique étant sans conséquence (14). Cela suggère que les récepteurs S1P2 et S1P3, moins abondants que le S1P1, seraient nécessaires pour la survie des cardiomyocytes lors de l’I/R. En clinique, si l’induction volontaire d’un préconditionnement n’est pas réalisable, le postconditionnement mécanique ou pharmacologique (agonistes du récepteur à S1P réellement impliqué dans ce phénomène) est quant à lui envisageable, ce qui ouvre de réelles perspectives d’amélioration de la prise en charge des patients à la phase aiguë de l’IDM. Le système immunitaire Lorsqu'on a découvert que le FTY720 induisait une forte lymphopénie en séquestrant les thymocytes dans le thymus, et les lymphocytes T et B dans les ganglions lymphatiques, on a aussi pris conscience des effets biologiques de la S1P dans l’immunosuppression (31, 32). Le rôle du S1P1 dans la migration et dans le trafic des lymphocytes a été démontré chez des souris dont les cellules hématopoïétiques sont spécifiquement délétées pour le S1P1 (32), ou chez des souris knock-out pour le S1P1 dans leurs cellules T (33) ou B (34). La spécificité et l’efficacité de ce contrôle de la migration lymphocytaire sont déterminées par la concentration de S1P et le taux d’expression du S1P 1. Le mécanisme est bien décrit pour la sortie des lymphocytes T des ganglions lymphatiques, qui est dépendante d’un gradient de S1P (concentration plus élevée dans le plasma ou la lymphe que dans les tissus). C’est la reconnaissance de la S1P par les récepteurs S1P1 qui provoque la migration des lymphocytes T naïfs vers la lymphe en suivant le gradient de S1P. En présence de fortes concentrations de S1P dans la circulation, le S1P1 est réprimé, ce qui permet aux lymphocytes de quitter à nouveau la circulation sanguine pour entrer dans d’autres ganglions lymphatiques. En cas de rencontre avec un antigène étranger dans les ganglions lymphatiques, les lymphocytes T naïfs sont activés. Cette activation s’accompagne d’une diminution transitoire de l’expression de S1P1, qui rend ces cellules incapables de répondre au signal de sortie médié par la S1P. À la fin de la phase de prolifération, les lymphocytes réexpriment le S1P1 à leur surface et peuvent quitter les ganglions lymphatiques par le même mécanisme que celui décrit pour les lymphocytes T naïfs. Le FTY720 phosphorylé, en induisant l’internalisation du S1P1 (4), rend les lymphocytes T incapables de répondre au stimulus migratoire de la S1P (32). Ainsi les lymphocytes T (naïfs ou activés) sont coincés dans les ganglions lymphatiques. De la même manière, le FTY720 empêche la sortie des lymphocytes T du thymus (32). L’action de la S1P sur les macrophages induirait un effet décisif dans l’émergence de situations patho­logiques où l’inflammation est critique. Les propriétés des macrophages varient selon leur état d’activation, ce qui conduit à des phénotypes différents. Ainsi, les macrophages de type M1 sont impliqués dans la formation de radicaux libres oxygénés et de cytokines pro-inflammatoires toxiques pour les cellules résidentes, alors que ceux de type M2 possèdent une fonction d’immunosuppression et de remodelage matriciel. Dans l’athérosclérose, le traitement par le FTY720 est associé à un switch du type M1 vers le type M2, ce qui contribue à son effet athéroprotecteur (35). Cette action du FTY720 serait due à son effet agoniste sur le S1P1 plutôt qu’à Annoncez vous ! ces Des annon es nell profession gratuites pour les étudia nts Contactez Valérie Glatin au 01 46 67 62 77 ou faites parvenir votre annonce par mail à [email protected] La Lettre du Pharmacologue • Vol. 26 - n° 2 - avril-mai-juin 2012 | 67 MISE AU POINT Les récepteurs à sphingosine 1-phosphate son effet antagoniste, puisque de faibles doses de S1P ou l’agoniste du S1P1, le SEW2871, bloquent aussi l’activation des macrophages de type M1 par le lipopolysaccharide (LPS) [36]. Dans le même esprit, les cellules tumorales apoptotiques libéreraient de la S1P qui induirait la polarisation vers le type M2 des macrophages associés à la tumeur, par un mécanisme impliquant le récepteur S1P1 (37). Le recrutement des monocytes est un phénomène précoce dans le développement tumoral, et la littérature suggère que le switch du type M1 vers le type M2 des macrophages associés aux tumeurs est lié à un phénotype tumoral invasif et angiogénique de mauvais pronostic. Ainsi, la variation du taux de S1P dans l’environnement local induirait un switch d’un phénotype macrophagique pro-inflammatoire vers un phénotype anti-inflammatoire, affectant la progression de pathologies comme l’athérosclérose ou le cancer. Le système nerveux La S1P aurait un rôle dans le développement du système nerveux, étant donné que chez les souris, la délétion du S1P1 affecte sévèrement la neuro­ genèse (38), un phénomène similaire à celui observé avec les doubles knock-out pour SphK1 et SphK2. Un autre argument suggérant un rôle de la S1P dans le système nerveux central est venu des études conduites sur les souris déficitaires pour le récepteur S1P2. Ces souris présentent de façon épisodique des convulsions parfois fatales, pouvant être expliquées par des défauts dans l’excitabilité neuronale (10). La S1P, via le S1P5, est aussi impliquée dans la croissance et dans la survie des oligodendrocytes (18), les cellules formant la gaine de myéline qui entoure la plupart des axones du système nerveux central. La destruction des oligodendrocytes est un événement clé dans le processus pathologique de la sclérose en plaques (SEP). Les traitements utilisés à ce jour sont fondés sur une approche utilisant des immuno­ modulateurs qui visent à prévenir la destruction des oligodendrocytes par les cellules T et par les macrophages. Dans le modèle animal de la SEP, l’encéphalomyélite auto-immune expérimentale, il a été montré que le FTY720 prévenait l’infiltration des cellules T (39, 40) et des macrophages (41). Cela est associé à une amélioration rapide et soutenue des scores cliniques, et à une forte réduction des zones de démyélinisation dans la moelle épinière (40). In vitro, le FTY720 régulerait la différenciation des oligodendrocytes (42). Ces observations suggèrent qu’au-delà de ces effets anti-inflammatoires, le FTY720 pourrait peut-être aussi exercer un effet bénéfique dans le traitement de la SEP par son action directe sur les progéniteurs oligodendrocytaires. Conclusion Depuis la découverte des ses récepteurs il y a un peu plus de 10 ans, la S1P est maintenant considérée comme un lipide bioactif important, impliqué dans de nombreuses fonctions physiologiques incluant la régulation des systèmes cardiovasculaire, immunitaire ou nerveux. Compte tenu du profil d’expression différentielle des récepteurs à S1P dans certaines conditions physiopathologiques, des thérapeutiques ciblées visant ces différents récepteurs devraient se développer au cours des prochaines années, à l’exemple du FTY720. ■ Références bibliographiques 1. Spiegel S, Milstien S. Sphingosine-1-phosphate: an enigmatic signalling lipid. Nat Rev Mol Cell Biol 2003;4:397-407. 2. Lee MJ, Van Brocklyn JR, Thangada S et al. Sphingosine1-phosphate as a ligand for the G protein-coupled receptor EDG-1. Science 1998;279:1552-5. 3. Liu CH, Thangada S, Lee MJ, Van Brocklyn JR, Spiegel S, Hla T. Ligand-induced trafficking of the sphingosine-1-phosphate receptor EDG-1. Mol Biol Cell 1999;10:1179-90. 4. Gräler MH, Goetzl EJ. The immunosuppressant FTY720 down-regulates sphingosine 1-phosphate G-protein-coupled receptors. FASEB J 2004;18:551-3. 5. Oo ML, Thangada S, Wu MT et al. 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