Urgencepréhospitalière. Abus de psychotropes : médicaments et

médecine d’urgence préhospitalière
B. Yersin
A.-S. Feiner
F. Livio
cas clinique
L’alarme est donnée par le colocataire d’un homme de 30 ans,
en raison d’un trouble de l’état de conscience persistant
depuis une heure. Selon les informations fournies par le té-
moin, le patient serait un ancien toxicomane bénéficiant
d’un traitement de substitution par méthadone, ainsi que
d’un traitement par antidépresseurs. La prise occasionnelle
de stupéfiants serait possible.
À l’examen clinique, le patient, allongé sur un sofa, réagit à
la douleur. Il semble protéger ses voies aériennes, respire
irrégulièrement avec une fréquence de 7 à 8 par minute,
présente des extrémités froides et discrètement cyanosées,
une pression artérielle de 135/95 mmHg et une fréquence
cardiaque régulière de 118/minute. Les pupilles sont iso-
cores et en mydriase partielle, réactives. Le patient bouge
spontanément les quatre membres. Son GCS
(Glasow coma
scale)
est à 9 (2 r 3 r 4). La peau est moite et froide. L’oxy-
métrie de pouls indique une SpO2 à 88 %.
Sur la table du salon, on constate la présence d’une bou-
teille de Gin aux trois-quarts vide, ainsi qu’un sachet de
marijuana et plusieurs comprimés différents de nature in-
connue, de même qu’une lame de rasoir et des restes de
poudre blanche.
Après mise en place d’une oxygénothérapie et d’une voie veineuse et la me-
sure de la glycémie capillaire (5.8 mmol/l), l’administration de naloxone (0.2
puis 0.2 puis 0.4 mg IV) ne produit qu’une discrète augmentation de la fré-
quence respiratoire à 10/min, sans modification du GCS. Le patient est trans-
porté à l’hôpital où il se réveillera progressivement au cours des douze heures
suivantes, sans présenter de complications. Au bilan toxicologique urinaire
sera identifiée la présence de méthadone, d’héroïne, de cocaïne, de benzo-
diazépines, alors que le dosage sanguin d’éthanol est à 31 mmol/l (1.46 g/l).
introduction
Les intoxications volontaires par des médicaments, substances ou drogues
psychotropes sont extrêmement fréquentes, qu’elles surviennent dans un cadre
récréatif, en situation de toxicodépendance ou dans le contexte d’une tentative
de suicide.
L’appel des secours est en général effectué par des proches, témoins d’un
trouble neurologique rapidement progressif, en général un trouble de la conscience
ou un état d’agitation. La prise en charge préhospitalière et hospitalière doit tou-
jours être maximale, du fait que les effets toxiques des psychotropes sont a priori
totalement réversibles.
La très grande diversité des substances psychotropes disponibles, la fréquente
incertitude sur la nature et la dose des produits consommés et sur le degré de
tolérance pharmacologique du patient (consommateur occasionnel ou chroni-
que ?) impose avant tout une approche médicale générique de type ABCDE,
Rev Med Suisse 2013 ; 9 : 2120-9
Urgence préhospitalière.
Abus de psychotropes : médicaments
et drogues *
2120 Revue Médicale Suisse
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13 novembre 2013 Revue Médicale Suisse
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Pr Bertrand Yersin
Drs Adam-Scott Feiner
et Françoise Livio
Division de pharmacologie clinique
Service des urgences
CHUV, 1011 Lausanne
* Chapitre tiré du livre Médecine d’urgence
préhospitalière ; P.-N. Carron, F. Dami,
O. Frei, M. Niquille, M. Pasquier,
L. Vallotton, B. Yersin ; Editions Médecine
et Hygiène, 2013. Le livre est disponible
sur www.medhyg.ch/boutique.
Plus d’informations sur www.medhyg.ch/
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complétée le cas échéant par une approche plus spécifi-
que impliquant l’administration d’antidotes.
épidémiologie
La consommation de médicaments psychotropes dans
les pays occidentaux est considérable, et touche de nom-
breuses couches de la population : hypno-sédatifs chez les
personnes âgées, antidépresseurs dans la population d’âge
moyen, antipsychotiques, hypno-sédatifs et opiacés de
substitution chez les toxicomanes. Les médicaments agis-
sant au niveau du système nerveux central occupent la pre-
mière place en termes de part de marché.1 La prescription
des psychotropes dans les pays occidentaux est variable
d’un pays à l’autre ; elle est particulièrement élevée en
France par exemple, où 7% de la population est traitée par
hypno-sédatifs.2 À cette prescription médicale de psycho-
tropes s’ajoute évidemment la consommation légale d’alcool,
ainsi que les dérivés du cannabis. En France, 23% des adul-
tes entre 22 et 35 ans consomment ainsi du cannabis, dont
6% de manière abusive.3
À ces substances légales ou marginalement légales s’ajoute
la consommation significative de stupéfiants, opiacés, psy-
chostimulants (cocaïne, amphétamines et dérivés), halluci-
nogènes ou apparentés (GHB, psylocybine, LSD, etc.) à
but récréatif, ou chez des consommateurs devenus toxico-
dépendants. La prévalence élevée de la toxicomanie à
l’héroïne a favorisé dès les années soixante-dix le déve-
loppement de programmes de substitution (méthadone,
buprénorphine, puis marginalement héroïne). En France, en
2008, la population de patients sous traitement de substi-
tution par buprénorphine ou méthadone était de 125 000
environ, représentant 0.2% de la population française,4 alors
qu’en 2001, en Suisse francophone, les programmes de main-
tenance à la méthadone concernaient entre 0.3 et 0.4% de
la population générale (contre 0,05% en 1983).5,6 En Chine,
à la même période, 240 000 patients, soit 0.02% de la popu-
lation, bénéficiaient d’un tel programme.7 Si ces program-
mes ont largement démontré leur efficacité en termes de
réduction de morbidité et de mortalité,8 des symptômes
psychiatriques sévères subsistent chez une proportion éle-
vée de ces toxicomanes.9 La mortalité globale des over-
doses chez les patients toxicomanes est en progression dans
la plupart des pays européens,10 et elle pourrait même
être encore sous-estimée dans certains registres officiels.11
Par ailleurs, dans de nombreux pays européens, la consom-
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Effest sur le système Toxidromes Signes cliniques principaux Substances
nerveux central
Dépression Opiacé Hypoventilation Dérivés naturels et synthétiques de l’opium
• Myosis
• Hypotension
• Bradycardie
Paralysie intestinale
Hypno-sédatif • Hypotension • Benzodiazépines
Alcoolique • Bradycardie • Barbituriques
• Hypotonie musculaire • Éthanol
• Hypothermie • GHB, GBL
Excitation Anticholinergique Agitation, délire, coma Tricycliques
• Hypertension • Antidépresseurs
• Tachycardie • Datura (Jimson weed)
• Hyperthermie • Diphenhydramine
• Mydriase • Amanites
Sécheresse des muqueuses
Rétention urinaire
Sympathicomimétique • Agitation, délire • Cocaïne
Convulsions Amphétamine et dérivés
• Hypertension • Théophylline
• Tachycardie
• Hyperthermie
• Diaphorèse
• Mydriase
Hallucinogène • Agitation, délire • Cannabis
• Hallucinations • LSD
• Convulsions • Phencyclidine (PCP)
• Mescaline
• Psylocibes
Sérotoninergique Agitation Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la
Hypertension sérotonine (antidépresseurs ISRS)
• Tachycardie
• Hyperthermie
Rigidité musculaire
• Myoclonies
Tableau 1. Principaux toxidromes produits par les substances psychotropes, classés en fonction de leur effet
primaire sur le système nerveux central
(D’après ref17,18 ).
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mation de stupéfiants s’est diversifiée, avec une proportion
élevée des patients devenus polytoxicomanes (combinai-
sons diverses : opiacés, cocaïne, alcool, benzodiazépines…).12
La survenue «accidentelle» d’intoxications produites par
une dose excessive, voire par la combinaison de médica-
ments ou de substances aux effets additifs, est donc fré-
quente, que ce soit chez le consommateur occasionnel ou
régulier, et comporte à chaque fois un risque d’issue fatale.
Aux États-Unis, parmi toutes les intoxications rapportées
aux centres antipoison, 6.7% sont liées à la prise de médica-
ments ou de substances psychotropes, hors analgésiques,13
alors qu’en France les psychotropes sont responsables de
près de 80% des appels au SAMU pour intoxication.14 Aux
États-Unis toujours, les psychotropes sont responsables
d’environ 40% des cas d’intoxication admis annuellement
dans les services d’urgences hospitaliers.15
Enfin, les intoxications médicamenteuses à but suicidaire
sont fréquentes, et impliquent dans la plupart des cas des
substances psychotropes. Elles comportent un risque de
mortalité significatif et touchent autant les hommes que
les femmes.16
pharmacologie des psychotropes
et toxidromes
Dans le contexte d’abus, les effets des psychotropes ne
sont généralement pas limités au système nerveux central.
Ils ont une action directe ou indirecte (via leurs effets cen-
traux) sur de nombreux systèmes.
Sur le plan neurologique, on peut schématiser grossiè-
rement leur toxicologie en deux groupes de toxidromes, le
premier étant caractérisé par une dépression et le second
par une stimulation du système nerveux central. Le tableau 1
décrit les toxidromes de ces deux groupes, ainsi que les
principaux médicaments ou substances impliqués.
À cette toxicité centrale primaire s’associent de multiples
effets pharmacologiques impliquant le système nerveux
autonome et le système cardiovasculaire. La connaissance
de ces effets et de leur répercussion clinique permet de
disposer d’une sémiologie clinique des intoxications aux
psychotropes, utile à l’identification d’une éventuelle classe
de substances (toxidrome) et à la reconnaissance de cri-
tères de gravité pouvant influer sur les décisions thérapeu-
tiques.
Opiacés
Les dérivés naturels ou synthétiques des opiacés sont
nombreux. Ils ont pour caractéristiques communes la dé-
pression du système nerveux central, la dépression respi-
ratoire, ainsi qu’un discret effet vasodilatateur. Ils provo-
quent une parésie gastro-intestinale, de même que vési-
cale. Ils peuvent induire des hallucinations et provoquent,
en cas d’injection intraveineuse en
shoot
, un effet
orgasm-like
.
À l’exception de la buprénorphine, leur effet est rapidement
inhibé par l’administration d’un antidote spécifique, la na-
loxone, bloquant de manière compétitive les récepteurs
des opiacés (voir plus bas). Le tableau 2 détaille quelques-
uns des opiacés les plus fréquemment prescrits en clinique
ou consommés de manière illégale.
Hypno-sédatifs (benzodiazépines)
Depuis le développement des molécules originelles dia-
zépam et chlordiazépoxide, il y a maintenant plus d’un de-
mi-siècle, de très nombreuses autres benzodiazépines ont
été fabriquées et diffusées dans le monde. Plus de cinquan-
te molécules ont été décrites, différant dans leur structure
et composants chimiques, mais partageant toutes leur affi-
nité pour les récepteurs centraux GABA. Les benzodiazé-
pines ont des effets communs : sédation, anxiolyse, effet
hypnotique, myorelaxant, antiépileptique et amnésiant. En
revanche, ils n’ont pas les mêmes caractéristiques pharma-
cocinétiques et ce sont ces différences qui conditionnent
les indications thérapeutiques. Leur marge thérapeutique
est relativement élevée (à l’exception principalement du
midazolam). Leur usage prolongé induit une tolérance et
une dépendance. Leur effet peut être totalement réversé
par l’administration d’un antidote spécifique, le flumazénil,
inhibiteur compétitif des benzodiazépines sur les récep-
teurs GABA.
Éthanol
L’éthanol, produit de fermentation des sucres, se con-
somme en grande quantité depuis des millénaires. Rapide-
ment et totalement absorbé par diffusion au niveau des
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Noms DCI Puissance* Demi-vie d’élimination Remarques
Morphine 1 1,5-4,5 h Métabolite actif (morphine 6-glucuronide) s’accumule en cas d’insuffisance rénale
Fentanyl 80-100 3-12 h
Héroïne 2 3 min Plusieurs métabolites actifs (demi-vies plus longues que celle de l’héroïne)
Buprénorphine 25-50 1,2-7,2 h Agoniste partiel des récepteurs mu
Forte affinité pour les récepteurs des opiacés expliquant la «résistance»
à la naloxone
Tramadol 0.2-0.3 6 h Agoniste faible des récepteurs mu
Action analgésique aussi via action sur la transmission noradrénergique
Péthidine 0.1-0.2 3-8 h Métabolite neurotoxique (convulsions) qui s’accumule en cas d’insuffisance rénale
Méthadone 1 13-47 h Allongement du QT dose-dépendant
Hydromorphone 5 1,5-3,5 h
Tableau 2. Puissance et vitesse d’élimination de quelques opiacés, en administration intraveineuse
* Puissance relative par rapport à la morphine IV.
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muqueuses, son ingestion par voie digestive n’est ralentie
que par un bol alimentaire concomitant. Soumis à un méta-
bolisme de premier passage hépatique (et partiellement
gastrique lors de son absorption), l’éthanol est ensuite mé-
tabolisé et éliminé exclusivement par le foie, son élimination
par l’urine, par la respiration ou par la transpiration étant
négligeable. La vitesse d’élimination est variable selon les
sujets, en partie influencée par le capital enzymati que gé-
nétique (voie de l’alcool déshydrogénase). La consomma-
tion chronique d’éthanol entraîne une induction enzymatique
(voie du cytochrome P450 2E1) et par conséquent une aug-
mentation de la vitesse d’élimination. Les effets pharmaco-
logiques aigus de l’éthanol sont multiples et dépassent les
objectifs de ce traité. Seuls sont importants ici ses effets
neurologiques, en particulier neurodépresseurs à dose éle-
vée, ainsi que son effet épileptogène et arythmogène.
La consommation chronique d’éthanol induit une forte
dépendance, mais également une tolérance remarquable,
permettant à ces sujets de supporter sans risque vital im-
portant des intoxications massives, potentiellement mor-
telles chez le sujet «naïf». Le syndrome de sevrage aigu en
cas d’arrêt brutal de la consommation d’éthanol est le co-
rolaire du phénomène de tolérance.
À ce jour, il n’y a pas d’antidote pouvant réverser les ef-
fets toxiques aigus de l’éthanol. Seule la surveillance et la
prévention des complications respiratoires (broncho-aspi-
ration), métaboliques (hypothermie, hypoglycémie, acido-
cétose alcoolique), et neurologiques (crises convulsives,
troubles du comportement) sont de rigueur, imposant la
plupart du temps une hospitalisation lorsque l’intoxication
est sévère.
g-hydroxybutyrate (GHB)
Développé originellement dans les années soixante
comme un éventuel agent anesthésique, le g-hydroxybuty-
rate (GHB) fut rapidement abandonné en raison de son
effet dose-réponse aléatoire. Des années plus tard, il a été
enregistré pour le traitement de la narcolepsie avec cata-
lepsie de l’adulte (oxybate de sodium = sel de GHB). Faci-
lement produit à partir de ses précurseurs, la g-butyrolac-
tone (GBL) ou le 1-4-butanediol, le GHB est aussi facilement
accessible sur le marché des drogues récréatives illicites,
sous forme liquide, inodore et incolore. Initialement con-
sommé par les
body-builders
en raison de son effet supposé
sur la production d’hormone de croissance, il est consom-
mé actuellement en raison de ses effets considérés comme
désinhibants et aphrodisiaques. Ses effets dépresseurs
sur le système nerveux central sont marqués, en particulier
par son effet additif à l’alcool, produisant à la fois un coma
brutal, une dépression respiratoire sévère et une amnésie
complète lors d’intoxication significative.19 Sa demi-vie est
courte, d’environ 0.5-1 heure, rendant sa détection et son
dosage difficiles. Il n’existe pas d’antidote au GHB et seul
le soutien des fonctions vitales est de mise. Plusieurs étu-
des parlent en faveur d’une augmentation du risque de dé-
cès lors d’intoxication mixte, par exemple GHB et éthanol
ou opiacés. Cependant, près de 40% des cas de décès par
GHB ne sont pas expliqués par des co-intoxications, mais
plutôt par l’absence de soins au moment de la défaillance
respiratoire, puis cardiorespiratoire.20,21
Cocaïne
La consommation de cocaïne s’est généralisée en Eu-
rope depuis une vingtaine d’années. Le spectre des con-
sommateurs est extrêmement large : participants à des
rave
ou soirées techno (but récréatif), consommateurs plus ou
moins réguliers sur le lieu de travail (effets excitants, dimi-
nution de la fatigue et augmentation des performances), ou
encore consommateurs dépendants, souvent polytoxicoma-
nes. Ses effets pharmacologiques sont multiples et ont été
largement décrits.22 L’intoxication se manifeste par un toxi-
drome sympathicomimétique typique, pouvant aller jus-
qu’au décès par complications cardiovasculaires et cérébro-
vasculaires : ischémie myocardique et arythmies, dissection
aortique, crises hypertensives, crises convulsives, hémorra-
gies intracrâniennes. Il n’y a à ce jour aucun antidote dispo-
nible ; une approche immunothérapeutique est en cours de
développement.23 Dès lors, le soutien des fonctions vitales
et la prévention des complications coronariennes et céré-
bro-vasculaires, par l’administration précoce de benzodia-
zépines, d’acide acétylsalicylique et de dérivés nitrés, repré-
sentent la base du traitement de l’intoxication à la cocaïne.
Amphétamines et dérivés
En raison de leur proximité moléculaire avec les amines
physiologiques, les amphétamines produisent de manière
similaire à la cocaïne un toxidrome sympathicomimétique.
Leur effet inducteur sur la température corporelle est assez
typique et l’hyperthermie représente un bon marqueur de
la sévérité de l’intoxication, et également de la nécessité
d’un traitement sédatif d’urgence, associé à un refroidisse-
ment actif. La demi-vie des amphétamines est variable, mais
généralement plus longue que celle de la cocaïne, produi-
sant ainsi souvent des effets prolongés. Les dérivés des
amphétamines sont nombreux, dont l’ecstasy (MDMA), les
pilules «thaï» (méthamphétamine) et les pilules «eve»
(MDEA) étant les plus connues. Leurs effets toxiques sont
moins sévères, mais peuvent être combinés à des effets
sérotoninergiques, rendant leur consommation particuliè-
rement risquée chez des patients traités par des antidé-
presseurs de type inhibiteurs sélectifs de la recapture de
la sérotonine (ISRS). Le traitement de ces intoxications est
essentiellement axé sur le soutien des fonctions vitales et
l’administration de benzodiazépines.
Hallucinogènes (Cannabis, LSD, Psylocibine,
Datura…)
Il n’est pas possible de détailler ici l’ensemble des subs-
tances hallucinogènes. Parmi elles, le cannabis
(Cannabis
sativa)
représente la substance hallucinogène la plus con-
sommée au monde. Ses alcaloïdes (tétrahydrocannabinol –
THC, cannabidiol – CBD, cannobinol – CBN) sont respon-
sables des effets hallucinogènes recherchés lors de la
consommation des dérivés de cette plante. Le cannabis ne
possède que peu d’effets systémiques, en particulier car-
diovasculaires.
Les champignons du groupe des psylocibes
(Psylocibe
semilanceata)
et leur alcaloïde hallucinogène, la psylocibine,
sont également dépourvus d’effets systémiques.
À l’inverse, d’autres substances hallucinogènes d’origine
végétale ou fongique, telle que la fleur de datura
(Datura
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stramonium)
et son alcaloïde principal, l’hyoscyamine, ont à
la fois des propriétés fortement hallucinogènes et anticho-
linergiques, provoquant un toxidrome pouvant aller jusqu’au
décès. Il en va de même avec certains champignons (
Ama-
nita muscaria
ou amanite tue-mouches), dont les propriétés
anticholinergiques produisent les mêmes effets hallucino-
gènes et systémiques. Il convient de mentionner également
le LSD (diéthylamide de l’acide lysergique), produit de syn-
thèse aux propriétés hallucinogènes et dysleptiques im-
portantes, fortement consommé dans les années soixante
et soixante-dix, et dont l’intoxication sévère peut conduire
au décès par convulsions, état de mal épileptique, coma,
hyperthermie et/ou arrêt respiratoire.17
Antidépresseurs, y compris tricycliques
Depuis une vingtaine d’années, la prescription d’anti-
dépresseurs est en constante progression. Elle s’est orien-
tée vers des molécules modernes, soit les ISRS tels que le
citalopram, la fluoxétine, la sertraline, la fluvoxamine ou
encore la paroxetine, et les antidépresseurs mixtes (inhibi-
tion de la recapture de la sérotonine et noradrénaline) tels
que la venlafaxine ou la duloxétine. Ces médicaments ont
largement remplacé les antidépresseurs classiques, en
particulier les tricycliques (amitriptyline, imipramine ou
maprotiline, par exemple), qui restent néanmoins utilisés
chez certains patients, notamment dans le cadre de la prise
en charge des douleurs neuropathiques. Ces molécules ont
des effets variables de type sérotoninergique, noradréner-
gique et/ou anticholinergique. Les ISRS et les antidépres-
seurs mixtes s’avèrent globalement moins toxiques sur le
plan cardiaque que les tricycliques. Ces derniers possèdent
en effet, en cas d’intoxication, des propriétés arythmogènes
et épileptogènes importantes, pouvant conduire au décès
par arythmie ventriculaire maligne. Ces arythmies ou convul-
sions sont souvent précédées par un élargissement progres-
sif du complexe QRS, en particulier lorsque sa valeur dé-
passe 120 msec.24
mode de survenue et facteurs
favorisants
La plupart des intoxications graves surviennent hors du
domicile des patients, que ce soit en rue, ou à l’intérieur
d’établissements publics. Les intoxications alcooliques ma-
jeures surviennent dans les cafés ou dans les bars, et de-
puis une dizaine d’années dans les discothèques. La mode
relativement récente en Europe du
binge-drinking
, consistant
à consommer rapidement de larges quantités d’alcools forts
à la recherche d’une ivresse rapide et intense, contribue aux
intoxications massives survenant dans des lieux ou établis-
sements publics (fêtes de type bottellon, soirée techno,
etc.). La dangerosité immédiate de ce phénomène est sur-
tout liée à l’âge relativement bas des consommateurs, qui
n’ont pas encore développé de tolérance à l’éthanol, ainsi
qu’à l’association fréquente d’autres psychotropes «festifs»
ou «récréatifs», tels que le cannabis, le GHB ou l’ecstasy
(MDMA), qui renforcent la gravité des intoxications sur le
plan neurologique et comportemental (tableau 3).
Les intoxications graves chez les personnes toxicodépen-
dantes surviennent également souvent dans un contexte
public (rue ou toilettes publiques), en particulier dans le
cadre ou à proximité immédiate des «scènes ouvertes de
la drogue» telles qu’elles se rencontrent dans la plupart
des villes occidentales. Ce risque est particulièrement im-
portant chez les patients ayant rompu leur adhésion à un
programme de maintenance par méthadone, chez lesquels
le risque de décès par intoxication est ainsi 20 fois supé-
rieur à celui des patients demeurant en programme de
substitution.8 Dans certains pays d’Europe, une augmenta-
tion significative des décès par overdose de méthadone
est constatée, alors que le nombre total des décès par in-
toxication chez les personnes toxicodépendantes évolue
relativement peu.10
Enfin, la survenue d’overdoses mortelles de stupéfiants
au domicile de personnes toxicodépendantes n’est pas rare
et interroge sur les circonstances «accidentelles» ou au
contraire volontaires (équivalent suicidaire) de ces intoxi-
cations solitaires.
Le contexte médico-social est déterminant lors de ces
intoxications graves ou mortelles chez les patients toxico-
dépendants. La précarité économique, l’isolement social et
la rupture du lien thérapeutique avec les programmes de
substitution augmentent considérablement le risque de
décès par overdose.8 De fait, il existe des variations consi-
dérables du profil médico-social, des habitudes de consom-
mation et des modes de prise en charge de ces patients :
alors que la consommation associée de cocaïne est fréquen-
te chez les héroïnomanes de Grande-Bretagne et de Suisse,
elle est rare en Suède, pays où les traitements de substi-
tution à base de méthadone sont très peu prescrits (~2%
des cas), contrairement à la Grande Bretagne (46%) et à la
Suisse (~75%).12
Les fluctuations du marché des stupéfiants sont également
en cause dans un certain nombre d’intoxications graves chez
les patients toxicodépendants, confrontés parfois à l’arrivée
rapide sur le marché de stupéfiants relativement purs. Le
taux de pureté de la cocaïne et de l’héroïne peut varier ainsi
respectivement de 0.2 à 100% et 0.1 à 86,7%.25
cas particuliers
Intoxication alcoolique massive
Parmi les situations d’intoxications aux psychotropes,
l’intoxication alcoolique massive se rencontre de plus en
plus fréquemment dans les centres d’urgence. En 2008, plus
de 20% des intoxications alcooliques documentées dans un
service d’urgences de Suisse romande étaient supérieures
à 3 g/l.26 Liées partiellement aux nouveaux modes de con-
2124 Revue Médicale Suisse
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Tableau 3. Facteurs de risque ou circonstances
aggravantes de la survenue des intoxications graves
aux psychotropes
Consommation massive d’alcool fort chez une personne «naïve»
Consommation associée d’alcool et d’un autre psycho-dépresseur
(GHB, GBL, etc.)
Pureté inattendue des stupéfiants
Overdose volontaire chez un patient toxicodépendant (équivalent
suicidaire)
Rupture récente d’un patient toxicodépendant avec un programme de
substitution
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