INT J TUBERC LUNG DIS 2 (10): 811-817 © 1998 IUATLD Barrières à la lutte contre la tuberculose en Zambie urbaine : l’impact économique et le coût pour les patients préalablement au diagnostic D. M. Needham,* P. Godfrey-Faussett,† ‡ S. D. Foster‡ † *MD Programme, McMaster University, Ontario, Canada, Zambia AIDS-Related Tuberculosis (ZAMBART) ‡ Project, Department of Medicine, University Teaching Hospital, Zambia, London School of Hygiene & Tropical Medicine, London, UK. _______________________________________________________________________RESUME CADRE : Clinique Thoracique, Hôpital Universitaire d'Enseignement, en Zambie. OBJECTIF : Etudier, dans les zones urbaines de Zambie, l'impact économique, les charges et les obstacles à la demande de soins pour les patients tuberculeux en période pré-diagnostique. SCHEMA : Entretien en profondeur, conduite au cours d'une période de 9 semaines, chez des patients hospitalisés adultes et chez des patients ambulatoires, enregistrés comme nouveaux cas de tuberculose pulmonaire. Analyse des données par le programme Epi Info. RESULTATS : Des entretiens ont été complétées chez 202 patients, dont 64 % travaillent normalement, mais 31 % ont dû arrêter leur activité en raison de la tuberculose pendant une durée moyenne de 48 jours. La durée moyenne de maladie avant la déclaration de tuberculose est de 63 jours, alors qu'un délai avant la consultation à la Clinique Thoracique existe chez 64 % des patients. Parmi ceux-ci, 38 % attribuent leur délai à des problèmes financiers. Dans le processus de diagnostic, les patients doivent encourir un coût moyen total équivalant à 127 % de leurs revenus moyens mensuels (40 £ UK [59 $ US]). Les dépenses directes représentent 60 % de ce coût. En outre, les patients perdent en moyenne 18 jours de travail avant le diagnostic. Enfin, les coûts encourus par les soignants sont l'équivalent de 31 % de leurs revenus mensuels moyens (10 £ UK [15 $ US]). CONCLUSION : La charge économique de la tuberculose sur les patients entraîne des barrières à un diagnostic rapide, qui peut entraîner une transmission persistante. Les barrières économiques importantes comportent des dépenses de transport, des dépenses pour 'alimentation spéciale', et les pertes de revenus. Ces barrières pourraient être réduites par des interventions qui diminuent le nombre de consultations, les distances à parcourir, et la durée de la maladie précédant le diagnostic. MOTS-CLE : tuberculose ; coûts ; diagnostic ; demande de soins ; malades ; Afrique SI L’ON EN CROIT les affiches de santé publique au travers de l’Afrique sub-saharienne, « la tuberculose peut être traitée ». Toutefois, mondialement, la tuberculose provoque plus de mortalité chez les adultes qu’aucune autre cause infectieuse isolée de maladie.1 Prendre en compte la perspective du patient est la clé de l’obtention d’une lutte effective contre la tuberculose.2 Quoique beaucoup d’études se soient intéressées aux coûts de la tuberculose liés aux pourvoyeurs de soins et aux médicaments, il en est peu qui ont étudié les coûts supportés par le patient.3,4 En Afrique du Sud, les coûts de déplacement des patients et la perte de revenus ont été pris en compte dans l’analyse coût-efficacité de différentes options thérapeutiques.5 L’impact économique sur les patients avant le diagnostic n’a pas toutefois été pris en considération. Dans l’Uganda rural et en Thaïlande, respectivement Saunderson3 et Kamoratanakul et al.6 ont démontré que les patients supportent plus de 60% de la charge totale des coûts de tuberculose (TB). De plus, la moitié des coûts monétaires et la majorité du temps perdu pour le travail sont encourus avant le diagnostic.3 Spécifiquement, ces coûts préalables au diagnostic peuvent détourner les patients de se présenter aux services médicaux pour leurs symptômes liés à la TB,7 mais on a peu d’informations sur lesquelles on puisse baser une meilleure compréhension de la nature du délai-patient.8 Donc, l’information sur les coûts encourus par le patient est pertinente et nécessaire pour apprécier l’impact de la structure du programme sur la lutte contre la TB.4 Auteur pour correspondance : Dale Needham, P O Box 266, Ilderton, Ontario, Canada N0M 2A0. [Traduction de l'article "Barriers to tuberculosis control in urban Zambia: the economic impact and burden on patients prior to diagnosis." Int J Tuberc Lung Dis 1998; 2 (10): 811-817.] 2 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease Lusaka, en Zambie, est semblable aux autres grands centres urbains d’Afrique sub-saharienne. Le système de soins de santé est aux prises avec des limitations sévères des ressources financières, avec une migration urbaine importante, une prévalence significative de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et un quadruplement de l’incidence de la TB au cours de la dernière décennie (Rapport Annuel du Programme National de Lutte Contre le SIDA, les maladies sexuellement transmissibles, la tuberculose et la Lèpre [NASTLP], Ministère de la Santé). L’objectif de la présente recherche fut d’estimer l’impact économique et le coût de la TB sur les patients et d’apprécier dans quelle mesure cette charge peut représenter une barrière potentielle à la lutte contre la TB dans des cadres similaires d’Afrique subsaharienne, en se basant sur l’étude des coûts supportés par le patient dans la période préalable au diagnostic de la TB au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Lusaka. METHODES Le CHU est le centre de santé tertiaire de la Zambie. Au moment de cette étude, le diagnostic et l’enregistrement de la TB à la fois pour les patients hospitalisés et externes à Lusaka était centralisé au Dispensaire Thoracique du CHU. En 1995, 88% des 6 948 cas de TB enregistrés dans la province de Lusaka (1,55 million d’habitants) ont été diagnostiqués au Dispensaire Thoracique (NASTLP, Ministère de la Santé). Pour avoir accès au Dispensaire Thoracique, les patients externes sollicitent un bon de référence dans un dispensaire gouvernementale, alors que les patients hospitalisés sont amenés au Dispensaire Thoracique par une infirmière de salle avant leur sortie. Bien que les services du Dispensaire Thoracique soient fournis sans aucune charge financière pour les patients, les dispensaires référant les patients externes exigent une prise en charge par une assurance de santé (préalablement payée et subventionnée par le gouvernement) ou le payement immédiat d’un honoraire de consultation. Pendant 9 semaines, les patients adultes, internes et externes, enregistrés comme nouveaux cas de TB pulmonaire au Dispensaire Thoracique ont été adressés à l’étude. Lorsque le nombre de patients attendant l’entretien était supérieur à trois, l’employé de l’enregistrement interrompait temporairement l’envoi des patients vers l’étude. Par voie de conséquence, l’échantillon de patients ne fut ni entièrement consécutif, ni aléatoire. Cette méthodologie toutefois n’a pas entraîné un biais de sélection particulier et a minimisé pour les patients les délais liés à l’étude. De plus, aucun facteur sai- sonnier connu significatif n’était susceptible de rendre cet intervalle d’échantillonnage non représentatif. Après avoir donné un consentement éclairé, les patients furent interviewés en profondeur pendant 20 à 40 minutes par l’investigateur principal, assis té en cas de nécessité par un ou deux traducteurs. Ces entretiens ont été concentrés sur les informations démographiques, d’emploi et de santé et en outre sur une revue détaillée de chaque entrevue de santé et des dépenses y associées ainsi que sur les pertes de revenus encourues par le patient et ses soignants à l’occasion du recours aux soins pour les symptômes de TB. En Zambie, la plupart des gens ne connaissent pas leur statut VIH ; par conséquent, cette information ne peut être obtenue par les entretiens de patients. Vu la haute co-prévalence de la TB et du VIH au travers de beaucoup de régions de l’Afrique sub-saharienne, ceci ne devrait toutefois pas avoir un impact significatif sur la généralisation des résultats. Ceci n’est pas une étude d’évaluation économique, mais vise à examiner les coûts considérés comme significatifs par les patients eux-mêmes à l’occasion de leurs recours aux soins. Ces données ont été validées tout au long de l’entretien par la répétition des questions et la comparaison des informations sur les coûts-patients avec les prix connus du marché. Afin de présenter les coûts au sein du contexte économique de la Zambie, les données ont été présentées en premier sous forme de pourcentage du revenu mensuel moyen des patients. Les conversions de change étranger à partie de la kwacha zambienne (ZK) ont été faites au taux réel pendant la période de l’étude (£UK 1 = ZK 1 850 et $US 1 = 1 250). Les données ont été analysées en utilisant la version 6 Epi Info.9 L’impact des facteurs démographiques et du statut de patient hospitalisé ou externe a été analysé face à toutes les catégories de coût-patient et de pourvoyeurs de soins (comme décrit dans les Tableaux 1 et 2), en plus des dépenses de transport, du coût de la nourriture spéciale et du nombre de jours de travail perdus par le patient. Cette analyse a été conduite en comparant la différence dans les coûts moyens et les jours perdus pour chacune des catégories démographiques binaires. La signification statistique a été fixée à P<0,005. Le test de Bartlett pour l’homogénéité de la variance a été utilisée pour aider à déterminer si l’analyse statistique paramétrique (ANOVA) était appropriée. Lorsqu’un test non paramétrique appa- raissait plus approprié, l’on a recouru au test de Kruskal-Wallis pour deux groupes.9 Un essai pilote a été conduit préalablement pendant une période de deux semaines chez 23 pa- Barrières économiques à la lutte contre la tuberculose en Zambie 3 Tableau 1 Données de coût de la tuberculose pour les patients Dépenses directes Médicales Médecin privé Guérisseur traditionnel « Schema »‡ Prix des consultations§ Diagnostics Traitement Autres Total médical Non médicales Transport Alimentation spéciale Nourriture Autres Total non médical Coûts indirects Jours de travail perdus Salariés Indépendants Total des jours de travail perdus Revenus perdus Salariés Indépendants Perte totale de revenu Total des coûts-patient Patients encourant le coût Coût moyen Coût médian (% MMI)* (% MMI)* (£) (£) Total (%) (£) Moyenne % MMI* Patients n (%)† 582 (7) 203 (2) 83 (1) 150 (2) 82 (1) 284 (4) 16 (0) 1380 (17) 9 3 1 2 1 5 0 21 40 (20) 21 (10) 93 (46) 36 (18) 16 (8) 98 (48) 1 (0) 168 (83) 14 (45) 10 (31) 1 (3) 4 (13) 5 (16) 3 (9) 6 (18) 4 (12) 1 (3) 3 (9) 5 (15) 2 (6) 8 (26) 3 (11) 941 (12) 2375 (29) 135 (2) 48 (0) 3499 (43) 15 37 2 1 55 189 (93) 114 (56) 84 (41) 6 (3) 198 (98) 5 (16) 21 (66) 2 (5) 8 (25) 18 (56) 2 (8) 11 (34) 1 (4) 3 (9) 8 (25) 51 (25) 45 (22) 94 (46)** 35 40 38 15 30 21 18 (9) 39 (19) 56 (28)** 201 (99 41 (130) 64 (203) 58 (183) 40 (128) 20 (64) 22 (69) 22 (69) 19 (60) 1773 1815 3588 734 (9) 2490 (31) 3224 (40) 8103 (100) 12 39 51 127 * % MMI = Pourcentage du revenu mensuel moyen des patients † n = 203 ‡ « Schema » se rapporte à un programme d’assurance médicale soutenu par le gouvernement de Zambie $ Prix des consultation dans les services de soins du gouvernement lorsque les patients ne bénéficient pas d‘une couverture «schema». ** Deux patients avaient des jours perdus à la fois dans le cadre de leur activité de salarié et de leur activité d’indépendant ; un patient avait perdu les revenus de ces deux sources. tients.10 Le questionnaire a été modifié en tenant compte des données résultant de l’étude pilote. L’on peut obtenir une copie de l’outil d’entretien auprès de l’auteur correspondant. Le comité d’éthique pour la recherche de l’université de Zambie a donné son approbation pour cette étude RÉSULTATS Un échantillon de 225 patients, représentant un tiers de l’ensemble des sujets éligibles, a été référé à l’étude. Dix neuf de ces patients ont refusé toute participation, principalement en raison de contraintes de temps personnel et quatre n’ont pas achevé l’entièreté de l’entretien. L’information complète a donc été rassemblée pour les 202 patients restants. Information sur la démographie, l’emploi et le recours aux soins Les patients interviewés représentent une population urbaine d’adultes jeunes : leur âge moyen est de 32 ans, et 57% d’entre eux sont de sexe masculin. La dimension moyenne du ménage est de 6,5 personnes dont 4,7 à charge. Soixante quatre pour cent des patients travaillaient normalement, environ la moitié d’entre eux étant indépendants, principalement dans le secteur informel. Quarante quatre pour cent des patients se sont identifiés eux mêmes comme étant la principale source de revenus pour leur ménage. Le revenu mensuel moyen des patients fut de £31,50 ($47) toutes sources réunies, ce qui est équivalent au revenu moyen ajusté pour l’inflation dans l’enquête la plus récente sur les salaires de tous secteurs (1994) (B ureau Central de Statistiques, Gouvernement de la République de Zambie). Au moment de l’entretien, 31% des patients avait cessé le travail en raison de la TB. Parmi ces patients, le nombre moyen de jours d’arrêt de travail fut de 48 (extrêmes 2-270). Selon les déclarations des patients, cette période hors travail a crée des problèmes financiers dans 70% des cas. En moyenne, les patients font état d’une anamnèse de symptômes liés à la TB de 63 jours avant le diagnostic au Dispensaire Thoracique. Pendant cette période, les patients ont eu en moyenne 6,7 recours aux soins, incluant 2,5 visites externes au CHU, 1,5 visites aux dispensaires gouvernemen- 4 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease taux et 0,7 visite chez le pharmacien. Parmi les sujets interviewés, 89 (44%) étaient hospitalisés. Cent vingt neuf patients (64%) ont identifié un délai dans le recours aux soins au Dispensaire Thoracique ; parmi ceux-ci 38% ont cité le manque d’argent comme cause de leur délai. Au moment des recours aux soins, habituellement tous les patients étaient assistés par au moins un accompagnant. Ces accompagnants menaient les patients externes à leurs rendez vous médicaux, apportaient de la nourriture et assuraient les soins de nursing aux patients hospitalisés. Il s’agissait de manière prédominante de femmes (76%) dont 82% travaillaient essentiellement comme vendeurs indépendants. Données de coût Le coût moyen de la tuberculose pour les patients et leurs accompagnants était équivalent à 158% des revenus mensuels moyens des patients (MMI) (£49 [$73]. Les coûts du patient individuel et de l’accompagnant sont décrits aux Tableaux 1 et 2, respectivement. Virtuellement tous les patients ont encouru des coûts en rapport avec leur TB. Avant l’enregistrement de la TB, la charge économique moyenne sur les patients représentait 127% du MMI (£40 [$59]). Les dépenses médicales représentent une fraction relativement faible des coûts-patient soit 21% du MMI (£7 [$10]). Ceci est du à l’existence d’une assurance médicale peu coûteuse, sponsorisée par le gouvernement (connue comme le « schéma »). Certains patients n’ont pas eu de dépense médicale puisqu’ils bénéficiaient déjà de la couverture « schéma ». Les 116 (57% ) patients sans couTableau 2 verture « schéma » ont encouru des coûts, soit pour couvrir le prix du « schéma » (39%) soit pour payer les honoraires de consultation exigés dans les services de soins du gouvernement (11%) ou les deux (7%). Même avec la couverture « schéma», presque la moitié des patients ont encouru des dépenses plutôt importantes en rapport avec le traitement (essentiellement des antibiotiques), souvent par suite de pénuries au niveau des services gouvernementaux. Les dépenses non médicales représentaient 55% du MMI (£17 [$25]) ; les dépenses moyennes de transport à charge du patient représentaient plus du quart de cette charge. De plus, il existe une croyance générale selon laquelle les patients malades devraient pour assurer leur guérison bénéficier d’une alimentation spéciale en plus de leur régime habituel. Ceci inclut des fruits, des pommes de terre, des œufs, de la viande et des boissons sucrées. Le coût de cette alimentation spéciale pour le patient seul atteignait 37% du MMI (£12 [$18]). Ces coûts liés à une nourriture spéciale augmentent avec la durée individuelle de la maladie avant le diagnostic (r=0,26 ; P<0,05). Plus de 90% des patients qui travaillaient avant le début de leur TB ont perdu du temps de travail par suite de leur maladie. Dans l’ensemble, la TB a causé en moyenne une perte de 18 jours de travail avant le diagnostic. Plus la période de la maladie avant le diagnostic est longue, plus grand est le temps hors travail (pour les patients employés, r=0,86 ; P<0,01 ; pour les indépendants, r=0,74 ; P<0,01). Pendant la période de perte de travail, 35% des patients employés ne bénéficiaient pas d’une indemnité complète de maladie, alors que Données de coût de la tuberculose pour les accompagnants Accompagnants encourant le coût Dépenses directes Non médicales Transport Alimentation spéciale Nourriture Autres Total non médical Coûts indirects Jours de travail perdus Salariés Indépendants Total des jours de travail perdus Revenus perdus Salariés Indépendants Total de la perte de revenu Total des coûts-accompagnants Total (%) (£) Moyenne % MMI* Accompagnants n (%)† Coût moyen (% MMI)* (£) Coût médian (% MMI)* (£) 783 (40) 440 (22) 285 (15) 17 (1) 1525 (78) 21 7 5 0 24 121 (60) 54 (27) 30 (15) 2 (1) 136 (67) 6 (21) 8 (26) 9 (30) 9 (27) 11 (36) 3 (10) 4 (13) 5 (15) 9 (27) 6 (19) 22 (11) 38 (19) 60 (30) 8 12 11 4 4 5 13 (6) 28 (14) 40 (20)‡ 143 (71) 5 (15) 13 (41) 11 (34) 14 (43) 4 (14) 9 (30) 6 (20) 7 (22) 174 458 632 63 (3) 359 (19) 422 (22) 1947 (100) 1 6 7 31 * % MMI = Pourcentage du revenu mensuel moyen des patients † n = 202 ‡ Un accompagnant avait perdu à la fois ses revenus de salarié et d’indépendant. Barrières économiques à la lutte contre la tuberculose en Zambie 87% des patients indépendants perdaient leur revenu par suite de leur TB. Pendant leur maladie, 61% des patients ont signalé qu’ils recevaient une assistance financière extérieure à leur ménage, principalement de la part des membres de leur famille. L’aide reçue représentait en moyenne approximativement 40% du coût total de la maladie pour les patients. Dans le cadre de cette étude, les coûts des accompagnants sont considérés comme incluant à la fois les dépenses-patient payées par l’accompagnant et les coûts directement attribuables aux activités de l’accompagnant dans l’aide aux patients. Ceux-ci représentent 31% du MMI (£10 [$15]). Les dépenses moyennes non médicales des accompagnants représentent 78% du coût total. Pour ceux encourant ces dépenses, les coûts de transport étaient plus importants pour les accompagnants que pour les patients. Ceci reflète le fait que souvent plus d’un accompagnant menaient le patient aux rendez vous médicaux et rendaient visite quotidiennement aux hospitalisés. En outre, les coûts plus élevés de nourriture normale chez les accompagnants reflétaient les charges encourues pour fournir la nourriture aux patients hospitalisés ou qui venaient de l’extérieur pour se faire soigner à Lusaka. Dans 30% des cas, les accompagnants ont perdu du temps de travail pour pouvoir aider le patient. Bien que le nombre de jours de travail perdus fut faible, les patients ont signalé que des problèmes financiers sont survenus pour environ la moitié des accompagnants considérés. Facteurs influençant les coûts Les patients indépendants subissent un coût total combiné (patient et accompagnant) plus élevé que les patients employés (£81 [$120] vs £47 [$69], P=0,02), avec une perte de revenu pour le patient plus importante (£57 [$85] vs £14 [$21], P<0,001). Aucun autre facteur démographique, y compris le statut hospitalisé versus externe ne fut associé à des différences significatives dans le «coût total combiné ». L’on a observé un certain nombre de relations significatives entre les coûts individuels et les facteurs démographiques. Les pertes de revenus furent plus importantes chez les femmes que chez les hommes (£44 [$65] vs £29 [$44], P<0,008), peut être en raison du plus grand nombre de jours de travail perdus (51 vs 32, P=0,115). Comme il fallait s’y attendre, les patients vivant en dehors de Lusaka ont eu des dépenses de transport (£10 [$14] vs £5 [$7], P<0,001), et des coûtspatient totaux (£46 [$68] vs £39 [$58], P<0,04) plus élevés que les habitants de Lusaka. Finalement, les patients hospitalisés ont eu des coûts- 5 accompagnants plus élevés que les patients externes (dépenses directes pour l’accompagnant : £13 [$19] vs £9 [$13], P<0,001 ; coûts totaux des accompagnants : £16 [$24] vs £11 [$16], P<0.001. DISCUSSION Les seules données-patient publiées, disponibles pour la comparaison, sont l’étude de Saunderson chez 34 patients dans l’Uganda rural.3 A un niveau de £24 ($36) (marge inter-quartile £5-£33 [$7$49]), les dépenses directes du patient,préalables au diagnostic, déterminées par notre étude sont comparables aux £19 ($49), et £16 ($24) déterminées respectivement par Saunderson3 et par notre étude pilote antérieure.10 Une limitation de notre étude réside dans le fait que les patients incapables de recourir aux soins du Dispensaire Thoracique ont été exclus. Il est possible qu’à la suite de barrières économiques retardant leur diagnostic, ces patients soient décédés de tuberculose, soit à leur domicile, soit dans un autre hôpital avant l’enregistrement au Dispensaire Thoracique ; c’est ce qui pourrait intervenir pour sous-estimer la charge économique de la TB pour les patients. Impact économique et charges En Afrique sub-saharienne, la TB a un impact économique significatif, du au fait qu’elle affecte un segment productif de la société. Dans notre étude, 44% des patients étaient la source principale de revenus du ménage. Les coûts liés au patient, encourus au cours des deux premiers mois de maladie précédant le diagnostic, sont significatifs. Les dépenses directes représentant plus de la moitié du coût-patient (76% du MMI) ont été encourues par pratiquement tous les patients. Celles ci étaient constituées par la perte de revenus des patients : la TB a provoqué en moyenne la perte de 18 jours de travail. Les patients indépendants encourent un risque économique plus important puisque la plupart d’entre eux ne gagnent rien lorsqu’ils ne travaillent pas. L’impact et la charge de la TB concernent également les accompagnants qui sont recrutés virtuellement par tous les patients. Ces accompagnants encourent des dépenses directes significatives(24% du MMI) et rencontrent des difficultés financières liées à leur perte de travail. Barrières économiques Les données concernant les coûts-patient illustrent la charge économique de la TB. Comme résultat de cette charge, la plupart des patients ont besoin d’une assistance financière significative lorsqu’ils recourent aux soins pour les symptômes liés à leur maladie. En outre, les patients admettent faci- 6 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease lement l’existence de délais dans le recours aux soins. Toutefois, il est clair que des facteurs non économiques sont également responsables du délai- patient, puisque l’argent n’est cité comme la cause principale du délai que chez 38% des patients avec délai. Ces délais comportent un risque important pour la santé publique, puisqu’un patient à bacilloscopie positive non traité peut infecter 10 à 14 autres sujets par an.11 Donc, des barrières économiques et non économiques au recours aux soins sont importantes et méritent de retenir l’attention, à la fois au bénéfice des patients et de la collectivité. Une revue des données de coût révèle les facteurs individuels qui représentent les barrières économiques les plus significatives. Comme décrit antérieurement, la majorité des patients ne disposaient pas de la couverture « schema ». Bien que les soins médicaux pour la TB soient gratuits, la couverture « schema » (ou le payement d’un honoraire de consultation plus important) est exigée pour la consultation externe et pour la référence au Dispensaire Thoracique. Donc, ceci représente la première barrière que les patients tuberculeux rencontrent fréquemment lorsqu’ils recourent aux soins dans le système de santé du secteur public. Malgré l’importance des barrières d’ordre médical, les données démontrent que les coûts non médicaux posent des barrières économiques plus importantes encore. Les dépenses de transport pour le patient et l’accompagnant représentent 27% du MMI, ce qui est dû principalement au grand nombre de rencontres de soins et aux distances de transport qui y sont associées. Dans le contexte du traitement des patients, atteints de TB, les coûts de transport ont également été identifiés dans d’autres études comme étant significatifs pour le patient.5 Les dépenses pour l’alimentation spéciale encourues par le patient et l’accompagnant représentent un coût encore plus important, qui n’avait pas été reconnu antérieurement dans la littérature. Au sein du pool limité de ressources des patients, les dépenses pour l’alimentation spéciale peuvent créer un manque de ressources pour les consultations médicales et les transports, qui sont finalement requis pour arriver à un diagnostic. Les dépenses pour l’alimentation spéciale augmentent avec la durée de la maladie qui précède le diagnostic, ce qui fait ressortir l’importance du raccourcissement du processus de recours aux soins. La perte immédiate de salaire et la perte potentielle de travail résultant de la cessation du travail créent également une barrière économique aux patients recourant aux soins. La durée de la maladie est associée avec une plus longue période de chô- mage, à la fois pour les patients employés et indépendants. La perte économique résultant de ce chômage est particulièrement importante pour les patients indépendants. Par voie de conséquence, un diagnostic et un traitement rapide sont importants du point de vue du patient. Interventions pour réduire les barrières au recours aux soins La compréhension de l’impact économique en rapport avec le patient, des charges et des barrières au diagnostic est importante pour reconnaître l’impact réel de la TB et pour élaborer des interventions appropriées afin de maximiser le recours du patient aux soins. Le recours aux soins est également influencé par des facteurs sociaux, culturels et cliniques; donc les coûts économiques doivent être considérés à l’intérieur d’un contexte plus large. Deux modifications pertinentes de l’organisation des programmes de tuberculose en Afrique sub-saharienne sont la décentralisation et l’utilisation de moyens de diagnostic alternatifs. La décentralisation de l’administration des soins depuis le CHU vers des formations de santé gouvernementales améliorées a commencé depuis 1996 au cours des réformes de santé subventionnées par les donateurs en Zambie. Cette décentralisation a de nombreuses ramifications, mais spécifiquement, on peut s’attendre à ce qu’elle affecte les coûts-patient pour le recours aux soins. Vu la disponibilité de moyens de diagnostic dans les dispensaires locaux, le nombre de rencontres de santé et les distances à parcourir peuvent être réduits. Comme conséquence, la durée de la maladie préalable au diagnostic peut également décroître. On s’attend à ce que ces modifications bénéficient aux patients en réduisant les barrières économiques pour eux-mêmes et leurs accompagnants, en ce qui concerne les dépenses de transport, les dépenses pour les aliments spéciaux et la perte de revenus. Une étude Sud-africaine de stratégies de traitement a également démontré le bénéfice économique significatif pour les patients que représente le recours à des dispensaires proches pour l’administration des médicaments.5 Ces avantages pour les patients doivent toutefois être pondérés avec d’autres risques et bénéfices de la décentralisation avant qu’une conclusion ne puisse être tirée en ce qui concerne l’impact final sur la lutte contre la tuberculose. Des recherches sont actuellement en cours en Zambie pour investiguer la faisabilité et le rapport coût-efficacité des techniques d’amplification de l’acide nucléique (NAA) dans le diagnostic de la tuberculose.12 L’on espère que le NAA fournira un diagnostic plus précis et plus rapide, particulière- Barrières économiques à la lutte contre la tuberculose en Zambie ment quand le diagnostic par l’examen microscopique direct de l’expectoration est plus difficile en raison d’une haute prévalence du VIH.12 Le NAA, s’il est possible et qu’il a un bon rapport coût-efficacité, pourrait réduire le nombre de rencontres de santé pour les patients et la durée de la maladie avant le diagnostic. Comme discutées antérieurement, ces modifications pourraient à leur tour réduire pour le patient les barrières au diagnostic. CONCLUSION L’impact économique de la tuberculose est significatif. Le coût qui en résulte pour les patients et les accompagnants est un facteur contributif important au délai de diagnostic et à la prolongation de la transmission de la maladie. Les barrières économiques importantes incluent les pertes de revenus, les frais de transport et les dépenses pour les aliments spéciaux. La réduction de ces barrières, en diminuant le nombre de rencontres de santé et les distances à parcourir et par voie de conséquence en minimisant la durée de la maladie précédant le diagnostic, est une considération-clé pour les planificateurs de santé dans l’élaboration d’un programme effectif de lute contre la tuberculose. Remerciements Les auteurs sont reconnaissants à Maria Quigley, London School of Hygiene and Tropicale Medicine pour son avis sur l’analyse des données et à David Feeny, Center for Health Economics and Policy Analysis, McMaster University pour la revue d’un premier jet précédent de cet article. Nous sommes également reconnaissants à tous ceux qui ont rendu cette recherche possible : le Professeur J O B Pobee pour avoir réglé le rattachement électif, Ms Violet Mwakamui et Ms Gorrett Tembo pour leur aide dans la traduction, Mr Given Kashina pour un support logistique exemplaire et les patients et les accompagnants qui ont accepté d’être interviewés. Dale Needham est reconnaissant pour l’assistance financière fournie par Ernst & Young Chartered Accountants, 7 le Bureau AIDS (Ministère de la Santé de l’Ontario), Farquharson Research Award (Medical Research Council, Canada), Glaxo Wellcome et the Commonxealth Foundation ainsi que le Lennox-Boyd Memorial Trust. Peter Godfrey-Faussett est un Beit Memorial Medical Fellow. Références 1 World Bank. The World Development Report 1993: Investing in Health. New York; Oxford University Press for the World Bank, 1993. 2 Grange J M, Festenstein F. The human dimension of tuberculosis control. Tubercle Lung Dis 1993; 74: 219-222. 3 Saunderson P R. An economic evaluation of alternative programme designs for tuberculosis control in rural Uganda. Soc Sci Med 1995; 40: 1203-1212. 4 Fryatt R J. Review of published cost-effectiveness studies on tuberculosis treatment programmes. Int J Tuberc Lung Dis 1997; 1: 101-109. 5 Wilkinson D, Floyd K, Gilks C F. Costs and costeffectiveness of alternative tuberculosis management strategies in South Africa - implications for policy. S Afr Med J 1997; 87: 451-455. 6 Kamolratanakul P, Chunhaswasdikul B, Jittinandana A, Tangcharoensathien V, Udomrati N, Akksilp S. Costeffectiveness analysis of three short-course antituberculosis programmes compared with a standard regimen in Thailand. J Clin Epidemiol 1993; 46: 631-636. 7 Aluoch J A, Oyoo D, Swai O B, Kwamanga D, Agwanda R, Stott H. A study of the use of maternity and child welfare clinics in case-finding for pulmonary tuberculosis in Kenya. Tubercle Lung Dis 1987; 68: 93-103. 8 Beyers N, Gie R P, Schaaf H S, et al. Delay in the diagnosis, notification and initiation of treatment and compliance in children with tuberculosis. Tubercle Lung Dis 1994; 75: 260-265. 9 Dean A G, Dean J A, Coulombier D, et al. Epi Info, Version 6: a word processing, database, and statistics program for epidemiology on microcomputers. Atlanta, GA; Centers for Disease Control and Prevention, 1994. 10 Needham D M, Godfrey-Faussett P. Economic barriers for tuberculosis patients in Zambia [letter]. Lancet 1996; 348: 134. 11 Murray C J L, Styblo K, Rouillon A. Tuberculosis in developing countries: burden, intervention and cost. Bull Int Union Tuberc Lung Dis. 1990; 65 (2-3): 6-24. 12 Godfrey-Faussett P. Molecular diagnosis of tuberculosis: the need for new diagnostic tools. Thorax 1995; 50: 709-711.