L`Islamisme en Russie et les menaces en Asie Centrale, de la Russie

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Mikhail REMIZOV
Président de l’Institut de Stratégie Nationale et conseiller du Vice
Premier Ministre Dmitri Rogozine
L’isLamisme en russie et Les
menaces en asie centraLe, de La russie
L     R C propose
de partager le monde en trois zones, non pas géopolitiques, mais plutôt « chrono
politiques » : le monde « pré moderne », « le monde moderne » et « le monde
postmoderne ». Le monde pré moderne, ce sont les régions de la planète où les
structures étatiques ne sont pas bien achevées, leur monopole de la violence légi-
time pas encore formées, l’urbanisation n’a pas avancé etc. Le monde moderne, ce
sont les États qui fonctionnent selon l’ordre du jour moderne classique, fondé sur
des principes d’industrialisation, de souveraineté nationale et sur l’équilibre géopo-
litique des forces. Le monde postmoderne, selon Cooper, serait en Europe, l’espace
de l’Union Européenne où l’égoïsme national cèderait sa place à une dépendance
mutuelle constructive, où les facteurs de puissance politique ne joueraient plus le
rôle clef.
Aujourd’hui nous entendons souvent que les évènements en Ukraine ont ébran-
lé la conception même de l’Union européenne postmoderne, démilitarisée et paci-
fiste. C’est la raison pour laquelle l’UE est furieuse contre la Russie. Or, ce n’est pas
le moment, ni l’endroit convenable pour débattre de la question suivante : qui a le
plus de responsabilités dans la crise ukrainienne ? Les deux y sont impliqués. Mais
on peut assurément déclarer que la Russie n’est pas responsable de la détérioration
de la conception de l’UE pacifiste, de l’UE post-historique, post-géopolitique et
post-moderne. Tout simplement parce que dès le départ, cette conception était
illusoire. Elle a rendu absolue l’unicité de sa situation historique, devenue possible
à l’Europe occidentale grâce à la bipolarité soviéto-américaine. Hubert Védrine en
parle d’une façon précise: « Ce n’est pas l’Europe qui a rendu possible la paix, mais
c’est la paix qui a rendu possible l’existence de l’Europe ». Cela veut dire que le
modèle d’intégration européenne est « tout d’abord l’héritage de la situation géopo-
litique et non la réalisation d’un projet d’exception historique et morale ».
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Une fois la situation géopolitique radicalement changée – lorsque le monde
bipolaire est devenu quasi-unipolaire – beaucoup de dogmes de ce modèle sont
restés dans le passé, y compris l’espoir de pouvoir surmonter les relations violentes
dans la politique et la géopolitique. Les années 1990 et 2000 ont passé sur le conti-
nent européen sous le signe de la renaissance de la violence politique. Les années
1990 ont été marquées par les conflits ethniques et les mouvements séparatistes (le
démantèlement de l’URSS et de la Yougoslavie). Les années 2000 correspondent
à la renaissance islamiste. Au cours de la décennie 2001-2011, les actes terroristes
en Europe et en Amérique du Nord ont entrainé la mort de 4 900 personnes (le
maximum durant toute l’histoire de l’Humanité). Sans même compter les attaques
contre les États-Unis de septembre 2011, les 90 pourcents de toutes les victimes ont
été assassinées par les islamistes. Au total, durant les années 2000, 40 actes terro-
ristes environ ont été commis, ce qui double le nombre des attaques terroristes par
rapport à la décennie précédente.
À partir de 1999, 59 actes de terrorisme de grande envergure avec des victimes
civiles ont été commis en Russie, dont 58 par les islamistes. Pour l’année 2013,
le nombre des victimes était de 1667 personnes. Néanmoins ces chiffres ne com-
prennent les actes locaux d’agression contre les forces de la sécurité nationale dans
le Caucase du Nord. En 2004 uniquement, leur nombre s’est porté à 265 attaques.
Le dernier incident d’envergure s’est déroulé en décembre 2014 à Grozny. Selon
les données reçues, les dégâts auraient pu être beaucoup plus néfastes puisque les
extrémistes avaient préparé le scénario de Beslan. L’épisode avec la bande de mal-
faiteurs, qui agissait cet été le long des autoroutes dans les environs de Moscou, est
très évocateur. Cette bande crevait les pneus des voitures passantes et abattait les
conducteurs et les passagers sans motivation évidente. Ils ont tué une vingtaine de
personnes. Suite à l’arrestation de ces bandits, on a appris qu’ils étaient tous des
immigrés d’Asie centrale, probablement des islamistes.
Leur conduite pourrait être interprétée comme une activité terroriste. Le ter-
rorisme n’est pas une simple infraction, mais un acte de communication. Le rôle
des communicants revient aux islamistes. Or la société, en tant que destinataire des
messages, essaie de les camoufler. Il m’est difficile de porter une appréciation sur
la situation en Europe, mais je crois qu’elle est la même qu’en Russie : lorsqu’on
y parle des actes terroristes, on essaie de diminuer la motivation idéologique et
religieuse. Cette intention est légitime ; si les terroristes tentent de parler au nom
de l’Islam, il ne faut pas les y aider. Mais cela ne fonctionne pas de cette façon. Le
terrorisme est une communication « par contrainte ». Elle s’effectue même si nous
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nous efforçons de nous taire en réponse. La dialectique de guerre consiste en cela
aussi : il faut reconnaître et désigner l’ennemi pour pouvoir le vaincre.
Le fossé entre l’Islam – religion mondiale – et l’islamisme intégriste – idéologie
politique globale – devient de plus en plus important. Chaque religion dans le
monde contemporain s’abrite derrière l’alibi suivant : elle ne peut être déclarée
hors la loi ; l’idéologie, quant à elle, n’a pas cet alibi. La religion, c’est une chose,
les formes radicales de sa manipulation politique, c’en est une autre. Compte tenu
du caractère initialement politique de l’Islam, il s’avère difficile de tracer la ligne
entre l’un et l’autre. D’un point de vue purement historique, cela devient quasi-
ment impossible. Toutefois, ce n’est pas une étude qu’il nous faut, mais plutôt une
convention démarquant les limites entre la religion et l’idéologie. Il est nécessaire
de définir des balises précises dans la législation afin qu’elles puissent indiquer où
passe la frontière entre :
le dévouement à l’idée d’un califat mondial ;
le rejet de la législation et du pouvoir civil, basé sur les normes de la charia ;
l’usage de méthodes de force dans la mission ;
l’imposition d’exigences territoriales et économiques au nom de l’Islam etc.
Malgré la diversité des mouvements au sein de l’Islam, on peut en dégager les
idées porteuses, qui provoquent l’explosion de la violence politique, et les déclarer
hors la loi.
En Russie comme ailleurs, l’islamisme est assez hétérogène. Parmi les mouve-
ments, les plus importants sont :
les salafistes (les partisans du « Saf Islam » ou de l’« Islam pur ») ;
les adhérents du « Hizb ut-Tahrir » et des « Frères Musulmans » ;
les fidèles de la secte pakistanaise « Tablīghī djamā’at ».
On peut également mentionner le mouvement « Nourdjoullar », fondé sur les
œuvres des penseurs turques Saïd Nursî et Fethullah Gülen, même si leurs liens
avec le terrorisme systémique sont beaucoup moins évidents.
Tous les mouvements mentionnés ci-dessus font partie des tendances non-
traditionnelles de l’Islam russe et sont assez agressifs par rapport aux traditions
locales des peuples musulmans russes, notamment le soufisme du Caucase du Nord
ainsi que la spécificité de l’Islam tartare. Cela ne leur empêche toutefois pas de
mener une expansion active et réussie. L’islamisme radical se répand largement en
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Daguestan, ce groupe à risques est également constitué par la Kabardino-Balkarie et
la République d’Ingouchie. Son activité intense s’exerce dans la région de Stavropol
et en Ossétie du Nord. Dans la région de la Volga, il faut mentionner le Tatarstan et
la Bachkirie. Les islamistes sont très actifs dans les régions de matières premières de
l’Oural et de la Sibérie, en particulier dans les régions autonomes de Tioumen (les
districts autonomes des Khantys-Mansis et d’Iamalo-Nénétsie).
Hormis l’influence extérieure exercée par les centres du projet islamique global,
il existe deux facteurs majeurs qui alimentent l’islamisme en Russie :
la spécificité des régions ethniques où se retrouve un grand nombre des
problèmes traditionnels, des conflits historiques jusqu’à la corruption et le
clanisme ;
la forte migration intérieure qui projette sur la Russie les menaces en prove-
nance de la région d’Asie centrale, y compris l’Afghanistan.
Analysons-les, l’un après l’autre.
Dans la première moitié des années 1990, le plus grand défi sécuritaire pour la
Russie dans le Caucase du Nord était l’ethno-séparatisme. Il y a eu d’autres projets
analogiques qui ne se sont pas transformés en un conflit militaire ouvert. Or, dès la
fin des années 90, les mouvements radicaux hostiles au pouvoir républicain central
n’utilisent plus le langage ethno-séparatiste, mais plutôt le langage islamiste.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il y ait une rupture avec la conscience eth-
nique, il s’agit plutôt d’une cooptation avec le discours politique dominant. Quels
sont les avantages du discours islamiste par rapport à l’ethno-séparatisme ?
il prédétermine l’expansion et non uniquement l’indépendance. Cela dit,
l’offensive lancée par la Tchétchénie pour occuper le Daguestan en 1999
s’est basée sur le projet d’un État islamiste de la mer Caspienne à la mer
Noire ;
il se rend adéquat à la réception d’une aide extérieure et, ce qui est plus
important, du point de vue d’un sentiment que l’on participe à un projet
politique global ;
il permet d’exploiter de façon effective les faiblesses intérieures des régimes
civils, y compris le pouvoir central ainsi que les ethnocraties locales corrom-
pues des républiques nationales ;
il prévoit le projet alternatif et utopique de l’organisation du pouvoir et de
la société.
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Dans cette perspective, « l’Islam pur » dans le Caucase, même s’il reste bien
éloigné des traditions caucasiennes, est un produit non seulement de l’intervention
de forces extérieures (les Séoudiens et les Pakistanais), mais aussi de processus inté-
rieurs. Ce projet appelait aux valeurs universelles (en dehors des ethnies, des virdes,
des tarîqas, des clans). Son accent était mis sur l’égalitarisme, sur la lutte contre la
corruption et l’inégalité des classes sociales.
Les paradigmes des salafistes s’expriment par la volonté d’islamiser de façon
absolument totale toutes les sphères de la vie sociale. Le degré du radicalisme dans
les exigences des salafistes peut différer. Outre les extrémistes, qui prônent la néces-
sité des méthodes terroristes dans leur lutte, il existe des partisans du mouvement
modéré qui s’opposent aux méthodes violentes, tout en ayant les mêmes orienta-
tions de base.
Parmi les experts de ce domaine, beaucoup conseillent d’établir un dialogue
avec eux. Mais la base de ce dialogue est douteuse, puisque l’état laïc n’est pas du
tout accepté par le wahhabisme. Tant que les islamistes radicaux sont en minorité
et qu’ils ne se sentent pas représentés en force, leur partie « pacifique » ira à une
sorte de dialogue, mais ce ne sera qu’une manœuvre tactique pour gagner du temps.
L’État laïc et le wahhabisme sont incompatibles. Cela veut dire que dès que l’Islam
radical aura la possibilité d’établir l’autorité totale sur un territoire, il le fera sans
aucun doute.
Dans des circonstances défavorables, cela ne prend pas beaucoup de temps.
Dans la région de Daghestan par exemple, l’augmentation du nombre de salafistes
ou ceux qui sympathisent à leur doctrine est passée de zéro à 50 pourcents de la
population, en 14 ans seulement - selon certains experts jusqu’à 100 pourcents. Au
Daghestan, l’islam fondamentaliste a pénétré presque toutes les sphères de la vie
sociale de la région. Des poursuites juridiques sont souvent exercées via la loi isla-
mique, la polygamie est de facto autorisée, les transactions immobilières s’effectuent
dans les mosquées, il existe des règles strictes sur les vêtements, la vente d’alcool
est de facto interdite et punissable etc. Il y a beaucoup de villages où les habitants
professent le wahhabisme. Dans ce cas, le mollah officiel peut être remplacé par
leur propre mollah. La tarîqa traditionnelle pour le Daghestan a été repoussée par
le wahhabisme. Officiellement ce fait n’est pas reconnu, mais en pratique, pour
être en mesure de maintenir la confiance des fidèles, les dirigeants qui pratiquaient
l’islam traditionnel se radicalisent. C’est justement dans cette région qu’il y a une
véritable discussion sur l’interdiction de la célébration du Jour de l’An puisque que
c’est une fête laïque.
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