ignorer l’arrangement entre les multinationales et le pouvoir chinois depuis plus de trois
décennies. Trouver des coopérations avec la Russie est le seul moyen pour l’Europe d’exister
encore au XXIe siècle.
Cette Europe unie, vous l’avez longtemps combattue. Alors?
L’Europe doit tirer le bilan de ses échecs si elle veut continuer de peser. Or la méthode
communautaire est aujourd’hui en échec. Incapable de dépasser l’économicisme pour
développer une identité stratégique, elle nous handicape dans la compétition mondiale. Je crois
en l’Europe des nations, de l’Atlantique à la Russie pour paraphraser le général de Gaulle. Elle
est la seule qui peut renouer avec les peuples, car seule la nation offre un sentiment
d’appartenance assez fort pour permettre l’acceptation du fait majoritaire et, donc, le
fonctionnement de la démocratie. Je suis de ce point de vue très admiratif de la Suisse, ce pays
que je connais assez bien, y compris sur le plan familial. Ma mère était une Garessus. Sa
famille venait de Suisse. Je connais bien les problématiques frontalières. La réalité est que
l’Europe communautaire se déconstruit d’elle-même. Le Brexit en est la dernière illustration.
Cela ne marche pas. Je suis de l’avis de l’ancien ministre français des Affaires étrangères
Hubert Védrine: nous avons besoin d’une grande conférence refondatrice, qui permettrait de
repenser l’Europe au long cours à partir des nations.
Il faut donc tout changer, tout repenser?
Je ne propose pas de sortir des institutions communautaires. Je propose d’en déplacer le
centre de gravité de la Commission vers le Conseil des chefs d’État, lieu de la légitimité
démocratique. Pourquoi? Parce que cette Europe communautaire qui ne marche pas aboutit à
la résurgence tant redoutée des nationalismes, car elle crée des inégalités de développement
génératrices de frustrations. Ne jetons pas le bébé européen. Acceptons juste de tirer les
conséquences des changements survenus dans le monde. Le capitalisme a changé. Le
terrorisme djihadiste nous menace. La destruction des États, au Moyen-Orient, a nourri
l’émergence de Daech et du terrorisme. L’Europe doit en tirer les conséquences.
Vous évoquez la question du terrorisme. Elle pose aussi celle de l’islam radical en Europe. Du
côté français, un an après les attentats parisiens du 13 novembre, la Fondation pour l’islam de
France que vous présidez peut-elle changer la donne?
J’ai été pressenti pour cette tâche. C’est le ministre français de l’Intérieur Bernard Cazeneuve
qui m’a sollicité et nous attendons, pour démarrer nos travaux, de réunir notre premier conseil
d’administration. J’ai posé une condition: éviter tout financement étranger. On ne transformera
pas l’islam de France si l’on continue de s’appuyer sur des capitaux venus d’ailleurs, surtout
du Golfe. Ma priorité sera ensuite de mettre très rapidement sur pied des actions en direction de
la jeunesse. Cette fondation à but purement profane (éducatif, culturel et social) n’a nullement
pour objectif d’interpréter le Coran. Mais elle doit relever le défi de la connaissance de l’islam
en France, en particulier à travers la création d’instituts d’islamologie, favorisant une formation
profane des imams. La création d’une association culturelle exclusivement animée par des
musulmans pourvoira aussi à la construction de mosquées.
La gauche française est-elle mieux équipée que la droite pour affronter ces défis de l’islam,
compte tenu de sa tradition laïque?
Nous devons éviter le «choc des civilisations» et la guerre civile que Daech veut précipiter en
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