responsabilité sociétale des entreprises : un mouvement créateur de

RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE DES ENTREPRISES :
UN MOUVEMENT CRÉATEUR DE VALEUR
(Analyse et gestion de ses conséquences juridiques pour les sociétés
cotées)
La responsabilité sociétale des entreprises apparaît comme un mouvement de fond au plan international
qui tend à s’imposer aux entreprises et entre désormais dans leur chaîne de valeur. La plupart des
entreprises met en œuvre des actions en ce domaine, via des chartes éthiques comprenant des règles et
objectifs de comportements autodéfinis. Dans le contexte actuel, il est nécessaire de s’interroger sur les
conséquences juridiques de ces chartes, les risques qui en découlent, et le contrôle interne qui doit les
accompagner.
La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : un mouvement de
moralisation des affaires auquel aucune société cotée de dimension
internationale n’échappe. Ce mouvement est le fruit de la mon-
dialisation. Il est perçu comme un moyen de réguler un espace dont
la dimension ne permet pas aux législations nationales, de surcroît
non harmonisées, de jouer leur rôle régulateur. Il doit contribuer à
l’acceptation par les parties prenantes de ce nouvel espace et à
l’harmonisation des conditions de concurrence en limitant l’avan-
tage donné au moins-disant éthique (environnement, social,
gouvernance, etc.). Il est perçu comme l’un des vecteurs essentiels
d’une économie mondialisée durable.
De fait, des indices boursiers éthiques ont été créés. Une part gran-
dissante d’actifs sous gestion collective sont investis sur des critères
éthiques : la RSE, que l’on appelle également démarche éthique, est
entrée dans la chaîne de valeur. Les initiatives internationales se
multiplient telles que le Global compact. L’ISO devrait publier une
norme RSE d’ici à la fin de l’année 2008. Les entreprises auto défi-
nissent donc leurs programmes éthiques, sur lesquels elles commu-
niquent : ils vont au-delà des normes des pays dits à faible
gouvernance dans lesquels elles sont implantées.
Ces programmes génèrent-ils des obligations de conformité avec la
norme éthique autodéclarée, génératrices de responsabilité pour les
administrateurs et les entreprises ? La réponse semble être positive.
Le rapport de l’Institut français des administrateurs de septembre
2007 va en ce sens. De fait, l’obligation de conformité semble dé-
sormais résulter de plusieurs facteurs.
I. La RSE, un mouvement de fond impossible à ignorer
A. Les causes de la RSE
La RSE répond à un mouvement de fond : le développement dura-
ble, c’est-à-dire la volonté de définir des règles propres à assurer la
pérennité d’un système. Ce n’est pas limité à l’environnement. À
titre d’exemple, les règles assurant la transparence de l’information
financière favorisent la confiance des investisseurs et participent ainsi
au développement durable des marchés. La RSE est un des outils du
développement durable dans un monde globalisé.
L’internationalisation des échanges a permis la croissance soutenue
des vingt dernières années (1). Les entreprises sont organisées sur
une base transnationale. Cependant, les disparités dans les condi-
tions locales de concurrence donnent une prime au moins-disant.
On en connait les conséquences. Elles génèrent des mouvements
alter mondialistes. Le développement de groupes multinationaux
issus de pays à faible gouvernance accentue l’acuité de cette pro-
blématique pour leurs concurrents. L’économie internationale a be-
soin d’une régulation harmonisée. Chaque État étant souverain, elle
n’est pas encore à portée (2).
La RSE est un discours spontané imaginé par les parties prenantes
en réponse à cette problématique. Elle repose sur des idées simples.
« L’entreprise ne peut pas prospérer dans un désert » (3) et elle doit
contribuer à auto-réguler les domaines où l’absence de régulation
serait destructeur. Par ailleurs, si l’on peut délocaliser une produc-
tion, on ne peut délocaliser un marché.
Ceux des pays développés sont incontournables. De la même fa-
çon, les sites d’extraction ne peuvent être délocalisés et les pays
concernés sont de plus en plus sensibles, lors de l’octroi des permis
d’extraction, aux méthodes d’extraction employées (environne-
ment, traitement des salariés) et à la création d’infrastructures de
nature à assurer un développement durable de leur économie. La
RSE vise à harmoniser unilatéralement vers le haut les conditions de
travail (droits sociaux et syndicaux), les conditions de production
(normes environnementales et développement des infrastructures
locales) et les conditions de gouvernance.
La communication faite sur cette démarche mieux disante doit per-
mettre d’assurer un avantage compétitif auprès de parties prenantes
de plus en plus sensibles à cette exigence. On vise ainsi à lisser les
conditions de concurrence entre les entreprises des pays dévelop-
pés et celles des pays à faible gouvernance. Ce sont celles-ci qui
devront s’adapter vers le haut dans le cadre de leur développement,
et non plus leurs concurrentes qui continueront à subir une pres-
sion à la baisse. Cela pourrait contribuer à réguler la mondialisation
et à en atténuer les effets.
C’est pourquoi la RSE est une démarche volontaire qui va sys-
tématiquement au-delà de la loi : « quelle que soit son appellation,
l’essentiel reste le même, il s’agit d’initiatives positives volontaires
(1) Le rôle de la mondialisation dans la croissance mondiale des vingt dernières années est notamment exposé par Alan Greenspan, Le temps des turbulences, Éd. JC Lattès.
(2) V. discours à la conférence stratégique de l’Union postale universelle, Dubaï 2006, www.upu.int/upu_strategy/2006_sc/fr/06_speech_emmanuel_drai_fr.pdf.
(3) B. Collomb, Lafarge, La Tribune du 23 janvier 2007.
DOCTRINE
DROIT DES
SOCIÉTÉS
4- Petites affiches - 14 MARS 2008 - N
O
54 En ligne sur Lextenso.fr
lancées par les entreprises qui cherchent à aller au-delà des obli-
gations juridiques dans un large éventail de domaines économi-
ques, sociaux ou écologiques » (4).
B. Les conséquences attachées à la RSE
Tout mouvement génère des conséquences : dans le sillage de la
RSE sont apparues des tendances commerciales et financières contri-
buant à intégrer la démarche éthique dans la chaîne de valeur des
entreprises.
Au plan commercial. Les consommateurs deviennent sensibles aux
comportements « sociétalement responsables ». L’octroi des permis
d’extraction ou d’exploitation des ressources naturelles tient compte
des conditions RSE offertes. Les donneurs d’ordre demandent à leurs
prestataires d’adhérer à leur propre charte éthique, ne serait-ce que
pour se prémunir des risques inhérents à ce qui a été appelé le
« système Nike ». Le comportement éthique devient ainsi un avan-
tage commercial.
Au plan financier. Des accidents boursiers sont survenus à la suite
de révélation de comportements non éthiques. L’idée selon laquelle
les entreprises sociétalement responsables créent le plus de valeur
sur le long terme se répand (5). Ainsi, les fonds dits éthiques qui
incorporent des critères non financiers dans l’évaluation des entre-
prises se développent rapidement : 10 % des fonds en gestion col-
lectives aux États-Unis, croissance forte au Canada (65 md $ en
2004, 503 md $ en 2006) également en Europe (+ 88 % en France).
La croissance de ce secteur est due, partout dans le monde, à trois
facteurs :
— la montée en puissance des investissements éthiques de la part
des institutionnels, et principalement des caisses et fonds de retrai-
tes (6) ;
— la mise en place de nouveaux leviers législatifs. En 2000, la Grande-
Bretagne a introduit une loi obligeant les fonds de pension à divul-
guer la manière dont ils prennent en compte les informations so-
ciales, environnementales et éthiques dans leurs stratégies d’inves-
tissement. Il en est de même en Allemagne (2002), en Suède ou en
Belgique. En France, la loi sur l’épargne salariale de 2001 prévoit
l’obligation d’inclure dans les offres un produit financier solidaire.
L’Espagne et l’Italie réfléchissent à des réglementations similaires ;
— le développement de l’activisme actionnarial enfin.
Sont également apparus des indices boursiers évaluant la valeur des
entreprises sur la base de critères éthiques : Dow Jones Sustainable
Index, FTSE4 Good, Advances Sustainable Performance Index,
Ethibel Excellence Global,etc.
Enfin, des agences de notation éthique (Vigeo, Ethibel, etc.) éva-
luent le comportement éthique des entreprises.
La performance éthique des entreprises est appréciée au travers
d’une évaluation de la conformité de ses comportements effectuée
au travers de critères dit « ESG » (environnement, social, gouvernance)
selon des pondérations variant en fonction de la cible visée. Il s’agit
d’une appréciation de la valeur ajoutée et du risque. L’environne-
ment et le social sont perçus comme des facteurs de création de
richesses durables tandis que les règles de gouvernance sont per-
çues comme une garantie pour les actionnaires et contre le risque
de réputation lié au risque de réglementation et à la violation des
bonnes pratiques environnementales et sociales.
De nombreuses sociétés cotées sont listées par ces indices. Des
fonds sont investis sur la base de critères ESG. On ne peut se tenir
à l’écart d’un mouvement prenant de l’influence sur les volumes
d’épargnes pouvant être captés par une entreprise. La concurrence
mondiale s’exerce également sur la captation de l’épargne.
*
**
Ainsi, la RSE fait désormais partie de la chaîne de valeur de l’entre-
prise. Positivement, parce qu’elle contribue à la création d’une image
positive auprès des « parties prenantes », qu’elle donne un avantage
compétitif et qu’elle joue un rôle dans la mobilisation de l’épargne.
Négativement parce que la réalisation d’un risque RSE peut avoir un
impact notamment sur la valeur boursière (7).
C. La réaction des sociétés cotées
Les sociétés cotées perçoivent ce mouvement. La plupart adhèrent
au Global compact. Elles mettent en place des chartes éthiques ESG
et communiquent dessus (notamment sur leur site internet). Ces
chartes sont de plus en plus précises. Elles visent souvent des
référentiels internationaux (8) qui, s’ils n’ont pas de valeur contrai-
gnante, émanent d’organisations intergouvernementales et sont per-
çus comme reflétant un consensus qui les rend opposables à tous
les acteurs.
Ce qui était une politique de communication peut générer désor-
mais une obligation de conformité du comportement de l’entreprise
avec la norme éthique autodéfinie.
II. L’obligation de conformité des comportements
à la charte éthique
Cette obligation découle de plusieurs facteurs croisés.
(4) François Périgot et Daniel Funes de Rioja, président et vice-président de l’Organisation internationale des employeurs, La responsabilité sociale des entreprises, l’approche
de l’OIE adoptée par le comité de direction le 21 mars 2003.
(5) Une étude de l’UNEP FI, octobre 2007, Demystifying Responsible Investment Performance conclu que les critères éthiques sont facteurs de performance.
(6) Étude Novethic 2007, Financial Times, 21 janvier 2007, National News, p. 4, Funds favour sustainable returns.
(7) Sans qu’il soit le lieu de citer les entreprises concernées, pensons aux chutes des cours de bourse de celles qui ont connu des incidents éthiques « ESG ».
(8) Par exemple, Convention OCDE de lutte contre la corruption ; la déclaration tripartite de l’OIT de 1998 ; Pacte mondial de l’ONU ; principes directeurs de l’OCDE à l’intention
des entreprises multinationales de 1976 ; Guide lines de l’OCDE pour les investissements dans les pays à faible gouvernance, etc.
En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 14 MARS 2008 - N
o
54 - 5
A. L’obligation de conformité imposée par la réputation
Les entreprises communiquent sur leur politique éthique. Cette com-
munication est de nature à rassurer les investisseurs et les partenai-
res de l’entreprise. Outre les avantages compétitifs pouvant en dé-
couler, elle accrédite une minoration du risque de réputation et de
réglementation. Mais, encore faut-il que cette communication s’an-
cre dans la réalité. Les effets négatifs pouvant découler d’une
distorsion entre le discours et la réalité pouvant être destructeurs de
valeur.
B. Les obligations conventionnelles
Il devient difficile d’ignorer la contrainte socio-économique de la
RSE. De nombreuses normes conventionnelles multilatérales contrai-
gnantes apparaissent donc telles que les Principes de l’Équateur ou
les Accords de Kimberley. Par ailleurs, les donneurs d’ordres impo-
sent à leurs fournisseurs, prestataires, sous-traitants d’adhérer à leur
charte éthique et de déclarer qu’ils en respecteront les termes. L’éthi-
que devient ainsi un élément de la conformité contractuelle (9).
Ces contraintes conventionnelles génèrent des risques de non-
conformité (résiliation, application de pénalités contractuelles,
exigibilité anticipée d’un crédit, etc.) qui doivent être contrôlés.
C. Les obligations légales
Il n’existe pas de texte édictant une norme RSE et sa sanction. Ce-
pendant, ces règles éthiques que les entreprises se fixent à elles-
mêmes pourraient-elles être une source de responsabilités nouvel-
les ?
En matière de communication permanente : la communication RSE
ne fait pas partie de l’information réglementée et serait ainsi en
dehors des règles régissant l’information des marchés. Ce n’est pas
certain. En Europe (la règle est substantiellement la même aux États-
Unis), l’information permanente doit être « sincère, précise et exacte »
(10). L’information divulguée sur les sites internet des sociétés doit
être également « sincère, précise et exacte » (11). En France, les en-
treprises cotées ont l’obligation d’inclure dans leur rapport annuel la
manière dont elles prennent en compte les conséquences sociales
et environnementales de leurs activités (12). Cette information doit
être également « exacte, précise et sincère ».
Rappelons que pour être exacte, l’information doit suivre la vérité
— commet une infraction celui qui sait que l’information est de
nature à induire en erreur le marché. Des indices éthiques listent les
sociétés sur la base de l’information communiquée et des investisseurs
investissent sur cette base (13). Pour être sincère, l’information doit
faire l’objet d’une appréciation raisonnable des risques. Comment
communiquer de manière sincère sans contrôle interne permettant
d’assurer la maîtrise de la conformité et du risque de non-confor-
mité ? Rappelons à cet égard que les entreprises doivent mentionner
dans leurs prospectus les facteurs de risque. Pour être précise, en-
fin, l’information doit être complète.
En toute logique, en l’absence d’un contrôle interne de la confor-
mité des comportements à la charte éthique, le respect de l’obliga-
tion de divulguer une information exacte, précise (c’est-à-dire com-
plète) et sincère et de mentionner les facteurs de risque, pourrait
nécessiter, afin de ne pas induire en erreur ceux qui investissent sur
des bases éthiques, d’indiquer que ce contrôle fait défaut. Cepen-
dant, une telle déclaration anéantirait l’intérêt de la communication
éthique. La mise en place d’un contrôle de la conformité est donc
un élément indissociable de la mise en place d’une charte éthique.
En matière de communication périodique. Celle-ci doit mentionner
les événements importants de la période considérée (14). Si une
société est listée par un indice éthique, une non-conformité à la
charte éthique pourrait constituer un événement important du point
de vue des critères d’investissement retenus. Plus encore, le fait
d’être incapable d’assurer ces investisseurs de la conformité du com-
portement avec la charte éthique, pourrait être vu comme un sujet
de communication en soi. Rappelons également l’obligation de sin-
cérité, c’est-à-dire l’existence d’une appréciation raisonnable des ris-
ques.
En matière comptable et de contrôle des comptes. La comptabilité
doit donner une image sincère et fidèle du patrimoine de l’entre-
prise, de ses activités et de ses résultats. Les normes IFRS telles que
validées par la Commission européenne, prévoient que les états
financiers incluent « tout autre document utile à la compréhension
des comptes ». Ces normes sont utilisables désormais pour les so-
ciétés étrangères cotées sur les marchés américains . Un risque lié à
une non-conformité éthique susceptible d’impacter les comptes (ris-
que de perte d’un marché, risque d’exigibilité anticipé d’un contrat,
etc.), mais non reflété dans ceux-ci, pourrait conduire à les consi-
dérer comme ne répondant pas à ces obligations.
Il n’existe pas de norme professionnelle pour apprécier la qualité
d’un contrôle interne. Cependant, la Compagnie nationale des com-
missaires aux comptes (CNCC) a rappelé que les commissaires aux
comptes doivent évaluer si la politique sociale ou environnementale
avait un impact sur la situation financière de l’entreprise et, dans ce
(9) À titre d’exemple : les banques adhérents aux Principes de l’Équateur n’acceptent, en substance, de prêter des fonds destinés à des projets d’investissement que si
l’entreprise emprunteuse accepte de s’engager sur le respect d’un certain nombre de critères éthiques.
(10) RG AMF 223-1.
(11) Recommandation COB n
o
98-05.
(12) Loi n
o
2001-420 du 15 mai 2001.
(13) On suivra avec intérêt l’avertissement donné par des investisseurs influant à 78 sociétés cotées n’ayant pas publié leur rapport RSE, contrairement à l’engagement puis lors
de l’adhésion au Global Compact. Wall Street Journal, 15 janvier 2007, Companies Warned on social reports.
(14) C. com., art. 223-7, 233-26 ; C. mon. et fin., L. 232-7.
DOCTRINE
DROIT DES SOCIÉTÉS
6- Petites affiches - 14 MARS 2008 - N
O
54 En ligne sur Lextenso.fr
cas, qu’il leur revenait d’en vérifier la cohérence et la sincérité. Le
CNCC pose le débat : « Peut-on raisonnablement certifier les comp-
tes des entreprises sans se préoccuper du développement durable »
(15) ?
En outre, les commissaires aux comptes doivent apprécier la sin-
cérité des déclarations formulées en matière de contrôle interne :
que doivent-ils faire quand l’absence d’un contrôle de la conformité
des comportements avec la charte éthique, ne permet pas raison-
nablement d’apprécier et de contrôler un risque de non-conformité
pouvant avoir un impact dans les comptes ? Et ce, notamment quand
l’entreprise est listée par un indice éthique ?
La tendance est là, selon la CNCC, les auditeurs externes intervien-
nent dans 72 % des cas sur la vérification des informations sociales
et environnementales dans le rapport annuel et vont au-delà de la
lecture d’ensemble demandée par la loi. À plus de 60 %, ces infor-
mations recevraient une attestation spécifique. 92 % des sociétés du
CAC 40 ont publié des informations de cet ordre et 83 % des so-
ciétés cotées les font vérifier par leurs commissaires aux comptes.
En matière de risque « rating » crédit et d’assurance. Les nouvelles
législations européennes (Bale II et Solvency II) invitent les établis-
sements bancaires et les assureurs à prendre en considération les
facteurs de risque. La conformité des entreprises avec leurs pro-
grammes RSE jouera-t-elle un rôle dans l’évaluation de leur rating
risque et crédit ?
Au plan européen, l’Union européenne réfléchit sur la manière d’aug-
menter les obligations et responsabilités des entreprises cotées (16)
et a entrepris de relancer le processus d’élaboration d’un Livre blanc
sur ce sujet.
*
**
Au travers de ces quelques exemples, on constate que la mise en
œuvre d’une charte éthique est un sujet structurant porteur de res-
ponsabilité. Les programmes RSE et la communication qui en est
faite tendent à devenir de la hard law contraignante, générant un
risque de réputation, un risque d’atteinte à la confiance des clients
et consommateurs, un risque de remise en cause des valeurs inter-
nes de l’entreprise, un risque de sanction par les marchés financiers,
des risques juridiques liés aux actions pouvant être intentées pour
réparer les conséquences préjudiciables de la non-conformité. Ces
risques doivent être encadrés et pris en compte dans la politique et
les programmes de gestion des risques de l’entreprise.
Les entreprises devraient en conséquence, mettre en place une or-
ganisation opérationnelle assurant la mise en place effective de la
charte éthique et une chaîne de contrôle interne permettant de vé-
rifier la conformité des comportements avec la charte éthique et de
faire remonter les informations devant éventuellement faire l’objet
d’une communication au marché.
III. Les personnes responsables de la mise en place
du contrôle de conformité
A. Au plan juridique
L’article L. 225-35 du Code de commerce dispose qu’il appartient
aux administrateurs de se saisir de « toute question intéressant la
bonne marche de la société » et de procéder « aux contrôles et vé-
rifications qu’il(s) juge(nt) opportun ». Pour cela, la loi de sécurité
financière désormais codifiée, a imposé au président de commu-
niquer à chaque administrateur tous les documents et informations
nécessaires à l’accomplissement de sa mission (idem pour les conseils
de surveillance). L’article L. 225-100 dispose que « dans la mesure
nécessaire à la compréhension de l’évolution des affaires, des ré-
sultats ou de la situation de la société », l’analyse (que présente le
rapport annuel) « comporte le cas échéant, des indicateurs clés de
performance de nature non financière, ayant trait à l’activité spéci-
fique de la société, notamment des informations relatives aux ques-
tions d’environnement et de personnel », « le rapport comporte éga-
lement une description des principaux risques et incertitudes aux-
quels la société est confrontée ». Enfin, l’article L. 225-102-1 prévoit
que les entreprises cotées doivent publier des informations « sur la
manière dont la société prend en compte les conséquences sociales
et environnementales de son activité ».
L’IFA conclut à cet égard : « le cadre juridique d’une prise en charge
des questions RSE existe bien et que, notamment avec les disposi-
tions des articles L. 225-100 et L. 225-102-1, le législateur a exprimé
sa volonté de voir prendre en compte par les administrateurs les
conséquences RSE des activités de leurs sociétés. D’une part, ils ont
besoin de ces informations pour mieux comprendre et analyser la
situation de la société, dans le cadre général de leur mission d’ad-
ministrateur ; d’autre part, en adoptant le rapport d’activité dans le-
quel figurent ces informations, ils sont responsables de la façon
dont la société intègre et en gère les conséquences. Et le président
qui ne leur fournirait pas tous les documents nécessaires à l’accom-
plissement de leur mission, faillirait dans sa propre mission ». « Il
existe désormais un risque RSE, au même titre que le risque finan-
cier ou le risque d’opération » (17).
B. Au plan opérationnel
« Éthique » vient de « Ethos » : « comportement ». Elle renvoie à l’ac-
tion, pas à la parole. Dire ne suffit pas. En outre, l’éthique est une
question collective. Si une seule personne se comporte mal, c’est
une infraction, pas un problème éthique, dès lors qu’elle suscite le
(15) Communiqué de presse du département appel public à l’épargne du CNCC, 19 novembre 2007, sur le séminaire relatif à la vérification d’informations relatives au
développement durable.
(16) Cf. séance du Parlement européen du 13 septembre 2007.
(17) V. rapport IFA, septembre 2007, Les administrateurs de sociétés cotées et la responsabilité sociale de l’entreprise.
En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 14 MARS 2008 - N
o
54 - 7
refus du groupe. L’infraction devient un sujet éthique quand le groupe
se comporte mal. Enron et Worldcom n’ont été possibles qu’en rai-
son du fait que des échelons clés étaient incités à adopter des com-
portements déviants.
L’éthique ne relève donc pas uniquement des mandataires sociaux,
mais également du management. Ses échelons opérationnels doi-
vent être investis de la conformité des comportements avec la charte
éthique de l’entreprise.
IV. La mise en place d’une organisation assurant
le contrôle de la conformité
Le contrôle de la conformité doit être mis en place au travers de
quatre étapes. À grands traits :
Première étape - Une impulsion venant du haut de l’échelle. Le ma-
nagement doit poser en amont trois éléments essentiels.
La carte géographique du risque éthique de l’entreprise. Il est né-
cessaire de définir de manière précise les éléments éthiques néces-
saires à l’entreprise pour bénéficier d’un avantage compétitif et les
risques réels auxquels cela l’expose.
La politique éthique de l’entreprise. Il convient de définir à l’avance
l’attitude qui sera adoptée face à un risque de conformité et les
rapports entre les filiales et la maison mère : les filiales sont évaluées
en fonction de leurs résultats au regard de l’objectif annuel qui leur
a été assigné. Comment intégrer la conformité à l’éthique dans l’éva-
luation, pour ancrer l’éthique dans le comportement ?
L’affirmation de la volonté éthique en tant que comportement. La
norme éthique sera suivie par l’entreprise si tous ses échelons la
perçoivent comme un sujet relevant véritablement du cours des
affaires.
Deuxième étape - Mise en place de la chaîne de contrôle. Il faut pré-
venir la réalisation du risque. Pour cela, des procédures spécifiques
aux risques identifiés sont mises en place au niveau des échelons
opérationnels auquel il peut se matérialiser. L’effectivité de ces pro-
cédures est favorisée par l’établissement de délégations de pouvoirs
intégrant le risque RSE dans les obligations des délégataires concer-
nés.
Il faut pouvoir gérer le risque qui survient. Une chaîne de contrôle
interne spécifique, sur un mode up the ladder doit permettre de
faire remonter vers le centre compétent les difficultés RSE majeures
identifiées. Idéalement, le responsable de la conformité doit alors
pouvoir bloquer en amont la situation à risque et définir les mesures
correctrices en relation avec les directions susceptibles d’être impli-
quées selon la nature et l’amplitude du risque (direction financière,
DRH, direction commerciale et éventuellement direction générale).
En cas de non-conformité avérée, cela permet également de cen-
traliser l’information afin (i) d’en limiter l’impact et (ii) de gérer la
communication interne et externe de l’entreprise en adéquation avec
les enjeux stratégiques de celle-ci. Les délégations intègrent cette
chaîne de contrôle, les délégataires devenant les vecteurs de la re-
monté d’information.
Il faut s’assurer de la compétence des échelons concernés. Une
formation adéquate leur est donc dispensée pour qu’ils puissent
réagir à des situations de non-conformité.
Il convient enfin d’introduire une notation RSE positive et négative
dans l’évaluation des cadres et personnels. La violation de la norme
éthique doit être effectivement sanctionnée.
Troisième étape - Mise en place d’un processus d’évaluation de la
chaîne de conformité au travers de contrôles réguliers (« dawn raids »,
audit aléatoires, etc.). Les résultats de cette évaluation doivent être
soumis à l’organe compétent et, à tout le moins, au conseil d’ad-
ministration.
Les informations remontées par la chaîne de contrôle et le proces-
sus d’évaluation continu permettent de délivrer une information « sin-
cère, exacte et précise ».
Quatrième étape - Transfert du risque : le risque RSE étant identifié
et encadré, l’assurance pourrait devenir un élément de l’arsenal de
prévention.
*
**
Le risque de conformité RSE existe désormais et doit faire l’objet
d’un contrôle interne spécifique. Mais, il ne se résume pas à une
contrainte juridique. La RSE fait partie de la chaîne de valeur. À ce
titre, la RSE peut apparaître comme une question stratégique et struc-
turante de l’entreprise.
Emmanuel DRAI
Avocat associé
Latham & Watkins
DOCTRINE
DROIT DES SOCIÉTÉS
8- Petites affiches - 14 MARS 2008 - N
O
54 En ligne sur Lextenso.fr
1 / 5 100%

responsabilité sociétale des entreprises : un mouvement créateur de

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !