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CBMH/BCHM / Volume 24:2 2007 / p. ??-??
La grippe, une menace éternelle
STÉPHANE BARRY
LUC HESSEL
NORBERT GUALDE
Résumé. La grippe est une maladie humaine et animale (essentiellement les
volailles). Les virus responsables de la grippe connaissant de permanentes mod-
ifications antigéniques et possédant des réservoirs animaux, il sera difficile
d’éviter de futures pandémies et l’éradication de la maladie est impossible. Il est
maintenant clair que, par exemple, les virus aviaires peuvent passer des oiseaux
àl’homme. Allons nous vers une nouvelle pandémie de grippe ? 0n ne peut
écarter cette éventualité et par conséquent prendre quelques précautions en
produisant de nouvelles molécules spécifiquement anti-grippales et de nou-
veaux vaccins.
Abstract. Influenza remains a serious disease in humans and animals (primarily
poultry). Since influenza is caused by a virus that both undergoes continuous
antigenic change and possesses an animal reservoir, it will be quite difficult to
avoid any future pandemics and an eradication of the disease is likely to be
impossible. It is now clear, for instance, that the avian viruses may jump into the
human population. Are we heading towards another influenza pandemic? One
cannot discount that eventuality and one should be cautious while trying to
produce new specific drugs as well as efficient vaccines that eventually cannot
be discounted, and various precautions must be taken in the production of
new specificdrugs and vaccines.
Stéphane Barry,doctorant en histoire. Rattaché au Centre Aquitain d’histoire moderne et
contemporaine, Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3. Rédacteur en chef de la Revue
Sociologie Santé.
Luc Hessel, docteur en médecine. Directeur des affaires médicales et publiques, Europe,
sanofi pasteur MSD.
Norbert Gualde, professeur d’immunologie, université Victor Segalen, Bordeaux 2. Chef
du service d’immunologie de l’institut Bergonié, centre régional de lutte contre le cancer,
Bordeaux.
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La connaissance de l’histoire de la grippe, une maladie ancienne est rel-
ativement bien connue, est fondamentale pour essayer d’anticiper la
survenue d’une prochaine pandémie. Il ne s’agit pas là d’un phénomène
totalement inattendu, à l’instar de l’émergence d’un nouveau germe
pathogène comme le SARS ou d’une attaque terroriste, mais d’une des
manifestations périodiques et naturelle de cette maladie virale. Dès lors
la question n’est pas de savoir « si » une pandémie va survenir, mais
« quand » elle se déclarera et serons nous prêt à y faire face ?
C’est pour cela que les multiples manifestations d’une épizootie de
grippe aviaire1hautement pathogène frappant l’Extrême Orient, la
Russie, plusieurs pays européens (Italie, Slovénie, Grèce, France etc), la
Turquie et maintenant l’Afrique, ravivent les angoisses. Bien que ce virus
animal ne se transmette que très difficilement à l’homme, voilà des
semaines que des informations assez alarmistes, assénées par des médias
fréquemment en quête de sensationnel, se font l’écho des progrès de la
maladie, des mesures de prévention envisagées dans tel et tel pays ainsi
que par l’OMS. Puis interviennent des hommes politiques soucieux de
ne pas renouveler les erreurs du passé, qui nous expliquent combien
notre pays est prêt, combien de millions de masques, de doses d’antivi-
raux sont stockés dans des hôpitaux susceptibles de faire face à une
pandémie grippale « humanisée »qui immobiliserait des centaines de
milliers de personnes. C’est oublier comme notre système s’est retrouvé
«grippé »lors de la dernière canicule devant quelques milliers de « sen-
iors »souffrant et parfois périssant d’une chaleur excessive2.Mais que
savons nous de cette « terrible »grippe aviaire qui paraît-il nous menace,
et plus généralement que savons nous des grippes ?
Cause significative de décès pendant la période hivernale chez les
sujets âgés ou dans certains groupes à risque tels que les immuno-
déprimés, la grippe, maladie pulmonaire due au virus influenza, est
généralement considérée par le public comme un mal bénin car elle est
souvent confondue avec les infections mineures saisonnières3. Pourtant
chaque année la grippe revient et tue. R. Dolin écrit à ce propos « si les
grandes pandémies mettent en évidence de façon dramatique les con-
séquences de la grippe, des maladies qui surviennent entre les
pandémies sont responsables d’une mortalité et d’une morbidité encore
plus élevées sur une bien plus longue période4».
QU’EST CE QUE LA GRIPPE ?
On parle de virus « grippal », mais c’est de virus « grippaux » dont il faut
parler5. C’est une maladie des oiseaux6autant que des hommes, provo-
quée par des germes non seulement variables, mais aussi imprévisibles et
non sélectifs qui affectent l’ensemble de la population. Outre qu’elle soit
responsable d’épidémies annuelles hivernales, la grippe est également à
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l’origine de phénomènes épidémiques de grande ampleur appelés
« pandémies7», dus à l’émergence de virus mutants particulièrement
virulents et potentiellement dangereux pour la planète entière. Ces
phénomènes périodiques naturels, liés à l’écologie des virus grippaux
peuvent avoir sur nos sociétés un impact considérable. En fonction de sa
virulence, la grippe est susceptible de toucher simultanément 30 % de la
population d’un pays, et d’en désorganiser l’économie, la vie sociale et
ipso facto les systèmes de soins, tout en entraînant un nombre de décès
variable. Pour exemple, selon l’OMS, elle cause chaque année pour les
seuls Etats-Unis, plus de 110 000 hospitalisations et 20 000 décès8.
Ladécouverte des virus grippaux et leurs caractéristiques
On distingue trois types de virus grippaux circulant tous chez l’homme9.
C’est en 1931 que l’Américain Richard Shope découvre le premier virus
grippal à partir d’une maladie du porc. Puis en 1933, les chercheurs bri-
tanniques, Smith, Andrewes et Laidlaw, isolent et caractérisent le virus
humain de type A. Il s’agit en réalité non pas d’un, mais d’une multitude
de virus « ayant des éléments structuraux similaires mais non iden-
tiques10 ». Par la suite, une souche B responsable d’épidémies plus li-
mitées est isolée en 194011,et une C est identifiée en 194712.Les virus B et
Csont presque exclusivement humains alors que les virus A sont essen-
tiellement aviaires. Dans le présent article, ce ne sont que les deux pre-
mières souches et plus particulièrement les virus de type À, seuls
jusqu’alors responsables de pandémies du fait de leur large réservoir
dans le monde animal, qui nous intéressent. Néanmoins dans un souci
d’exhaustivité, précisons que les épidémies dues à la souche B,
habituellement moins sévères, se juxtaposent ou suivent, au cours de la
même saison, les épidémies de grippe A. Tous ces virus sont caractérisés
par deux glycoprotéines de surface, l’hémagglutinine (H) dont on a
identifié 15 types (numérotés de H1 à H15) et la neuraminidase (N),
dont les 9 types (N1 à N9) qui vont permettre de définir les sous-types.
Jusqu’à présent, seuls 3 sous-types de hémagglutinine (H1, H2 et H3) et
2sous-types de neuraminidase (N1 et N2) sont en cause dans les
épidémies humaines.
Très instables, les virus grippaux mutent en permanence et connais-
sent des modifications antigéniques intrinsèques de deux ordres : des
variations génétiques mineures, dites « glissements » et des modifica-
tions majeures, appelées « cassures », qui ne concernent que le type A.
Les « glissements antigéniques » génèrent des variants viraux très
proches du virus initial. Dans de telles conditions, l’immunité conférée
chez l’Homme lors de la grippe due au virus initial continue de pro-
téger l’organisme contre le variant. Cependant, l’accumulation de ces
modifications antigéniques aboutit progressivement à une altération de
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la reconnaissance par le système immunitaire sensibilisé contre les virus
du « passé ». Si les anticorps produits antérieurement ne reconnaissent
pas le mutant, la vaccination naturelle n’existe plus et la brèche s’ouvre
pour une nouvelle épidémie. Dans le cas beaucoup plus rare et grave
d’une « cassure » ou « saut antigénique », le virus grippal humain
échange du matériel génétique avec des virus grippaux infectant
d’autres espèces13.Au terme de la re-organisation de l’ARN14 porteur
des gènes de virulence, apparaît un nouveau virus grippal mutant à
l’agressivité nouvelle et exacerbée. Le virus adapté, « humanisé », peut
alors se reproduire et se répandre parmi la population à partir des sujets
vivant à proximité des animaux infectés. Ce sont ces modifications radi-
cales du génome qui sont en grande partie responsables de la virulence,
de l’extension géographique et de la morbidité observée au cours de la
pandémie. Dans ce cas précis, l’immunité préexistante, acquise au con-
tact des virus grippaux circulant de façon saisonnière, ou grâce aux vac-
cinations annuelles, ne protége plus.
Deux autres mécanismes sont évoqués pour expliquer l’apparition
de pandémies. Tout d’abord, l’adaptation directe du virus aviaire à
l’homme, sans réassortiment génétique avec un virus humain. Ceci a
été prouvé récemment pour la grippe espagnole15 et c’est ce que l’on
craint dans le cas du virus H5N1 qui circule depuis plusieurs années et se
transmet, de façon heureusement anecdotique mais dramatique, de l’an-
imal infecté à l’homme. Un autre mode d’apparition de pandémie serait
la réémergence d’une souche restée quiescente pendant plusieurs
années, comme lors de la pandémie de 1977 que nous évoquerons dans
le présent article. En somme, il convient de comprendre, que la mutation
virale soit lente ou brutale, le virus « change »chaque hiver.Il peut
ressembler au précédent (glissement) ou être d’un aspect totalement
nouveau (cassure). La mémoire de nos moyens de défense sera selon les
cas, modérément efficace ou totalement inopérante.
Les réservoirs primaires de la maladie sont multiples. Il s’agit de cer-
taines espèces domestiques ou sédentaires, mais aussi et principalement
dans la faune sauvage des oiseaux que leur espèce soit migratrice ou
pas. Dans tous les cas, cela rend toute tentative d’éradication de la ma-
ladie impossible, d’autant plus que les oiseaux migrateurs représentent,
de part les distances qu’ils peuvent parcourir16 et l’impossibilité de les
stopper ou de les vacciner, un mode de propagation particulièrement
efficace de la maladie, qui peut trouver ainsi des relais directs ou indirects
jusqu’aux humains17.
La promiscuité entre les hommes et les animaux tient ici un rôle essen-
tiel et explique en partie que la plupart des mutations du virus grippal
prennent naissance en Extrême-Orient. En effet, dans ces régions où
une population très dense vit en contact étroit avec les animaux, l’éle-
vage conjoint du porc, du poulet et du canard, (contaminés par des
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canards sauvages migrateurs par exemple), peut favoriser la mutation
puis le passage du virus de l’animal à l’homme. Le cas du porc est alors
particulièrement intéressant car il possède des cellules réceptrices qui
peuvent être infectées par des virus aviaires et humains susceptibles de
s’échanger des informations et par conséquent de recombiner un nou-
veau virus pouvant être extrêmement virulent à l’égard de l’espèce
humaine. De même, les pratiques agricoles, notamment en Asie du Sud-
est, peuvent faciliter les mutations du virus aviaire qui trouve dans la
présence des canards (porteurs seins), des cochons et des hommes au
sein des rizières, des conditions de mutation et/ou propagation parti-
culièrement favorables.
Les groupes humains infectés par un virus constituent, à terme, des
populations de sujets résistants à la maladie. En face de défenses effi-
caces, les virus de la grippe ont des caractères leur permettant de
tromper la vigilance de l’immunité. Alors la mémoire de nos moyens
de défense est, selon les cas, modérément efficace ou totalement
inopérante. Rien d’étonnant alors, que la cassure puisse provoquer une
pandémie dans une population humaine « naïve » où le nouveau virus
représente un redoutable danger contre lequel les victimes n’ont aucune
défense efficace.
Pour résumer toutes ces modifications, ces perpétuelles alternances
d’épidémies saisonnières, en général peu agressives et de pandémies,
découlent de la relation durable entre le virus grippal et l’immunité des
personnes atteintes. Une telle situation est illustrée par le modèle de la
Reine Rouge, suivant en cela l’emprunt de Leigh Van Valen18 àl’ou-
vrage de Lewis Carroll19. Pour Van Valen, les interactions compétitives
entre espèces concurrentes sont des facteurs d’évolution. Les améliora-
tions des qualités adaptatives d’une première espèce peuvent induire
une seconde à modifier ses qualités adaptatives qui induiront chez la
première une rétroaction, etc. Il y a ainsi de bonnes raisons de penser
qu’au cours des siècles s’est développée une co-évolution silencieuse
entre les microbes et les hommes.
Une maladie saisonnière
Quelque soit le cas de figure, généralement la grippe se diffuse suivant
une périodicité et un rythme chronologique assez précis. Dans l’hémi-
sphère nord, le virus apparaît vers le mois d’octobre en Asie et circule
d’Est en Ouest jusqu’au mois d’avril. Dans l’hémisphère Sud, le cycle se
poursuit d’avril à octobre. Dès lors qu’il circule chez l’homme, la trans-
mission du virus est essentiellement interhumaine et directe. La con-
tamination se fait par voie aérienne, via des aérosols d’origine salivaire
ou respiratoire. Enfin, on peut être aussi indirectement infecté par con-
tact avec des objets contaminés. L’extrême contagiosité de la maladie
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