Rachis, 1993, vol. 5, 1, pp. 35·48
FAIT CLINIQUE
METASTASES INTRA-MEDULLAIRES DE CANCERS VISCERAUX
A propos de trois cas opérés et revue de la littérature
INTRAMEDULLARY SPINAL CORD METASTASIS
Report of 3 cases operated on and review of Iiterature
G. JACQUET, J. GODARD, H. KATRANJI, A. CZORNY, R. STEIMLE
Service de Neurochirurgie -Hôpital Jean Minjoz -Bd Fleming -25030 Besançon Cedex
RESUME
Les auteurs présentent trois observations de malades ayant
présenté une métastase intramédullaire (MIM) d'un
cancer viscéral; il s'agit d'une femme et de deux
hommes. Les deux premiers porteurs respectivement d'un
cancer du sein, du rein ; le cancer primitif du troisième n'a
pas été trouvé et l'affection médullaire a été révélatrice de
la maladie.
Les symptômes étaient pour les trois des douleurs
rachidiennes et radiculaires associées àun syndrome de
compression médullaire. Le diagnostic de tumeur intra-
médullaire évoqué deux fois par la myélographie, le myélo-
scan, deux fois par l'IRM, a été confirmé par l'examen
anatomo-pathologique. La localisation était cervicale 1
fois, dorsale 1 fois et dans le cône terminal 1 fois. Les trois
malades ont été opérés. L'exérèse a été complète 1 fois et
partielle 2 fois en raison de l'infiltration de la moelle et des
racines.
L'évolution post-opératoire a été marquée par l'atténua-
tion importante des douleurs, et la stabilisation du déficit
neurologique. Le premier et le troisième patients sont
décédés 7 mois et 18 jours après le diagnostic de métastase
intramédullaire par généralisation métastatique. Le recul
pour l'autre patient est de 10 mois.
L'intervention fut complétée chez les deux premiers par de
la radiothérapie.
Avec l'aide de la littérature, les auteurs commentent
ensuite la question des métastases intramédullaires,
affection peu fréquente, mais grave et sans symptomato-
logie spécifique. Ils soulignent l'intérêt de l'IRM, seul
examen àvéritablement montrer la tumeur. Ils discutent la
pathogénie et les modalités thérapeutiques, la chirurgie
3S
SUMMARY
3 cases of intramedullary spinal cord metastasis from
visceral neoplasms are exposed. The presenting symptoms
were pain and weakness. Myelography was characteristic
in two cases and magnetic resonance imaging (MRI) in
two. Cytologie studies of cerebro spinal fluid (CSF) were
negative. Ail patients were operated on, and the tumor was
removed totally in one case and only partially resected in
two. Two patients received radiotherapy. After surgery,
the three patients felt relief of pain, but they remained
neurologically stable,. two died 7months and 18days later
ofwidespread metastatic disease. The third is still alive 10
months after surgery. Spinal cord metastasis are unfre-
quent. They cause very severe and fast neurologie al
deterioration. The diagnosis will be greatly aided by
MRI. Surgery and/or radiotherapy with corticotherapy
offer, in most cases, relief of pain and palliative effect.
However, survival rate is poor, in relation to metastatic
dissemination. - .---
Key words Intramedullary tumour - Spinal cord mltastasis - Magnetic
resonance imaging.
permettant d'établir formellement le diagnostic, de
stabiliser le déficit neurologique, de diminuer les douleurs
en décomprimant la moelle. La radiothérapie paraît pour
certains aussi efficace et mieux adaptée aux malades en
mauvais état clinique.
Mots clés: Métastase intramédullaire - Cancer viscéral - Imagerie en
résonance magnétique.
G. JACQUET, J. GODARD, H. KATRANJl, A. CZORNY, R. STEIMLE
L'utilisation de nouvelles techniques d'imagerie telle que
l'IRM (Imagerie en Résonance Magnétique) donne un
regain d'intérêt aux aspects cliniques et pathologiques
des métastases des cancers viscéraux dans le système
nerveux central (SNC) et en particulier dans la moelle
épinière. Nous rapportons ici trois cas de ce type de
métastases.
OBSERVATIONS
Cas nO 1:
Une femme de 75 ans est opérée en 1982 d'un cancer du
sein gauche. L'opération est suivie d'une radiothérapie et
d'une chimiothérapie. En Mai 1988, une métastase
cérébrale temporo-occipitale droite est découverte et
opérée, sans autre séquelle qu'une hémianopsie latérale
homonyme gauche. En Septembre 1989, apparaissent
des douleurs cervico-brachiales gauches. A l'examen, il
existe une hypoesthésie hémicorporelle gauche. Le
scanner cérébral ne montre pas de récidive tumorale.
Devant l'apparition d'une tétraparésie avec dysurie, une
myelographie est réalisée (fig. 1). Elle est considérée
comme normale. La protéinorachie est de 1,35 g/l. La
cytologie est normale, sans cellules tumorales. Une
scintigraphie osseuse ne révèle qu'un foyer de fixation
au niveau du volet de trépanation. Une IRM objective
une tumeur intramédullaire, étendue de C5 à C6 (fig. 2).
Lors de la laminectomie réalisée le 7/11/89 (Dr Jacquet)
de C4 à C7, il n'y a pas de tissu tumoral extra duraI.
Après repérage échographique, la dure-mère est ouverte
et on constate la présence d'une tumeur extramédullaire,
infiltrant la moelle et les racines postérieures du côté
gauche. L'exérèse sera limitée à la partie extramédullaire
de la tumeur et aux racines postérieures envahies. Les
suites opératoires sont marquées par la disparition des
douleurs, la persistance d'un déficit hémicorporel gauche
et d'une dysurie. L'examen histologique conclut à une
métastase du cancer du sein (Dr CI. Billerey). Une
radiothérapie est délivrée (42 Gy). Trois mois après,
apparaissent des troubles du comportement, rapportés à
une hydrocéphalie et à une méningite carcinomateuse.
La dérivation du liquide céphalo-rachidien (LCR) est
refusée par la famille de la patiente. Rapidement, l'état
de celle-là se détériore. Elle devient grabataire, comateu-
se et décède le 15/05/90, 7 mois après la découverte de sa
métastase médullaire.
1
~
2
~
36
METASTASES INTRA-MEDULLAIRES DE CANCERS VISCERAUX
5..,
Cas no 2:
Un homme de 48 ans est opéré en 1981 d'un cancer du
rein droit (hypernéphrome). En Décembre 1983, il est
opéré d'une métastase cérébrale pariétale gauche dont il
ne garde qu'une dysarthrie. Une radiothérapie (50 Gy)
est délivrée sur la totalité de l'encéphale. En 1988, une
métastase pancréatique nécessite une dérivation bilio-
digestive. En Octobre 1989, il est hospitalisé pour
lombalgies avec irradiations crurales bilatérales. Les
radiographies du rachis dorsolombaire sont normales.
La myélographie objective un élargissement du cône
médullaire (fig. 3et 4) et le myélo-scanner suspecte la
présence d'une tumeur intramédullaire à ce niveau
(fig. 5). Le LCR contient 3,26 g/l de protéines, sans
cellules tumorales. L'angiographie médullaire est nor-
male. Une IRM ne sera pratiquée que 4 mois plus tard, le
23 Janvier 1990, alors qu'est apparue une paraparésie
spastique avec dysurie. Le diagnostic de tumeur
..,3
37
G. JACQUET, J. GODARD, H. KATRANJI, A. CZORNY, R. STEIMLE
",6
intramédullaire du cône terminal est confirmé (fig, 6).
Son exérèse est réalisée le 8 Février 1990 (Dr Godard)
avec l'aide de l'échographie et de l'aspirateur ultrasonore
(Surgitron*). L'examen histologique conclut à une
métastase d'un adénocarcinome rénal (Dr Viennet).
Dans les suites opératoires, on constate la disparition
des douleurs, et la persistance d'une parésie du membre
inférieur gauche. Une radiothérapie est délivrée (30 Gy).
Un an après, l'état neurologique du patient est inchangé.
Cas nO 3:
Un homme de 65 ans sans antécédents, est hospitalisé
pour lombalgies avec cruralgie droite. A l'examen, il
existe un déficit moteur du quadriceps droit, une
diminution de la sensibilité de la face antérieure de la
cuisse droite, et du réflexe rotulien droit.
Les radiographies de la colonne lombaire ne montrent
que des lésions d'arthrose. A la myélographie, on note
un arrêt complet du produit de contraste au niveau de
D12 (fig. 7) et le myélo-scanner (fig. 8) est en faveur
d'une lésion intra et extramédullaire. Le LCR contient
*Surgi/ron -NIIC -Nishiazabu -Minato Ku -Tokyo -Japon
38
",7
3,4 g/I de protéines. La cytologie est normale. Une
laminectomie (Dr Jacquet) est réalisée de Dll à LI, le 6/
11/90. La tumeur est repérée avec l'échographie. Il s'agit
d'une tumeur intra et extramédullaire envahissant les
racines postérieures. L'exérèse est incomplète limitée aux
racines postérieures et à la portion de tumeur extramé-
dullaire. Dans la période post-opératoire immédiate, les
douleurs s'atténuent.
L'examen histologique conclut à une métastase d'un
carcinome indifférencié d'origine indéterminée
(Dr Billerey). Un bilan étiologique et d'extension est
entrepris. L'examen ORL trouve une induration du
METASTASES INTRA-MEDULLAIRES DE CANCERS VISCERAUX
.• 8
plancher buccal en rapport avec un épithélioma localisé,
au pouvoir méta statique faible. Le médiastin est un peu
élargi sur les différentes radiographies du thorax.
L'échographie et le scanner abdominaux découvrent
plusieurs métastases hépatiques et ganglionnaires para-
aortiques. La fibroscopie œsogastroduodénale ne cons-
tate qu'une inflammation banale des muqueuses. L'élec-
troencéphalogramme est normal. Le scanner cérébral ne
sera pas réalisé, car très rapidement apparaissent des
troubles confusionnels et de la conscience. Le décès
survient le 24 Novembre 1990, soit 18 jours après la
découverte de la tumeur.
DISCUSSION
Les métastases intramédullaires (MIM) des cancers
viscéraux sont peu fréquentes. Le premier cas fut
rapporté par Buchholz (6)en 1898. En 1974, Paillas (22),
dans son rapport devant la Société de Neurochirurgie de
Langue Française, en collige 20 cas; Costigan (9) en
analyse 100 cas en 1985, Findlay (12) 146 cas en 1987
(inclus des cas d'autopsies) et Tognetti (28) 120 cas
cliniques en 1988. Sont exclues de ces séries, les
métastases extramédullaires, intradurales (15,24, 30).
Dans un tableau, nous en avons regroupé 109, dont les
observations étaient exploitables.
Les métastases intramédullaires représentent 1% de
toutes les métastases et de 1à8% des métastases du
39
système nerveux central (SNe) (8, 9, 20). Les cas non
symptomatiques découverts àl'autopsie sont cependant
plus fréquents (9, 26, 28) et seraient évalués à 5 % des
métastases rachidiennes (22).
La faible proportion relative des métastases intramédul-
laires par rapport aux localisations cérébrales pourrait
être expliquée (11, 28) par la différence de masse, le
cerveau étant cinquante fois plus gros que la moelle.
De la liste des cancers primitifs ont été exclus, les
leucémies, les lymphomes, le myélome multiple et les
métastases des tumeurs cérébrales primitives.
Tous les cancers viscéraux peuvent métastaser dans la
moelle épinière. Le cancer pulmonaire, à petites cellules
ou non(21, 25) est le plus fréquemment rencontré
(Costigan(9) 41 %; Edelson(11) 45 %; Barge(2),
Grem(13), Mercier(l9) Post(25) 50 %; Findlay(l2) 64 %).
Puis, vient le cancer du sein (Findlay(12) Il %;
Mercier(19) Paillas(22) 12 %. Lauvin(l8) et Pelissou(23)
13 %; Gr:m(13) 14 % et Paillas(22) 30 %), suivi par des
cancers colo-rectal, du rein, de la sphère ORL, de la
peau, etc.(22).
Dans un certain nombre de cas, la localisation du cancer
primitif est inconnue ou seulement suspectée (1 fois sur 2
pour Findlay(12) et Pelissou(23), 1 fois sur 3 dans notre
série, 1 fois sur 4 pour Paillas(22) 1 fois sur 5 pour
Barge(2) Grem(13) et Tognetti(28»).
Les métastases intramédullaires sont quelquefois isolées
(Costigan: 2 cas sur 13 et Grem: 3 sur 34) mais ce n'est
pas la situation la plus fréquente. Beaucoup plus
souvent, elles sont associés àd'autres localisations
métastatiques intradurales, extramédullaires(21, 24), ex-
tradurales et rachidiennes, (Edelson (11): 6 cas MIM sur
175, Paillas(22): 33 MIM pour 794 métastases rachidien-
nes, Perrin(24): 1 seule MIM pour 200 et Tognetti(28):
5 MIM pour 104). Notons, à ce propos, la faible
proportion de métastases rachidiennes qui s'accompa-
gnent de métastases intramédullaires.
L'association des métastases intramédullaires à des
métastases cérébrales est remarquablement élevée,
qu'elles soient découvertes du vivant du patient (2 cas
personnels) ou à l'autopsie (Costigan(9) Il fois sur 13 et
Grem(13) 21 fois sur 34).
La cœxistence de métastases viscérales est encore plus
forte, 80 % pour Winkelman (31), 27 fois sur 30 pour
Grem (13)et dans tous les cas pour Costigan (9)avec une
prépondérance très nette pour le poumon (11).
Cette répartition est la conséquence du mode de
dissémination métastatique. La fréquence des associa-
tions métastases intramédullaires - métastases cérébrales
et métastases intramédullaires - métastases viscères est le
fait d'une extension de la maladie par voie artérielle (9, 12,
13>,ce qui pourrait aussi expliquer la situation profonde
des métastases, dans la moelle aux limites du territoire
des artérioles médullaires (9, 14, 19,22, 23). La pénétration
du cancer dans la moelle par voie périnerveuse est un
mécanisme évoqué, mais discuté (3, 19, 22, 23, 24). Cette
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