ANALGÉSIE ET SÉDATION

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ANALGÉSIE ET SÉDATION
Il est important de séparer les besoins en sédatifs des besoins en antalgiques.
Analgésie
Les agents sédatifs ne sont pas analgésiques, et représenteraient à eux seuls un
traitement inacceptable en cas de douleur. Chez le malade grave, les analgésiques
majeurs sont généralement indiqués. Le risque de dépendance aux opiacés est très
faible, et ne représente donc pas un obstacle à leur prescription à l’USI.
Morphine
La morphine reste un agent largement utilisé, car son administration est facilement
titrée, et son coût quasi nul. Il faut toutefois attendre quelques minutes avant que la
morphine n’agisse (son caractère hydrophile explique un passage lent de la barrière
hémato-méningée). De manière générale, on dilue une ampoule de 10 mg/1 mL de
morphine avec 10 mL de solution physiologique, pour obtenir une solution à
1 mg/mL. Dans les situations aiguës, on injecte la solution lentement par voie
intraveineuse mg par mg (mL par mL), jusqu’à ce que les symptômes s’amendent.
Perfusion : 50 mg dans 50 mL de solution physiologique, que l’on perfuse à 1 à
4 mL (mg)/heure. Administrée de cette manière, la morphine présente peu d’effets
secondaires (dont les principaux sont, rappelons-le, la dépression respiratoire, les
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nausées et vomissements et l’iléus). Les doses doivent être diminuées en cas
d’insuffisance rénale.
Fentanyl et Sufentanil
Ces agents sont parfois préférés pour soulager rapidement une douleur aiguë, en
raison de leur liposolubilité, leur délai d’action court (1 à 2 min) et leur pic d’action
précoce (5-8 min).
Fentanyl ampoules à 50 mcg/mL ; dose de 1 à 2 mcg/kg.
Sufenta® Forte : dilution d’une ampoule de 250 mcg dans 50 ml de solution salée
(5 mcg/mL).
Dose de charge = 1-10 mcg ; entretien : 5-25 mcg/h (= 1-5 mL/h de la solution).
Rémifentanil (Ultiva®)
Cet agent éliminé par des estérases plasmatiques, a une demi-vie très courte,
permettant de titrer l’administration en fonction des besoins tout au long de la
journée. Il est particulièrement utile en cas d’insuffisance rénale ou hépatique.
On l’administre exceptionnellement chez le malade en ventilation spontanée,
mais il est très important d’empêcher tout bolus qui pourrait mener à l’arrêt
respiratoire ! Il faut donc bien indiquer la voie de perfusion pour éviter
l’administration de bolus de médicament par cette voie.
Piritramide (Dipidolor®)
Plus souvent administré chez le malade stabilisé, sortant de l’USI.
Dose : bolus IV de 2 mg, à répéter toutes les 5 min. jusqu’au contrôle des
douleurs ; 10 à 20 mg toutes les 6 heures, par voie intraveineuse ou intramusculaire.
Tramadol (Dolzam®, Contramal®) : 2-3 mg/kg IV lent.
L’intérêt est limité en soins intensifs ; les nausées sont fréquentes. Il a l’avantage de ne
pas déprimer le centre respiratoire.
Paracétamol
En tant qu’analgésique mineur, le paracétamol peut être suffisant en cas de douleurs
modérées telles que céphalées.
Il est souvent ajouté aux analgésiques majeurs pour aussi en potentialiser les effets.
Il a des effets antipyrétiques, mais pas d’effet anti-inflammatoire.
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Dose : 2 g de propacétamol toutes les 6 heures, en perfusion courte (dans 50 mL
de solution en 20-30 min.).
Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)
On se méfie de leurs effets secondaires :
-altérations de la coagulation (effet antiplaquettaire) ;
-risque d’insuffisance rénale ;
-ulcères gastroduodénaux ;
-allergies (rare).
Il y a aussi un « effet plafond » au-dessus d’une certaine dose.
Anesthésie péridurale
L’anesthésie locorégionale (en particulier l’anesthésie péridurale) peut être très utile
pour assurer le confort du malade tout en réduisant les effets généraux du traitement
antalgique.
Fentanyl : une solution peut être obtenue par le mélange de 5 ampoules à
500 mcg dans 200 mL de solution salée, pour atteindre un total de 250 mL à
10 mcg/mL ; administration de 5 à 10 mL/h (50 à 100 mcg Fentanyl/h) ; risque de
sédation et de dépression respiratoire en cas de surdosage.
-Bupivacaïne (Marcaïne®) : 3 à 6 flacons de Marcaïne® 0,5 % sont mélangés à
une solution salée jusqu’à un volume total de 250 mL, à perfuser entre 5 et 10 mL/h.
Risque de bloc sympathique avec vasodilatation et hypotension ainsi que de faiblesse
musculaire en cas de surdosage.
PCA (patient-controlled analgesia)
Différentes substances peuvent être utilisées, dont la morphine et le piritramide.
L’intervalle entre les bolus successifs ainsi que la quantité maximale d’agents sont
prédéterminés.
Sédation
Un traitement sédatif est fréquemment requis chez les patients de soins intensifs en
raison de l’affection aiguë, de sa surveillance (monitorage invasif) et de son
traitement (notamment ventilation mécanique).
Toutefois, la douleur ne doit pas être traitée par des sédatifs. La douleur peut
même être exacerbée par une sédation légère !
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Règle des 3 C
Le but de la sédation n’est pas nécessairement de faire perdre conscience, mais
d’assurer le confort du patient en prévenant toute angoisse, anxiété et même stress. Il
peut éventuellement bénéficier d’une stimulation sociale : visites, TV, musique…
Dans la plupart des cas, on respecte la règle des 3 C : calme, confort,
collaboration. Il est souhaitable de garder un contact avec le patient : idéalement, le
patient est somnolent, mais facilement réveillable, ne se plaignant d’aucun inconfort.
Évidemment, le niveau de sédation et la quantité de médicament nécessaire pour
l’atteindre peuvent varier en fonction du patient et du temps. Il peut être utile de
recourir à un score de sédation (tableau I).
Tableau I - Score de sédation de Bruxelles.
Score
5
4
3
2
1
Description du patient
Agité
Réveillé et calme
Répond à la stimulation auditive
Répond à la douleur (pincement d’un muscle) mais pas à la stimulation
auditive
Ne peut être réveillé
Support non médicamenteux
Parfois l’inconfort du malade est lié à une cause corrigible. Ce serait une erreur
d’administrer des calmants à un patient qui semble mal tolérer la ventilation
mécanique mais qui présente en fait un pneumothorax, une distension gastrique
importante ou un besoin pressant d’uriner…
Il serait également erroné d’augmenter les traitements sédatifs, plutôt que
d’assurer un meilleur support psychologique. Tout malade a besoin d’une certaine
information concernant son état et les interventions qu’on lui fait. Il a besoin d’un
contact humain lui apportant assurance et encouragement. C’est souvent lorsque le
personnel soignant est insuffisant et/ou mal formé que le traitement sédatif est
excessif, par solution de facilité. L’environnement de soins intensifs est aussi très
important (alternance du jour et de la nuit, maintien de la notion du temps, contacts
avec le monde extérieur…) pour éviter le problème dit de « psychose de soins
intensifs ». La famille et les amis proches peuvent contribuer à ce soutien
psychologique dans cette période difficile.
Analgésie et sédation
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Agents sédatifs
Le midazolam (Dormicum®) et le propofol (Diprivan®) sont les plus utilisés. En
raison de leur courte durée d’action, ces agents sont administrés en perfusion
intraveineuse, dont le débit peut être régulièrement adapté aux besoins du patient.
Tableau II - Caractéristiques du midazolam et du propofol.
Type de substance
Solvant
Durée d’action
Réveil complet après arrêt
de la substance*
Réversibilité
pharmacologique
Dose habituelle
Dépression myocardique
Risque d’hypotension
Coût
MIDAZOLAM
(Dormicum®)
PROPOFOL
(Diprivan®)
benzodiazépine
aqueux
courte
2-3 heures
anesthésique
lipidique
très courte
0,5-1 heure
Flumazénil (Annexate)
-
1-4 mg/h
faible
faible
modéré
1-4 mg/kg/h
modérée
modéré
élevé
**Il s’agit du délai attendu après une administration de quelques heures de chaque substance. Ce délai est
d’autant plus long que l’administration a été prolongée, en raison du phénomène inévitable d’accumulation.
Midazolam (Dormicum®)
Perfusion : on peut préparer une solution de 50 mL à 1 mg/mL (mélanger 3 ampoules
à 15 mg avec 45 mL de solution salée) à administrer en perfusion continue à raison de
1 à 5 mg/h. On commence par l’administration d’un bolus de 2 à 5 mg.
Propofol (Diprivan®)
Perfusion : on peut administrer la solution pure (10 mg/mL) à raison de 1 à
4 mg/kg/h, avec bolus initial de 0,5 à 1 mg/kg (30-100 mg).
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Autres agents intraveineux
Halopéridol (Haldol®)
Cet agent, doué de propriétés antipsychotiques plus que sédatives, est
particulièrement indiqué dans les états confusionnels accompagnés d’hallucinations.
Les effets secondaires sont très limités. L’halopéridol n’a pas d’effet
hémodynamique notable (l’hypotension n’est que rarement observée chez les
malades hypovolémiques) et ne déprime pas le centre respiratoire.
L’haloperidol peut allonger l’espace QT de l’ECG, entraîner des troubles
extrapyramidaux et un syndrome malin aux neuroleptiques.
La durée d’action peut être longue, de 3 à 4 heures.
Hypnomidate
Cet agent est utilisé qu’en administration IV directe et unique, pour obtenir une
sédation de courte durée, généralement avant l’intubation endotrachéale.
Il a l’avantage de n’entraîner aucun effet hémodynamique notable, mais
l’inconvénient d’altérer la réponse surrénalienne : même une seule administration
déprime la fonction surrénalienne pendant plusieurs heures. Son administration
peut être suivie de mouvements involontaires (myoclonies) passagers.
Kétamine
Une dose de 0,5 mg/kg (50 mg/ampoule) ; la kétamine doit être évitée en cas de
trauma crânien, car elle peut augmenter la pression intracrânienne.
Diazépam (Valium®)
Surtout dans les syndromes de sevrage.
Bloquants neuromusculaires
L’indication principale des bloquants neuromusculaires (terme préférable à celui de
« myorelaxants » ou de « curares ») en soins intensifs est l’adaptation au respirateur
pour limiter le risque de barotraumatisme en cas d’ARDS sévère ou d’asthme grave.
Leur complication la plus redoutable est la neuromyopathie de soins intensifs,
responsable de quadriparalysie prolongée (voir section neurologique).
Structures moléculaires
Dépolarisants : succinylcholine (Myoplegine®) est parfois utilisée dans les
situations où un effet rapide est souhaitable (intubation difficile en urgence). Les
Analgésie et sédation
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effets secondaires peuvent être sérieux : hyperkaliémie et arythmies (rarement
hyperthermie maligne).
Non-dépolarisants : ils occupent les récepteurs à l’acétylcholine ; agissent en
général après 2-5 min. On reconnaît deux structures moléculaires :
- aminostéroïdes : pancuronium, vecuronium, pipecuronium, rocuronium. Ces
agents pourraient peut-être entraîner davantage de neuromyopathies de soins
intensifs s’ils sont combinés aux corticostéroïdes ;
- enzylisoquinolones: atracurium, mivacurium. Ces agents peuvent être histaminolibérateurs (surtout après un bolus important).
Tableau III - Principaux bloquants neuromusculaires.
Produit
Dose bolus
Dose entretien
Durée d’action
Caractéristiques
Pancuronium
(Pavulon®)
0,1 mg/kg
0,5-1 mcg/kg. min
80-120 min
- effets vagolytiques/
sympathicomimétiques
- coût peu élevé
Vecuronium
(Norcuron®)
0,1 mg/kg
1-2 mcg/kg. min
25-30 min
- pas d’effet hémodynamique
Atracurium
(Tracrium®)
0,3-0,5 mg/kg
5-10 mcg/kg. min
25-45 min
- moins d’accumulation en
cas d’insuffisance hépatique
ou rénale
- prix plus élevé
Le pancuronium est l’agent qui a la plus longue durée d’action, mais aussi le coût
le plus faible. Il est moins utilisé aujourd’hui. Les ampoules sont à 4 mg/2 mL. La
dose de charge est de 6 à 8 mg. Une perfusion continue peut être administrée à
raison de 2 à 4 mg/h (perfusion continue de 1 à 2 mL/h du médicament non dilué).
Il y a toutefois risque d’accumulation en cas d’insuffisance rénale ou hépatique.
Le cisatracurium (Nimbex®) peut être utile pour une paralysie de courte durée
ou chez l’insuffisant rénal. La dose est de 0,2 mg/kg (jusqu’à une ampoule de
20 mg/10 mL), éventuellement suivie d’une perfusion de 4 à 12 mg/h (2 à 6 mL/h de
la solution).
Le vecuronium et l’atracurium ont une durée d’action moyenne. Le vecuronium
assure la plus grande stabilité cardiovasculaire et a une durée d’action un peu plus
courte chez le patient non débilité. Par contre, l’atracurium a une durée d’action
plus prévisible chez le patient âgé ou débilité, en raison de son métabolisme non
rénal et seulement en partie hépatique.
Agents anticholinestérasiques : edrophonium, néostigmine et pyridostigmine.
Ils peuvent inhiber les effets en inhibant l’acétylcholinestérase synaptique. La
néostigmine est préférée pour ses effets plus importants et plus prévisibles. La dose
habituelle est de 40 mcg/kg (2,5 mg). On y associe en général l’atropine pour
bloquer les effets muscariniques indésirables (bradycardie, salivation, myosis,
hypertonie bronchique, intestinale et vésicale).
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Tableau IV - Agents potentialisant les effets des bloquants neuromusculaires.
Corticostéroïdes.
Agents anesthésiques inhalés ou intraveineux (kétamine, propofol seulement à
hautes doses).
Agents antibiotiques : surtout les aminoglycosides, dont les effets sont
comparables à ceux du Mg ++ et/ou des anesthésiques locaux ; ils peuvent
diminuer la libération d’acétylcholine, bloquer le canal ionique, diminuer la
sensibilité postsynaptique ou la contractilité musculaire. Ces effets peuvent
parfois être réversibles par l’administration de calcium. Les polymyxines, la
clindamycine, peut-être le métronidazole et la vancomycine peuvent aussi
potentialiser les effets des bloquants neuromusculaires.
Diphénylhydantoine : par administration aiguë ; par stabilisation membranaire et
diminution de libération d’acétylcholine. Toutefois, l’administration chronique
peut diminuer la réponse aux bloquants neuromusculaires.
Agents anesthésiques locaux : lidocaine.
Antiarythmiques : bêta-bloquants, bretylium, vérapamil, quinidine…
Surveillance
On peut monitoriser le degré de blocage neuromusculaire par la stimulation du nerf
facial ou cubital (monitorage du « train of four » ou TOF) : il ne faut pas excéder 7090 % de blocage.
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