Journal Identification = MTE Article Identification = 0452 Date: March 15, 2013 Time: 6:58 pm
Mini-revue
L’évolution des mœurs, du droit et des technologies de
la reproduction a-t-elle conduit à dissocier davantage la
reproduction biologique, qui apparaît comme de plus en
plus maîtrisée, et le système de parenté qui se serait auto-
nomisé des contraintes et des ressources biologiques ou
au contraire à un renforcement du lien entre les deux ?
Nous commencerons par rappeler les bases de
l’anthropologie classique de la parenté, dont les modèles
reposent sur la différence de genre et sur la distinction
entre filiation et alliance comme le rappelle Franc¸ois
Héran [8], c’est-à-dire sur les représentations occidentales
de la parenté [5] pour qui le genre est une donnée bio-
logique et la nature (parenté consanguine) s’oppose au
droit (parenté affine). Nous montrerons que les schémas
classiques de parenté sont suffisamment souples pour se
détacher de ces modèles et décrire avec une précision
ethnographique les transformations des mœurs, divorce,
liaison non officielle, alliance homosexuelle, naissance
hors mariage reconnue ou non. Une étude du droit de
la filiation en France, avant et après 1972, montre que
l’État est présent dans l’établissement de la filiation et ne
s’incline pas forcément devant la nature, contrairement
à ce qu’avanc¸ait Schneider dans le cas américain. Une
troisième dimension de la parenté a été découverte en
Malaisie dans les années 1980 par l’anthropologue britan-
nique Janet Carsten : la parenté nourricière ou quotidienne
[9].
Ces trois dimensions de la parenté (nature, droit, quo-
tidien) permettent d’analyser les transformations de la
filiation dans les sociétés occidentales contemporaines.
On partira du cas de Bérénice pour montrer la dissocia-
tion entre trois dimensions de la filiation paternelle dans
le contexte franc¸ais des années 1990 : la transmission du
nom, l’idéologie du sang et le partage du quotidien [10].
On s’interrogera ensuite sur les différentes dimensions de
la filiation maternelle : la grossesse et l’accouchement, étu-
diées dans leur relation avec le pouvoir médical [11, 12],
relèvent-elles de la nature ou du quotidien ? N’assiste-t-
on pas à une dissociation de la reproduction féminine,
entre ses représentations génétiques (gamète) et corpo-
relles (ventre) ? Cette focalisation sur la nature féminine
désormais dédoublée ne s’accompagne-t-elle pas d’une
incapacité redoublée des femmes à transmettre leur nom
malgré les évolutions législatives ? Quels sont les liens
entre le rôle des femmes dans la reproduction biologique,
désormais prise en mains par le corps médical, et leur
place, centrale et invisible, dans la reproduction sociale ?
Les schémas de parenté :
filiation et alliance
La parenté est un domaine particulièrement actif et
cumulatif de l’anthropologie sociale, présent dès l’origine
de la discipline avec les travaux de Lewis Morgan en
1871 [13], et qui a résisté aux changements de paradigme
scientifique, notamment à l’abandon de l’hypothèse évo-
lutionniste. Du point de vue de la méthode, les ethno-
graphes étudient les terminologies de parenté (la fac¸on
dont les indigènes appellent leurs parents et se réfèrent
à eux), les règles de l’alliance (règles positives qui dési-
gnent les partenaires préférentiels, règles négatives qui
désignent les partenaires à éviter, dont la plus connue
est l’interdit de l’inceste) et les normes de comportement
(qui vont de l’évitement et du respect à la plaisante-
rie [14]). La synthèse des données ethnographiques fut
facilitée par l’universalité des diagrammes de parenté
(figure 1).
Les faiblesses du diagramme classique, mises en évi-
dence par Franc¸ois Héran qui propose une notation
plus efficace pour représenter les structures, constituent
sa force pour un usage ethnographique. Celui-ci, d’une
grande puissance descriptive et qui a peu varié, repose sur
quatre notations conventionnelles :
–la différence de genre (le triangle désigne un
homme, le cercle une femme) ;
–l’alliance (représentée par un crochet horizontal
ouvert vers le haut) ;
–la filiation (représentée par un trait vertical qui relie
les enfants au crochet d’alliance) ;
–la germanité (représentée par un crochet horizontal
ouvert vers le bas).
Chacune de ces notations est d’une grande sou-
plesse. Lorsque le genre n’est pas connu ou qu’il n’a pas
d’importance, l’individu est représenté par un carré. Une
alliance homosexuelle ne pose pas de problème de nota-
tion. Chaque individu peut être relié à plusieurs conjoints,
successifs ou simultanés, à l’aide de plusieurs crochets
vers le haut, numérotés si nécessaire, et chacune de ces
alliances peut donner lieu à filiation. Un divorce est repré-
senté par un trait oblique qui rature le crochet d’alliance.
Une filiation naturelle est représentée par un trait verti-
cal entre la mère seule ou le père seul, et l’enfant. Une
alliance non officielle est représentée par un crochet en
pointillés, une filiation non officielle par un trait vertical
en pointillés.
La constitution de tels schémas repose sur une opéra-
tion de traduction entre les représentations de la parenté
des personnes enquêtées et cette représentation uni-
verselle. Ils sont susceptibles d’un usage structuraliste
(lorsque prime le jeu des formes et de leur répétition)
ou d’un usage ethnographique (lorsque chaque schéma
représente un cas, centré sur un individu noté «Ego »).
Si les nouveaux diagrammes proposés par Héran sont
plus puissants pour l’usage structuraliste, les diagrammes
classiques légèrement modifiés permettent l’usage ethno-
graphique, à condition de noter les décès (par une croix)
et éventuellement les dates (de mariage, de naissance et
de décès).
122 mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n◦1, janvier-février-mars 2013
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