É ditorial Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Quels patients cirrhotiques doit-on réanimer en 2013 ? Cirrhotic patients: who should be resuscitated in 2013? Claire Francoz, François Durand ^pital Beaujon, Ho ^le des maladies de l’appareil digestif, po service d’h epatologie, reanimation h epatologique et transplantation h epatique, 100 boulevard du G eneral Leclerc, 92110 Clichy, France ; CRB3, INSERM U773, Universit e Paris-Diderot, Paris, France e-mail : <[email protected]> a justification de la prise en charge en r eanimation des patients cirrhotiques ayant une complication grave, et un risque vital a court terme, reste une question largement d ebattue. La principale r eticence des equipes de r eanimation a admettre des patients cirrhotiques dans leurs unit es repose sur le fait que le pronostic est souvent m ediocre et qu’en dehors de la transplantation h epatique, il n’existe pas de moyen permettant de pallier durablement et efficacement les fonctions h epatiques. Compte tenu de difficult es techniques, les perspectives d’un « foie bioartificiel » utilisable en pratique courante au m^ eme titre qu’un dispositif d’h emodialyse sont tr es lointaines. Toute complication grave de la cirrhose risque d’initier des d efaillances d’organes ou de syst emes autres que le foie (d efaillance circulatoire, insuffisance r enale aigu€ e et d efaillance respiratoire, etc.). Les d efaillances d’organes autres que le foie contribuent a leur tour a une d egradation des fonctions h epatiques initiant ainsi un cercle vicieux qui entretient les d efaillances d’organes. L ‘‘ La principale réticence des équipes de réanimation à admettre des patients cirrhotiques dans leurs unités repose sur le fait que le pronostic est souvent médiocre et qu’en dehors de la transplantation hépatique, il n’existe pas de moyen permettant de pallier durablement et efficacement les fonctions hépatiques ’’ Une question essentielle est de savoir si, compte tenu d’un pronostic particuli erement d efavorable, les cirrhotiques qui d eveloppent une d efaillance ^teux en moyens multivisc erale doivent justifier ou non de soins intensifs cou ^le des d humains et mat eriels, et ce, dans un contexte g en eral de contro epenses de sante. Plusieurs etudes ont en effet montr e que la mortalit e pr ecoce des cirrhotiques admis en r eanimation avec plus de deux d efaillances d’organes et/ou syst emes autres que le foie est proche de 90 % [1-3]. Cependant, une position consistant a ecarter par principe les patients cirrhotiques d’un acces a la r eanimation serait irrationnelle et fortement contestable. ‘‘ doi: 10.1684/hpg.2013.0853 Une position consistant à écarter par principe les patients cirrhotiques d’un accès à la réanimation serait irrationnelle et fortement contestable ’’ La d ecision d’admettre un patient cirrhotique en r eanimation et d’entreprendre les soins intensifs correspondants devrait en th eorie reposer sur plusieurs el ements : (a) le terrain sous-jacent (^ age et existence de comorbidit es s ev eres) ; Pour citer cet article : Francoz C, Durand F. Quels patients cirrhotiques doit-on reanimer en 2013 ? Hepato Gastro 2013 ; 20 : 153-157. doi : 10.1684/hpg.2013.0853 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 20 n8 3, mars 2013 153 versibilit (b) le potentiel de re e a court terme des complications qui justifient le transfert en r eanimation ; (c) le nombre et le type de d efaillances d’organes ou de syst emes associ ees ; (d) la gravit e de la cirrhose sous-jacente (« r eserve h epatique ») ; (e) l’existence d’un projet th erapeutique a court ou moyen terme, en particulier la perspective d’une transplantation h epatique, seul moyen d’interrompre le cercle vicieux des complications [4]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. En pratique, la d ecision d’admettre un cirrhotique en r eanimation se fait au cas par cas et les el ements de d ecision enum er es ci-dessus sont rarement pris en compte dans leur globalit e. Il n’existe pas d’algorithme permettant d’apporter une aide a la d ecision. Les strat egies concernant la prise en charge des cirrhotiques en r eanimation varient fortement en fonction des centres mais aussi des pays. La proximit e imm ediate d’une equipe de transplantation h epatique favorise la prise en charge intensive des complications de la cirrhose. ‘‘ La proximité immédiate d’une équipe de transplantation hépatique favorise la prise en charge intensive des complications de la cirrhose ’’ En dehors des h emorragies digestives li ees a l’hypertension portale dont la prise en charge est assez bien codifi ee [5], la question de l’acc es des patients cirrhotiques aux unit es de r eanimation en cas de situation critique a et e r eactiv ee par l’adoption dans la plupart des pays occidentaux d’une politique de transplantation consistant a attribuer prioritairement les greffons aux receveurs les plus graves, ceux dont la mortalit e a court terme est la plus elev ee avec un traitement m edical (« sickest first policy ») [6, 7]. La priorit e est d etermin ee par le score MELD, score objectif et continu qui repose sur les valeurs de la bilirubin emie, la cr eatinin emie et l’INR. Ainsi, l’acc es a la transplantation ne d epend plus de l’anciennet e de l’inscription en liste d’attente mais de la gravit e de la maladie. Une cons equence in eluctable de cette politique d’attribution des greffons aux receveurs les plus graves est qu’elle conduit a transplanter des cirrhotiques ayant non seulement une insuffisance h epatique s ev ere mais aussi des d efaillances d’organes n ecessitant potentiellement un recours a la r eanimation. C’est le cas en particulier de l’insuffisance r enale puisque la erience montre que cette cr eatinine est un des composants du score MELD. L’exp politique s’accompagne d’une r eduction de la mortalit e globale en liste d’attente sans impact n egatif sur les r esultats de la transplantation en termes de survie, m^ eme s’il existe une augmentation sensible de la morbidit e et de la dur ee d’hospitalisation [7]. ‘‘ La question de l’accès des patients cirrhotiques aux unités de réanimation en cas de situation critique a été réactivée par l’adoption d’une politique de transplantation consistant à attribuer prioritairement les greffons aux receveurs les plus graves, ceux dont la mortalité à court terme est la plus élevée avec un traitement médical ’’ Une question d’actualit e est donc d’amener des cirrhotiques en situation critique a la transplantation dans les meilleures conditions, si n ecessaire par un recours a des moyens de r eanimation tels que l’ epuration extrar enale, le support 154 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 20 n8 3, mars 2013 Editorial Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. modynamique ou la ventilation artificielle. Une question connexe est d’identifier he des limites au-del a desquelles les chances de succ es d’une transplantation « de sauvetage » seraient insuffisantes pour justifier l’utilisation d’un greffon dans un contexte de p enurie d’organes. Dans ce contexte, deux questions doivent ^ etre approfondies : a) Comment appr ecier au mieux les r eserves h epatiques ? et b) Comment evaluer au mieux le pronostic des cirrhotiques en r eanimation ? De ces questions d ecoulent les conditions d’acc es des cirrhotiques a la r eanimation. ‘‘ Le score MELD est un outil pronostique simple et robuste destiné à estimer le risque de décès à 3 mois des cirrhotiques avec une prise en charge médicale ’’ a estimer le Le score MELD est un outil pronostique simple et robuste destine risque de d ec es a 3 mois des cirrhotiques avec une prise en charge m edicale [6]. Toutefois, les fonctions h epatiques ne sont estim ees que par la bilirubin emie et l’INR. Dans des situations complexes telles que celles de la r eanimation, une evaluation plus subtile des capacit es d’un patient a conserver ou a retrouver des fonctions h epatiques suffisantes serait n ecessaire. C’est egalement le cas, par exemple, pour savoir si un patient cirrhotique pourra supporter une h epatectomie ou non. Le terme de « r eserve h epatique » reste assez vague et il n’existe pas de test fonctionnel ou d’ equivalent d’ epreuve d’effort applicables au foie. Toutefois, pour un score MELD equivalent, on peut raisonnablement s’attendre a ce qu’un patient ayant une bonne r eserve h epatique (volume du foie conserv e, peu d’hypertension portale, peu d’impact sur l’ etat nutritionnel. . .) ait plus de chances de surmonter une complication grave en r eanimation qu’un patient ayant peu de r eserves (atrophie h epatique majeure, ce titre, le score de Childhypertension portale et ascite, d enutrition. . .). A Turcotte, prenant en compte l’ascite et l’ etat nutritionnel, pourrait ^ etre sup erieur au score MELD, m^ eme s’il est moins objectif [8]. Le concept de erite d’^ etre d evelopp e avec des « r eserve » en termes de fonction hepatique m donn ees objectives. ‘‘ Le terme de « réserve hépatique » reste assez vague et il n’existe pas de test fonctionnel ou d’équivalent d’épreuve d’effort applicables au foie ’’ pend non seulement des Le pronostic des cirrhotiques en r eanimation de fonctions h epatiques mais aussi des d efaillances d’organes. La prise en charge intensive d’un cirrhotique ayant un score MELD bas (inf erieur a 15) et une complication sp ecifique rapidement r eversible (h emorragie digestive, episode d’enc ephalopathie) ne pose g en eralement pas de question et les taux de survie sont elev es [9]. En revanche, le pronostic des malades ayant un score MELD elev e et des d efaillances d’organes est nettement plus r eserv e, en particulier dans un contexte de sepsis [2, 10]. Dans ce groupe, le score MELD est insuffisant car il ne prend pas en compte la nature et le nombre des d efaillances d’organes. De plus, les patients admis en r eanimation dans ce contexte ont g en eralement un score MELD tr es elev e et les faibles variations de score ne sont plus discriminantes. Les scores de r eanimation g en erale et en particulier le score SOFA ont une meilleure valeur pronostique [1, 2]. Toutefois, le score SOFA a des limites evidentes chez les cirrhotiques. Premi erement, ce score prend en compte les plaquettes dont la HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 20 n8 3, mars 2013 155 valeur est biais ee au cours de la cirrhose en raison de l’hypertension portale et de l’hyperspl enisme. Deuxi emement, la « d efaillance h epatique » est prise en compte par la bilirubin emie qui, au cours des maladies chroniques du foie, en est un reflet tr es inexact de « l’insuffisance h epatique ». Les param etres de la coagulation ne sont pas pris en compte. Un score SOFA modifi e, adapt e a la cirrhose en ponderant la valeur des plaquettes et en incluant des parametres de coagulation, semble plus int eressant et doit ^ etre valid e [3]. ‘‘ ’’ Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Le pronostic des cirrhotiques en réanimation dépend non seulement des fonctions hépatiques mais aussi des défaillances d’organes En pratique, l’existence d’une cirrhose ne devrait plus conduire a contre-indiquer, de principe, une prise en charge en r eanimation. Les h emorragies digestives et les episodes d’enc ephalopathie sont les complications de la cirrhose dont le pronostic est le meilleur en r eanimation. Le pronostic est moins bon en cas de d efaillance d’organe et/ou de syst eme autre que le foie. Cependant, une d efaillance d’organe (insuffisance r enale aigu€ e n ecessitant une epuration extrar enale, enc ephalopathie s ev ere n ecessitant une ventilation artificielle) ne repr esente plus n ecessairement une contre-indication a la transplantation. Une attitude pragmatique consistant a entreprendre une r eanimation intensive des cirrhotiques sans restriction mais avec une r e evaluation au terme de 72 heures par un score SOFA adapt e a la cirrhose est actuellement l’option la plus rationnelle [1]. Au terme de 72 heures de r eanimation intensive, la persistance de 3 d efaillances d’organes (ind ependamment des plaquettes) devrait conduire a une limitation des soins en raison d’un pronostic particuli erement d efavorable. De grandes disparit es concernant l’acc es a la r eanimation et l’acc es a la transplantation des cirrhotiques pr esentant des d efaillances d’organes peuvent ^ ees en France comme dans d’autres pays. La prise en charge de ces etre constat patients est n ecessairement multidisciplinaire (h epato-gastroent erologues, r eanimateurs et chirurgiens). Il est souhaitable que les soci et es savantes repr esentant ces diff erentes disciplines se concertent rapidement pour proposer des recommandations consensuelles. Enfin, la complexit e inh erente a la prise en charge de ces patients, la n ecessit e d’interactions multidisciplinaires et les enjeux considerables en termes de recherche illustrent de nouveau l’int er^ et de structures sp ecifiques, d edi ees a la prise en charge des maladies graves du foie. ‘‘ De grandes disparités concernant la l’accès à la réanimation et l’accès à la transplantation des cirrhotiques présentant ^ tre constatées en France comme des défaillances d’organes peuvent e dans d’autres pays ’’ re ^ts : Les auteurs d Liens d’inte eclarent n’avoir aucun lien d’int er^ et en rapport & avec cet article. Les r ef erences importantes apparaissent en gras 2. Levesque E, Hoti E, Azoulay D, et al. Prospective evaluation of the prognostic scores for cirrhotic patients admitted to an intensive care unit. J Hepatol 2012 ; 56 : 95-102. 1. Das V, Boelle PY, Galbois A, et al. Cirrhotic patients in the medical intensive care unit: early prognosis and long-term survival. Crit Care Med 2010 ; 38 : 2108-16. 3. Moreau R, Gines P, Jalan R, et al. Diagnosis, prevalence, and prognosis of acute-on-chronic liver failure (ACLF) : results of the EASL-chronic liver failure (CLIF) consortium Canonic study [abstract]. J Hepatol 2012 ; 56 : S552-3. Références 156 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 20 n8 3, mars 2013 Editorial 4. Gines P, Fernandez J, Durand F, Saliba F. Management of critically-ill cirrhotic patients. J Hepatol 2012 ; 56 (Suppl. 1) : S13-24. 5. de Franchis R. Revising consensus in portal hypertension: report of the Baveno V consensus workshop on methodology of diagnosis and therapy in portal hypertension. J Hepatol 2010 ; 53 : 762-8. 8. Durand F, Valla D. Assessment of the prognosis of cirrhosis: Child-Pugh versus MELD. J Hepatol 2005 ; 42 Suppl : S100-7. 9. Carbonell N, Pauwels A, Serfaty L, Fourdan O, Levy VG, Poupon R. Improved survival after variceal bleeding in patients with cirrhosis over the past two decades. 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