Quels patients cirrhotiques doit-on re´animer en 2013

Quels patients cirrhotiques
doit-on re´animer en 2013 ?
Cirrhotic patients:
who should be
resuscitated in 2013?
Claire Francoz, Franc¸ois Durand
H^
opital Beaujon,
p^
ole des maladies de l’appareil digestif,
service d’h
epatologie, r
eanimation
h
epatologique et transplantation
h
epatique,
100 boulevard du G
en
eral Leclerc,
92110 Clichy,
France ;
CRB3, INSERM U773,
Universit
e Paris-Diderot,
Paris,
France
La justification de la prise en charge en r
eanimation des patients cirrhotiques
ayant une complication grave, et un risque vital
a court terme, reste une
question largement d
ebattue. La principale r
eticence des
equipes de r
eanimation
a admettre des patients cirrhotiques dans leurs unit
es repose sur le fait que le
pronostic est souvent m
ediocre et qu’en dehors de la transplantation h
epatique,
il n’existe pas de moyen permettant de pallier durablement et efficacement les
fonctions h
epatiques. Compte tenu de difficult
es techniques, les perspectives
d’un « foie bioartificiel » utilisable en pratique courante au m^
eme titre qu’un
dispositif d’h
emodialyse sont tr
es lointaines. Toute complication grave de la
cirrhose risque d’initier des d
efaillances d’organes ou de syst
emes autres que le
foie (d
efaillance circulatoire, insuffisance r
enale aigu
eetd
efaillance respiratoire,
etc.). Les d
efaillances d’organes autres que le foie contribuent
a leur tour
a
une d
egradation des fonctions h
epatiques initiant ainsi un cercle vicieux qui
entretient les d
efaillances d’organes.
‘‘ La principale re´ticence des e´quipes de re´animation a` admettre
des patients cirrhotiques dans leurs unite´s repose sur le fait
que le pronostic est souvent me´ diocre et qu’en dehors
de la transplantation he´patique, il n’existe pas de moyen permettant
de pallier durablement et efficacement les fonctions he´ patiques’’
Une question essentielle est de savoir si, compte tenu d’un pronostic
particuli
erement d
efavorable, les cirrhotiques qui d
eveloppent une d
efaillance
multivisc
erale doivent justifier ou non de soins intensifs co^
uteux en moyens
humains et mat
eriels, et ce, dans un contexte g
en
eral de contr^
ole des d
epenses
de sant
e. Plusieurs
etudes ont en effet montr
e que la mortalit
epr
ecoce des
cirrhotiques admis en r
eanimation avec plus de deux d
efaillances d’organes et/ou
syst
emes autres que le foie est proche de 90 % [1-3]. Cependant, une position
consistant
a
ecarter par principe les patients cirrhotiques d’un acc
es
ala
r
eanimation serait irrationnelle et fortement contestable.
‘‘ Une position consistant a`e´carter par principe les patients
cirrhotiques d’un acce`s a`lare´animation serait irrationnelle
et fortement contestable’’
La d
ecision d’admettre un patient cirrhotique en r
eanimation et d’entreprendre
les soins intensifs correspondants devrait en th
eorie reposer sur plusieurs
el
ements :
(a) le terrain sous-jacent (^
age et existence de comorbidit
es s
ev
eres) ;
Pour citer cet article : Francoz C, Durand F. Quels patients cirrhotiques doit-on r
eanimer en
2013 ? H
epato Gastro 2013 ; 20 : 153-157. doi : 10.1684/hpg.2013.0853
doi: 10.1684/hpg.2013.0853
153
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 20 n83, mars 2013
ditorialE
´
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(b) le potentiel de r
eversibilit
e
a court terme des complications qui justifient le
transfert en r
eanimation ;
(c) le nombre et le type de d
efaillances d’organes ou de syst
emes associ
ees ;
(d) la gravit
e de la cirrhose sous-jacente (« r
eserve h
epatique ») ;
(e) l’existence d’un projet th
erapeutique
a court ou moyen terme, en particulier
la perspective d’une transplantation h
epatique, seul moyen d’interrompre le
cercle vicieux des complications [4].
En pratique, la d
ecision d’admettre un cirrhotique en r
eanimation se fait au
cas par cas et les
el
ements de d
ecision
enum
er
es ci-dessus sont rarement pris
en compte dans leur globalit
e. Il n’existe pas d’algorithme permettant
d’apporter une aide
alad
ecision. Les strat
egies concernant la prise en charge
des cirrhotiques en r
eanimation varient fortement en fonction des centres
mais aussi des pays. La proximit
eimm
ediate d’une
equipe de transplantation
h
epatique favorise la prise en charge intensive des complications de la
cirrhose.
‘‘ La proximite´ imme´diate d’une e´quipe de transplantation
he´patique favorise la prise en charge intensive
des complications de la cirrhose’’
En dehors des h
emorragies digestives li
ees
a l’hypertension portale dont la prise
en charge est assez bien codifi
ee [5], la question de l’acc
es des patients
cirrhotiques aux unit
es de r
eanimation en cas de situation critique a
et
er
eactiv
ee
par l’adoption dans la plupart des pays occidentaux d’une politique de
transplantation consistant
a attribuer prioritairement les greffons aux receveurs
les plus graves, ceux dont la mortalit
e
a court terme est la plus
elev
ee avec un
traitement m
edical (« sickest first policy ») [6, 7]. La priorit
e est d
etermin
ee par
le score MELD, score objectif et continu qui repose sur les valeurs de la
bilirubin
emie, la cr
eatinin
emie et l’INR. Ainsi, l’acc
es
a la transplantation ne
d
epend plus de l’anciennet
e de l’inscription en liste d’attente mais de la gravit
e
de la maladie. Une cons
equence in
eluctable de cette politique d’attribution des
greffons aux receveurs les plus graves est qu’elle conduit
a transplanter des
cirrhotiques ayant non seulement une insuffisance h
epatique s
ev
ere mais
aussi des d
efaillances d’organes n
ecessitant potentiellement un recours
ala
r
eanimation. C’est le cas en particulier de l’insuffisance r
enale puisque la
cr
eatinine est un des composants du score MELD. L’exp
erience montre que cette
politique s’accompagne d’une r
eduction de la mortalit
e globale en liste d’attente
sans impact n
egatif sur les r
esultats de la transplantation en termes de survie,
m^
eme s’il existe une augmentation sensible de la morbidit
e et de la dur
ee
d’hospitalisation [7].
‘‘ La question de l’acce`s des patients cirrhotiques aux unite´s
de re´animation en cas de situation critique a e´te´re´active´e
par l’adoption d’une politique de transplantation consistant a` attribuer
prioritairement les greffons aux receveurs les plus graves, ceux
dont la mortalite´a` court terme est la plus e´leve´e avec un traitement
me´dical’’
Une question d’actualit
e est donc d’amener des cirrhotiques en situation critique
a la transplantation dans les meilleures conditions, si n
ecessaire par un recours
a des moyens de r
eanimation tels que l’
epuration extrar
enale, le support
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h
emodynamique ou la ventilation artificielle. Une question connexe est d’identifier
des limites au-del
a desquelles les chances de succ
es d’une transplantation « de
sauvetage » seraient insuffisantes pour justifier l’utilisation d’un greffon dans
un contexte de p
enurie d’organes.
Dans ce contexte, deux questions doivent ^
etre approfondies : a) Comment
appr
ecier au mieux les r
eserves h
epatiques ? et b) Comment
evaluer au mieux le
pronostic des cirrhotiques en r
eanimation ? De ces questions d
ecoulent les
conditions d’acc
es des cirrhotiques
alar
eanimation.
‘‘ Le score MELD est un outil pronostique simple et robuste
destine´a` estimer le risque de de´ce`s a` 3 mois des cirrhotiques
avec une prise en charge me´dicale’’
Le score MELD est un outil pronostique simple et robuste destin
e
aestimerle
risque de d
ec
es
a 3 mois des cirrhotiques avec une prise en charge m
edicale [6].
Toutefois, les fonctions h
epatiques ne sont estim
ees que par la bilirubin
emie et
l’INR. Dans des situations complexes telles que celles de la r
eanimation, une
evaluation plus subtile des capacit
es d’un patient
a conserver ou
a retrouver des
fonctions h
epatiques suffisantes serait n
ecessaire. C’est
egalement le cas,
par exemple, pour savoir si un patient cirrhotique pourra supporter une
h
epatectomie ou non. Le terme de « r
eserve h
epatique » reste assez vague et il
n’existe pas de test fonctionnel ou d’
equivalent d’
epreuve d’effort applicables
au foie. Toutefois, pour un score MELD
equivalent, on peut raisonnablement
s’attendre
a ce qu’un patient ayant une bonne r
eserve h
epatique (volume
du foie conserv
e, peu d’hypertension portale, peu d’impact sur l’
etat
nutritionnel...) ait plus de chances de surmonter une complication grave en
r
eanimation qu’un patient ayant peu de r
eserves (atrophie h
epatique majeure,
hypertension portale et ascite, d
enutrition...).
A ce titre, le score de Child-
Turcotte, prenant en compte l’ascite et l’
etat nutritionnel, pourrait ^
etre
sup
erieur au score MELD, m^
eme s’il est moins objectif [8]. Le concept de
«r
eserve » en termes de fonction h
epatique m
erite d’^
etre d
evelopp
eavecdes
donn
ees objectives.
‘‘ Le terme de «re´serve he´patique »reste assez vague
et il n’existe pas de test fonctionnel ou d’e´quivalent d’e´preuve
d’effort applicables au foie’’
Le pronostic des cirrhotiques en r
eanimation d
epend non seulement des
fonctions h
epatiques mais aussi des d
efaillances d’organes. La prise en charge
intensive d’un cirrhotique ayant un score MELD bas (inf
erieur
a 15) et une
complication sp
ecifique rapidement r
eversible (h
emorragie digestive,
episode
d’enc
ephalopathie) ne pose g
en
eralement pas de question et les taux de survie
sont
elev
es [9]. En revanche, le pronostic des malades ayant un score MELD
elev
e
et des d
efaillances d’organes est nettement plus r
eserv
e, en particulier dans un
contexte de sepsis [2, 10]. Dans ce groupe, le score MELD est insuffisant car il ne
prend pas en compte la nature et le nombre des d
efaillances d’organes. De plus,
les patients admis en r
eanimation dans ce contexte ont g
en
eralement un score
MELD tr
es
elev
e et les faibles variations de score ne sont plus discriminantes. Les
scores de r
eanimation g
en
erale et en particulier le score SOFA ont une meilleure
valeur pronostique [1, 2]. Toutefois, le score SOFA a des limites
evidentes chez
les cirrhotiques. Premi
erement, ce score prend en compte les plaquettes dont la
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Editorial
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valeur est biais
ee au cours de la cirrhose en raison de l’hypertension portale et
de l’hyperspl
enisme. Deuxi
emement, la « d
efaillance h
epatique » est prise en
compte par la bilirubin
emie qui, au cours des maladies chroniques du foie, en est
un reflet tr
es inexact de « l’insuffisance h
epatique ». Les param
etres de la
coagulation ne sont pas pris en compte. Un score SOFA modifi
e, adapt
e
ala
cirrhose en pond
erant la valeur des plaquettes et en incluant des param
etres de
coagulation, semble plus int
eressant et doit ^
etre valid
e[3].
‘‘ Le pronostic des cirrhotiques en re´animation de´pend non
seulement des fonctions he´patiques mais aussi des de´faillances
d’organes’’
En pratique, l’existence d’une cirrhose ne devrait plus conduire
a contre-indiquer,
de principe, une prise en charge en r
eanimation. Les h
emorragies digestives et les
episodes d’enc
ephalopathie sont les complications de la cirrhose dont le
pronostic est le meilleur en r
eanimation. Le pronostic est moins bon en cas de
d
efaillance d’organe et/ou de syst
eme autre que le foie. Cependant, une
d
efaillance d’organe (insuffisance r
enale aigu
en
ecessitant une
epuration
extrar
enale, enc
ephalopathie s
ev
ere n
ecessitant une ventilation artificielle) ne
repr
esente plus n
ecessairement une contre-indication
a la transplantation. Une
attitude pragmatique consistant
a entreprendre une r
eanimation intensive des
cirrhotiques sans restriction mais avec une r
e
evaluation au terme de 72 heures
par un score SOFA adapt
e
a la cirrhose est actuellement l’option la plus
rationnelle [1]. Au terme de 72 heures de r
eanimation intensive, la persistance de
3d
efaillances d’organes (ind
ependamment des plaquettes) devrait conduire
a
une limitation des soins en raison d’un pronostic particuli
erement d
efavorable.
De grandes disparit
es concernant l’acc
es
alar
eanimation et l’acc
es
ala
transplantation des cirrhotiques pr
esentant des d
efaillances d’organes peuvent
^
etre constat
ees en France comme dans d’autres pays. La prise en charge de ces
patients est n
ecessairement multidisciplinaire (h
epato-gastroent
erologues,
r
eanimateurs et chirurgiens). Il est souhaitable que les soci
et
es savantes
repr
esentant ces diff
erentes disciplines se concertent rapidement pour proposer
des recommandations consensuelles. Enfin, la complexit
e inh
erente
a la prise en
charge de ces patients, la n
ecessit
e d’interactions multidisciplinaires et les enjeux
consid
erables en termes de recherche illustrent de nouveau l’int
er^
et de structures
sp
ecifiques, d
edi
ees
a la prise en charge des maladies graves du foie.
‘‘ De grandes disparite´s concernant la l’acce`s a`lare´animation
et l’acce`s a` la transplantation des cirrhotiques pre´ sentant
des de´faillances d’organes peuvent ^
etre constate´es en France comme
dans d’autres pays’’
Liens d’int
er^
ets : Les auteurs d
eclarent n’avoir aucun lien d’int
er^
et en rapport
avec cet article. &
Re´fe´rences
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