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Introduction
Arthur Schopenhauer est un philosophe allemand né en 1788 et mort en 1860. Son
œuvre principale, Le Monde comme volonté et comme représentation, ne lui a permis de
trouver le succès et la reconnaissance qu’à la fin de sa vie, bien qu’elle ait été publiée une
première fois en 1818. Sa découverte en France fut plus tardive encore, où il fallut attendre la
fin du siècle afin de découvrir l’ampleur de la pensée allemande. En effet, comme le rappelle
Paul Lévy, « inexistant en 1830, [l’enseignement des langues vivantes dans les Facultés] est
encore mal assis en 1870 »1, ce qui explique partiellement le retard dans la diffusion des
ouvrages allemands en France. Pourtant, à bien des égards, Schopenhauer bénéficia d’un
traitement particulier dans sa réception, notamment du fait de son style que beaucoup
qualifiait alors de « français ». Comme le rappelle René-Pierre Colin dans son ouvrage sur
Schopenhauer en France, « le sort de Schopenhauer est en effet un cas unique : aucun critique
n’eut jamais l’idée de faire de Kant, de Fichte ou de Hegel des Français d’adoption. C’est
pourtant ce qui advint presque dès sa découverte au pessimiste »2. En effet, la clarté du
philosophe le distingue de ses contemporains que lui-même n’hésite pas à qualifier de
sophistes ne sachant proférer que des galimatias incompréhensibles3. Clément Rosset
témoigne de cette langue presque littéraire de Schopenhauer, qui fut sans doute l’un des legs
qu’aura su recueillir Nietzsche de celui qu’il nommera son « éducateur » :
Une autre singularité de Schopenhauer est la clarté et la lisibilité de
son écriture (qualité peu fréquente, on le sait, chez les philosophes,
notamment les philosophes allemands). J’allais dire que Schopenhauer
est le seul philosophe allemand à bien écrire le français. Ce lapsus
n’en serait d’ailleurs pas tout à fait un, puisque Nietzsche déclarait
préférer lire Schopenhauer dans sa traduction française plutôt que dans
sa version originale.4
L’intérêt porté à Schopenhauer à la fin du XIXème siècle en France fut également dû au
contexte de cette époque. Suite à l’échec de la guerre franco-prussienne, un climat pessimiste
s’instaure dans la nouvelle génération, qui vient renforcer le découragement qui avait déjà
saisi de nombreux écrivains suite à l’échec de la révolution de 1848. Les idées de
1 Paul Lévy, La langue allemande en France. Pénétration et diffusion des origines à nos jours, t. II : De 1830 à
nos jours, cité dans René-Pierre Colin, Schopenhauer en France. Un mythe naturaliste, Lyon, Presses
Universitaires de Lyon, 1979, p. 6.
2 René-Pierre Colin, Schopenhauer en France. Un mythe naturaliste, op. cit., p. 7.
3 À ce sujet, voir Arthur Schopenhauer, Au-delà de la philosophie universitaire, Paris, Mille et une nuits, 2006,
126 p.
4 Clément Rosset, préface à Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, éd. R
Roos, trad. A. Burdeau, Paris, Presses Universitaires de France (Quadrige), 2006, p. VI (désormais : Le Monde).