« Les soirées Phil’d’or » Treizième rencontre (6/07/2012) : « L’art dans le système schopenhauerien » L’intérêt de ces petits « bilans », à la suite de chaque rencontre, c’est que vous puissiez, si vous le souhaitez, vous constituer un petit livret, rassemblant, au fil des séances, nos réflexions partagées. Je vous invite en tout cas à vous constituer une petite boîte à outils progressive (les outils de la pensée sont les concepts, lesquels sont l’éclaircissement des notions) ; ils seront mis en évidence en bleu à chaque fois. Vous ne retrouverez certes pas tout ce que nous avons « remué » mais ce qui, selon mon estimation (qui peut toujours être mauvaise, certes !), a fait le socle de nos réflexions. * Présenter la thèse d’un auteur comme Schopenhauer à la dernière étape de notre réflexion centrée sur l’art présentait un réel intérêt du point de vue philosophique. En effet, ce que je souhaitais bien marquer par son exposition, et ce, en l’honneur de la philosophie en quelque sorte, c’est que nulle pensée n’est à prendre comme une vérité (scientifique), toute pensée se présentant comme telle se perdant alors comme pensée pour se faire idéologie. Ainsi, il est clair que, régulièrement, j’ai évoqué le philosophe Hegel pour nourrir notre réflexion. Il était alors vraiment nécessaire, à mon sens, de le bousculer un peu sur la fin. Ainsi, la pensée de Schopenhauer (concurrencée précisément par celle de Hegel à l’Université) est, comme celle de ce dernier, une pensée de système, c’est-à-dire une pensée ayant l’ambition hautement philosophique de développer un ensemble d’idées articulées qui émanent de et convergent vers les mêmes principes fondamentaux, sans jamais, quel que soit le domaine pensé, se heurter à des contradictions insurmontables qui arrêteraient alors la pensée. Nous avons vu que le système marxiste achoppe précisément sur la question de l’art, et ce, au moment où il s’agit notamment de rendre compte du fait que l’art antique continue de nous émouvoir alors qu’il n’émane pas de la « superstructure » de notre propre époque (Marx résout la question un peu de manière rapide en disant que nous sommes attachés à l’art du passé comme l’adulte l’est à son enfance). Or le système de Schopenhauer, pour être d’une certaine façon opposé à la philosophie hegelienne en ce sens que l’unité du monde n’est pas de l’ordre de la pensée comme c’est le cas dans cette dernière mais de l’ordre d’une forme de volonté brute et sans autre but absurde que celui de la persévérance de ce qui est, n’en propose pas moins une pensée forte sur l’art qui, en bien des points, rejoint la thèse de penseurs qui ont davantage fait confiance à la pensée. Ainsi, dans son ouvrage majeur intitulé Le Monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer pose que le spectacle du monde et le vécu de la subjectivité humaine révèle que le soubassement (métaphysique) du monde peut se comprendre comme volonté (de vivre, d’exister : comme volonté « bête », brutale, de vivre et d’exister). Le monde ne serait alors en vérité que l’objectivation de cette forme de volonté (qui n’est pas de l’ordre de la subjectivité, donc qui n’est pas accompagnée de pensée). Or l’homme n’accède pas à ce savoir même par la science car le sujet connaissant que nous sommes connaît le monde non pas tel qu’il est mais tel qu’il est déterminé à le connaître de par sa structure subjective (à travers notamment l’espace, le temps et la catégorie de la causalité : un certain prolongement de la philosophie de la connaissance kantienne dont Schopenhauer, de ce point de vue-là, se revendique). D’où nous vient alors ce « savoir » métaphysique d’un tel « tissu » du monde ? Précisément de l’art. Mais parmi tous les arts, de la musique. Qu’en est-il exactement ? C’est là que le système de Schopenhauer révèle toutes ses richesse et complexité. Ainsi, l’homme n’échappe aucunement au « sort » de toutes les réalités du monde : il est le « jouet » de cette volonté brutale et absurde qui le pousse à persévérer dans son existence coûte que coûte. Il éprouve cette volonté comme désir. Le concept de désir chez Schopenhauer, pour rendre compte de la condition humaine, est déterminant : l’existence humaine balance en effet entre le manque (car le désir est manque de l’ « autre » et, donc, souffrance) et l’ennui (car un désir satisfait laisse un goût de mort, la mort étant l’arrêt du mouvement qui nous maintient dans la vie), d’où le « désir » de sortir de l’ennui pour entrer de nouveau dans le désir pur, c’est-à-dire, paradoxalement, dans la souffrance. Tout ce qui concerne l’homme est ramené par Schopenhauer à ce socle. Vie bien douloureuse ! Or il se trouve que la volonté a aussi produit l’antidote ! L’art. L’art est en effet pensé par Schopenhauer comme l’acte de représentation du monde qui, contrairement à la science, génère un certain plaisir. L’artiste est précisément celui qui propose une sorte « d’arrêt sur image » du flot violent de la vie et de l’existence et qui permet ainsi à l’homme de s’en reposer un peu ; un peu car l’art n’arrête pas réellement le mouvement de la volonté. Parmi les arts se trouve un art que Schopenhauer reconnaît comme majeur dans le cadre de son système : la musique, car celle-ci permet non seulement une distanciation (certes provisoire) par rapport à la volonté brutale, mais en même temps elle révèle la « vérité » de cette dernière : elle révèle le fond des choses, contrairement à la science qui n’en donne qu’une représentation subjective (quoique universelle car rationnelle), elle révèle le mouvement, la continuité de la volonté, cela même dont nous cherchons à nous reposer ; elle révèle donc à l’homme ce qu’il cherche à fuir par l’art même. L’art musical 1 a donc pour Schopenhauer, au-delà d’un pouvoir consolateur, un pouvoir révélateur (révélation du fond de la réalité : le « noumène » du réel, en deçà du phénomène, pour reprendre la terminologie kantienne que Schopenhauer reprend mais dans sa propre perspective). Le « salut » commence donc par l’art mais ne s’y trouve pas : Schopenhauer, lecteur des textes sacrés de l’Inde, les Upanishad, pense qu’il se trouve dans l’ascétisme qu’il regarde, comme le bouddhisme, comme une certaine victoire sur le désir (sur la volonté, donc) car le désir est alors réduit à sa plus minime expression sans avoir à payer le prix de la mort qui est le moment de sa totale extinction. N.A Même si la musique écoutée est « difficile ». Et l’art est toujours difficile en tant qu’il ouvre les yeux et empêche d’en rester « là » ! Etc. 1