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Le conte serait-il un genre impérissable ? Véhiculé au sein des sociétés de traditions
orales pendant des millénaires, devenu un genre littéraire qui a connu un grand succès avec
Charles Perrault, le conte éveille rapidement l'intérêt des arts de la scène, et ne cessera d'évoluer
depuis.
Sollicité par le cinéma, revisité par la bande dessinée, détourné par les arts plastiques, sources
de multiples réécritures, d'actualisation, les contes, qu'ils soient merveilleux, philosophiques,
libertins ou encore facétieux, forment un immense répertoire qui n'en finit plus d'alimenter les
expériences littéraires et artistiques, pour la plus grande satisfaction d'un public qui a priori ne
s'en lasse pas.
Si l' intérêt de la scène pour le conte ne date pas d'hier, l'opéra et le théâtre ayant dès le
XVIIè siècle identifié dans ce genre « moderne »1 les capacités à renouveler leur répertoire
merveilleux, une rencontre qui se traduira par l'abondance de tragédies lyriques puis de fééries
dramatiques jusqu'au XIXè siècle, le conte revient aujourd'hui sur le devant de la scène
contemporaine. Au delà de l'art du conteur, dont la pratique tend à rester souterraine aujourd'hui,
des metteurs en scène, comme Howard Barker2, Robert Walser3, Jean-Michel Rabeux4, Olivier
Py5, Joël Pommerat6 et bien d'autres, mais également des chorégraphes comme Angelin Preljocaj
s'emparent de cette matière populaire pour relever le défi scénique que représente la
dramatisation du conte : sur le plateau, ils abordent le conte avec leurs points de vue, afin d'en
interroger certains aspect. On cherche à retrouver les émotions primitives liées au conte, comme
la peur, on creuse les relations entre les personnages: Le petit chaperon rouge de Pommerat
devient un histoire entre trois femmes et un loup, La Barbe Bleue de Rabeux ressuscite celle
qu'il vient de tuer par un baiser d'amour, tandis que les Blanche Neige de Walser et Barker sont
tourmenteés par des relations familiales beaucoup trop complexes pour vivre « heureux pour
toujours »7. La relation au public est particulièrement matière à réflexion; avec son Petit
chaperon rouge Pommerat désire dépasser la distinction entre public adulte et jeune public,
voyant le conte comme un récit qui fascine à plusieurs niveaux. Il interroge également la
1 Christelle Bahier-Porte, « Le conte à la scène » [En ligne], Féeries N°4, 2007, mis en ligne le 24 octobre 2008
(page consultée le 01 Février 2011) <http://feeries.revues.org/index223.html.>
2 Howard Barker, « Le cas Blanche Neige » in Œuvres choisies volume 4. Gertrude (le cri), Le cas Blanche Neige,
Paris, Editions théâtrales, 2009. Mise en scène de Frédéric Maragnani, Théâtre Jean Vilar de Suresnes, Novembre
2005.
3 Robert Walser, « Blanche-Neige », Collection Merveilleux N°18, Paris, éditions José Corti, 2002. Mise en scène
de Nicolas Luçon, Vivat-Scène, 2009
4 Jean-Michel Rabeux, La Barbe Bleue, Paris, Avant Scène Théâtre, 2010. Mise en scène de Jean Michel Rabeux,
L'apostrophe, 2010.
5 Olivier Py La Jeune Fille, le diable et le moulin (1995). L'Eau de la vie (1999), Paris, L’école des loisirs. La vraie
Fiancée, Paris, Actes Sud Papier, 2008. Mise en scène de Olivier Py, spectacles créés en 2006 puis en 2008.
6 Joë Pommerat, Le petit chaperon rouge, Paris, Actes Sud-Papier, 2005. Mise en scène de Joël Pommerat, Théâtre
de l'Est Parisien, Octobre 2005. POMMERAT Joêl, Pinocchio, Paris, Actes Sud, 2008. Mise en scène de Joël
Pommerat, 2008
7 Nous y reviendrons dans un chapitre consacré aux multiples variantes de Blanche Neige.