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Un autre pionnier était Karl Thieme, penseur d'origine allemande, que j'ai connu comme professeur à l'École
supérieure d'études politiques à Berlin. A la fin de sa vie, Thieme a vécu à Bâle. C'est en tant que théologien
chrétien que Thieme a contribué, parmi les tout premiers, à la réflexion approfondie sur ce problème.
En troisième place, je citerai le père Paul Démann, de France. D'origine hongroise, il est l'auteur d'un livre ex-
trêmement important sur la catéchèse et le judaïsme. Dans Les Cahiers sioniens qu'il éditait, le père Démann trai-
tait de ces problèmes d'une façon méthodique. Par son ouvrage, ses articles et ses réflexions, le Père Démann
doit être considéré comme l'un de ceux qui ont amené les milieux catholiques à réfléchir sur les problèmes, ta-
bous à l'époque, de la catéchèse chrétienne concernant les Juifs et de ses effets sur les consciences.
Il convient de citer également le théologien Malcolm Hay. Ce catholique écossais a écrit en 1950 un important
ouvrage précurseur sur le rapprochement judéo-chrétien intitulé : Europe and the Jews. The Pressure of Chris-
tendom on the People of Israel for 1900 years. En 1960, l'ouvrage a paru en Amérique. C'est un très bon livre sur
le problème de la responsabilité de l'Église, de son enseignement concernant les Juifs et le judaïsme. Cet ou-
vrage a eu un très grand retentissement dans le monde.
C'est sous l'influence de cette génération de pionniers, et compte tenu de ce qui s'est passé pendant la Se-
conde Guerre mondiale, qu'un mouvement est né. Celui-ci s'est d'abord constitué dans les associations d'amitié
judéo-chrétienne, surtout en Angleterre et en France, puis dans d'autres pays, notamment en Allemagne fédérale.
Petit à petit, ces gens se sont réunis. Pour la première fois à Oxford en 1946, puis à Seelisberg, en 1947.
Ce mouvement n'englobait pas les Églises officielles. C'étaient des hommes d'Église qui avaient compris ce
qui s'était passé pendant la guerre et qui avaient décidé qu'il fallait en tirer les conséquences pour l'enseignement
chrétien à l'égard des Juifs et du judaïsme. Ils se réunissaient donc avec des personnalités juives pour en discu-
ter.
L'Église catholique elle-même n'était pas encore prête à affronter le problème. Comme je l'ai déjà rappelé en
1945, immédiatement après la fin de la guerre, le Congrès juif mondial a proposé au pape Pie XII de publier une
encyclique sur la question juive. Mais cette proposition est restée sans réponse. Le professeur Jacques Maritain,
devenu plus tard ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, a poursuivi cette idée pendant plusieurs an-
nées. Mais ses efforts n'ont pas davantage abouti.
La déclaration de Seelisberg.
Les réunions des personnalités des divers mouvements d'amitié judéo-chrétienne ont eu pour résultat la fa-
meuse déclaration de Seelisberg. Dans cette petite localité suisse, au bord du lac des Quatre-Cantons, s'est réu-
nie une soixantaine de personnalités réputées, chrétiennes et juives, parmi lesquelles le grand-rabbin Kaplan de
Paris, l'historien français Jules Isaac, l'abbé Journet, Tadeusz Mazowiecki, les pères de Menasce et Lopinot, le
pasteur Freudenberg, M. Neville Laski, le Dr Everet Clinchy, le Dr Visseur, le pasteur Simpson, le Pr S. Brodets-
ky, Mme Davy, le grand-rabbin Alexandre Safran, les rabbins Vadnaï et Taubes.
Pour la première fois depuis la guerre, dans une déclaration très bien formulée, ces personnalités ont jeté les
bases d'une nouvelle approche de la théologie chrétienne envers les Juifs. Ce sont les fameux Dix Points de
Seelisberg, un véritable programme d'action qui a ensuite joué un rôle considérable dans le développement des
relations entre chrétiens et Juifs.
En voici le texte :
1. Rappeler que c'est le même Dieu Vivant qui nous parle à tous, dans l'Ancien comme dans le Nouveau
Testament.
2. Rappeler que Jésus est né d'une mère juive, de la race de David et du peuple d'Israël, et que son amour
éternel et son pardon embrassent son propre peuple et le monde entier.
3. Rappeler que les premiers disciples, les apôtres et les premiers martyrs étaient juifs.
4. Rappeler que le précepte fondamental du christianisme, celui de l'amour de Dieu et du prochain, pro-
mulgué déjà dans l'Ancien Testament et confirmé par Jésus, oblige chrétiens et Juifs dans toutes les relations
humaines, sans aucune exception.
5. Éviter de rabaisser le judaïsme biblique ou postbiblique dans le but d'exalter le christianisme.
6. Éviter d'user du mot «juif» au sens exclusif de «ennemis de Jésus» ou de la locution «ennemis de Jé-
sus» pour désigner le peuple juif tout entier.
7. Éviter de présenter la Passion de telle manière que l'odieux de la mise à mort de Jésus retombe sur tous
les Juifs seuls. En effet, ce ne sont pas tous les Juifs qui ont réclamé la mort de Jésus. Ce ne sont pas les
Juifs seuls qui en sont responsables, car la Croix, qui nous sauve tous, révèle que c'est à cause de nos pé-
chés à tous que le Christ est mort.
Rappeler à tous les parents et éducateurs chrétiens la grave responsabilité qu'ils encourent du fait de pré-
senter l'Évangile et surtout le récit de la Passion d'une manière simpliste. En effet, ils risquent par là d'inspirer,
qu'ils le veuillent ou non, de l'aversion dans la conscience ou le subconscient de leurs enfants ou auditeurs.
Psychologiquement parlant, chez des âmes simples, mues par un amour ardent et une vive compassion pour
le Sauveur crucifié, l'horreur qu'ils éprouvent tout naturellement envers les persécuteurs de Jésus tournera fa-
cilement en haine généralisée des Juifs de tous les temps, y compris ceux d'aujourd'hui.
8. Eviter de rapporter les malédictions scripturaires et le cri d'une foule excitée : «Que son sang retombe