Mini-revue Hématologie 2006 ; 12 (3) : 164-70 Physiologie et physiopathologie des lymphocytes T régulateurs CD4+CD25+ Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Physiology and pathophysiology of CD4+CD25+ regulatory T cells Olivier Boyer Serge Jacquot INSERM U519, Faculté de médecine et de pharmacie, 22 bd Gambetta, 76183 Rouen, France <[email protected]> Résumé. Les années récentes ont vu la réemergence spectaculaire des cellules suppressives comme des acteurs majeurs du système immunitaire. De nombreux arguments expérimentaux ont établi de façon convaincante que des cellules naturellement suppressives, les lymphocytes T CD25+CD4+ régulateurs (Treg), jouent un rôle central dans le maintien de la tolérance au soi et dans la régulation des réponses immunitaires. L’identification de marqueurs moléculaires de ces cellules, tant chez la souris que chez l’homme, a permis de les caractériser et d’étudier leur rôle en physiologie et dans certaines situations pathologiques. Nous décrivons ici les principales caractéristiques phénotypiques et fonctionnelles des Treg, ainsi que les principales maladies autoimmunes dans lesquelles elles ont été impliquées. Outre leur rôle dans le maintien de la tolérance au soi, les Treg ont aussi été récemment impliqués dans la tolérance aux allogreffes, et nous discuterons de leur intérêt clinique potentiel pour le contrôle de la maladie du greffon contre l’hôte. Mots clés : lymphocyte T, lymphocyte T régulateur, Foxp3, maladie autoimmune, tolérance, maladie du greffon contre l’hôte Abstract. Recent years have seen the reemergence of suppressor cells as a major subject of immunological research. Abundant evidence has now convincingly shown that naturally occurring CD25+CD4+ regulatory cells (Treg) play a key role in the maintenance of self tolerance and also in the negative control of different types of immune responses. The identification of molecular markers in both mice and humans has enabled thorough investigation of these cells. We herein describe the main phenotypic and functional characteristics of Treg, and review their dysfunctions in autoimmune diseases. Beside their role in the maintenance of self-tolerance, Treg have now extended their influence to transplantation tolerance and we also discuss their clinical potential for the control of graft-versus-host disease. Key words: T cell, regulatory T cell, Foxp3, autoimmune disease, tolerance, graft-versus-host disease Tolérance immunologique et petit historique des Treg 164 Tirés à part : O. Boyer Les étapes du développement des lymphocytes T (LyT) dans le thymus sont mar- quées par des événements aléatoires de recombinaisons génétiques qui permettent de produire, à partir d’un nombre restreint de segments géniques, un répertoire de récepteurs pour l’antigène (TcR, T cell receptor) d’une diversité Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. considérable donc susceptible de contenir des LyT reconnaissant des antigènes du soi (autoréactifs). Ce répertoire est modelé par des phénomènes de sélection positive et de sélection négative. La sélection positive est le processus par lequel des précurseurs de LyT capables de reconnaître des complexes peptides - molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) survivent et gagnent la périphérie sous la forme de LyT matures naïfs. La sélection négative élimine quant à elle les précurseurs de LyT fortement autoréactifs. La sélection négative a longtemps été considérée comme le principal mécanisme de tolérance au soi. Toutefois, il est désormais clair que ce processus n’est que partiel et que des LyT autoréactifs sont produits de façon physiologique [1], rendant indispensables des mécanismes de tolérance périphérique. Les mécanismes périphériques d’immunorégulation sont multiples. Ils comprennent notamment la mort cellulaire induite par l’activation, la modulation de la mise en jeu des molécules de costimulation et des récepteurs inhibiteurs, et la différentiation des LyT vers des populations produisant des profils cytokiniques différents et se régulant mutuellement (balance Th1/Th2). Les mécanismes régulateurs dépendants de cellules T suppressives constituent quant à eux un processus actif par lequel une population de cellules contrôle l’activation d’une autre. Le concept que des LyT suppresseurs contrôlent les réponses immunitaires repose sur des expériences déjà anciennes d’induction de tolérance par transfert adoptif de LyT provenant d’un animal tolérisé [2]. On savait également que la thymectomie pratiquée sur des souris de trois jours (mais non chez des souris plus âgées) provoquait des manifestations autoimmunes spécifiques d’organe [3], qui pouvaient être prévenues par l’injection de LyT de souris adultes mais pas de souris également thymectomisées à J3 [4]. Ceci suggérait donc l’existence des cellules régulatrices produites à partir de J3 chez la souris. Depuis lors, le développement progressif de marqueurs de surface disséquant l’hétérogénéité phénotypique et fonctionnelle des LyT [5] a permis l’identification précise de sous-populations de LyT effecteurs et, plus récemment, de sous-populations suppressives. C’est en effet l’absence de caractérisation moléculaire précise qui a, pendant longtemps, rendu ce domaine difficile. Si l’existence de la suppression était étayée par de nombreuses évidences scientifiques, la nature des cellules suppressives restait mystérieuse alors que les modèles théoriques se complexifiaient avec l’intervention de lymphocytes effecteurs-suppresseurs et suppresseurs-inducteurs, la production de facteurs suppresseurs solubles spécifiques d’antigènes et un déterminisme génétique impliquant une possible région I-J localisée entre les régions I-A et I-E du CMH de classe II murin [6]. L’impossibilité de définir au plan moléculaire la nature précise de ces facteurs suppresseurs mais aussi la découverte par analyse moléculaire que la région I-J n’existait pas physiquement [7] a conduit la communauté des immunologistes à se désintéresser brutalement de cette question, allant jusqu’à bannir le mot “suppresseur” du champ lexical de cette discipline et quasiment interdire tout accès Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 éditorial aux travaux dans ce domaine pendant plusieurs années. Toutefois, grâce à une meilleure définition moléculaire, les années récentes ont vu la spectaculaire ré-émergence de cette thématique qui est redevenue un des champs les plus actifs de recherche en immunophysiologie et immunopathologie. Plusieurs sous-populations lymphocytaires T régulatrices, intervenant à différentes étapes de la réponse immunitaire, ont été caractérisées, parmi lesquelles les LyT naturels CD4+CD25+, les LyT induits Th3 (sécréteurs de TGFb), les LyT induits Tr1 (sécréteurs d’interleukine-10 et de TGFb), certains LyT CD8+ et les lymphocytes NK-T. Nous décrirons ici les principales caractéristiques des LyT CD4+CD25+ régulateurs (Treg) et leur rôle chez l’homme dans certaines pathologies. Mise en évidence des Treg chez la souris Les travaux de Sakaguchi et al. ont été déterminants dans la caractérisation des Treg CD4+CD25+. Ils ont montré que le transfert à des souris lymphopéniques, de LyT déplétés en LyT CD4+CD25+ conduisait en quelques semaines à l’émergence de nombreuses manifestations autoimmunes touchant la thyroïde, l’estomac, les ilôts b du pancréas, les glandes salivaires et surrénales, les ovaires, les reins et les articulations [8]. L’administration de LyT CD4+CD25+ dans les jours qui suivent celle des LyT CD4+CD25-, prévenait la survenue de ces manifestations. Ces observations spectaculaires imposent plusieurs conclusions. Tout d’abord, elles confirment que la sélection négative des LyT autoréactifs dans le thymus n’est que partielle et que le système immunitaire normal contient des LyT autoréactifs susceptibles d’entraîner “spontanément” des maladies autoimmunes en l’absence de toute immunisation expérimentale par des autoantigènes. Deuxièmement, elles montrent que ces LyT autoréactifs produits physiologiquement sont placés sous le contrôle permanent d’une suppression dominante exercée par des Treg de phénotype CD4+CD25+. Enfin, elle ouvre des perspectives d’immunorégulation thérapeutique par les Treg. Ces résultats sont à rapprocher de ceux obtenus dans un modèle de souris transgéniques pour un TCR dirigé contre la protéine basique de la myéline. De façon surprenante, seule une minorité de ces souris - dont le répertoire des LyT est pourtant massivement (mais, du fait de réarrangements endogènes du TCR, non exclusivement) dirigé contre un autoantigène du système nerveux central - développait une encéphalite. En revanche, lorsque ces souris étaient croisées sur un fond RAG-déficient (un modèle empêchant les réarrangements du TCR et garantissant ainsi un répertoire 100 % autoréactif transgénique), alors la totalité des animaux développait une encéphalite autoimmune. On comprend donc que, dans ces conditions expérimentales, la survenue d’une maladie autoimmune (ici, un modèle de sclérose en plaque) dépend non seulement de la présence de LyT autoréactifs mais aussi de l’absence de LyT exerçant une 165 fonction régulatrice. De nombreuses études qu’il n’est pas possible de citer intégralement ici, ont maintenant démontré avec certitude que les Treg CD4+CD25+ préviennent de façon physiologique l’activation des LyT autoréactifs et donc la survenue de maladies autoimmunes. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Identification et propriétés des Treg 166 La définition des Treg sur la seule co-expression de CD4 et de CD25 (chaîne a du récepteur de l’interleukine-2) demeure peu précise. Ce dernier est en effet un marqueur peu spécifique des Treg puisque les LyT conventionnels expriment transitoirement CD25 après activation. Aussi, si les Treg sont bien des cellules CD4+CD25+, on ne saurait affirmer que toutes les cellules CD4+CD25+ (qui représentent 5-10 % des LyT CD4+ d’une souris normale) sont des Treg. L’étude de souris déficientes en IL-2 ou en CD25 (qui présentent un déficit de Treg associé à une lymphoprolifération et des signes d’autoimmunité) a montré que l’interleukine-2 est une cytokine essentielle au développement des Treg et à leur fonction dans l’homéostasie du système immunitaire [9]. Chez l’homme, l’existence des Treg CD4+CD25+ est maintenant bien établie [10-12]. Leur identification est toutefois rendue difficile par le fait qu’une fraction importante (2040 %) des LyT CD4+ exprime CD25 chez l’homme. Une analyse plus détaillée du niveau d’expression du CD25 montre qu’il existe en fait, parmi les LyT CD4+CD25+, une forte majorité de cellules exprimant des niveaux intermédiaires de CD25 (CD25int) et une population très minoritaire en exprimant des niveaux très élevés (CD25hi), ces dernières ne représentant environ que 0,8-1 % des LyT CD4+. Hafler et al. ont montré que, chez un sujet sain, la population CD4+CD25int n’est pas suppressive (elle contient notamment un compartiment de LyT récemment activés) alors que les Treg sont contenus dans la population CD4+CD25hi [13]. D’autres marqueurs des Treg sont maintenant décrits mais aucun n’est strictement spécifique des Treg (tableau 1). Les Treg sont des cellules anergiques in vitro. En particulier, leur activation via le TCR ne conduit pas à leur prolifération, contrairement aux LyT CD4+CD25- conventionnels placés dans les mêmes conditions expérimentales. Cette affirmation doit toutefois être nuancée car l’anergie in vitro des Treg est levée en présence d’interleukine-2. Cette propriété est importante car l’interleukine-2 permet de faire proliférer fortement ces cellules in vitro, un point essentiel si l’on se place dans une perspective d’utilisation thérapeutique des Treg qui demeurent des cellules rares au sein du système immunitaire et donc difficiles à obtenir en grand nombre. Outre l’anergie réversible par l’interleukine-2, la deuxième propriété fondamentale des Treg est évidemment leur capacité suppressive. Celle-ci se mesure habituellement par un test d’inhibition de la prolifération in vitro. Pour cela, on ajoute à des LyT CD4+CD25- répondeurs, des doses croissantes de Treg CD4+CD25+ (jusqu’à un rapport 1:1), et l’on mesure l’incorporation de thymidine sous activation par un mitogène Tableau 1 Principaux marqueurs phénotypiques des Treg chez l’homme Marqueur TCRab CD3 CD4 CD25 CD122 CD62L CD28 CD137 (4-1BB) GITR CD152 (CTLA-4) CD45RO+/CD45RAHLA-DR CD71 Neuropiline 1 CD223 (LAG-3) CD103 Foxp3 Fonction Reconnaissance de l’antigène Transduction du signal Corecepteur du TCR Récepteur de l’interleukine-2 (chaîne a) Récepteur de l’interleukine-2 (chaîne b) Entrée dans le ganglion lymphatique Costimulation Costimulation Costimulation Costimulation (inhibition) Marqueurs de cellules mémoires Marqueur d’activation Marqueur d’activation Synapse immunologique Ligand du CMH de classe II Migration dans les muqueuses Facteur de transcription Treg-spécifique ou par un anticorps anti-CD3 immobilisé (+/- anti-CD28 soluble). Le rôle de cette activation est d’induire la prolifération des LyT répondeurs mais aussi d’activer les Treg. L’effet suppresseur des Treg nécessite en effet une activation via leur TCR et un contact cellulaire avec les cellules cibles de la suppression. Fait important, si cet effet suppresseur des Treg nécessite leur activation TCR-dépendante (et donc antigènedépendante), la suppression peut s’exercer sur des LyT dont la spécificité antigénique est différente (suppression antigèneindépendante). Au plan physiologique, ceci permet à un répertoire limité de Treg reconnaissant seulement certains autoantigènes d’un tissu donné, d’assurer dans ce tissu ou dans les ganglions lymphatiques le drainant, une suppression efficace des LyT autoréactifs de spécificité plus large. Outre l’inhibition de la prolifération des LyT CD4+CD25-, les Treg apparaissent capables d’exercer d’autres fonctions de régulation négative comme l’inhibition de la production de cytokines ou d’agir sur d’autres types cellulaires comme les LyT CD8+, les cellules dendritiques, les LyB, les cellules NK... Aussi, devant le résultat normal d’un test d’inhibition de la prolifération des LyT CD4+CD25-, il convient d’être prudent avant de conclure, dans une situation pathologique donnée, à l’absence de déficit qualitatif des Treg puisque celui-ci peut se manifester sur un autre aspect de la suppression. C’est le cas par exemple de la polyarthrite rhumatoïde où l’inhibition de la prolifération par les Treg est normale [14] mais où les Treg s’avèrent limités dans leur capacité à contrôler efficacement la production de TNFa [15]. Citons également le cas du déficit qualitatif de Treg dans la sclérose en plaque où la différence entre les patients et les témoins n’est visible qu’à certains niveaux d’activation des cellules répondeuses [16]. On ne peut donc qu’insister sur l’importance des conditions expérimentales dans ce type d’études. Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Tableau 2 Principales propriétés des Treg Produits par le thymus Auto-réactifs (reconnaissance de complexes CMH/peptide du soi) Répertoire diversifié de TCR Anergique in vitro (en l’absence d’interleukine-2) Pas de production d’interleukine-2 en réponse à l’activation Inhibent la prolifération des LyT et la sécrétion de cytokines in vitro Action régulatrice sur les LyT, les monocytes, les cellules dendritiques et les LyB Régulent physiologiquement l’autoimmunité Activation antigène-dépendante par le TCR requise pour la suppression Suppression non antigène-spécifique après activation par le TCR Même s’il n’est pas exclu que des Treg puissent être produits à la périphérie par différenciation de LyT CD4+CD25-, la génération des Treg in vivo est essentiellement un processus thymo-dépendant. Le fait de savoir si les Treg constituent un lignage particulier de LyT soumis à une sélection positive particulière ou s’ils émergent à la suite d’un processus altéré de sélection négative demeure un point non élucidé à ce jour. Il apparaît en effet que les Treg sont eux-mêmes des LyT autoréactifs. Ceci est notamment illustré par le fait que le thymus de souris transgéniques exprimant un TCR dirigé contre l’hémagglutinine (HA) du virus influenza et croisées avec une lignée exprimant HA (représentant ici un néoautoantigène) donne naissance à l’émergence d’un grand nombre de Treg lorsque le TCR transgénique possède une forte affinité pour HA, et non lorsque cette affinité est faible [17]. Ce modèle élégant montre donc que l’interaction à haute affinité d’un TCR avec son ligand dans le thymus n’entraîne pas uniquement la sélection négative comme on le concevait jusqu’alors, mais permet également la production de Treg, eux-mêmes autoréactifs. Les interactions moléculaires permettant la sélection, la survie et la fonction des Treg sont encore mal connues mais font très probablement intervenir des molécules de costimulation, par exemple le couple CD28/CD80 dont l’invalidation génétique entraîne une forte réduction du nombre de Treg et favorise la survenue de manifestations autoimmunes comme le diabète de type 1 [18]. Ainsi, la contribution du thymus dans la tolérance immunologique au soi, considéré jusqu’à une époque récente comme essentiellement liée à la sélection négative des LyT autoréactifs s’enrichit désormais d’une deuxième fonction : la production de Treg exerçant une suppression dominante sur les LyT autoréactifs ayant échappé à la sélection négative. Les propriétés générales des Treg sont résumées dans le tableau 2. Rôle de Foxp3 Un des faits les plus marquants dans la recherche sur les Treg a été l’identification de Foxp3, un membre de la famille Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 forkhead, comme facteur de transcription essentiel à la biologie de ces cellules [19]. Ainsi, des mutations de Foxp3 chez l’homme entraînent le syndrome IPEX (immune dysregulation polyendocrinopathy enteropathy X-linked syndrome) responsable d’une maladie lymphoproliférative et polyautoimmune mortelle [20, 21]. Il est intéressant de noter qu’avant l’identification des Treg, Foxp3 avait été initialement considéré comme un facteur de régulation négative de l’activité des LyT conventionnels [22]. Ainsi, des souris transgéniques (Tg) exprimant constitutivement Foxp3 apparaissent lymphopéniques et immunodéficientes [23]. À l’inverse, les souris scurfy présentant une mutation de Foxp3 succombent à l’âge de 3-4 semaines d’un syndrome lymphoprolifératif [24], comme cela a été reproduit plus tard par l’invalidation du gène Foxp3 [25]. En utilisant des souris dont le gène foxp3 endogène a été remplacé par un gène hybride codant pour une protéine de fusion GFP-Foxp3, l’expression de ce facteur a pu être visualisée in situ dans les différentes populations lymphocytaires [26]. Cette étude a montré que ce facteur n’est exprimé que par 5 à 10 % des lymphocytes T périphériques appartenant exclusivement au lignage a/b. Il s’agit pour l’essentiel (80 %) de Treg CD4+CD25+, bien qu’une minorité de cellules CD4+CD25-Foxp3+ et CD8+Foxp3+ aient également été observées. Enfin, la transduction par un vecteur rétroviral du gène Foxp3 permet de convertir des LyT conventionnels en Treg fonctionnels capables d’exercer une activité suppressive in vitro et in vivo [19, 23, 25]. Dans une perspective clinique, les Treg étant une sous-population rare et difficile à purifier du fait de l’absence de marqueur de surface réellement spécifique, le transfert de gène Foxp3 ouvre la voie à la production de Treg modifiés génétiquement à des fins thérapeutiques. Il est probable que le succès de cette approche sera fortement conditionné par le niveau d’expression de Foxp3 transgénique, comme en témoigne la difficulté actuelle à y parvenir chez l’homme [27]. Treg et maladies autoimmunes La détermination du rôle des Treg en pathologie constitue à l’heure actuelle un champ de recherche intense. Du fait du rôle des Treg dans la régulation négative des LyT autoréactifs chez l’animal, l’attention s’est immédiatement portée sur la recherche de déficits quantitatifs des Treg dans les maladies autoimmunes (tableau 3). L’exemple le plus caricatural est celui du syndrome IPEX dans lequel une mutation du gène foxp3 conduit à l’absence de Treg et à la survenue d’un tableau clinique complexe associant lymphoprolifération, atteintes autoimmunes multiples, manifestations allergiques et altération de l’état général conduisant au décès [20, 21]. À ce jour, de nombreuses maladies autoimmunes acquises ont également été associées à un déficit en Treg. Ainsi, une diminution de la fréquence des Treg dans le sang a été observée au cours des vascularites associées à l’infection par le virus de l’hépatite C [28] ou des poussées de lupus 167 Tableau 3 Exemples d’implication des Treg en pathologie Pathologie Nature du déficit ou rôle des Treg mutation de Foxp3, absence de Treg, lymphoprolifération, atteintes autoimmunes multiples, maladie mortelle déficit quantitatif Vascularite VHC+ Lupus déficit quantitatif lors des poussées Polyarthrite rhumatoïde moindre effet suppresseur de la production de TNFa sous anti-TNF, nombre de Treg corrélé à la réponse clinique Sclérose en plaque déficit qualitatif (diminution de la suppression) Myasthénie déficit qualitatif, baisse d’expression de Foxp3 Allergie moindre suppression des réponses Th2 Immunité anti-parasitaire Treg empêchent l’élimination complète du parasite mais permettent le maintien de la mémoire immunologique Cancer diminution de l’immunité antitumorale, mauvais pronostic si nombre de Treg élevé GVH Treg limitent l’alloréactivité des greffons Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. IPEX 168 érythémateux systémique [29]. Dans la sclérose en plaque, il ne semble pas exister de déficit quantitatif mais plutôt un déficit qualitatif, attesté par une diminution de la capacité des Treg à inhiber la prolifération de LyT CD4+CD25- [16]. De façon intéressante, les LyT CD4+CD25- des patients comme des témoins demeurent sensibles à la suppression par les Treg des témoins, suggérant que c’est bien un défaut des Treg et non une résistance des LyT des patients à la suppression qui est associée à cette maladie. Au cours de la polyarthrite rhumatoïde, on n’observe pas de diminution significative du nombre de Treg dans le sang mais une fréquence augmentée de Treg fonctionnels dans le liquide synovial [14]. Une étude plus approfondie a toutefois suggéré que, si la capacité des Treg à inhiber la prolifération des LyT CD4+CD25- semble conservée, il existerait un déficit de leur capacité à supprimer la production par les LyT CD4+CD25- mais aussi par les monocytes de TNFa, une cytokine au cœur du processus physiopathologique de cette maladie [15]. De façon intéressante, les auteurs ont observé une corrélation entre l’efficacité clinique des anticorps anti-TNF (infliximab), l’augmentation du nombre de Treg circulants après traitement et la restauration de la capacité suppressive des Treg vis-à-vis des cellules productrices de TNF. Récemment, un effet inhibiteur direct du TNF sur la fonction suppressive des Treg a été démontré [30]. Citons également la myasthénie, qui apparaît associée à une perte de l’anergie des LyT CD4+CD25+ et à une diminution de l’activité suppressive des Treg, associées à une baisse du niveau d’expression des messagers de Foxp3 par les LyT CD4+CD25+ [31]. On rapprochera de ces observations dans le domaine de l’autoimmunité, un rôle probable des Treg au cours des maladies allergiques [32] ou dans la pathologie tumorale [33] dont la description dépasse le cadre de cette revue. Bien que des études complémentaires demeurent nécessaires pour confirmer ces observations, les Treg ont désormais pris une place centrale dans la physiopathologie des maladies autoimmunes. Une meilleure compréhension des mécanismes moléculaires impliqués dans la fonction suppressive des Treg ainsi que l’identification des facteurs génétiques qui contrôlent la différenciation et la fonction des Treg apporteront certainement des éléments décisifs dans la compréhension des maladies autoimmunes et pourraient également permettre de définir de nouvelles cibles thérapeutiques. Un rôle pour les Treg dans le champ de la greffe de moelle ? Si le champ de prédilection des études sur l’immunophysiologie et l’immunopathologie des Treg est celui de l’autoimmunité, les effets suppresseurs non spécifiques des Treg sur différentes populations cellulaires, autoréactives ou non, ouvrent les perspectives d’une manipulation de ces cellules dans le domaine de la transplantation d’organe ou de la greffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH). Il a par exemple été montré que le transfert de LyT CD25+ provenant d’une souris chez laquelle on a induit une tolérance à une greffe de peau allogénique, permet de transférer cet état de tolérance à une souris receveuse et que la tolérance ainsi acquise est spécifique des alloantigènes tolérogènes [34]. Des résultats similaires ont été obtenus dans un modèle d’induction de tolérance à une allogreffe d’îlots pancréatiques, également transférable par les LyT CD25+ [35]. On peut rapprocher ces observations du rôle des Treg dans la tolérance materno-fœtale qui implique également la régulation d’une réponse alloréactive, dirigée dans ce cas contre les alloantigènes paternels [36, 37]. Il pourrait donc exister, au sein du répertoire polyclonal des LyT CD4+CD25+, des Treg susceptibles de s’activer après reconnaissance d’alloantigènes et d’exercer des effets suppresseurs dont nous avons vu qu’ils n’étaient pas spécifiques d’antigène et pourraient donc avoir un large spectre d’action, y compris sur des LyT alloréactifs. Ceci peut paraître paradoxal puisque les Treg sont considérés comme des cellules essentiellement autoréactives. Toutefois, la fréquence des LyT alloréactifs au sein d’une population de LyT étant élevée (5-10 %), il est probable que des cellules alloréactives existent de façon similaire au sein des Treg. La première démonstration d’un rôle des Treg dans le contrôle des LyT alloréactifs en situation de greffe de moelle a consisté à montrer que la déplétion préalable des Treg induit une accélération de la GVH après co-transfert de CSH et de LyT chez des receveurs allogéniques irradiés [38]. Ce résultat indique que les Treg exercent au sein du greffon un certain degré d’activité suppressive. Fait essentiel, l’enrichissement du greffon en Treg du donneur entraîne une amélioration de Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. la GVH, voire la survie à long terme d’une partie des animaux dans ce modèle de GVH létale [38]. Ces résultats sont concordants avec ceux de Hoffman et al. qui ont établi de façon contemporaine, dans un modèle murin où les cellules effectrices sont des LyT CD4+CD25-, que l’addition de Treg dans un rapport 1:1 aboutit à une inhibition de plus de 90 % la réponse proliférative alloréactive in vitro et à une protection significative in vivo de la mortalité par GVH [39]. Chez l’homme, la richesse des greffons en Treg ainsi que le taux de Treg chez le receveur en période post-greffe précoce pourraient être corrélés inversement au risque de développement d’une GVH [40] mais les données disponibles à ce jour demeurent contradictoires [41-43]. L’utilisation thérapeutique de Treg dans ce cadre se heurte à la difficulté d’obtention d’un nombre suffisant de Treg puisqu’il est généralement nécessaire de les administrer dans un rapport 1:1 par rapport aux LyT du donneur. La question se posait donc de savoir s’il était possible d’amplifier ces Treg in vitro, voire de sélectionner par la culture les Treg spécifiques des alloantigènes du receveur. C’est ce qui a été démontré chez la souris en utilisant un protocole de co-culture des Treg du donneur avec des cellules présentatrices d’antigène du receveur en présence d’interleukine-2. Grâce à cette approche, il s’est avéré possible d’obtenir des Treg spécifiques d’allo-Ag du receveur capables de contrôler la GVH tout en permettant une bonne reconstitution immunitaire et, dans certains cas, un effet anti-leuceumique [38, 44]. La possibilité que les Treg puissent diminuer la GVH tout en préservant l’effet du greffon contre la leucémie a également été établie de façon convaincante par Edinger et al. [45]. L’ensemble de ces résultats encourageants permet d’imaginer deux types d’approches principaux dans le champ de la greffe de CSH chez l’homme. Tout d’abord, des Treg du donneur pourraient être utilisés pour limiter les risques de GVH chez le receveur en les co-administrant avec le greffon au moment de la greffe, à distance de la greffe, ou dans un schéma d’administration différée de lymphocytes du donneur devant une rechute leucémique. Cette approche pourra bénéficier le cas échéant de l’utilisation de Treg spécifiques du receveur suivant le schéma développé chez l’animal. Si une telle stratégie se heurte encore à la difficulté de purification de Treg, le développement de méthodes de séparation par billes immuno-magnétiques donne d’ores et déjà des résultats encourageants dans des conditions de grade clinique [46]. Le manque de marqueurs de surface spécifiques des Treg reste néanmoins une limitation car rappelons que seuls les LyT CD4+CD25hi, et non les LyT CD4+CD25int, ont des propriétés suppressives. La découverte de marqueurs qui ne seraient exprimés que par les Treg et permettant leur purification sélective dans des conditions compatibles avec un usage clinique serait une avancée majeure dans le domaine. Dans tous les cas, les essais cliniques auront à préciser l’efficacité de cette approche pour contrôler la GVH mais aussi l’absence d’effet secondaire de l’administration de Treg. Si les résultats expérimentaux permettent d’être optimistes sur Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 l’absence d’effet délétère majeur sur la reconstitution immunitaire du receveur [44], la possibilité d’une limitation de l’effet antileucémique reste une préoccupation pour toutes les approches visant à limiter l’alloréactivité post-greffe et qui sont difficilement prédictibles par les modèles murins. Une stratégie alternative consiste, non pas à réduire l’alloréactivité par enrichissement en Treg, mais à dépléter les Treg afin de renforcer l’effet antileucémique lors d’une administration différée de lymphocytes du donneur chez un receveur en rechute (essai clinique des hôpitaux Henri Mondor et PitiéSalpêtrière en cours). Cette approche, moins difficile à mettre en œuvre au plan clinique car reposant sur une déplétion CD25 plutôt que sur un enrichissement, pourrait être le premier exemple de manipulation des Treg à des fins thérapeutiques chez l’homme, non pas dans leur champ naturel, l’autoimmunité, mais en onco-hématologie. ■ Remerciements. Nous adressons nos remerciements à Benoît Salomon et José Cohen pour leur relecture critique du manuscrit. RÉFÉRENCES 1. Fowell D, Mason D. Evidence that the T cell repertoire of normal rats contains cells with the potential to cause diabetes. Characterization of the CD4+ T cell subset that inhibits this autoimmune potential. 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