CAS CLINIQUE
Figure 1. Carcinome épidermoïde du canthus interne de l’œil droit
étendu à la paupière inférieure droite (a) ; carcinome épidermoïde jugal
gauche étendu à la paupière inférieure gauche, à l’orbite gauche et à
la pyramide nasale (b) ; carcinome épidermoïde jugal bilatéral avec
extension orbitaire et palpébrale bilatérale (c).
Figure 2. Tomodensitométrie
cervicofaciale en coupes axiales
montrant l’extension orbitaire
et nasale.
a
a
b
c
b
510 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 10 - décembre 2012
Carcinomes épidermoïdes étendus
de la face avec extension intraorbitaire :
difficultés de reconstruction
Squamous cell carcinomas of the face with intraorbital extension:
difficulties of reconstruction
M. Idali*, D. Kamal*, A. Jaafar*, H. Benhalima*, A. Benbouzid*, L. Essakali*, M. Kzadri*
* Service d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervicofaciale, hôpital des spécialités,
Rabat, Maroc.
Mots-clés :
Carcinomes épidermoïdes – Face – Reconstruction.
Keywords:
Squamous cell carcinomas – Face – Reconstruction.
L
es carcinomes épidermoïdes cutanés (CEC), anciennement
appelés carcinomes spinocellulaires, représentent un véri-
table problème de santé publique du fait de leur fréquence,
de leur morbidité et de leur mortalité.
La reconstruction chirurgicale, après l’exérèse d’un carcinome
épidermoïde étendu de la face, est difficile et toujours imparfaite.
Le but de ce travail est d’analyser les difficultés du traitement de
ces tumeurs dans les localisations faciales étendues à la cavité
orbitaire et à la pyramide nasale lorsqu’elles sont diagnostiquées
tardivement, en les illustrant par 3 cas cliniques pris en charge
au service d’ORL et de chirurgie maxillofaciale de l’hôpital des
spécialités de Rabat, au Maroc.
Cas cliniques
Nous avons pris en charge 3 patients (1 homme et 2 femmes)
dont les carcinomes épidermoïdes étendus de la face avaient été
diagnostiqués tardivement. Le premier patient, âgé de 60 ans,
présentait un carcinome épidermoïde du canthus interne de
l’œil droit étendu à la paupière droite, à l’orbite droite et au nez.
La deuxième patiente, âgée de 74 ans, était atteinte d’un carcinome
épidermoïde jugal gauche étendu à la paupière inférieure gauche, à
l’orbite gauche et à la pyramide nasale. La troisième patiente, âgée
de 65 ans, avait un carcinome épidermoïde jugal bilatéral étendu
aux orbites et aux paupières (figure 1). Une tomodensitométrie
cervicofaciale a confirmé l’extension orbitaire et maxillaire, ainsi
que l’envahissement des fosses nasales et l’absence d’adénopathies
cervicofaciales (figure 2).
CAS CLINIQUE
Figure 4. Amputation de la pyramide nasale et
exentération droite, comblement de la cavité
d’exentération par un lambeau du muscle
temporal, rhinopoïèse par lambeau frontal
de Converse.
Figure 3. Exentération bilatérale
étendue au complexe palpébral à
droite, comblement de la cavité
d’exentération par lambeau du
muscle temporal et comblement
du defect jugal par lambeau de
Mustardé.
a
a b
b
La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 10 - décembre 2012 | 511
Les 3 patients ont subi l’exérèse de la tumeur en marges saines,
l’exentération orbitaire et l’amputation de la pyramide nasale ;
une maxillectomie partielle a également été pratiquée chez la
deuxième patiente.
Après un examen extemporané, une reconstruction a été pratiquée
dans le même temps opératoire chez tous les patients à l’aide
de lambeaux locorégionaux : un lambeau du muscle temporal
pour combler la cavité d’exentération chez les 3 patients, une
rhinopoïèse par lambeau frontal de Converse pour le premier
(figure 3) et le deuxième cas, ainsi qu’un lambeau de Mustardé
pour combler le defect jugal du troisième (figure 4).
Aucune récidive n’a été constatée 2 ans après l’intervention ; la troi-
sième patiente est cependant décédée au bout de 4 mois à la
suite de complications générales dues à un diabète mal contrôlé.
Discussion
Les CEC sont des tumeurs épithéliales malignes cutanées primitives
qui se différencient des carcinomes basocellulaires par leur poten-
tiel métastatique (1). L’âge moyen de découverte est de 76 ans.
Leur incidence et leur prévalence augmentent régulièrement du
fait de l’allongement de la durée de vie et de l’exposition solaire
répétée. L’incidence annuelle du CEC en France est estimée à
30/100 000 dans la population générale (1). La mortalité spécifique
due aux CEC n’a pas été étudiée, mais la mortalité des tumeurs
cutanées non mélaniques était de l’ordre de 0,44/100 000 en 1991
aux États-Unis (2). La plupart des CEC s’observent sur les régions
découvertes exposées au soleil : le visage (en particulier la lèvre
inférieure) et le dos de la main. Le diagnostic clinique est souvent
évident. La lésion apparaît le plus souvent sur une peau anormale
et associe de façon variable 3 composantes : un bourgeonnement,
une ulcération et une infiltration (3). La forme ulcérovégétante est
la plus fréquente, mais la confirmation histologique est primordiale
avant de poser l’indication d’une excision large.
Le traitement de référence des carcinomes spinocellulaires est
l’exérèse chirurgicale. Elle a pour but d’éviter les récidives, qu’elles
soient locales, régionales ou à distance. De là est né le principe de
marge de sécurité, qui a permis d’obtenir un taux extrêmement
bas de récidive (2). Une marge de 1 cm est la norme (2), mais,
pour les marges profondes, l’exérèse doit atteindre l’hypoderme
tout en respectant l’aponévrose, le périoste ou le périchondre,
à condition que ces structures ne soient ni au contact de la tumeur,
ni déjà envahies (1). C’est l’examen anatomopathologique qui
confirme le caractère complet de l’exérèse ; dans le cas contraire,
une exérèse complémentaire peut être indiquée. En cas d’enva-
hissement ganglionnaire, un curage est pratiqué, associé ou non
à une radiothérapie. Les curages prophylactiques restent discutés.
Les localisations faciales étendues, avec envahissement de plusieurs
unités esthétiques, comme dans le cas de nos patients, posent
CAS CLINIQUE
512 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 10 - décembre 2012
des problèmes aux chirurgiens étant donné les séquelles morpho-
logiques et fonctionnelles inhérentes à l’exérèse carcinologique
et la difficulté d’obtenir une réparation satisfaisante.
La prise en charge d’une orbite énucléée lors de l’exérèse d’une
tumeur est complexe ; elle exige une approche globale du problème
et des techniques chirurgicales adaptées. Divers procédés de
chirurgie réparatrice et esthétique sont mis en œuvre, tels que
le remodelage orbitaire (greffes osseuses et meulage), la mise
en place d’un implant intraorbitaire ou les greffes muqueuses et
cutanées, mais la méthode de réparation préférée pour diminuer
l’aspect disgracieux de l’orbite creuse déshabitée est le comble-
ment par un lambeau du muscle temporal recouvert d’un lambeau
cutané frontal. Il est réalisé dans le même temps que l’exérèse
tumorale. C’est une technique simple, rapide, sûre, et peu coûteuse.
Dans les rares cas où le lambeau de muscle temporal est inuti-
lisable ou insuffisant, on peut avoir recours à des lambeaux de
fascia temporal ou à des lambeaux musculocutanés de grand
dorsal (4). Le bénéfice d’une reconstruction bipalpébrale, toujours
fort médiocre sur le plan esthétique, ne justifie pas les efforts qu’il
faudrait lui consacrer.
Le cas du nez est plus complexe, son amputation étant extrême-
ment difficile à vivre en société. Si la solution prothétique nest pas
possible, la réparation du defect nasal peut éventuellement se faire
par une rhinopoïèse (5, 6). La rhinopoïèse idéale se conçoit plan par
plan. Pour les plans superficiels, la meilleure technique de réparation
est le lambeau frontal, qui peut être étendu au cuir chevelu adjacent
et ainsi permettre la reconstruction, dans le même temps, d’une
partie des joues ou de la lèvre supérieure. Il impose la conservation
d’au moins 1 pédicule supratrochléaire, mais, en l’absence de ces
pédicules, le lambeau de Converse, qui utilise le même capital frontal
sur un pédicule temporal, reste une bonne solution. L’armature n’est
pas absolument indispensable pour la pointe, mais son absence
au niveau du dorsum entraîne une ensellure. Elle peut faire appel
à diverses greffes (frontales ou iliaques) préalables, simultanées
ou secondaires. Le treillis de titane nous semble plus simple, mais
la durabilité des résultats n’est pas prouvée. Le doublage interne
est difficile. Il peut être assuré par un retournement de lambeaux
muqueux ou par une greffe préalable du lambeau frontal (5, 6).
Les maxillectomies sont souvent partielles, et toutes ne néces-
sitent pas une réparation, même en cas de conservation du
revêtement cutané. Toutefois, la perte de la totalité du volume
représente une disgrâce certaine. Techniquement, on peut
proposer un comblement ou une réparation des parois. Le comble-
ment est surtout indiqué lorsque la maxillectomie s’intègre dans
une exérèse plus large : branche montante de la mandibule, fosse
infratemporale, orbite et fosses nasales. On propose volontiers
le comblement de la cavité par un lambeau musculocutané
(souvent le grand dorsal) sur lequel on dessine une ou plusieurs
palettes indépendantes destinées à reconstruire la joue, le palais,
éventuellement la fosse nasale. Le résultat morphologique est
souvent médiocre (5, 6).
La radiothérapie peut être proposée d’emblée, mais présente un
risque de radionécrose et ne permet pas d’éradiquer totalement
la lésion, alors que la combinaison chimiothérapie + radiothérapie
peut être indiquée pour les tumeurs très évolutives, en préparation
d’une intervention ou pour les tumeurs non opérables (2).
Le pronostic des carcinomes épidermoïdes de la face reste condi-
tionné par l’âge du patient, la taille et la localisation de la lésion au
moment du diagnostic et la présence de métastases ganglionnaires
ou à distance. En règle générale, le carcinome spinocellulaire
cutané a un pronostic nettement meilleur que le carcinome épider-
moïde oropharyngé (7). Environ 5 % des patients développent
des métastases dans les ganglions locorégionaux (7), et seuls les
carcinomes spinocellulaires moyennement ou peu différenciés
ont un comportement agressif. Un suivi très rigoureux doit être
effectué.
Conclusion
Lorsqu’ils ont été négligés, les carcinomes épidermoïdes étendus
de la face qui envahissent l’orbite, son contenu et la pyramide
nasale posent un problème de prise en charge chirurgicale, car
l’exérèse de ces tumeurs et la réparation des larges mutilations qui
s’ensuivent entraînent des conséquences esthétiques et sociales
désastreuses, d’où l’intérêt d’un diagnostic précoce.
1. Prise en charge diagnostique et thérapeutique du carci-
nome épidermoïde cutané (spinocellulaire) et de ses
précurseurs. Recommandations. Ann Dermatol Vénéréol
2009;136(Suppl.):S166-S75.
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et esthétique. Paris : Elsevier, 1999:45-140.
3. Martin L, Bonerandi JJ. Carcinome épidermoïde cutané
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et thérapeutique. Ann Dermatol Vénéréol 2009;136
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Ochandiano S. Repair of large orbito-cutaneous defects
by combining two classical flaps. J Craniomaxillofac Surg
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5. Pellerin P, Patenôtre P. Chirurgie des pertes de subs-
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EMC Techniques chirurgicales – Chirurgie plastique recons-
tructrice et esthétique. Paris : Elsevier, 1999:45-510.
6. Patenôtre P. Réparation des pertes de substance vastes
ou complexes de l’extrémité céphalique. Paris : Elsevier,
2007:45-510.
7. Hafner J, Kempf W, Hess Schmid M et al. Tumeurs cuta-
nées épithéliales. Une tâche interdisciplinaire pour méde-
cins de premier recours et spécialistes. Forum Med Suisse
2002;16:369-75.
Références bibliographiques
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