PSYCHOLO GIE DU SPORT Quand la tête est un obstacle à la victoire La méthode du gymnaste Claudio Capelli pour maîtriser le défi mental que constituent les Jeux olympiques. Psychoscope 4/2016 P S Y C H O L O G I E D U S P O R T Août 2008, JO de Pékin. Pris dans une spirale de pensées négatives, le gymnaste Claudio Capelli ne parvient pas à développer pleinement son potentiel. Quatre ans plus tard, il décide de ne pas sous-estimer une nouvelle fois le défi mental que représentent les Jeux olympiques. inhabituelles. Les sportifs doivent faire face à des conditions souvent inédites et à l’inconnu. Un « espace émotionnel » inhabituel JÖRG WETZEL Le gymnaste bernois Claudio Capelli est l’un de mes clients. Il me parle des Jeux olympiques de 2008 à Pékin : « J’étais tout simplement épaté. Quand j’ai réalisé que tout cela avait été construit pour nous, je me suis dit : ‘Ce n’est pas le moment d’échouer !’ Quand j’ai réalisé que je représentais la Suisse, le poids a été si lourd que je n’ai pas pu exploiter mon potentiel. » Claudio Capelli a été déstabilisé par une erreur minime commise en début de compétition. Des pensées ont alors commencé à tourner en boucle dans sa tête : « Surtout ne pas faire une autre erreur ! », « Un faux pas de plus serait vraiment embarrassant ! Quelle honte pour la Suisse ! ». Une erreur succédant à l’autre, les pensées négatives se sont enchaînées, soldées par une performance qui ne reflétait pas le véritable potentiel du gymnaste. Après cet échec à la compétition la plus importante de sa carrière, Claudio Capelli rentre en Suisse et poursuit l’entraînement pour oublier cet épisode malheureux. Une blessure le contraint à une pause forcée. Il lui faut un an pour réussir à revenir sur son expérience aux Jeux olympiques de Pékin. Il regarde en larmes l’enregistrement vidéo de la compétition. Il peut alors enfin commencer à travailler sur son traumatisme, y compris professionnellement. Le contexte particulier des JO Les futurs Jeux olympiques de Rio de Janeiro seront eux aussi éprouvants pour les athlètes participants. Ce gigantesque événement multisports est synonyme de challenges particuliers. Il est en effet le seul à réunir l’élite des athlètes du monde entier dans tous les sports. Le niveau habituel de chaque discipline y est plus élevé : le cadre olympique met les athlètes à plus rude épreuve que les autres grandes manifestations sportives. Les mesures de sécurité et les règles vestimentaires y sont notamment plus strictes. Les athlètes sont hébergés ensemble dans le village olympique et doivent parcourir des distances importantes pour se rendre sur les lieux des entraînements et des compétitions. Les conditions d’entraînement sont par ailleurs Le gymnaste Claudio Capelli a été plusieurs fois champion de Suisse en compétition individuelle. Le gigantisme : voila qui décrit bien les Jeux olympiques. Les sportifs qui y ont participé, ne serait-ce qu’une seule fois, n’oublient jamais cette expérience. L’ambiance y est électrique et les athlètes serrent la main d’hommes politiques et de hauts représentants du pays. Ils évoluent dans des bâtiments et sur des terrains spécialement construits et réalisés pour les Jeux olympiques, dans un brouhaha provoqué par des milliers de délégués et d’athlètes venus du monde entier, entourés par plusieurs centaines de journalistes et des centaines de milliers de spectateurs. Cette atmosphère incomparable crée un « espace émotionnel », qui n’est égalé par aucun autre événement sportif de grande ampleur. Cela peut donner des ailes aux athlètes et se traduire par des performances records ou, au contraire, être complètement paralysant. Le risque est de perdre de vue l’essentiel, de céder à la pression et, contre toute attente, de s’effondrer. Les JO et leur contexte spécial conduisent certains athlètes à agir eux aussi de façon particulière. Ils passent soudain outre les rituels mis en place, ou décident d’utiliser un nouvel équipement qui n’a pas été suffisamment testé au préalable. Ils agissent par impulsion et modifient leurs habitudes de manière Le contexte spécifique des JO conduit des athlètes à agir de façon particulière. non réfléchie. Ces comportements peuvent conduire au désastre, comme ce fut le cas pour une athlète de taekwondo très douée aux Jeux olympiques de Pékin en 2008. La jeune femme avait pourtant de l’expérience et avait en poche plusieurs médailles remportées aux Championnats du monde. L’atmosphère particulière de Pékin l’a toutefois déstabilisée : « J’avais la sensation que tout comptait encore plus. J’ai été totalement submergée par l’euphorie des Jeux. Je me disais, si tu échoues, alors... Le contexte m’a totalement paralysée et j’ai eu un blackout. » Pour prévenir ce genre de réactions, il est impératif que les athlètes trouvent leur place dans ce gigantesque événement que sont les Jeux. Il s’agit de prendre la mesure de l’aspect particulier du 13 Psychoscope 4/2016 P S Y C H O L O G I E D U S P O R T comme le plaisir de l’exercice, le niveau élevé de la compétition, la satisfaction personnelle, l’augmentation de l’estime de soi et l’amour de la discipline contribuent à placer l’attention sur la mission à remplir. PRESTATIONS Des conseils prodigués aussi pendant les Jeux Le psychologue du sport Daniel Birrer a analysé les interventions de Jörg Wetzel, qui accompagne les délégations olympiques suisses depuis 2006, et a classé par catégories les défis posés aux sportifs participants. Défis : outre les challenges d’ordre général liés à la performance (attentes, préparation directe de la compétition, autorégulation, récupération, objectifs individuels), le psychologue a analysé les défis organisationnels propres aux JO (aspects financiers, conflits au sein des équipes, gestion des médias, sécurité), ainsi que les défis personnels (incidents critiques, blessures). Conseils en psychologie du sport : les sportifs olympiques sont sollicités sur tous ces plans. Ils doivent aborder ces défis en amont des Jeux. Ils ont aussi la possibilité de se faire suivre et conseiller par un psychologue du sport pendant l’événement. Birrer, D., Wetzel, J., Schmid, J., & Morgan, G. (2012). Analysis of sport psychology consultancy at three Olympic Games : Facts and Figures, Psychology in Sport & Exercice, 13(5), 702–710. contexte, de se réjouir des performances des autres athlètes, de s’imprégner de l’atmosphère exceptionnelle qui règne et de se fondre dans l’événement. Par ailleurs, il est primordial de s’en tenir aux rituels mis en place, au calendrier des entraînements et à une préparation minutieuse de la compétition. Il est important de ne pas essayer de nouvelles choses, mais d’utiliser les méthodes et l’équipement éprouvés habituels, Jeux olympiques ou pas. Quand l’événement prend le pas sur le reste et fait surgir des facteurs de motivation extrinsèques comme le statut, le pouvoir, le classement, la réputation et la reconnaissance des médias, la pression exercée sur les athlètes est énorme. Résultat : ils n’arrivent pas à se concentrer sur l’essentiel ni à exploiter leur potentiel. Par opposition, les facteurs de motivation intrinsèques Une étude montre l’importance du mental Ces observations pratiques reflètent les résultats d’une étude publiée par Swiss Olympic en 2004. Dans le cadre d’une analyse secondaire, Jürg Schmid, de l’Université de Berne, a interrogé des athlètes sur ce qu’il faut et ne faut pas faire aux JO. Il leur a notamment posé les questions suivantes : « Quelles stratégies personnelles mettez-vous en œuvre pour optimiser vos chances de réussite aux JO ? », « Quels conseils donneriez-vous aux futurs athlètes olympiques ? » Les résultats sont très intéressants sur le plan psychologique : plus de la moitié des réponses portent en effet sur des facteurs mentaux. La gestion des phases de repos, les facteurs non contrôlables, l’événement olympique, l’anticipation de la compétition, la préparation immédiate, le comportement pendant et avant la compétition, ainsi que l’analyse de l’événement a posteriori figurent parmi les réponses fournies. Concrètement, cela signifie que les athlètes qui font de bons résultats disposent de nombreuses stratégies de maîtrise, contrairement à leurs concurrents qui réussissent moins bien. Les athlètes qui obtiennent de bons résultats récupèrent mieux, connaissent davantage de méthodes de relaxation et les mettent en œuvre de façon plus systématique (gestion des phases de repos). Ils gèrent également mieux les facteurs incontrôlables, comme la météo ou les bruits du public de nature à perturber la concentration. Ils anticipent de façon concrète les circonstances particulières de la compétition, notamment les conditions d’entraînement modifiées (anticipation de l’événement olympique et de la compétition). Pendant la compétition, ils se focalisent sur les facteurs importants à l’instant « t », ce qui leur permet de rester concentrés et de ne pas être distraits (comportement pendant la compétition). Enfin, a posteriori, ils évacuent l’événement de façon constructive en nourrissant l’estime de soi. L’analyse de la compétition est axée sur le processus et non sur les résultats obtenus. Il s’agit de valoriser l’échec comme la réussite (analyse a posteriori). La psychologie du sport favorise la réussite À Londres en 2012, Claudio Capelli, le gymnaste évoqué au début de l’article, décide de ne pas sous-estimer une nouvelle fois les facteurs mentaux liés à une participation aux JO. Il est soutenu dans sa démarche par un projet de psychologie du sport mis en place par la fédération de gymnastique. Je suis par ailleurs Claudio 14 Psychoscope 4/2016 P S Y C H O L O G I E D U S P O R T Capelli depuis son expérience à Pékin dans le cadre d’un coaching individuel en psychologie du sport. Ces mesures lui ont permis de préparer la compétition de la façon la plus concrète et spécifique possible. Cela inclut la planification des déplacements, la participation à la cérémonie d’inauguration, l’aménagement des plages de récupération et de repos, la gestion des journalistes et les contacts avec la famille. Dans le cadre du coaching, l’athlète structure en outre la préparation directe de la compétition, ce qui englobe des aspects qui peuvent paraître évidents, comme les formalités d’inscription sur place, l’anticipation du site de la compétition, la préparation des techniques d’autorégulation, la gestion des doutes et des angoisses, la concentration sur l’essentiel à l’instant « t » et les techniques à mettre en œuvre pour réaliser des performances optimales. En outre, cette fois, l’analyse a posteriori de l’événement n’est pas négligée. Claudio Capelli prévoit une séance de débriefing sur ses performances personnelles et une évaluation de l’équipe. Il applique des stratégies d’analyse et recueille l’avis de son coach. À Londres, Claudio Capelli a été 17e du concours multiple, le meilleur résultat pour un Suisse depuis les Jeux olympiques de 1984. « Je me sentais bien et fort » À Londres, le gymnaste bernois se distingue comme l’un des meilleurs athlètes suisses au concours multiple. À l’issue de l’événement, il déclare, euphorique : « Je savais que j’étais en forme. Je me suis préparé comme je le souhaitais, sans connaître de blessure. Je me sentais bien et fort tout en étant préparé à la défaite. Tout a été beaucoup plus simple, et les choses se sont déroulées très naturellement, presque automatiquement. Je savais que j’allais réussir, la confiance ne m’a jamais quitté. » Pour beaucoup d’athlètes, participer aux JO est un objectif ultime, voire la réalisation d’un rêve d’enfant. Cela implique des défis psychologiques qu’il convient d’anticiper. L’objectif est que les athlètes ne se définissent pas uniquement par leur participation, mais s’intéressent davantage à leur état d’esprit, à leur ressenti et aux actions à mettre en place pour remplir leur fonction. Cela permet d’affronter et de maîtriser le défi que représentent les JO. Ce gigantesque événement multisports devient alors une expérience inoubliable dans la carrière du sportif. Cette expérience, personne ne pourra la lui enlever. L’AUTEUR Jörg Wetzel, psychologue spécialiste en psychologie du sport FSP, accompagne les athlètes et les équipes de haut niveau depuis près de vingt ans. Avant de se former et d’exercer en psychologie du sport, il obtient un diplôme de maître d’éducation physique et acquiert de l’expérience dans le domaine du sport de haut niveau. Il fait figure de pionnier dans le domaine de la psychologie du sport appliquée. Il est le premier psychologue officiel à accompagner les délégations de Swiss Olympic aux JO, qu’il suit depuis 2006. Il est propriétaire de la société Sportpsychologie Wetzel GmbH. CONTACT [email protected] LITTÉRATURE Wetzel, J. (2010). Gold – mental stark zur Bestleistung. Zurich : Orell Füssli. 15