
La Lettre du Neurologue • Vol. XIII - n° 3 - mars 2009 | 71
Points forts
Motivation et neuroscience :
bref historique
Les sciences cognitives ont émergé au milieu du
siècle dernier. Avant cela, la plupart des scientifi-
ques se méfiaient des représentations mentales,
justement parce qu’elles n’étaient pas observables.
Le cerveau était considéré comme une boîte noire, et
les chercheurs se contentaient de décrire les entrées
et les sorties. L’étude du comportement animal
se résumait alors à la recherche de lois stimulus-
réponse, suivant le programme dit béhavioriste.
Un écueil majeur pour le béhavioriste est l’explo-
sion combinatoire : lorsque plusieurs manipulations
peuvent générer plusieurs comportements, le nombre
de liens possibles devient vite astronomique. Par
exemple, la privation d’eau, une température élevée
ou une nourriture salée peuvent toutes conduire un
animal à boire davantage d’eau, à travailler plus pour
une gorgée, ou à consentir d’absorber des boissons
amères. Plutôt que de tracer tous les liens possi-
bles, il paraît économique de relier les différentes
manipulations à la soif, puis la soif aux différents
comportements. La soif apparaît donc comme une
variable intermédiaire, une commodité de notation.
On peut considérer ces variables intermédiaires (par
exemple la soif, la faim, l’agressivité ou la libido), que
les Anglo-Saxons appellent drive, ce que nous tradui-
rons par “besoin”, comme les premiers concepts
opérationnels de motivation.
Il revient aux béhavioristes d’avoir découvert que
certains stimuli influencent le comportement parce
qu’ils interviennent en conséquence d’une action,
ce que E.L. Thorndike a appelé la loi de l’effet. On
dit que ces stimuli renforcent le comportement, et
on les qualifie de récompenses (1). Ainsi, dans la
fameuse cage de Skinner, on récompense le rat par
de la nourriture chaque fois qu’il appuie sur la bonne
pédale, ce qui se produira de plus en plus souvent
au fil du temps. La dynamique du renforcement est
bien décrite par la loi de Rescorla et Wagner, selon
laquelle la vitesse d’apprentissage est proportion-
nelle à l’erreur de prédiction de la récompense, soit la
récompense obtenue moins la récompense attendue.
Si l’on obtient plus de récompenses que prévu, le
comportement va être renforcé ; si l’on en obtient
moins, il sera au contraire affaibli.
Mais pourquoi les récompenses ont-elles cette capa-
cité de renforcer le comportement ? Parce qu’elles
viennent réduire le besoin. Et d’où vient le besoin ?
De la nécessité de maintenir certaines variables
internes à un niveau constant. Les récompenses font
alors partie intégrante d’un mécanisme de régulation
homéostatique, selon l’expression de W. Cannon. Ces
mécanismes fonctionnent sur le modèle du ther-
mostat, qu’on peut appliquer au comportement
alimentaire. Pour maintenir les réserves d’énergie
disponible, l’organisme dispose d’indicateurs, par
exemple le taux de glucose sanguin. On a donc des
capteurs qui vont signaler les écarts entre les valeurs
mesurées et les valeurs de références, un gramme par
litre dans le cas de la glycémie. Ces signaux d’erreur
vont ensuite déclencher des mécanismes compensa-
teurs, dont certains passent par le comportement,
par exemple, une hypoglycémie va pousser à la prise
alimentaire.
L’idée du besoin homéostatique est si élégante et
si intuitive que les recherches sur la motivation se
sont longtemps focalisées sur l’étude de points de
référence, de signaux d’erreur et de mécanismes
compensateurs. Cette théorie a pourtant été mise
à mal par de nombreuses observations, et elle a
progressivement été abandonnée (2). Il a d’abord
été objecté qu’une stabilité des variables internes
n’implique pas nécessairement l’existence d’une
régulation. Par exemple, un poids corporel stable ne
signifie pas qu’il existe un point de référence ni des
mécanismes régulateurs pour maintenir le poids au
niveau de référence. Il s’agit peut-être plutôt d’un
point d’équilibre entre systèmes antagonistes, les
uns favorisant l’amaigrissement et les autres la prise
de poids. Si l’obésité s’est répandue ces dernières
décennies aux États-Unis, ce n’est pas que le poids
de référence a changé, mais que la réclame a rendu
les aliments plus appétissants et disponibles. Ce
que l’on peut éprouver soi-même face à un bol de
cacahuètes salées : on n’en éprouvait pas le besoin
et pourtant on n’arrête pas d’en manger. Ainsi, la
prise alimentaire n’est pas forcément proportionnée
aux besoins, et les aspects hédoniques semblent
déterminants.
Ces remarques rejoignent d’autres observa-
tions montrant que les récompenses ne viennent
pas satisfaire un besoin mais donner du plaisir.
Mots-clés
Apathie
Apprentissage
Compulsion
Cortex préfrontal
Dopamine
Ganglions de la base
Modèle computationnel
Motivation
Neuropsychologie
Les neurosciences cognitives définissent la motivation comme un processus permettant aux récompenses
»
désirées d’activer et d’orienter le comportement.
Ces processus traitant des récompenses sont pris en charge par un système cérébral particulier, reliant cortex »
orbitofrontal et structures limbiques sous-corticales.
Le champ émergent de la neuro-économie propose de nouveaux paradigmes pour caractériser les troubles de
»
la motivation en termes de sensibilité à l’effort, à la récompense, à la punition, au risque, au délai, etc.
Ainsi, certaines formes d’apathies liées à une atteinte des ganglions de la base s’expliquent par une perte de »
sensibilité aux récompenses, et certains comportements compulsifs liés aux traitements dopaminergiques par un
gain de sensibilité aux récompenses.
Summary
Patients with neurological
conditions can exhibit disor-
ders where motivation is
either deficient (apathy) or
out of control (compulsion). At
first sight, it may seem uneasy
to tell whether the deficit
is primarily linked to brain
damage or secondary to motor
or cognitive disability. Cogni-
tive neuro science provides
conceptual and empirical tools
to explore the neural substrates
of motivational processes.
A large brain network, within
the prefrontal cortex and the
basal ganglia, has been impli-
cated in representing expected
rewards so as to energise and
direct be haviour. Damage
to this network results in
primary motivational disor-
ders, in which reward-seeking
behaviour specifically deviates
from normality. Depending on
the specific brain structure
impaired, motivational disor-
ders can thus be characterised
in terms of sensitivity to effort,
reward, punishment, risk or
delay.
Keywords
Apathy
Learning
Compulsion
Prefrontal cortex
Dopamine
Basal ganglia
Computational model
Motivation
Neuropsychology
Functional neuroimaging
Decision making
Reward