politique. On peut avoir ce nom, sans être
capable de quoi que soit, sauf d'égarer la cité
(désunion). Le critère du politique est celui de la
possession d'un savoir spécifique, capable
d’aider à résoudre les problèmes de la cité. Le
législateur (qui sera plutôt un philosophe-roi, un
dirigeant éduqué connaissant le vrai et le juste)
doit posséder une véritable compétence. Il doit
être doué « d'une science véritable » du tissage
politique (Le politique, 293c, et Alcibiade)
susceptible de rendre la cité à l’unité, au prix
d’exclusions. Puisque telle est l’orientation, et
que ce sont les Grecs qui nous offrent la
première théorie des régimes politiques ainsi
que la définition de la plupart des noms de
régimes, le choix du meilleur régime n’est pas
difficile à accomplir. Il s’opère presque
négativement. La démocratie est évidemment
le pire d’entre eux. Elle coïncide avec le règne
de l’opinion (qui a mis Socrate à mort) que les
démagogues manipulent sans cesse à partir de
l’insatiable désir. Elle est incapable de
promouvoir la raison. L’égalité qu’elle
encourage s’identifierait à une égalisation
néfaste des intérêts et des fonctions. Elle
éloigne de la vraie justice, celle que propose le
cosmos (hiérarchisé), sur le modèle duquel le
politique doit reconstruire la cité (Callipolis), tout
en assurant, par l’éducation civique, la
prééminence de son âme en chaque citoyen.
Dans la version d’Aristote (384-322 av. JC)
faire de la politique ne peut consister à élaborer
une cité parfaite. Il faut partir de ce qui est
seulement, le monde contingent. Et chercher le
mieux de ce qui est possible, au sein des cités
réelles. Il établit ainsi une pluralité de modèles
envisageables de cité (à partir d’un inventaire
des constitutions en vigueur : Sinope, Cyrène,
Marseille, Chypre, ...). La politique consiste
aussi à considérer que l’on ne doit pas
seulement vivre (besoins) mais vivre bien,
c’est-à-dire donner à l’existence humaine la
forme d’une polis, d’une cité, susceptible de
viser le Bien le meilleur (premier dans l’ordre de
la perfection), par rapport à sa situation. Elle
doit tirer le meilleur parti possible de ce dont
elle dispose (autarcie). Quoi qu’il en soit la cité
sera toujours affaire de lois (de commun,
d’unité d’une pluralité, d’existence de fins
communes) et d’amitié, puisqu’elle favorise la
justice. Enfin, la politique est une affaire de
« prudence » (délibération rationnelle), à
laquelle les citoyens peuvent s’éduquer
(Ethique à Nicomaque).
Quant au pouvoir politique, il a une spécificité.
Nul ne doit le confondre avec le pouvoir
parental ou le pouvoir magistral. Il s’exerce sur
des hommes « libres » (les Grecs), consentant
à être dirigés. Certes, il s’exerce dans un
contexte où le jeu des opinions doit être pris en
compte. Aristote réfute largement Platon.
Vouloir une unité close de la cité, sans
différences, contribuerait à diminuer la place
des citoyens. La cité doit sans cesse relier le
peuple et les élites politiques. La justice en
dépend. Le meilleur régime politique pour la
majorité des cités est donc le régime
constitutionnel, le régime mixte, où les intérêts
de chacune des parties de la cité sont
préservés et jouent un rôle.
N’imaginons cependant pas que cette
perspective d’une cité-une modélisée et
exclusive soit demeurée sans contestation.
D’autres philosophes se sont donnés des
moyens de détisser l’homologie cosmos-cité.
Épicure montre que la soi-disant harmonie de la
cité n’existe pas. La guerre règne partout. Les
Cyniques grecs, qui constituent une école
philosophique dont la figure la plus marquante
est celle de Diogène (413-327 av. JC.), ne
cessent de démystifier la cité. La vraie
franchise du cynique constituant une force de
résistance absolue contre les fausses valeurs, il
récuse toute illusion d’unité, quand il ne refuse
pas le partage nature-culture (animal-homme),
Grecs-barbares sur lequel la cité se fonde. En
ce sens, il s’oppose directement à Aristote pour
qui « l’homme est par nature un être de cité »,
et tout homme qui se refuserait à intégrer une
cité serait un idiotès : un être qui s’isole et
meurt sans le secours des autres, qui s’aperçoit
vite qu’il ne peut se suffire à lui-même (être
dégradé, il n’a ni clan, ni loi, ni foyer, Politiques,
I, 2, 1253a).