Décembre2012 / L’économie informelle dans les pays en développement /©AFD
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4.
Politiques
Au cours des vingt dernières années, le com-
merce mondial a connu une vigoureuse ex-
pansion. En 2007, il représentait plus de 60 %
du PIB mondial, contre moins de 30 % au
milieu des années 1980. Il serait difficile de
nier que cet essor a favorisé la croissance et
la création d’emplois à travers le monde. L'OIT
estime qu'entre 1995 et 2005, grâce à l'expan-
sion mondiale, 40 millions d'emplois sup-
plémentaires ont été créés chaque année
dans ses pays membres. Néanmoins, souvent
les conditions du marché du travail et la
qualité des emplois ne se sont pas amé-
liorées de la même manière. Dans de nom-
breuses économies en développement, la
création d'emplois a principalement eu lieu
au sein de l'économie informelle, où environ
60 % des travailleurs ont trouvé des opportu-
nités de revenus. Or, l’économie informelle est
caractérisée par une plus faible sécurité de
l’emploi, des revenus plus bas, le non-accès
àde nombreux avantages sociaux et une
moindre possibilité de participer aux program-
mes d’éducation et de formation formels –
en somme ce sont les principaux ingrédients
d’un travail décent qui font défaut.
Leprésent article résume les principaux
résultats d'une étude conjointe entre l’OIT
et l'OMC portant sur les liens entre la mon-
dialisation et l'emploi informel dans les pays
en développement. L'étude, produit du pro-
gramme de recherche collaboratif des deux
institutions sur les échanges commerciaux
et le travail, présente une analyse complète de
la façon dont les échanges commerciaux et
l’économie informelle interagissent, et explique
comment l’adoption de politiques bien con-
çues pour le travail décent et le commerce
peut contribuer à des résultats plus favorables
en termes d'emplois [112] .
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4.1. Mondialisation
et emploi informel
dans les pays
en développement[111]
Marc Bacchetta, Ekkehard Ernst et Juana Paola Bustamante
Introduction
[111] Les opinions exprimées dans le présent papier sont de la responsabilité unique de ses auteurs ; la publication de celui-ci
ne constitue pas un aval de l’OIT ou de l'OMC donné aux opinions exprimées.
[112] Cet article est une version longue du résumé exécutif de l'étude conjointe effectuée par l’OIT et l'OMC, intitulée
«La mondialisation et les emplois informels dans les pays en développement », et publiée en octobre 2009.
Si les recherches existantes ont permis d’iden-
tifier plusieurs mécanismes à travers lesquels
l’ouverture du commerce peut affecter
l’emploi et les salaires informels, le fait que
l'ouverture du commerce fasse augmenter
ou baisser l'emploi et les salaires informels
reste, au bout du compte, une question
empirique. Malheureusement, les données
empiriques pertinentes n’existent que pour
un petit groupe de pays, principalement
latino-américains. Les données semblent
indiquer que la direction et l'étendue de
l’impact de l’ouverture du commerce sur
les variables informelles dépendent forte-
ment des circonstances particulières des pays.
L’ouverture du commerce a augmenté l’in-
formalité en Colombie, l’a réduite au Mexique
etn’a pas eu d’impact mesurable sur l’in-
formalité au Brésil.
La vulnérabilité persistante du marché du tra-
vail a empêcles PED de tirer pleinement
parti de la dynamique de la mondialisation.
Bien que l’économie informelle soit généra-
lement caractérisée par un grand dynamisme,
une grande rapidité d’entrée et de sortie et
une souplesse d’ajustement aux fluctuations
de la demande, son caractère informel limite
la possibilité pour les PED de tirer pleinement
profit de leur intégration dans l’économie
mondiale. En particulier, les pays où il existe
un vaste secteur informel ne sont pas en me-
sure de se doter d’une base d’exportation
large et diversifiée en raison des entraves à la
croissance des entreprises. Nonobstant la dif-
ficulté bien connue d’obtenir des données
fiables sur les activités informelles, il ressort
de l’étude que les pays où l’économie infor-
melle est importante ont des exportations
moins diversifiées. Les travailleurs du secteur
informel ont du mal à acquérir les qualifica-
tions formelles de base qu’ils pourraient met-
tre à profit dans une large gamme d’emplois.
De même, les entreprises de ce secteur sont
souvent de petite taille et se heurtent à des
obstacles qui freinent leur croissance, et les
empêchent d’offrir des biens et des services
de qualité. Et lorsque l’économie s’ouvre, le
secteur informel constitue souvent une vari-
able d’ajustement pour les travailleurs qui
perdent leur emploi au détriment des normes
de travail décent, ce qui n’aurait pas lieu s’il
existait d’autres possibilités d’emploi dans
léconomie formelle. En bref, les entreprises
du secteur informel ne sont pas en mesure de
réaliser des bénéfices suffisants pour récom-
penser l’innovation et la prise de risque – deux
conditions essentielles d’une réussite éco-
nomique durable.
Enfin, la mondialisation a créé de nouveaux
facteurs de chocs extérieurs. Les chaînes de
production mondiales peuvent propager les
chocs macroéconomiques et commerciaux à
travers les pays à une vitesse inouïe, comme
l’a montré la crise économique actuelle. Dans
ces conditions, les PED risquent d’entrer dans
un cercle vicieux d’informalisation et de vul-
nérabilité croissante. Ceux qui ont un vaste
secteur informel sont les plus touchés par les
effets des chocs négatifs. Il est donc utile de se
pencher sur le problème du secteur informel,
non seulement dans un souci d’équité sociale,
mais aussi pour améliorer l’efficience dynami-
que des pays, puisque l’économie informelle
constitue un frein aux capacités à accroître la
production à forte valeur ajoutée et affronter
la concurrence sur le marché mondial. Le fait
d’encourager l’activité des travailleurs et des
entreprises dans le secteur formel aidera aussi
les pays à accroître leurs recettes fiscales tout
en leur donnant les moyens de stabiliser leur
économie et d’atténuer les effets négatifs des
chocs extérieurs. C’est pourquoi il est essentiel,
[]
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dans une optique de développement, de ré-
duire la taille du secteur informel.
L’étude conjointe OIT-OMC affirme qu’il
est possible de relever ces défis et de réduire
le taux d’informalité dans les PED, malgré la
pression accrue que la mondialisation peut
exercer sur le marché du travail. En fait, les
réformes commerciales peuvent être béné-
fiques à long terme au marché du travail si
l’on adopte la bonne stratégie d’ouverture
notamment en ce qui concerne le calendrier
des réformes et les politiques de soutien du
type « Aide pour le commerce » – combinées
àune série de mesures internes appropriées.
Pour que cette approche soit couronnée de
succès, il faut bien comprendre quelles sont
les voies par lesquelles les réformes commer-
ciales influentsur le marché du travail. Il faut
aussi comprendre comment les problèmes
liés à l’existence d’une économie informelle
entravent la participation au commerce inter-
national, limitent la diversification des expor-
tations et affaiblissent la résistance aux chocs
économiques.
4.1.1. Types d’informalité
La distinction entre l’emploi formel et infor-
mel est un peu floue. Les opinions sont diver-
gentes, parfois contradictoires ; il n’existe pas
de concept unique accepté de par le monde ;
les définitions sont multiples. Ce problème
de définition est la cause, comme la consé-
quence de la pluralité de méthodologies utili-
sées par différents auteurs pour quantifier les
activités informelles. Il est aussi lié à la conti-
nuité entre les activités économiques et la dif-
ficulté d'attribution des phénomènes à l’une
ou l’autre des deux catégories.
Les difficultés à trouver un consensus sur la
conceptualisation de l'économie informelle
sont en partie liées aux différentes opinions
des chercheurs quant aux origines et causes
de l'informalité. Depuis son introduction au
début des années 1970, le concept d’informa-
lité a donné naissance à d’intenses débats. Les
opinions divergent non seulement sur les cau-
ses et la nature du secteur informel, mais aussi
sur ses liens avec le secteur formel. Jusqu’au
milieu des années 1990, ces opinions diver-
gentes pouvaient facilement être classées en
trois grandes écoles de pensée : l’école dua-
liste, l’école structuraliste et l’école légaliste.
L’école dualiste, qui dominait dans les années
1960 et 1970, tire ses racines intellectuelles dans
le travail de Lewis (1954) et Harris et Todaro
(1970). Les dualistes considèrent le secteur in-
formel comme le segment inférieur d’un mar-
ché du travail dual, n’ayant aucun lien direct
avec l’économie formelle. Il s’agit d’un secteur
résiduel qui naît d’un processus de transfor-
mation dans les économies en développement
et qui existe parce que l’économie formelle
n’est pas capable d’offrir des opportunités
d’emploi à une partie de la main-d’œuvre.
Avec la croissance et la transformation éco-
nomiques, l’économie informelle sera au bout
du compte absorbée par le secteur formel.
Par contraste, l’école structuraliste souligne
la décentralisation de la production et les liens
ainsi que l’interdépendance entre les secteurs
formel et informel (Portes
et al.
,1989). Les struc-
turalistes considèrent le secteur informel com-
me étant formé de petites entreprises et de
travailleurs non immatriculés, soumis à des
grandes entreprises capitalistes. Les premiers
fournissent de la main-d’œuvre bon marc
et des entrées aux dernières, améliorant ainsi
leur compétitivité. Selon l’école structuraliste,
il est improbable que la croissance élimine les
relations informelles de production, car celles-
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