La mort ou l`échec de la défense européenne dans les Balkans

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La mort ou l’échec de la défense européenne
Ldans
a démocratie en afrique subsaharienne
les Balkans ?
Général(cr)
(cr)Henri
HenriPARIS
PARIS
Général
Président
PrésidentdedeDémocraties
DÉMOCRATIES
En regard des découvertes scientifiques les plus récentes,
effectuées
début du
l’Afrique se révèle être le berceau de
Poser leau
libellé
du troisième
titre de millénaire,
cette très courte étude à l’interrogatif revient à
l’humanité.
Cela
ne
l’empêche
pas
d’être
la
grande
des temps
du progrès.
y répondre. Non seulement il n’y a pas eu de défenseoubliée
européenne
dans lesetBalkans
C’est
qu’elle qu’ils
est leont
siège
d’une
accumulation
sans pareille
pandémies,
durantainsi
les guerres
subies
dans
la décennie 1990,
mais, dede
fait,
l’Europe de
pauvreté,
d’inégalités,
d’injustices,
de
rivalités
internes
et
entre
grandes
puissances,
institutionnelle a été à peu près absente du conflit, a fortiori, de son appareil
de
ainsi
queQu’il
de conflits
multiples
entrecroisés,
ethniques,
économiques
et sifrontaliers.
défense.
y ait échec,
assurément
donc ! Mort
peut-être
pas, parce que,
mort
ou inexistence il y a, de toute défense européenne durant les guerres balkaniques,
L’Afrique
est un continent,
Cependant,
il y adelieu
distinguer
ce qui
est un constat,
en revanche,certes.
la leçon
d’une nécessité
bâtirdecette
défense une
Afrique
Nord,
aurait puduêtre
tirée.située au nord du tropique du Cancer et, dans sa partie est, au
nord de l’équateur, profondément marquée par l’Islam qui lui donne une unité,
À cet effet,
est dressé
un bilan
ce qu’il
en est endu
2011,
en préalable.
peut-être
la seule.
Au sud
de cedemême
tropique
Cancer
et au sud de l’équades guerres balkaniques,
plusieurs
fois retracé,
n’offre
pour la dé-noir,
teur,L’historique
l’Afrique subsaharienne
possède une
autre unité,
celle d’un
peuplement
marche
quede
l’intérêt
raisons
de l’inaction,
deCommunément,
l’absence de
tout
autant
façaded’une
qui l’aanalyse
amenédes
à être
appelée
l’Afriquevoire
noire.
tout système
de forces
armées
européennes
et plus largement
institu-à l’est
l’Afrique
du Nord
reçoit
l’appellation
de Maghreb
à l’ouestdeetl’Europe
de Machrek
tionnelle.
C’est
pourquoi
l’examen
s’attache
uniquement
à
cette
analyse
et
non
à un
ou encore d’Afrique islamique pour la discriminer du Proche et du Moyen-Orient.
historique déjà maintes fois entrepris. La démarche porte, de fait, sur les relations
entre
l’ONU, subsaharienne,
l’OTAN et l’Union
européenne.
Interviennent
des constantes
dont une
L’Afrique
en plus
d’être le
sous-continent
noir, possède
l’examen
démontre
bien que: ce
des cas fortuits
et dont
l’Europe,
en les
tantpuisautre
identité
commune
elleneasont
étépas
colonisée
dans son
ensemble
par
que
telle,
est
irrémédiablement
absente.
sances européennes jusqu’au milieu de la décennie 1960, encore que l’Angola et le
Mozambique
indépendance
respectivement
1975 et enpeu1978.
Les mafias,ont
sansobtenu
être uneleur
spécificité
balkanique,
sont un facteurenprospérant,
Le
européen,
priscolonisateur
en compte par
l’Europe.à son départ, laissa aux pays noirs des frontières issues
de la colonisation et la démocratie comme modèle affirmé de régime politique.
Une prospective s’efforcera, par ailleurs, de déterminer l’avantage que peut proTous les Etats africains subsahariens se réclament de la démocratie, mais qu’en est-il
curer une défense européenne.
réellement ?
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La démocratie, et il faut ajouter la démocratie
parlementaire, serait la clé du développement culturel, économique et scientifique en permettant l’épanouissement
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La mort ou l’échec de la défense européenne dans les Balkans ?
Géostratégiques n° 31 • 2e trimestre 2011
Bilan de l’action de défense européenne en 2011
L’Europe militaire ne s’est guère signalée durant les guerres balkaniques. Comme
fait significatif, il est possible de relever la prise en charge par une administration
européenne, le 23 juillet 1994, de la ville de Mostar en Bosnie-Herzégovine, ravagée
par la guerre. Les administrateurs ont pu faire procéder à la reconstruction de la ville,
après l’accord de Dayton, et arriver à sa réunification alors qu’elle était partagée entre
musulmans et Croates.
Il a fallu attendre le 1er janvier 2003 pour que la Mission de police en Bosnie
(MPUE) remplace le groupe international de police des Nations unies. La MPUE est
la première opération de gestion civile d’une crise menée par l’Union dans le cadre
de la politique de sécurité et de défense. Elle est prévue pour durer jusqu’au 31 décembre 2011. Parallèlement, les forces de l’OTAN en Bosnie (SFOR) doivent être
progressivement relevées par des contingents européens sous administration de l’UE.
Ce sera le seul engagement de contingents européens fournis par les États membres,
chacun pour soi. Il ne sera pas constitué de force européenne en tant que telle.
Toujours dans la même année, l’UE inaugurait la première opération militaire de son histoire, Concordia, en prenant la succession des forces de l’OTAN en
Macédoine. Après le retrait de Concordia en décembre 2003, une mission de police
Proxima, suivie d’une autre, Eupat en Macédoine, ont assuré une présence européenne jusqu’en juillet 2006.
Après que ce qui a été appelé la guerre du Kosovo a été réglé par l’OTAN, c’està-dire essentiellement par l’aviation américaine, une force au sol, la KFOR, a achevé
la conquête de la région. La KFOR comprenait bien des contingents européens,
mais sous commandement américain. Alors, des contingents européens restèrent
présents au Kosovo, où se prolongea la plus large mission (EUMM) civile jamais
menée dans les domaines de la police, de la justice et de l’administration. Le mandat
de l’EUMM, arrivé à échéance le 14 juin 2010, a été prorogé. De fait, le Kosovo est
sous tutelle, sans laquelle la lutte entre Serbes et Albanais reprendrait.
Ces missions de police, s’appuyant sur une présence armée, ont toutes pour rôle
essentiel de former une force de police professionnelle et multiethnique. L’UE a
l’ambition d’engager cette force contre la criminalité organisée au premier chef.
Le bilan est donc mince. Les faibles résultats concernent particulièrement les
missions civiles de police. À remarquer, cependant, que leur sphère de compétences
n’est jamais très éloignée d’un maintien de l’ordre par des moyens militaires.
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Géostratégiques n° 31 • 2e trimestre 2011
Complexités balkaniques
L’ONU, l’OTAN et l’Union européenne
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la géostratégie américaine eut
pour dessein affiché de déterminer les trois théâtres intéressant au plus haut chef ses
intérêts et de les assujettir à sa suprématie : l’Europe, le Proche- et le Moyen-Orient,
et l’Extrême-Orient.
La guerre froide conduisit à donner au théâtre européen une importance prépondérante, qu’illustrent l’Alliance atlantique et son organisation militaire intégrationniste, l’OTAN. À la fin de la guerre froide, la position américaine n’avait pas
changé. Mieux, Washington obtint que l’OTAN soit considérée comme le bras
armé de l’ONU et autorisée à intervenir en dehors de l’aire géographique délimitée
par son traité fondateur.
C’est ainsi que l’OTAN, entre autres, opéra en Afghanistan à partir de 2001 et
avant dans les Balkans qui, contrairement à l’Afghanistan, correspondaient à l’aire
couverte par le traité.
La décennie 1990 s’ouvrit avec le conflit balkanique. L’Europe, en tant qu’acteur international, n’était qu’une velléité qu’allait concrétiser le traité de Maastricht
de 1992, au niveau des principes, mais certainement pas au-delà et notamment
d’une réalité tangible. Les progrès ne se firent que lentement, très et trop lentement
sentir. Donc, toute politique de défense européenne, même dans les limbes, et par
conséquent toute force militaire européenne constituée étaient inexistantes, lorsque
s’amorça le conflit balkanique.
Une réalité s’impose d’emblée. Les guerres balkaniques s’annoncent par une
crise latente qui monte en tension avec la mort de Tito, le 4 mai 1980. La crise
prend un tour violent en mars-avril 1981, lors d’émeutes provoquant une répression sanglante au Kosovo, où des dizaines de milliers de manifestants albanophones
réclament le statut de république et non plus de province autonome, ce qui n’est
qu’un prélude à une revendication indépendantiste. Le début de la guerre dans les
Balkans peut être daté de la proclamation d’indépendance de la Slovénie et de la
Croatie, le 25 juin 1991. Ces faits, notamment leur maturation, sont antérieurs
à la signature du traité de Maastricht et encore plus de son entrée en vigueur, qui
n’intervient qu’en 1993.
Il en résulte tout naturellement que l’Europe, face à la crise balkanique, était
incapable d’avoir une politique commune bien définie et encore moins une force
armée pour mettre en œuvre un concept de prévention, et encore moins de gestion
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La mort ou l’échec de la défense européenne dans les Balkans ?
Géostratégiques n° 31 • 2e trimestre 2011
de la crise. Il est alors d’une logique absolue que le Conseil de sécurité de l’ONU
ait confié à l’OTAN la tâche d’appliquer les résolutions qu’il avait votées, après que
l’ONU, en soi, eut fait preuve de son impéritie sur le terrain.
Dans le souci de faire accepter par la Russie l’élargissement de l’OTAN,
Washington accepta, par les accords signés à Paris le 27 mai 1997, que la Russie
soit, elle aussi, partie prenante au règlement balkanique. Ce faisant, le rôle de l’Europe institutionnelle s’amoindrissait d’autant. Les accords, sur une base principale,
organisaient une coopération entre l’OTAN et la Russie. L’absence de l’Europe
dans la crise balkanique ou ses velléités, traduites par des échecs, s’expliquent dans
une rigoureuse logique. L’Europe n’a rien fait parce qu’elle n’existait qu’à l’état de
schéma virtuel, sans aucun moyen. À sa charge, elle tergiversait, de plus, à se les
donner, ces moyens !
Autre raison, et non des moindres, à l’inexistence de toute prévention de la
série de guerres qui ont secoué les Balkans, s’ajoutait la méconnaissance globale du
problème par les Américains détenant la toute-puissance impériale dans la région.
Alors, les conflits armés se sont enchaînés. Quant aux Européens, ils n’avaient qu’à
contempler le désastre. Ils auraient pu en tirer une leçon, mais fallait-il encore qu’ils
le veuillent !
La question primordiale et vitale était de déterminer s’il s’agissait de la prévention ou de la gestion d’une crise que la communauté internationale n’a pas su parer,
au risque d’une dégénérescence aboutissant à un conflit armé, dont on ne peut plus
prévoir l’ampleur et l’extension.
De prime abord, faut-il encore s’entendre sur ce que l’on entend par communauté internationale et la définir. En effet, les 192 États représentés à l’ONU
ne constituent certainement pas la communauté internationale engagée dans les
Balkans. Se sont retrouvés impliqués dans les affaires balkaniques six États : ÉtatsUnis, Grande-Bretagne, France, Italie, Allemagne et Russie. Quatre de ces États
sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU qui en compte un
cinquième, la Chine, géographiquement, politiquement et économiquement pas
toujours intéressée par les Balkans, encore que l’Histoire porte la trace d’une étroite
alliance sino-albanaise du temps de la guerre froide. L’Allemagne et l’Italie s’inscrivent dans un rapport de voisinage historique ancien et récent avec les Balkans,
et peuvent très légitimement revendiquer un rôle dans la région en s’appuyant sur
des moyens bien réels. Donc, la communauté internationale, apte à agir dans les
Balkans, compte moins d’une dizaine d’États, faute de l’Union européenne.
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Géostratégiques n° 31 • 2e trimestre 2011
Complexités balkaniques
Que l’ONU, par la voix de son Conseil de sécurité, ne puisse avoir une action
autre que de donner de la voix, sous forme d’une résolution, suivie d’effet ou non,
est un point acquis depuis plus d’un demi-siècle. L’ONU, contrairement à sa charte
fondatrice, ne dispose pas de force armée ni d’un état-major, autrement, en ce qui
concerne seulement ce dernier, qu’en filigrane. En revanche, le Conseil de sécurité
peut mandater un État ou un groupe d’États pour faire appliquer une résolution. Il
est évident que l’entité étatique mandatée est censée mener son mandat jusqu’au résultat choisi ou jusqu’au temps prescrit. L’État ou les États peuvent aussi se passer d’un
mandat de l’ONU, en excipant de l’article 51 de la charte. C’est ce qui s’est produit,
entre autres, lors de l’attaque par les Américains et leurs alliés contre l’Irak en 2003.
La prévention d’une crise est une opération préférable à sa gestion. Mais qui va
prévenir et comment ? Si le problème est de déterminer les acteurs de la prévention,
il y a renvoi immédiat sur le problème précédent déjà traité de la communauté
internationale. Les modalités d’action comprennent des pressions diplomatiques
mais aussi coercitives sous formes économique ou militaire, au moins leurs menaces. Alors, qui dit prévention sous-entend ingérence et droit d’ingérence. Or, ce
droit n’existe pas ! L’expression est une invention à l’état pur. Cette prétention à
couvrir d’un manteau légal une intervention militaire est une voie ouverte à tous
les débordements et surtout un prétexte offert à toutes les agressions. Finalement,
en septembre 1939, que faisait le IIIe Reich, sinon utiliser le droit d’ingérence, en
envahissant la Pologne pour trouver une solution au problème de Dantzig ?
Les constantes balkaniques
Se retrouvent des constantes immuables. L’Allemagne éternelle, alliée de la
Croatie au long des âges, quels que soient leurs régimes sociopolitiques respectifs et
à travers la tradition héritée des Habsbourg, reconnaît l’indépendance croate autoproclamée, sans attendre l’assentiment des autres membres de l’UE.
Ce sera le signal des guerres balkaniques. De fait, la situation, à l’origine, est
encore dominée par la question de la négociation du traité de Maastricht, signé
le 7 février 1992. La France délaisse la charte sociale, tandis que le Royaume-Uni
dépasse ses réticences et s’aligne sur l’Allemagne. La France a agi ainsi, y voyant avec
perspicacité un moyen d’échange vis-à-vis d’un abandon des réserves allemandes,
surtout à l’égard du projet d’union monétaire européenne.
L’indépendance croate entraîne la poursuite du conflit serbo-croate et l’éclatement de la Yougoslavie. L’extension du conflit à la Bosnie en 1992 est dans une
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La mort ou l’échec de la défense européenne dans les Balkans ?
Géostratégiques n° 31 • 2e trimestre 2011
suite logique inéluctable. Aux protagonistes locaux se mêlent différents intervenants. Puisque les racines du conflit sont aussi bien ethniques que religieuses, se
précipitent dans l’embrasement, à titre de volontaires étrangers, tous ceux qui, de
par la terre, estiment avoir des intérêts matériels ou moraux dans le conflit. Les
États musulmans ne sont pas en reste.
Les Européens, sur le fond, sont divisés. L’intrusion des volontaires musulmans et du soutien des États musulmans aux Bosniaques ne leur plaît guère. Si les
Allemands n’oublient pas leurs affinités croates, les Français ne peuvent gommer leur
vieille amitié serbe de la Première Guerre mondiale, pas plus que la construction de
la Yougoslavie selon une formule bien jacobine, de même que la Tchécoslovaquie.
En somme, les Français tiennent encore à ce qui reste de l’héritage de Versailles de
1919. Les Allemands sont naturellement contre.
Cela explique que, au-delà des compromis sur l’autel de l’Europe, Français et
Allemands soient bien décidés à ne pas agir en toute limpidité, car manœuvrer,
réellement sans ambages, reviendrait à s’opposer mutuellement et ouvertement.
Ensuite, comment réduire l’influence américaine qui draine derrière elle des islamistes en rupture de ban dont les États musulmans sont trop heureux de se débarrasser ?
Ce n’est pas, certes, la reconnaissance allemande des indépendances croate et
slovène, intervenues après le déclenchement du conflit ouvert en juin 1991, qui a
provoqué les guerres balkaniques à leur début. Cependant, elle les a encouragées et,
à partir de là, il y avait une difficulté extrême à toute solution de compromis, alors
que cela était encore peut-être possible avant que les belligérants n’en arrivent au
stade des atrocités.
Ces guerres balkaniques, aussi, confortaient une vision allemande sur sa réunification pure et simple, par dissolution de l’Allemagne de l’Est. Ce n’était pas rien :
une frontière internationalement reconnue disparaissait. Que l’article 1er du traité
d’Helsinki de 1975, proclamant l’intangibilité des frontières issues de la Seconde
Guerre mondiale, s’évanouisse, en mêlant la disparition de la frontière interallemande avec celle des frontières inter-yougoslaves, n’était pas en défaveur d’une
thèse allemande. Elle se posait en opposition à une velléité française recherchant
une unité allemande dans un cadre européen schématisé par le concept de confédération européenne, qu’avait avancé en vain le président Mitterrand.
L’alignement des États-Unis sur l’Allemagne et, même plus, leur tendance à
précéder les Allemands sont motivés en tout premier lieu par leur ignorance des
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Géostratégiques n° 31 • 2e trimestre 2011
Complexités balkaniques
Balkans. Les problèmes ethniques, à l’époque, les dépassaient, ainsi que la nature
exacte des islamistes. A joué, certainement, à égalité, un agacement permanent à
l’égard des thèses françaises. Cependant, bien au-dessus de toutes ces considérations, prédominait le concept de suprématie américaine qui ne pouvait accepter
qu’un problème puisse se régler sur le théâtre européen sans la prépondérance américaine. L’UE n’avait pas sa place dans ce schéma.
L’absence d’intervention de l’Europe en tant que telle, dans le conflit balkanique, s’explique, de plus, ainsi mieux par les divergences étatiques européennes
que par un manque de structures communes, qui aurait pu être pallié par une
simple alliance.
La communauté internationale susceptible d’intervenir dans les Balkans se résumait aux seules parties prenantes allemandes et françaises au premier chef, auxquelles pouvaient s’adjoindre les Britanniques. L’ONU s’est distinguée par un échec
retentissant. Face au vide, les Américains se sont précipités, trouvant une excellente
couverture à l’expansion de leur influence en poussant en avant l’OTAN. C’est ainsi
qu’ont été conclus les accords de Dayton en 1995. L’Union européenne y a brillé
par son absence, ce qui n’est pas passé inaperçu, surtout des États balkaniques intéressés au premier chef. Rien d’étonnant, alors, que ces mêmes États balkaniques se
soient tournés vers les Américains à la recherche d’une protection, quitte à la payer
d’une inféodation complète. L’UE vers laquelle ils se ruaient n’était pour eux qu’une
cour des miracles, une corne d’abondance apte à subventionner tous les errements
conduisant à la prospérité mythique d’une économie de marché.
Les Européens, en réalité et de fait, ont principalement limité l’aire d’action
de leurs troupes à des actions humanitaires. Or, il pouvait en être autrement. Des
États comme la France et l’Allemagne possédaient des forces militaires en capacité
d’imposer une volonté politique. C’est cette volonté politique qui a fait défaut aussi
bien dans le but poursuivi que dans la mise sur pied d’une coalition comprenant
quelques contingents interarmes, face à un adversaire qui n’avait d’autre ressource
que de s’effacer.
Les Américains ont parachevé leur démonstration de puissance lors du conflit
du Kosovo.
Aucun conflit, dégénérant en guerre, n’éclate ex nihilo, pas plus que ses suites.
La prévision peut être faite par utilisation de la prospective. Le coup de tonnerre
dans un ciel calme ne surprend que ceux qui n’ont pas voulu voir venir l’orage.
Les guerres balkaniques de la fin du xxe siècle n’échappent pas à la règle, d’autant
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La mort ou l’échec de la défense européenne dans les Balkans ?
Géostratégiques n° 31 • 2e trimestre 2011
plus que la question des Balkans était pendante depuis le xixe siècle. Au début
du xxe siècle, la question balkanique a servi de prétexte au déclenchement de la
Première Guerre mondiale. En effet, il s’agit bien d’un prétexte que l’assassinat
d’un archiduc à Sarajevo, ville bosniaque totalement ignorée alors ! Si l’on devait
engager une guerre mondiale à la suite de tout assassinat politique, la planète serait
radicalement dépeuplée. La Seconde Guerre mondiale a éclaté sans que les Balkans
soient en cause. En revanche, durant la guerre froide, les deux camps craignaient
bien que l’implosion de la Yougoslavie, consécutive à la mort de Tito, n’enclenche
la transition d’un affrontement mondial putatif en guerre nucléaire généralisée.
Cela n’eut pas lieu parce que l’implosion yougoslave attendra dix ans après la mort
de Tito, réfrénée par cette même guerre froide, par la volonté des deux camps de
ne pas tolérer d’instabilité en Europe, quelle qu’en soit la raison, même au prix
de l’acceptation d’une dictature. L’implosion yougoslave ne pouvait plus servir de
prétexte ou de cause à une guerre, mais elle ne s’en produisit pas moins ainsi qu’elle
était prévue et crainte depuis des décennies. Mais, au lieu d’une guerre mondiale,
le conflit en resta à une guerre régionale, très simplement parce que l’un des deux
blocs avait disparu. L’Europe en gestation, directement intéressée, resta impassible,
faute d’exister réellement tant au plan politique que militaire.
La diversité nationale et ethnique de la région balkanique est exemplaire. Sur un
espace assez étroit coexistent très mal sept ethnies principales : grecque, albanaise,
roumaine, slave, magyare, tsigane et turque. Toutes parlent des langues différentes
et pratiquent des religions diverses. Tout aurait dû les unir et tout les oppose. Le
fédéralisme aurait été à même d’apporter une solution au moins partielle, que ce
soit celui des Habsbourg ou de Tito. Ces constructions ont volé en éclats. Et l’Europe, qui se veut unie et unifiante, s’est révélée incapable de maintenir la seule
fédération qui ait réussi à se former dans cette mosaïque balkanique des peuples et
d’ethnies après l’essai partiel historique conçu par les Autrichiens et avant eux par
les Ottomans.
Les Balkans face à leurs mafias
En 2011, le retour à la paix, à une paix précaire certes, a été réalisé dans les
Balkans. Le dernier conflit, celui du Kosovo, a trouvé sa solution dans une indépendance tant recherchée. La minorité serbe est la grande vaincue ainsi que la Serbie,
encore une fois amputée. Le Kosovo, ainsi que prévu, n’a pas les moyens de son
indépendance, qui n’est ainsi qu’une fiction. Le pays vit des prébendes de l’Union
européenne, des pays membres et des États-Unis.
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Géostratégiques n° 31 • 2e trimestre 2011
Complexités balkaniques
Les investisseurs ne se précipitent pas. Les Balkans jouissent de la détestable
réputation d’abriter des repaires multiples de mafias locales. Déjà durant la guerre
du Kosovo, l’aide humanitaire, fournie par les ONG, ne parvenait à destination
qu’après péage levé par les divers groupes mafieux. L’Albanie a essaimé son système
mafieux dans le monde, particulièrement en Europe occidentale. Selon un rapport
établi en décembre 2010 par une commission parlementaire du Conseil de l’Europe, Hashim Thaci, Premier ministre sortant du Kosovo et dirigeant prééminent
des Kosovars albanais durant la guerre d’indépendance, est le parrain d’un trafic
d’organes prélevés sur des prisonniers exécutés pour les besoins de la cause. Le rapport met également en question la rectitude de la gestion des autorités internationales – ONU, OTAN, UE – en charge du Kosovo.
La situation, ailleurs, dans les Balkans, ne suscite que des comparaisons guère
élogieuses.
La fin des guerres balkaniques a sonné le glas des économies centralement dirigées. Le désordre et la fragmentation des intérêts, dominés par les mafias, ont immédiatement altéré une économie de marché que les Occidentaux ont vainement
essayé de mettre en place. Il s’ensuivit une chute du produit intérieur brut comme
de la consommation, et l’apparition d’une hyperinflation. Les opinions publiques
en vinrent à regretter les temps d’une économie planifiée et centralisée.
Les contrecoups de la crise financière et économique, née en 2008, ont encore
noirci le tableau. La crise grecque a nécessairement porté la contagion.
La conclusion générale est donnée par le bilan que l’on peut tirer des résultats
du traité de Maastricht, comparés non seulement aux actions entreprises par l’UE
lors des guerres balkaniques, mais aussi à la teneur du projet de Constitution européenne repoussé en 2005, puis repris sous une forme atténuée par le traité de
Lisbonne conclu en 2007 et entré en vigueur en 2009.
L’Europe de la défense, quelle qu’en soit la forme, était mort-née durant les
guerres balkaniques. Le traité de Maastricht avait essayé de lui donner une existence
en projetant une ambition. Il n’en est rien sorti, sinon des amorces sans consistance.
Circonstances atténuantes, le traité de Maastricht entre en vigueur en 1993, soit
trois ans après le début de la crise balkanique que l’Europe de la défense ne pouvait
prévenir par définition au titre de ce traité. Circonstance aggravante, les actions
entreprises après 1993 sont insignifiantes.
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La mort ou l’échec de la défense européenne dans les Balkans ?
Géostratégiques n° 31 • 2e trimestre 2011
Le Conseil européen d’Helsinki, en 1999, avait envisagé de créer un corps de
réaction rapide, fort de 40 000 hommes, à l’horizon de 2003. Les faits n’ont pas
suivi l’intention. Cet échec conduisit à ramener la prétention du Conseil européen,
à Bruxelles en 2004, à former une quinzaine de groupements tactiques de quelque
1 500 combattants chacun. Deux sont en permanence opérationnels, en 2011,
et ce depuis le 1er janvier 2007. Ils n’ont cependant jamais été testés. Faute d’un
échec absolu, c’est la médiocrité ! L’enfer est pavé de bonnes intentions. En matière
d’industrie de défense, de projet en projet, en 2011, on aboutit à l’existence d’une
Agence européenne de défense. Là aussi, les résultats sont médiocres.
Les leçons que l’on pouvait tirer ont-elles porté leurs fruits ? Le traité de
Lisbonne de 2007 est formel en son article 42. La mise en œuvre des forces, l’exécution de leurs tâches « reposent sur les capacités fournies par les États-membres ».
Or, durant les guerres balkaniques, ces contributions ont été insuffisantes et aucun
texte ne permettait d’enjoindre quoi que ce soit à un État. Le traité de Lisbonne n’a
apporté aucune amélioration en la matière.
Bien plus, l’Europe peut se targuer de l’existence du Corps européen, précédé de la formation d’une brigade franco-allemande, créée bien avant le traité de
Maastricht. Il s’agit d’une initiative franco-allemande. Les seuls États membres à
avoir fourni des forces sont les Français et les Allemands d’abord, bientôt rejoints
par les Belges, à raison d’une division par État partie prenante. Par la suite, les
Espagnols et les Italiens ont renforcé le Corps européen, chacun avec une division.
Cependant, quelle valeur opérationnelle peuvent avoir ces divisions espagnole et
italienne, stationnant sur leur territoire national, alors que l’état-major du corps européen est à Strasbourg, centre de gravité du corps ? Cette grande unité, alors qu’elle
était encore franco-germano-belge au début des années 1990 et déclarée opérationnelle, n’a jamais été engagées, en tant que telle, dans les Balkans. Pourquoi ?
Parce qu’il y a eu une absence notable de volonté politique européenne rencontrant
l’impératif américain ne voulant pas d’une intrusion de l’Europe au détriment de
l’OTAN.
Ce même article 42 du traité de Lisbonne précise bien que la Politique européenne de sécurité et de défense « respecte les obligations découlant du traité de
l’Atlantique-Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense
commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique-Nord
(OTAN) et est compatible avec la politique de sécurité et de défense commune
arrêtée dans ce cadre ». La cause est ainsi entendue : l’OTAN prime, au détriment
de toute identité européenne de défense.
70
Géostratégiques n° 31 • 2e trimestre 2011
Complexités balkaniques
Par ailleurs, le traité de Lisbonne rappelle opportunément, en son article 42
encore, qu’une capacité opérationnelle de l’Union vise à « assurer le maintien de
la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale,
conformément aux principes de la Charte des Nations unies ». On ne saurait mieux
préciser par le rappel des missions et du rôle d’une force européenne même putative
ou virtuelle que cette défense européenne ne peut se substituer à l’OTAN.
La défense européenne a reçu un coup sévère en 2010 de la part des Français.
Ceux-ci sont revenus dans toutes les structures intégrées de l’OTAN qu’ils avaient
quittées en 1966. Dès lors, comment plaider une défense européenne distincte de
celle de l’OTAN ? Ce ne peut être que dans le cadre du pilier européen de l’OTAN,
chargé de missions mineures et ayant reçu l’accord suprême otanien, c’est-à-dire
américain. Indépendance et souveraineté européennes, où êtes-vous ?
L’Europe est structurellement en déshérence. En premier lieu, sur les 27 États,
un n’a pas d’armée, Malte, et quatre autres sont neutres : l’Irlande, l’Autriche,
la Suède et la Finlande. Pourtant, ils participent au processus de décision, pris à
l’unanimité pour avoir sa pleine validité, ce qui équivaut à un droit de veto pour
chaque État. À compter du 1er novembre 2014, entre en vigueur le système de la
Coopération structurée permanente permettant à un groupe d’États de prendre une
décision et de l’appliquer. Cependant, ce système est assujetti à la procédure dite
de la « majorité qualifiée ». Celle-ci exige l’approbation de 55 % des États, soit 15,
comprenant 65 % de la population. Existe une minorité de blocage au nombre de
quatre États. La Coopération structurée permanente s’applique à tous les domaines,
aussi bien à la constitution d’une force armée qu’à une coopération dans une industrie de défense.
Il n’en demeure pas moins que réunir les impératifs nécessaires à l’adoption
d’une mesure relevant de la défense s’apparente à l’acquisition de la quadrature du
cercle.
Les guerres balkaniques, finalement, n’ont pas tué la défense européenne : elle
était morte avant et n’est pas née après.
La raison est dans l’inexistence d’une volonté politique des États membres et
dans une absence de clairvoyance pourtant aveuglante. L’Europe meurt de boulimie : comment obtenir un accord à 27 ou même à 15, intéressant la défense, sans
opposition majeure ? Point essentiel, sur 27 États membres, ceux qui comptent
en matière de défense sont ceux qui ont accepté de former le Corps européen, à
savoir la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, avec le Royaume-Uni.
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La mort ou l’échec de la défense européenne dans les Balkans ?
Géostratégiques n° 31 • 2e trimestre 2011
On pourrait y ajouter la Suède avec ses industries d’armement, mais elle s’est déclarée neutre, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes que d’avoir une telle industrie
axée fortement sur l’exportation, quand on est neutre. Ces États ont des forces
armées et des industries de défense, de même qu’une tradition militaire. Les autres
21 États européens, au plan militaire, ne sont que des figurants.
De ces États aptes à former une défense européenne, il faut immédiatement
détacher la Suède neutre et le Royaume-Uni, indéfectible allié des États-Unis, donc
tourné vers le grand large et non vers le continent européen. Cependant, par-dessus
tout, manque une volonté politique, apte non seulement à construire, mais aussi à
dépasser les obstacles matériels.
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