Transcription VERLUISE – séquence b De Gaulle disparu, puis la chute du Rideau de Fer survenue fin 1989, la France fait un choix audacieux avec le Traité de Maastricht. Au lendemain de la Guerre froide, le Traité de Maastricht invente en 1992, un mélange de fédéralisme et de logique intergouvernementale. Le Traité de Maastricht, en son article 17, pose aussi les fondements de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune, la PESC, et annonce la possibilité d’une Europe de la défense. Enfin ! Espère-t-on à Paris, on va pouvoir construire une défense européenne digne de ce nom. En fait, une lecture plus attentive de l’article 17 réduit d’emblée les ambitions. Pour le dire autrement, la PESC ne peut en aucun cas être incompatible avec les intérêts de l’OTAN. Le 20 septembre 1992, les Français acceptent ce traité par référendum avec 51,04% de "oui", soit une courte majorité. L’ambition de transformer la construction européenne en un multiplicateur de la puissance française s’est pourtant heurtée à l’incompréhension des autres pays membres pour deux raisons. En premier lieu, parce qu’ils n’étaient pas dupes, voire parce qu’ils avaient eux-mêmes leurs propres objectifs, par exemple les Britanniques. Ces derniers ont, comme d’autres, des souvenirs de la puissance française, par exemple durant la Révolution ou durant les guerres napoléoniennes. Ces souvenirs ont un effet répulsif à l’égard des aspirations françaises. En second lieu, les autres pays membres ne partageaient pas nécessairement la conception française de la puissance, notamment dans sa relation volontiers contestataire à l’égard des aspirations hégémoniques des États-Unis. Ce fut le cas de l’Allemagne fédérale, avant comme après l’unification, sauf en 2002 au sujet de la guerre en Irak. La relation française à l’Union soviétique puis à la Russie ne fait pas davantage l’unanimité, particulièrement en Europe centrale. Durant toutes les années 1990, les absences diplomatiques de l’Europe communautaire sur les grands dossiers politiques internationaux de l’aprèsguerre froide, à commencer par les guerres dans l’ex-Yougoslavie, ont été vécues comme des échecs humanitaires et politiques pour l’UE. Ils ont relativisé d’autant l’ambition française de voir l’Europe jouer un rôle international de premier plan. Pour les anciens satellites de l’Union soviétique, voire les ex-républiques soviétiques comme les Baltes, les guerres en ex-Yougoslavie sont amplement suffisantes pour se convaincre que l’UE n’est pas l’option à privilégier pour leur sécurité. Or, ces pays ont faim de sécurité. Et chacun peut le comprendre, après quatre décennies sous la domination de l’Union soviétique. Comme me le confiait un ambassadeur d’un pays d’Europe centrale dans les années 1990 : « J’ai encore dans les oreilles le fracas des tanks russes. Je n’ai pas envie de les entendre à nouveau. Et pour éviter cela, les vagues promesses de l’Europe de la défense me semblent très insuffisantes. » Alors, quel bilan ? Le bilan des calculs français à l’égard de l’Europe stratégique peut paraître assez cruel, mais je rappelle que d’autres pays ont connu des difficultés également. Premier objectif, la construction européenne était supposée être un multiplicateur de la puissance française dans le monde, un substitut à l’empire colonial perdu. Il faudrait vraiment être très fort pour arriver à démontrer que la France d’aujourd’hui pèse plus dans le monde que celle de la première moitié du XXème siècle. Même au sein de l’UE, le poids relatif de la France a diminué à la suite des élargissements successifs, sous l’effet de la redistribution des sièges de députés et de voix au Conseil. Dans l’ex UE 15, la France possédait 12 % des voix au Conseil. Dans l’UE 28, la France n’a plus que 8 % des voix. Cela représente un allègement de son poids relatif de l’ordre d’un quart. Ce n’est pas rien. Deuxième objectif, la construction européenne était supposée permettre de ligoter l’Allemagne fédérale. Il faudrait vraiment être encore très fort pour arriver à démontrer que, depuis l’ouverture du Mur en 1989, Paris domine et maîtrise l’Allemagne fédérale. Beaucoup ont compris que l’Allemagne réunifiée depuis 1990 est devenue, en partie malgré elle, un acteur déterminant du jeu européen, y compris dans les relations avec les Etats-Unis ou la Russie. Chacun l’a bien vu durant les années MerkelSarkozy, c’était madame Merkel qui décidait du tempo et du périmètre des concessions pour répondre à la crise économique. Troisième objectif, la construction européenne était supposée transformer l’Europe communautaire en un moyen pour contester les tentations hégémoniques des États-Unis. Il faudrait être exceptionnellement fort pour arriver à prouver que l’Union Européenne, dont 22 membres sur 28 sont membres de l’OTAN, est devenue un outil pour contester la puissance américaine. Comment des pays, si massivement membres de l’OTAN, pourraientils se transformer en contestataires de la stratégie américaine ? En revanche, il serait facile de démontrer que beaucoup de pays, à la fois membres de l’OTAN et de l’UE, sont prêts à beaucoup sacrifier de leur crédit politique et de leurs moyens financiers pour satisfaire, a minima il est vrai, aux demandes de Washington, en Afghanistan ou/et en Irak. Et la France n’en a–t-elle pas pris acte en revenant dans le commandement militaire intégré de l’OTAN en 2009 ? L’espoir était de lever ainsi un obstacle au développement tant attendu de l’Europe de la défense. Cinq ans plus tard, on attend encore le décollage de l’Europe de la Défense. Que Nicole Gnesotto publie en 2014 un livre intitulé : « Faut-il enterrer la défense européenne ? » indique clairement l’état du projet. Aujourd’hui, la plupart des Etats-membres de l’UE consacrent moins de 1% de leur PIB à la défense. Sous l’effet de la crise, tous les pays ont taillé dans leurs dépenses militaires, y compris le Royaume-Uni et la France. Ce qui conduit les Etats-Unis à reprocher à nombre de pays européens de se comporter en quasi-passagers « clandestins » de l’OTAN. Compte tenu des contraintes budgétaires, comment imaginer une majorité de pays membres consentant demain des efforts accrus pour une défense commune européenne ? Derrière les rideaux de fumées des discours, l’Europe de la défense souffre d’un manque d’investissement politique, pour ne pas dire d’un manque de volonté. En la matière, ce ne sont pas quelques déclarations tonitruantes au soir d’un sommet qui feront la différence mais des investissements en moyens humains et matériels, sur la durée. En 2014, beaucoup de pays membres de l’Union Européenne redécouvrent avec la crise ukrainienne, que la guerre peut, comme dans les années 1990 en exYougoslavie, frapper à leur porte, aux frontières de l’UE, à quatre heures d’avion de Bruxelles. Alors que les Etats-Unis réalisent leur pivot stratégique sur le Pacifique, les pays européens membres de l’OTAN et de l’UE s’inquiètent soudainement de leur sécurité. Et l’on reparle à nouveau, d’une défense européenne. Il conviendrait, a minima, que les pays de l’Union européenne se dotent d’une véritable capacité d’analyse et d’action stratégique. Parce que l’histoire reste tragique, y compris en Europe.