R É U N I O N S “Les anaérobies, ces méconnus maltraités” Journée d’étude sur les anaérobies : pathologies osseuses, pulmonaires et ORL[1] J.P. Stahl (Grenoble) et A. Sédallian (Annecy) ont rappelé les objectifs de cette journée concernant des bactéries insuffisamment connues des cliniciens et des microbiologistes. Les microbiologistes doivent être capables, dans le cadre de l’accréditation, d’isoler et de cultiver les anaérobies. Les cliniciens doivent fournir au laboratoire des prélèvements correctement effectués et acheminés. Les anaérobies constituent une cause d’échec thérapeutique au cours de certaines pathologies. Les pathologies digestives n’ont pas été abordées dans la mesure où la place des anaérobies est largement connue. En revanche, dans les pathologies pulmonaires, osseuses et ORL, les anaérobies sont moins souvent évoqués, alors que leur non-prise en compte peut être à l’origine de récidives ou d’échecs. CONNAISSANCES BACTÉRIOLOGIQUES ET IMMUNOLOGIQUES SUR LES ANAÉROBIES STRICTS Conditions de prélèvement et de transport H. Monteil (Strasbourg) a insisté sur les conditions qui assurent un prélèvement de qualité. Il est impératif de ne pas contaminer le prélèvement par la flore endogène de la peau et des muqueuses hébergeant naturellement de nombreux anaérobies. Il faudra éviter tout contact avec l’oxygène qui engendre une mortalité rapide de ces anaérobies. Des recommandations ont ensuite été données. Ainsi, pour les collections purulentes, il est préférable de les ponctionner à l’aiguille, puis d’introduire le pus dans un flacon de type Portagerm®. Tout site non ponctionnable doit être prélevé, après décontamination de la surface, à la curette pour obtenir un prélèvement profond qui sera placé dans un milieu de transport. Les prélèvements solides issus de biopsie ou les pièces anatomiques sont placés dans des récipients stériles introduits dans un sachet scellé contenant une atmosphère anaérobie (sachet Biobag®). Le sang et les liquides internes seront prélevés ou transférés dans des flacons d’hémocultures anaérobies. Lorsque ces conditions idéales ne peuvent être réalisées, des solutions par défaut ont été proposées : seringue avec obturateur ou écouvillon d’alginate de calcium. Tout prélèvement sera adressé rapidement au laboratoire à température ambiante (la réfrigération s’avérant néfaste pour les [1] Maison de la Chimie, Paris, 10 novembre 1999. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000 anaérobies). Un examen direct permettra une bonne orientation diagnostique tandis que l’ensemencement et la culture réalisés en anaérobiose continue favoriseront l’isolement puis l’identification des anaérobies. Taxonomie et bilan de sensibilité L’éclatement du genre Bacteroides en Bacteroides, Prevotella, Porphyromonas et Fusobacterium a engendré une classification des anaérobies très pratique pour les cliniciens (L. Dubreuil, Lille). Les Bacteroides du groupe fragilis sont rencontrées dans les infections intra-abdominales, tandis que les Prevotella et Fusobacterium sont responsables d’infections dentaires, pulmonaires, ORL et gynécologiques. Il faut alors tenir compte des anaérobies les plus résistants aux antibiotiques, à savoir les bacilles à Gram négatif, et plus particulièrement le groupe des Bacteroides fragilis. De nouvelles espèces ont été décrites, d’autres ont changé de dénomination. Ces changements sont intervenus principalement selon les résultats des techniques d’hybridation ADN-ADN et le séquençage de l’ARNr 16S. Cela permet de mieux préciser la place des pathogènes (P. intermedia serait un des agents de parodonpathies tandis que P. nigrescens, non différenciable sur le plan phénotypique, serait un commensal). Certains regroupements taxonomiques apparaissent cependant particuliers puisqu’ils incluent, comme dans le genre Slackia ou Atobopium, à la fois des cocci et des bacilles à Gram positif. Respectivement 4 % et 70 % des souches de Fusobacterium et Prevotella produisent une bêtalactamase sensible à l’action de l’acide clavulanique. Les taux de résistance des Bacteroides du groupe fragilis à différents antibiotiques sont les suivants : ticarcilline et pipéracilline : 25-35 %, céfoxitine : 6-8 %, céfotétan : 30-40 %, clindamycine : 25-30 %, associations pénicilline-inhibiteur de bêtalactamase : 0-7 %, imipénème : 0-4 %, métronidazole (bas niveau de résistance) : 1-5%, trovafloxacine : 3 %. De rares Bacteroides fragilis s’avèrent multirésistants (corésistance à imipénème, clindamycine et métronidazole). Les bacilles à Gram positif sont sensibles aux pénicillines. Des résistances s’observent avec la clindamycine (20-25 %) et le céfotétan (15-20 %). Les souches de Peptostreptococcus sont sensibles aux pénicillines, céphamycines et métronidazole ; en revanche, on observe une résistance à la clindamycine dans environ 20 % des cas. 29 R É U N I O N S La résistance aux antibiotiques a augmenté de façon régulière ces dernières années, mais cette augmentation paraît plus importante pour la clindamycine et le céfotétan. Sans remettre en cause les schémas thérapeutiques, l’évolution des résistances impose une surveillance continue et rend indispensable la réalisation d’un antibiogramme sur les anaérobies. Si celui-ci est long à obtenir, il permettra néanmoins d’expliquer les échecs cliniques et sera contributif lors de la modification éventuelle du traitement fait en première intention. Flores endogènes à anaérobies Selon A. Sédallian (Annecy), les bactéries anaérobies proviennent des différentes flores endogènes à l’occasion d’une rupture physique ou fonctionnelle des barrières cutanées ou muqueuses. La connaissance de ces flores et de la prévalence des différentes espèces qui s’y trouvent permet de prédire les espèces que l’on rencontrera au niveau du site infectieux contigu (tableau I). Tableau I. Espèces d’anaérobies et des différentes flores endogènes potentiellement pathogènes. Flore Cutanée Bucco-pharyngée Digestive Vaginale Espèces prédominantes ou minoritaires mais potentiellement pathogènes Propionibacterium, Peptostreptococcus Fusobacterium, Prevotella, Peptostreptococcus (Actinomyces) Bacteroides du groupe fragilis, Clostridium, Peptostreptococcus Lactobacillus (Prevotella bivia, Porphyromonas asaccharolytica, Mobiluncus) Les facteurs de risque ont été rappelés, comme la baisse de la teneur locale en oxygène (stase sanguine, corps étranger, cancer), l’importance de l’inoculum (péritonite, pneumonie d’inhalation), l’inoculation directe. Un rappel des facteurs de virulence permet de comprendre comment une espèce (B. fragilis) qui ne représente que 3 % de la flore fécale se retrouve dans 25 % des prélèvements. Mécanismes immunologiques J.P. Revillard (Lyon) a développé les mécanismes immunologiques mis en jeu lors d’infections à anaérobies. L’interaction avec le complément permet l’opsonisation, étape préalable à la phagocytose et à la bactéricidie. Des enzymes protéiques (gingipaïnes de Porphyromonas gingivalis) clivent directement les molécules C3 et C5, et produisent une forte réponse chimiotactique. D’autres enzymes suppriment la réponse oxydative des neutrophiles. On connaît mal le rôle protecteur des anticorps naturels et immuns qui participent aux mécanismes d’exclusion et d’opsonisation. Un exemple de superantigène est constitué par la protéine L de Peptostreptococcus magnus. Les anaérobies induisent une réaction inflammatoire avec expression de molécules adhésives (ICAM-1) et synthèse de cytokines (TNFα, MCP-1, IL8) par les cellules endothéliales ou péritonéales. Cette réaction participe à la formation d’abcès et l’emballement de ce mécanisme de défense est l’un des nombreux facteurs physiopathologiques du choc septique. Tous ces mécanismes suggèrent une adaptation remarquable des anaérobies aux défenses immunitaires de l’hôte. L. Dubreuil, Lille 30 INFECTIONS À ANAÉROBIES Infections pleuropulmonaires Selon J. Gaillat (Annecy), le diagnostic microbiologique des infections des voies respiratoires inférieures à anaérobies repose essentiellement sur l’analyse des prélèvements d’origine respiratoire, les hémocultures étant exceptionnellement positives dans ce cas. La difficulté d’obtention de prélèvements non contaminés par la flore oropharyngée a été soulignée. Ainsi, le LBA présente un risque important de contamination par cette flore, et les résultats obtenus peuvent poser un problème d’interprétation même en cas d’analyse quantitative de la flore, faute de seuil significatif établi. Le diagnostic bactériologique des empyèmes, des abcès pulmonaires ou des pneumonies nécrosantes repose sur l’analyse du pus obtenu par ponction à l’aiguille. Dans le cadre des pneumopathies, les prélèvements les plus performants sont la ponction transtrachéale (méthode invasive et progressivement abandonnée par manque de praticiens expérimentés) et le prélèvement distal protégé recueilli au cours d’une fibroscopie bronchique. Les prélèvements doivent être acheminés le plus rapidement possible au laboratoire en raison de la sensibilité des anaérobies à l’oxygène et à la dessiccation. L’utilisation d’un milieu de transport est indispensable pour tout prélèvement et le délai de mise en culture ne doit pas excéder 6 heures pour un prélèvement (volume > 2 ml) non recueilli dans un milieu de transport et 24 heures pour un prélèvement recueilli en milieu de transport. P. Germaud (Nantes) a rappelé que le rôle des anaérobies stricts dans les infections pleuropulmonaires d’origine communautaire reste encore mal défini. Cela s’explique par la difficulté d’obtention de prélèvements non contaminés et réalisés avant toute antibiothérapie et celle du diagnostic microbiologique de ces micro-organismes. Les anaérobies les plus fréquemment rencontrés appartiennent aux genres Prevotella, Fusobacterium, Peptostreptococcus voire Actinomyces, et font partie de la flore oropharyngée. L’isolement de Bacteroides du groupe fragilis doit conduire à rechercher une porte d’entrée digestive ou gynécologique. Le rôle pathogène de ces bactéries est suspecté sur des arguments expérimentaux, immunologiques et cliniques. La recherche des anaérobies doit être systématique en cas d’abcès pulmonaire ou de pleurésie purulente. En cas de pneumopathie, les notions de syndrome d’inhalation, d’obstruction bronchique, d’évolution progressive et d’altération de l’état général doivent faire suspecter ces bactéries et les prendre en compte pour le choix de l’antibiothérapie probabiliste. Cela a été en particulier illustré par C. Mayaud (Paris), qui a rapporté le cas d’un patient âgé de 21 ans, asthmatique, qui, dans les suites d’une angine fébrile avec adénopathies traitée par macrolides, a présenté une douleur thoracique droite associée à une fièvre intermittente. Les hémocultures ainsi que la culture du prélèvement recueilli par fibroscopie bronchique étaient négatives. Seule la culture de liquide de ponction pleurale a permis l’isolement de Fusobacterium nucleatum. L’évolution a été favorable après drainage et traitement par l’association amoxicilline/acide clavulanique. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000 R D’après P. Robert (Poitiers), le rôle des bactéries anaérobies au cours des pneumopathies nosocomiales, survenant en particulier chez les patients de réanimation ventilés artificiellement, est sous-estimé. En effet, chez de tels patients, le développement d’une pneumopathie autour du ballonnet de la sonde d’intubation est lié à des micro-inhalations de sécrétions pharyngées particulièrement riches en anaérobies. Une étude réalisée à Poitiers dans des conditions techniques appropriées a montré que les anaérobies peuvent être isolés dans 24 % des pneumopathies survenues chez des patients ventilés artificiellement. Les bactéries les plus souvent isolées appartiennent aux genres Prevotella (fréquemment productrices de bêtalactamases), Fusobacterium et Peptostreptococcus. Plusieurs éléments, facteurs de virulence, infections expérimentales, réponse immunitaire spécifique, arguments cliniques (indice de gravité plus élevé et mortalité plus précoce) plaident en faveur du rôle pathogène de ces anaérobies. Les anaérobies sont présents lors des pneumopathies précoces et tardives, mais plus souvent chez des patients intubés par voie orotrachéale que par voie nasotrachéale. Ainsi, ces bactéries anaérobies doivent être prises en compte dans le choix du traitement antibiotique des pneumopathies nosocomiales, surtout en cas d’échec du traitement initial. G. Grollier, Poitiers Infections de la sphère ORL J.M. Klossek (Poitiers) a souligné la difficulté d’isoler des anaérobies lors d’infections ORL diagnostiquées en ville. La présence de ces bactéries est souvent détectée par l’odeur nauséabonde d’un foyer abcédé. Une enquête effectuée auprès de dix ORL de ville a montré que des anaérobies étaient plus souvent isolés lors des pathologies chroniques, otites et sinusites, vues en consultation à l’hôpital. G. Lamas (Paris) a indiqué qu’en réanimation, toute fièvre inexpliquée doit faire suspecter une infection sinusienne. Des ponctions systématiques des sinus sphénoïdaux ont été réalisées chez trente-sept malades. L’étude de ces prélèvements a montré qu’ils n’étaient jamais polymicrobiens. Dix bactéries aéro-anaérobies facultatives ont été isolées, principalement staphylocoques et entérobactéries. Aucun anaérobie n’a été isolé en culture. Ces résultats bactériologiques étonnants peuvent être expliqués par le caractère systématique de ces prélèvements, réalisés en cours d’antibiothérapie. Ces prélèvements ont souvent été effectués par lavage des sinus, provoquant ainsi une dilution des bactéries éventuellement présentes. G. Grollier (Poitiers) a présenté une étude rétrospective des prélèvements sinusiens effectués chez 127 patients hospitalisés : 70 en chirurgie ORL et médecine (groupe 1) et 57 patients de réanimation médicale et chirurgicale (groupe 2). Les cultures étaient positives chez 97 patients (76 %). Des anaérobies ont été isolés chez 52 patients (41 %), mais significativement moins fréquemment dans le groupe 1 (23/70) que dans le groupe 2 (29/57) [p = 0,04]. Les anaérobies les plus fréquents appartenaient aux genres Prevotella et Fusobacterium. La plus grande fréquence des anaérobies dans le groupe 2 permet de penser que la sonde d’intubation favorise l’ensemencement des sinus à partir de la cavité buccale. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000 É U N I O N S P. Gehanno (Paris) a rappelé la constante participation des anaérobies dans les cellulites cervico-médiastinales. Leur présence est évoquée par l’odeur nauséabonde. Une multitude d’espèces anaérobies a été identifiée sans qu’aucune prédominance ne ressorte. Ces infections restent grevées d’une mortalité de 25 % malgré une chirurgie réalisée en urgence et des soins intensifs. Au cours des cellulites cervico-médiastinales, un traitement antianaérobie est justifié. Dans les otites moyennes chroniques, des bactéries anaérobies strictes sont présentes dans 40 % des cas. Aussi, lorsqu’il y a échec de l’antibiothérapie initiale, l’adjonction de métronidazole s’impose. F. Mory, Nancy INFECTIONS OSSEUSES Les bactéries anaérobies strictes en pathologie osseuse Les bactéries anaérobies sont souvent impliquées dans les infections ostéo-articulaires, mais leur mise en évidence est largement sous-estimée. Le défaut d’études prospectives et le manque d’intérêt pour ces germes font que ces pathologies sont encore mal gérées, comme l’explique N. Desplaces (Paris). Les anaérobies peuvent contaminer tous les os du squelette par des mécanismes divers : inoculation directe (post-traumatique ou post-chirurgicale), extension locale d’infection par contiguïté, la dissémination par la voie hématogène restant peu fréquente. Quelques éléments peuvent déjà faire suspecter la présence de germes anaérobies, comme l’odeur nauséabonde d’un écoulement purulent, la visualisation de bulles in situ, l’existence d’une flore polymicrobienne ou l’absence de bactérie visible à l’examen direct, associée à la présence de nombreux polynucléaires (PN). De même, en absence de toute antibiothérapie préalable, la recherche des anaérobies doit être systématique en présence de PN et de cultures stériles en aérobiose. N. Desplaces (Paris) a insisté tout particulièrement sur la nécessité d’obtenir des prélèvements ostéo-articulaires satisfaisants, c’est-à-dire forts en profondeur (au minimum 3), chez des patients n’ayant pas reçu d’antibiothérapie depuis plus de 15 jours, et après une désinfection cutanée minutieuse (ponction articulaire, biopsie osseuse, prélèvement peropératoire, aspiration profonde et jamais de prélèvement de fistule). Ces prélèvements profonds doivent être transportés et ensemencés rapidement sur milieux gélosés et liquides riches, réduits et adaptés. L’incubation doit toujours être prolongée : au moins une semaine, voire quinze jours. L’interprétation des résultats, quant à elle, est parfois délicate. En effet, si le rôle pathogène des anaérobies n’est pas discuté lorsque les cultures du prélèvement sont rapidement et abondamment positives, il est plus difficile d’apprécier le rôle pathogène de bactéries anaérobies isolées tardivement, en petite quantité, voir à partir d’un seul milieu d’enrichissement. Ces difficultés soulignent l’importance de prélèvements multiples. Peuvent être isolés, seuls ou en association à d’autres germes : – Propionibacterium acnes résistant à la phagocytose, producteur d’acides gras et d’enzymes, dans les ostéomyélites, spon31 R É U N I O N S dylodiscites, infections sur prothèses, syndrome SAPHO (synovitis, acne, pustulosis, hyperostosis and osteitis syndrome) ; – Peptostreptococcus, dans les os longs, les spondylodiscites, sur matériel opératoire, dans les maux perforants, ostéites mandibulaires, morsures ; – Clostridium spp, en cas de fracture ou plaie articulaire ; – Bacteroides, dans les maux perforants ; – Prevotella, dans les maux perforants, ostéites mandibulaires, morsures... En cas d’infection chronique, il est rappelé que les bactéries ne croissent pas aussi bien. Dans ce cas, les milieux d’enrichissement et les mesures d’asepsie trouvent toute leur importance. Une culture trop rapide de Propionibacterium acnes peut correspondre à une contamination du prélèvement. En conclusion, de nombreuses bactéries anaérobies sont responsables d’infections ostéo-articulaires dans une flore unique ou mixte (30 à 40 % des infections chroniques). Un diagnostic incorrect conduit à des échecs sévères dus à un traitement mal adapté. La recherche systématique et bien conduite des bactéries anaérobies dans des prélèvements satisfaisants est un élément essentiel de la bonne prise en charge du patient. Infection osseuse du pied diabétique Le pied diabétique se définit selon A. Boibieux (Lyon) par “toute lésion tissulaire qui résulte de complications neurologiques et/ou vasculaires et/ou infectieuses, et qui apparaissent après un nombre d’années variable chez un patient porteur d’un diabète quel qu’en soit le type”. En France, 10 000 à 15 000 diabétiques sont encore amputés chaque année (50 % des amputations non traumatiques). L’association des neuropathies, artériopathies et diminutions de la réponse immune conduit, en effet, à des infections plus fréquentes chez les diabétiques. La classification de Wagner, en six stades, est largement utilisée pour le pied diabétique. On distingue aussi les infections non sévères et sévères avec risque pour le membre atteint (“cellulites sévères, gangrène, nécrose cutanée sévère ou envahissement des tissus sous-cutanés profonds, abcès profond, infection osseuse”). Il nous est aussi rappelé la grande ressemblance du pied diabétique avec le pied de Charcot. Pour définir l’infection ostéo-articulaire du diabétique, le gold standard s’appuie sur une biopsie osseuse qui associe des données histologiques et bactériologiques. Des critères cliniques s’appuient sur la surface, la profondeur, la vision de l’os, le sondage stérile d’un ulcère... En imagerie, l’IRM reste probablement le meilleur outil, mais ce type d’examen n’est pas à réaliser à chaque ulcération. Si les anaérobies ne sont isolés que dans 13 % des cas d’infections non sévères du pied diabétique (monomicrobiennes surtout), leur place est bien réelle dans les infections dites sévères avec, cette fois, un caractère polymicrobien. Le nombre moyen de bactéries par prélèvement est dans ce cas de 4,1 à 5, 8 espèces 32 différentes (avec mise en évidence d’espèces aérobies dans 69 % des cultures et d’espèces anaérobies dans 31 %). Parmi les espèces anaérobies sont principalement isolées celles à Gram positif Peptostreptococcus, Clostridium sp, puis celles à Gram négatif Bacteroides sp. Dans le cas précis des infections osseuses du pied diabétique, une infection polymicrobienne est aussi observée (2,6 espèces par patient), mais on isole moins d’anaérobies que dans les infections sévères (22 %). Ces résultats sont sans doute imputables aux difficultés techniques de culture à partir des prélèvements osseux. Les bactéries responsables de l’infection osseuse le sont par continuité. Le degré de sévérité de l’infection du pied diabétique serait aussi corrélé au nombre de bactéries anaérobies retrouvées. Enfin, lors des questions posées en fin d’exposé, il est rappelé qu’une biopsie ne doit pas être faite à travers l’ulcère : il est nécessaire de nettoyer, décaper puis gratter la lésion ulcéreuse avant de procéder au prélèvement. Aucun prélèvement par écouvillon réalisé par l’infirmière ne devrait être toléré. La place de l’oxygène hyperbare dans les traitements devrait être discutée en termes de fonctionnalité future pour le membre atteint ; celle des facteurs de croissance n’est pas encore bien connue, car nous ne possédons pas d’expérience suffisante en la matière ; enfin, la prévention et les soins constants prodigués aux diabétiques ne doivent pas être confiés à n’importe qui. En conclusion, les infections du pied diabétique représentent un problème de santé publique. Le diagnostic d’infection ostéoarticulaire dans ce cadre est difficile, de même que l’identification des bactéries responsables, en particulier anaérobies. D’un point de vue thérapeutique, il faudra traiter les bactéries du tissu profond et celles du tissu osseux. Les moyens curatifs sont limités et le traitement de l’infection ne paraît que symptomatique. Une étroite collaboration entre endocrinologistes, microbiologistes, chirurgiens et infectiologues s’impose. Infections sur matériel d’ostéosynthèse L’intervention de J.M. Besnier (Tours) était volontairement limitée aux prothèses, et particulièrement aux prothèses de hanche et de genou. Les anaérobies sont impliqués dans environ 6 % de l’ensemble des infections sur prothèses. La répartition de ces anaérobies peut représenter un premier paradoxe par rapport à ce qui fut présenté auparavant. Il semblerait, d’après les travaux de Fitzgerald et de son équipe, que Peptostreptococcus arrive en premier devant Propionibacterium acnes, Bacteroides ou Prevotella. Si P. acnes est isolé, son pouvoir pathogène n’est cependant reconnu que dans trois quarts des cas. Ce germe est considéré comme contaminant lorsque les prélèvements positifs sont inférieurs à deux. À l’inverse, un Peptostreptococcus est considéré comme pathogène (si toujours isolé dans au moins cinq prélèvements peropératoires). Le fait d’avoir au moins trois prélèvements positifs pour le même germe est très prédictif d’une infection, et l’on voit ici toute la La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000 R nécessité de réaliser au moins cinq ou six prélèvements. Dans 40 % des cas, l’infection anaérobie est monomicrobienne, dans 60 % des cas, elle est mixte ou plurimicrobienne. Quelles sont les particularités cliniques de l’infection à anaérobie sur prothèse ? D’après les quelques séries étudiées, il s’agit principalement d’infections tardives chroniques (au-delà d’un mois après la pose de prothèse), dont le diagnostic est porté en moyenne sept mois après la mise en place de la prothèse (allant de un à vingt-quatre mois), où la douleur semble constamment présente, et un écoulement fréquemment retrouvé ; en revanche, la température est le plus souvent normale, et les paramètres biologiques sont relativement peu perturbés. Sur des critères chronologiques et de symptomatologie, ces infections à germes anaérobies se rapprochent volontiers des infections à staphylocoques à coagulase négative. Le mode de contamination, sujet à discussion, semblerait surtout peropératoire en ce qui concerne P. acnes et Peptostreptococcus (avec peut-être une possibilité hématogène pour ce dernier). À l’inverse, s’il s’agit de Clostridium et Bacteroides, c’est la voie hématogène qui est la plus probable. Sur le plan thérapeutique et d’après la série récente présentée par Tsukayama, la stratégie optimale dans les infections tardives chroniques semble être le changement de prothèse en deux temps, associé à une antibiothérapie (avec succès bactériologique dans 85 % des cas). Il est à noter que le métronidazole, traitement de référence des Bacteroides, est par contre inactif sur P. acnes (résistance naturelle). Il faut d’autre part être prudent quant à l’utilisation de la clindamycine vis-à-vis de Peptostreptococcus, voire même de Propionibacterium, et vérifier la sensibilité de Bacteroides vis-à-vis de cet antibiotique avant de l’utiliser. Lors des questions, la notion de douleur est évoquée : si celleci semble pour certains accompagner l’infection à P. acnes (l’acide propionique est irritant), elle paraîtrait moins présente en cas de Peptococcus, générateur d’abcès. Il est alors difficile de convaincre le patient d’enlever le matériel. En conclusion, les infections anaérobies sur prothèse sont fréquentes, monobactériennes ou mixtes. Les techniques de prélèvements et l’interprétation des germes mis en évidence ont ici encore une grande importance. Il est indispensable de réfléchir sur les critères diagnostiques pour ce qui est de l’infection à P. acnes, probablement moins pour ce qui est de Peptostreptococcus, Bacteroides et Clostridium. Le traitement d’infection sur prothèse ne présente toutefois pas de particularité de stratégie propre. L’ expérience annecienne Cette expérience rapportée par S. Bland, J.P. Bru et A. Sédallian (Annecy) a présenté l’intérêt d’être une étude prospective sur des cas d’ostéites ou ostéoarthrites hospitalisées de 1989 à 1994 au centre hospitalier d’Annecy. Des protocoles permettant de standardiser les modes de prélèvement, transport et culture sont appliqués, durant l’étude, aux prélèvements microbiologiques. Les prélèvements de 33 patients d’un âge moyen de 50 ans permettent d’isoler une ou plusieurs bactéries anaérobies. Parmi eux, deux fois plus d’hommes que de femmes. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000 É U N I O N S Deux types de prélèvements sont distingués (tableau II), les uns dits nobles, fiables peropératoires, les autres dits non nobles, provenant de fistules, prélèvements à l’aiguille. Tableau II. Rendement des différents types de prélèvements osseux pour l’isolement d’anaérobies. 33 patients 19 prélèvements nobles 30 prélèvements non nobles Isolement d’anaérobie 19 oui 0 non Isolement d’anaérobie 25 oui 5 non Seize cas bénéficient des deux types. Les résultats suivants sont observés : – Parmi les 16 cas bénéficiant de prélèvements fiables et non fiables, environ 58 % montrent une bactériologie identique pour les deux types de prélèvements, 12 % une bactériologie divergente et 30 % une absence de mise en évidence de germes anaérobies dans les prélèvements non nobles, alors que les prélèvements nobles ont permis d’en isoler. Ce premier résultat souligne le risque de conclure à l’absence d’anaérobie en cas de prélèvement non noble. – Cent dix-huit isolats ont été obtenus chez les 33 patients étudiés, dont la répartition par espèces est indiquée dans le tableau III. Tableau III. Bactéries isolées des prélèvements osseux. 81 isolats anaérobies stricts Peptostreptococcus spp : 20 Prevotella spp : 16 Bacteroides spp : 12 Propionibacterium acnes : 10 Fusobacterium nucleatum : 8 Autres : 15 37 isolats non anaérobies stricts Streptocoques : 11 Entérobactéries : 10 Staphylocoques : 8 Autres : 8 – Il existe des différences selon le mode d’inoculation : les infections par inoculation locale sont presque toujours plurimicrobiennes et à flore mixte (23/24), en particulier en cas de conséquence de plaie chronique de contiguïté. Il en va tout autrement pour les infections par voie hématogène, majoritairement monomicrobiennes (5/6) et rarement mixtes (1/6). – Seules particularités observées dans la distribution des bactéries anaérobies : C. perfringens dans les fractures ouvertes, P. acnes et F. nucleatum dans les ostéites du pied. – Des facteurs de risque sont notés (sauf dans 7 cas). Ils peuvent être généraux (20 cas), comme l’éthylisme chronique, le diabète, les traitements immunosuppresseurs, ou locaux (20 cas), comme les neuropathies et artériopathies, ostéites chronicisées, et une radiothérapie locale. En conclusion, cette étude prospective permet de montrer l’importance de l’obtention de bons prélèvements et de protocoles standardisés pour le transport et la culture, si l’on souhaite mettre en évidence des bactéries anaérobies en cas d’ostéites ou d’ostéoarthrites. J. Behra-Miellet, Lille 33 R 34 É U N I O N S La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000