Introduction
Le crime semble partout dans le débat public quand se ressas-
sent les grandes préoccupations, voire les obsessions collec-
tives. Même si dautres enjeux peuvent sembler de plus grande
ampleur mondialisation économique, chômage, précarisa-
tion du salariat, incertitudes sur lavenir de la protection sociale,
fragilisation de l’État-nation, etc. , qui ne voit le crime tenir
compagnie àchacun deux ? On salarme dune «grande crimi-
nalité» greffée sur les flux transnationaux de personnes, de
biens, dargent, voire dinformation, mais on seffraie aussi dune
«petite délinquance »de vols ou dagressions qui met en péril
notre sécuritéquotidienne et celle de nos biens. La corruption
fait cortège aux interrogations sur la capacitédes «élites »àfaire
face aux enjeux du temps, le dopage pollue le spectacle média-
tique des sports de masse.
Cette sensibilitétoujours prompte àrenaître désigne un de ces
points de la vie collective oùmûrissent les abcès : par un aspect,
le crime évoque les sommets de lordre social, mais par un autre
ses bas-fonds, et il laisse toujours entrevoir, avec linvocation de
la violence, le spectre de la mort sociale. Sil ne s’éloigne jamais
beaucoup du débat public, sa présence sy fait plus insistante
dans les moments oùde sérieuses recompositions travaillent les
équilibres sociaux.
Il figure parmi les chantiers récurrents pour ceux qui font
profession danalyser la vie sociale et de donner àla comprendre.
Pour la sociologie, le crime constitue un thème auquel il est
Crime
(ang. : crime ; all. : Verbrechen ; esp. : crimen ; ital. : crimine)
Le vocabulaire juridique français réserve ce mot pour désigner les infractions
les plus lourdement punies, celles que jugent les cours d’assises.
Selon une tradition qui remonte à Durkheim, la sociologie emploie généra-
lement ce terme dans un sens plus large pour désigner tout comportement que
le droit incrimine en menaçant son auteur d’une peine.
Cet usage est conforme à l’étymologie (Dictionnaire historique de la langue
française, Paris, Le Robert, 2000, vol. 1, p. 565) qui évoque l’idée de trier, de
décider, donc de soumettre une situation à une décision judiciaire.
Mais ce n’est qu’une convention. Nous pourrions parler aussi de délinquance,
au singulier ou au pluriel. Les juristes parleraient d’infractions.
difficile d’échapper,sinonpourlui-même, du moins pour ce
quil révèle de la mise en ordre et du désordre des relations
sociales.
Sa forte actualitéau tournant du XXeet du XXIesiècle a deux
conséquences sur son étude, lune positive, lautre négative. Une
puissante demande de connaissance joue en faveur de la création
de filières denseignement, de la constitution dun marchéde la
formation professionnelle et permanente, du développement de
la recherche. Mais, dans une situation aussi passionnée, le poids
des modes et des lieux communs pèse lourdement sur tout ce qui
se dit àpropos du crime.
Placédans une conjoncture àla fois porteuse et périlleuse, le
sociologue du crime doit clarifier méthodiquement les bases et
les avenues de ce champ de connaissance. Dautant que ce
chapitre des sciences de la sociétélaisse une impression déce-
vante : depuis un bon siècle quil est entamé,onna pas le senti-
ment dune progression réelle de la connaissance, alors pourtant
que tous les modèles imaginables ont été,touràtour, mis en
œuvre pour «expliquer »le crime. On a la sensation dune
histoire immobile oùtoutes les hypothèses peuvent sans cesse
ressurgir sous des vêtements àpeine modernisés. De surcroît,
chaque théorie rend compte de certains crimes, mais sadapte
mal àdautres. Explicitement ou subrepticement, chaque auteur
a travaillésur un ou quelques cas de figure quitte àextrapoler
LA SOCIOLOGIE DU CRIME4
ensuite, de manière rarement convaincante, les résultats
obtenus.
Peut-être aussi se hâte-t-on trop de chercher àexpliquer le
crime, sans prendre le temps de réfléchir àsa définition. On fait
comme si tout le monde savait ce dont il sagissait et comme si
ce savoir de sens commun fournissait àlentreprise scientifique
un point de départ assez solide : l’étude du crime pâtit dune
négligence dans la construction de son objet. Pour étudier, avec
quelque chance de succès, un objet social quel quil soit, il faut
dabord saisir ce quil a de typique, le trait commun àtoutes
ses manifestations, ce qui le distingue dautres objets. Le mouve-
ment criminologique y a largement échoué:construireune
discipline autour dun seul objet ne permet pas de le comparer
àdautres pour en saisir la spécificité. En principe, la sociologie
qui replace le crime parmi une multitude dautres objets
sociaux avait tout pour échapper àcet enfermement ; elle a
pourtant eu du mal àsen extraire.
Aux sources de la criminologie
Quand elle apparaîtàla fin du XIXesiècle, la criminologie se
constitue demblée en science du criminel, et non du crime.
Malgréles protestations des anthropologues parisiens, les
promoteurs du nouveau savoir ont tenu dans un premier temps
au titre danthropologie criminelle : leur ambition consistait à
ouvrir un chapitre supplémentaire dans l’étude du comporte-
ment humain. Leur discipline était tout entière vouéeàdécou-
vrir pourquoi certains commettaient des crimes, quelle
caractéristique les rendait différents des autres.
Quelque temps, Cesare Lombroso a même espérédécouvrir un
trait physique spécifique qui permettrait didentifier les
criminels, au moins les vrais, sur leur seul aspect. Il serait devenu
inutile dattendre que le crime soit commis pour reconnaître le
malfaiteur. L’échec de ce «physicalisme »tardif napasfreiné
lentreprise criminologique. Passant outre au scepticisme
dEnrico Ferri, Raffaele Garofalo sest bornéàtransférer sur le
plan moral le siège de la différence qui caractériserait le (vrai)
INTRODUCTION 5
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !