Crime à la une

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Troisième thème - Crime à la une
Ressources
4. texte de l'exposition "Crime à la une" introduit la thématique
5. 3 articles parus dans "Le Nouvelliste vaudois", les 5, 9 septembre et 24 novembre 1905
tous liés au "Drame de Commugny" qui conduisit à l'interdiction de l'absinthe.
6. Le crime de l'épicier Bado en 1924 – photographie et petit texte résumé
7. 3 textes relatifs à l'influence de la presse sur le crime
Objectifs
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Analyser le fait divers comme reflet des peurs, des préoccupations et des sensibilités
-
Faire réfléchir à la pertinence des réactions populaires induites par un fait divers et à leurs
conséquences (manifestations, agressions, modifications de lois…)
-
S'intéresser à la façon dont la presse relate le fait divers et s'interroger sur l'influence de ces
articles ou des photographies publiées
Travail pédagogique – pistes pour des travaux en petits groupes
-
Détailler les différentes étapes qui ont conduit à l'interdiction de l'absinthe
-
Analyser la façon dont la presse relate les faits
-
Analyser la façon dont l'autorité relate les faits
-
Lier à l'actualité (Crime de Marie, Marche blanche…) et réactions que ces événements ont
engendré
-
Discuter de l'influence possible des articles et des illustrations proposées dans la presse sur des
criminels potentiels et des critiques émises sur la "mise en valeur" d'agresseurs pouvant inciter
d'autres agresseurs
-
Analyser des cas plus récents tels que : Mark Chapman, l'assassin de John Lenon, Anders Behring
Breivik ou les fusillades dans les lycées (Colombine/USA)
Place de la Cathédrale 4 | 1005 Lausanne | 021 315 41 01 | [email protected] |www.lausannne.ch/mhl
Le crime à la une
texte d'introduction au secteur de l'exposition
Le fait divers, qui traite des inclassables voire des rebuts de l’actualité, accorde une place
prépondérante à la mise en scène de la transgression. La médiatisation des affaires criminelles
et de leurs développements peut être vue comme le pendant moderne du spectacle offert par
les exécutions publiques de l’Ancien Régime, dont elle perpétue la fascination pour les
sensations fortes.
Si le colportage occasionnel d’épisodes étranges ou effrayants apparaît dès les débuts de
l’imprimerie et trouve dans notre région un lieu d’expression privilégié dans les pages du
Messager boiteux au 18e siècle déjà, le fait divers n’accède au rang de genre éditorial défini
que dans la deuxième partie du 19e siècle, avec l’essor de la presse dite populaire. Jusque-là,
les affaires à caractère pénal étaient souvent traitées dans la "Chronique judiciaire" et les
nouvelles relevant du fait divers dans les actualités.
Produit d’une mise en récit, le fait divers est une construction qui entretient des relations
ambiguës avec la réalité. Il fait figure de miroir déformant quand, notamment par sa
focalisation sur les expressions les plus violentes de la délinquance, il introduit une distorsion
entre le réel et l’image qu’il en donne. Parfois monté en épingle, il n’échappe pas à
l’instrumentalisation. Il en dit long cependant sur l’état des consciences et des sensibilités : le
fait divers renseigne au fond davantage sur la perception que l’on a des événements et les
craintes qu’ils suscitent, que sur leur portée réelle.
Il est frappant de constater qu’en dépit de son statut de genre souvent déconsidéré, il
conserve un incontestable pouvoir d’attraction. Cela tient aux ressorts multiples dont il
procède, mêlant fantasmes, pulsions, tabous, vertige de l’interdit, besoin de conjuration,
quête d’assouvissement ou simplement de distraction. Le fait divers emprunte à la structure
du mythe en faisant intervenir dans sa dramaturgie le poids de la fatalité sur les destinées
humaines. Il nous donne à voir l’infinité des expressions que peut revêtir l'inattendu quand il
fait irruption dans la normalité rassurante du quotidien.
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Albert Gantner (alias Polyte)
Le Vainqueur et le Vaincu de Dimanche passé
Guguss, n° 24, 29.09.1906
Ce dessin satirique illustre le résultat du vote qui s’est déroulé dans le canton de Vaud et a abouti à la
prohibition de l’absinthe, le 23 septembre 1906. Cette victoire des mouvements antialcooliques, deux
ans avant son interdiction au niveau national, doit beaucoup à un fait divers, qui a joué le rôle d’un
véritable catalyseur : le crime de Commugny.
Le 28 août 1905, dans le village de Commugny, près de Coppet, un père de famille, en proie à la
boisson, tue sa femme enceinte et ses deux jeunes enfants à l’aide d’un fusil de chasse.
Ce crime, largement relayé par la presse, suscite une très vive réaction au sein de la population. La
consommation d’alcool et plus particulièrement d’absinthe fait l’objet de nombreuses attaques. Les
journaux stigmatisent l’alcoolisme et les « empoisonneurs publics », les lettres de lecteurs se
multiplient pour condamner la fée verte. Une pétition est adressée au Grand Conseil par les femmes
du canton qui revendiquent, afin d’être « protégées contre les dangers auxquels l’usage de l’absinthe
expose [leurs] familles », l’interdiction de sa vente.
La prohibition, prononcée en 1906 dans le canton de Vaud, est introduite à Genève en 1907, puis
adoptée à une large majorité par le peuple suisse en 1908.
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Le crime de la rue Fabre
Le 16 février 1924, Pierre Bado, 53 ans, est retrouvé assassiné dans son épicerie de
la rue Fabre (actuelle rue Curtat), à Lausanne.
Eugène Würgler (1880-1945), Joseph-Paul Merçay avec deux gendarmes, photographie, 16.07.1924
Qui était l’assassin ? Les autorités judiciaires
ne laissaient pas d’être perplexes. Aucun
indice ; rien qui pût faciliter les recherches.
Au surplus les signalements étaient divers
et variés, et fournis par des clients de Pierre
Bado. Le cadavre avait le crâne enfoncé dans
sa partie postérieure ; un énorme couteau qui
servait au boutiquier à couper le fromage fut
retrouvé sur les lieux du crime... Toutefois,
l’enquête, conduite méthodiquement et avec
une rapidité sans pareille, amena bientôt
la découverte d’un marteau ensanglanté
enveloppé dans un mouchoir chez un nommé
Joseph-Paul Merçay, habitant rue de la Tour.
Rien de précis cependant ne permettait de
confondre cet individu peu recommandable
et depuis longtemps surveillé par la police.
Aussi l’interrogatoire auquel il fut soumis
fut-il laborieux. On avait cependant constaté
que Merçay avait ce jour-là payé plusieurs
dettes et même — ce qui n’était guère dans
ses habitudes — offert à boire à plusieurs de
ses amis. D’où provenait l’argent ? Bien que
l’assassin ait eu l’idée, son crime accompli,
de se créer un alibi, il ne put rendre compte
des sommes dépensées et, habilement
interrogé, à bout d’arguments, il avoua. Lui
seul pouvait donner des indications sur le
crime...
R. Ms, « L’assassin de la rue Fabre », La Tribune de Lausanne,
15.07.1924 (extrait)
Le 17 juillet de la même année, Joseph-Paul Merçay est condamné par le Tribunal
criminel du district de Lausanne à la réclusion à perpétuité, à la privation des droits
civiques à vie et aux frais de justice.
Le crime et la presse
A la suite d’une décision prise par le préfet de police, les journaux de Paris ont été avisés qu’aucune
photographie de détenu ne leur serait plus délivrée par le service de l’anthropométrie. On ne peut
qu’approuver cette mesure. Les portraits des moindres apaches étaient jusqu’ici régulièrement reproduits
dans la presse. C’était donner à des gredins une publicité dont ils n’étaient que trop friands. C’était exalter
leur gloriole et créer un danger pour la sécurité publique. Espérons que la mesure prise aura pour effet
de restreindre, dans la presse, une exhibition et une publicité qui n’a pu que contribuer à l’extension de la
criminalité dans le monde des apaches .
Nouvelliste vaudois, 08.07.1908
L’influence des journaux sur les crimes est incontestable aujourd’hui. Depuis que les quotidiens, […] ont pris
l’habitude de raconter en détail, quelques fois même avec des illustrations, les crimes les plus sensationnels,
on a pu observer une certaine « contagion des crimes par la presse ». Les crimes sont imités. Cette imitation
est fréquemment provoquée par la vanité du délinquant professionnel ou de l’individu pervers, non encore
récidiviste. Il voit dans les journaux, tous les jours, de longs articles s’occupant d’un criminel de marque.
On note même le menu de son repas à la prison préventive. […]. Son nom est connu de tous, et son forfait est
l’objet des conversations des gens du quartier […].
Le rôle de la presse est donc tout à fait contraire aux intérêts de la société. Pourtant […] il ne faut pas
oublier que les journaux, dans leur grande majorité, sont des entreprises commerciales, et qu’ils sont ainsi
forcés, pour conserver ou agrandir leur clientèle, de satisfaire le goût du grand public qui demande un
chatouillement des nerfs. […] la grande clientèle est actuellement formée par les « amateurs de crimes .
R-A Reiss, Manuel de police scientifique (technique), I. Vols et homicides, Lausanne, Libraire Payot / Paris, Félix Alcan, 1911, pp. 53-54
Pour satisfaire aux exigences des lecteurs » – c’est la formule de quelques journalistes, nous verrons ce que
d’autres en pensent – mais effectivement pour des motifs de concurrence, pour maintenir ou pour augmenter
le chiffre de son tirage, la presse d’information a une tendance marquée à donner une large publicité aux
actes criminels ou délictueux, à en détailler souvent très minutieusement les circonstances, comme aussi à
répandre par la photographie et par la plume le portrait physique, intellectuel et moral des malfaiteurs. […]
A ce propos, une cause criminelle toute récente – celle du crime d’Antagne jugée à Aigle en juin 1937 – me
suggère quelques réflexions […]. Certains journaux vaudois ont cru devoir entretenir leurs lecteurs de cette
affaire avec une abondance de détails à tout le moins regrettable. Mettre ainsi sur le pavois de vulgaires
bandits, aller même jusqu’à reproduire leur argot crapuleux, ne sont-ce pas là des exagérations auxquelles
notre presse ne nous a fort heureusement point habitués ? Et qu’elle ferait bien d’abandonner.
Robert Jaquillard, Le crime et la presse, Lausanne, Librairie centrale et universitaire, 1937
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