L`éthique de la sexualité face aux dogmes des religions monothéistes

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1
L
a gynécologie est une spécialité
qui, plus que tout autre, nécessite
la parole. Dans l’exercice de notre
métier, on parle beaucoup, on écoute
surtout. Mais, au fil des consultations,
ces dernières années, peu à peu les mots
ont commencé à manquer. Des ques-
tions restaient sans réponse. Comme
une perte de clarté, une brume, un verti-
ge. Les dogmes et les lois s’affaiblis-
saient, la morale hésitait; la morale uni-
verselle n’arrivait plus à se transposer à
la particularité, à la singularité de la
morale individuelle. Dans le huis clos de
nos bureaux, il est question de concep-
tion, parfois de contraception. De désir
d’enfant, de grossesse désirée, parfois
d’interruption. D’enfant surveillé,
d’anormalité; de redéfinition dans le
doute des critères de la normalité. D’ac-
cueil, de respect. D’infertilité et de
conception assistée. De procréation
médicalement assistée dans laquelle on
s’engage sans être capable de fixer la
limite, sans être plus capable d’aider à
renoncer, démunissant alors les couples
de toute ressource leur permettant de
sublimer l’absence de l’enfant qui ne
viendra pas et de redevenir fertiles de
fertilités symboliques. Les mots eux
aussi ont changé; veut-on un enfant ou
désire-t-on un enfant, simple détail de
langage? Dans vouloir, il y a exigence, il
y a immédiateté. Dans attendre il y a
espoir. Dans l’attente est le temps, il y a
une durée. A-t-on un enfant ou donne-t-
on la vie? Dans avoir il y a possession,
pouvoir. Dans donner la vie, il y a don.
Sous les pieds, la terre a bougé, insensi-
blement. Maimonide, Averroès peut-
être, ont doucement demandé: qu’est
devenu le sacré: le biologique? le géné-
tique? Plus à la surface, les piliers se
sont ébranlés. La conscience individuel-
le doit pouvoir s’appuyer sur des
normes universelles d’origine législative
et religieuse. Avec le progrès scienti-
fique, le XXesiècle a vu se modifier les
repères et s’effondrer, entre autres, les
valeurs religieuses. Les avancées tech-
niques ont doté l’homme d’une puissan-
ce nouvelle. Devenant maître de la natu-
re, il est devenu l’objet même de sa puis-
sance d’agir. Alors se pose la question
“est-ce que savoir faire permet de pou-
voir faire” et la réflexion éthique devient
indispensable. Pour pouvoir poursuivre
l’exercice de leur art, les médecins se
regroupent, s’unissent à des religieux,
des juristes, des psychanalystes, ils
mêlent leurs réflexions, posent leurs
doutes, leurs interrogations, ensemble
ils font de l’éthique. Les questions sou-
vent ne trouvent pas de réponse, la
réflexion éthique consiste seulement à
reposer les vraies questions, fixer les
limites, laisser s’élaborer sa propre
conscience. L’élaboration de la conscien-
ce individuelle permet de retrouver le
juste équilibre entre objectivisme et sub-
jectivisme et d’aider au mieux le patient
dans les conflits éthiques auxquels la
L’éthique
de la sexualité
face aux dogmes
des religions
monothéistes
RÉSUMÉ: La pensée éthique doit s’appuyer
sur des normes solides d’origine législative et
religieuse pour pouvoir s’établir. L’élaboration
de la conscience individuelle permettra de
trouver le juste équilibre entre objectivisme
et subjectivisme et d’aider au mieux les
patients dans les conflits éthiques auxquels
la technicisation de la procréation les
soumet. Pour cela, il est nécessaire d’étudier
les dogmes inhérents aux différentes religions
dans le domaine de la sexualité. Nous
étudierons les dogmes et les doctrines
catholiques, protestants, juifs et musulmans.
Nous tenterons de comprendre l’élaboration
de tel ou tel point de doctrine dans la morale
religieuse qui le soutient en le resituant dans
son histoire, de manière à être au plus près
de la conscience éthique. Les applications
concrètes concernant les normes en matière
de sexualité et reproduction seront exposées
pour les quatre religions monothéistes
essentielles.
Sexologies, Vol. XII, N° 45, p. XX-XX.
RELIGIONS
G. DURAND
MOTS-CLEFS :
• Ethique
• Sexualité
• Reproduction
• Catholicisme
• Protestantisme
• Judaïsme
• Islam
• Dogmes et doctrines
Gemma Durand, docteur en médecine et gynécologue, a passé sa thèse en 1987 sur: “La
contraception à l’adolescence. L’impact de l’information” (Prix de thèse 1987).
Elle est diplômée en stérilité féminine et en maladies du sein.
Elle est l’auteur de plusieurs publications, notamment sur la contraception, l’IVG,
sexualité et religion…
Gemma Durand a écrit trois ouvrages de littérature: (Un poème en terre étrangère, 1997;
Le père offert, 1999; La femme absente, 2000. Ed. Domens Pézenas) et un ouvrage de gyné-
cologie (Dico Ado. 2001, Catherine Dolto, coord. Ed. Gallimard Jeunesse).
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technicisation de la procréation le sou-
met. Il devient alors indispensable d’étu-
dier les dogmes inhérents aux diffé-
rentes religions dans le domaine de la
sexualité.
Nous étudierons les dogmes et les doc-
trines des catholiques, protestants, juifs et
musulmans.
Le catholicisme
L’histoire du monde a été datée au cin-
quième siècle à partir de la naissance d’un
homme, né en fait entre l’an VI et l’an XIV
avant notre ère, en Palestine occupée par
les Romains. Cet homme, prénommé
Jésus, a été reconnu comme le Messie
attendu, comme le fils de Dieu, comme
Dieu lui-même fait homme. Quatre de
ses amis, Matthieu, Marc, Luc et Jean ont
écrit son histoire, de sa naissance, entou-
rée d’annonces et de signes merveilleux,
à sa “vie publique”, qui n’a duré que
quelques années. De son nom grec,
“Christ” est né le christianisme qui se dis-
tingue des deux autres grandes religions
monothéistes, le judaïsme et l’islam, par
l’affirmation de la divinité du Christ:
Jésus “vraiment Dieu, vraiment homme”,
livré au supplice et ressuscité, venu sau-
ver les hommes par son sacrifice. Être
chrétien aujourd’hui, c’est croire et affir-
mer que Jésus est le fils de Dieu et en tirer
toutes les conséquences pour sa propre
vie. Très tôt, et après avoir été expulsés
de la synagogue, les chrétiens se sépa-
rent du judaïsme. Ils refusent la circon-
cision et prennent des libertés par rap-
port aux préceptes de la loi juive. Le
christianisme n’est pas une religion du
livre et les Textes Saints peuvent être
interprétés dans une grande liberté, avec
l’aide de l’Esprit Saint. Si Dieu est Trinité,
c’est-à-dire Père, Fils et Esprit, cela revient
à dire qu’il est vie, relation et amour. Le
schisme d’Orient en 1054 entraînera la
séparation de l’Église orthodoxe, due à
des divergences religieuses (Primat de
l’évêque de Rome et compréhension de
La Trinité) mais surtout à des divergences
de culture et de tradition. La Réforme,
dans la première moitié du XVIesiècle,
entraînera la séparation des Églises pro-
testantes pour avoir voulu, tout en se
réclamant du Credo (confession de foi
chrétienne) obtenir le retour strict à l’É-
criture comme source de la révélation et
valoriser la liberté du chrétien par rap-
port au rôle médiateur de l’Église.
Dans l’Église catholique, le Pape, succes-
seur de saint Pierre, garde une fonction
essentielle et unique pour l’unité de l’É-
glise, et il peut user, s’il le désire, de “l’in-
faillibilité pontificale” (dogme établi
durant le Concile du Vatican en 1870)
pour déterminer un point de doctrine
essentiel. Il a, de plus, la responsabilité
des interventions sociales et publiques de
l’Église (26).
Les dogmes fondamentaux de la religion
catholique et sur lesquels doit s’appuyer
toute réflexion théologique sont:
- Le mystère de La Trinité;
- Le mystère de l’Incarnation;
- La transmission du péché d’Adam à ses
descendants;
- La rédemption de ce péché par la mort
du Christ;
- Et les sept sacrements vécus en tant
qu’étapes d’une vie spirituelle.
Pour comprendre la morale catholique
actuelle et les règles qu’elle propose, il faut
d’abord définir plusieurs concepts:
- Jésus-Christ a communiqué à Pierre et
aux apôtres sa divine autorité et il les a
envoyés enseigner l’Évangile et la loi
morale qui en découle et dont ils sont les
gardiens. Cette loi morale est constituée
de la loi évangélique et de la loi naturelle.
- les principes doctrinaux enseignés par
la commission d’étude dirigée par le pape
Jean XXIII en 1963, revus et corrigés par
Paul VI, reposent sur une vision globale
de l’homme, naturelle et terrestre, surna-
turelle et éternelle;
- la morale catholique ne peut être com-
prise que si elle est entendue et analysée
dans ses trois dimensions, fondamentale-
ment indissociables: sa dimension uni-
verselle; sa dimension particulière repré-
sentant des normes concrètes; et enfin sa
dimension singulière, construite sur le fait
qu’un individu est unique et que la morale
doit prendre en compte cette unicité pour
pouvoir être transcrite dans le réel.
La morale catholique réside dans la subtile
association de ces trois dimensions (27).
En matière de sexualité, la doctrine catho-
lique repose sur deux idées fondamen-
tales: sexualité et procréation sont indis-
sociables. Ceci repose sur plusieurs
principes.
Le premier principe concerne l’amour
conjugal, pour lequel Paul VI dans son
Encyclique Humanae Vitae nous explique
qu’il n’existe dans sa vraie nature et dans
sa vraie noblesse que si on le considère
dans sa source suprême, Dieu. Il s’agit
donc d’une relation d’amour unissant trois
personnes, un homme, une femme et
Dieu. Le mariage entre ces deux êtres sera
ainsi un élément important de cette trilo-
gie puisqu’“il provient du Créateur qui
réalisera par lui son dessein d’amour”. “Il
représente une collaboration avec Dieu à
la génération et à l’éducation de nouvelles
vies”. Il est signe sacramentel de la grâce
puisqu’“il représente l’union du Christ et
de l’Église”.
Cet amour conjugal a quatre caracté-
ristiques:
- il est humain (les époux deviennent un
seul cœur et une seule âme et atteignent
ensemble la perfection);
- il est total (“ils ne s’aiment pas seulement
pour recevoir de l’autre mais pour
l’autre”);
- il est fidèle et exclusif (et ce jusqu’à la
mort);
- et fécond (car ordonné par sa nature à la
procréation) (24).
Cette définition de l’amour conjugal par
le pape est le premier principe concer-
nant la sexualité, principe rigide et clair,
constituant le premier aspect de la morale
universelle.
Le second principe énoncé par Paul VI est
le concept de “la paternité responsable”
(24) que les évêques traduisent aussitôt
“paternité et maternité responsables” (17).
Partant du principe que “raison et
volonté” doivent primer sur “instincts et
passion”, le pape nous rappelle que “les
êtres sont libres de leur choix en ce qui
concerne la constitution de leur famille et
donc le nombre d’enfants qu’ils désirent.
Ils peuvent éviter une naissance dans le
respect de la loi morale, en reconnaissant
dans ce choix, leurs devoirs envers Dieu,
envers eux-mêmes, envers leur famille et
la société et ce dans une juste hiérarchie
des valeurs” (24).
Le troisième principe fondamental de
l’encyclique de Paul VI concerne “l’acte
matrimonial” et le fait qu’“union et pro-
création” ne sont pas dissociables. Dieu
a rendu indissolubles les deux signifi-
cations de cet acte. Il doit aboutir au
sens de “mutuel et véritable amour” et
à la très haute vocation de l’homme à
la paternité (24).
Cette sexualité a trois fonctions:
- une fonction relationnelle: “la Bible pré-
sente la création de l’attirance sexuelle
comme permettant de mettre fin au sen-
timent d’abandon de l’homme”. “La
femme sort l’homme de son isolement
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dans la construction du monde” (27).
- une fonction de plaisir: la Bible recon-
naît par le Cantique des Cantiques la
“force érotique qui transit toute rencontre
dans le couple”. Le plaisir entraîne la perte
de la maîtrise et donc l’obligation d’avoir
foi en l’autre et en soi-même. Le refus du
plaisir pourrait équivaloir au refus de
croire en l’autre. Mais ce sentiment éphé-
mère de plénitude faisant oublier le
manque qui nous constitue peut entraîner
une suraccumulation de plaisirs consti-
tuant un danger.
- enfin, une fonction fécondité.
Ces trois fonctions constitutives de la
sexualité ne seront épanouissantes que si
elles s’ordonnent à la quête d’un monde
conforme au projet de Dieu, un monde
qui reconnaisse son créateur, un monde
qui aime (27).
La condition d’homme ou de femme
sexués n’est pas une fatalité, encore moins
un manque, mais une bénédiction, un don,
un appel à une vie de liberté (7).
En ce qui concerne la sexualité féminine, le
plus grand changement de ces 30 dernières
années n’a été ni la contraception ni encore
moins l’IVG, mais, bien en amont, la
volonté des femmes de mieux maîtriser
leur descendance. Les femmes ont désiré
avoir des rapports sexuels quand elles le
voulaient, sans être enceintes, elles ont
voulu dissocier sexualité et procréation.
Pour ce faire, la loi Neuwirth leur a per-
mis d’utiliser la contraception et elles l’ont
utilisée. Massivement et très rapidement.
Si la théorie néomalthusienne estime que
la séparation entre sexualité et procréation
offre une chance de liberté et de bonheur,
l’Église rappelle que leur indissociabilité
permet de “ne pas altérer la double réa-
lité humaine”. D’une part, la fécondité
humanisée s’enracine dans une vie
sexuelle à laquelle le mariage donne sa
pleine signification, d’autre part la sexua-
lité trouve sa signification dans une rela-
tion d’amour établissant une communauté
de vie débordante, source de vie, c’est-à-
dire féconde dans tous les sens du terme
(7). L’Église catholique est rigoureuse sur
les conséquences morales du rapport entre
sexualité et fécondité.
L’animation de l’embryon se fait dès la
fécondation, le rendant dès lors personne
humaine, digne de respect au même titre
que tout autre et nous engageant vis-à-vis
de lui aux mêmes droits et devoirs
humains. Dans Evangelium Vitae, 1995, il
est dit: “Dans la biologie de la génération
est inscrite la généalogie de la personne”.
“Dès que l’ovule est fécondé, une vie est
inaugurée, différente de celle du père, dif-
férente de celle de la mère. Il ne sera jamais
humain s’il ne l’est pas déjà”. L’embryon
est une personne. Il doit être respecté et
traité comme une personne dès sa concep-
tion. La thèse de l’animation immédiate
est constante dans tous les textes.
Dans la doctrine catholique,
quelles sont les applications
pratiques de tout cela?
La cohabitation avant le mariage est recon-
nue comme ayant été positive dans des
situations particulières mais n’est pas de
l’ordre du “souhaitable habituel” (27).
Les relations extraconjugales, bien que
n’entraînant pas systématiquement
l’échec du couple, ne peuvent être envi-
sagées dans l’engagement dans la fidé-
lité qu’est le mariage. Néanmoins, il est
rappelé que la responsabilité engagée
n’est pas seulement celle de celui qui tra-
hit et qu’elles peuvent amener à la notion
de “pardon” (27).
Concernant l’homosexuel, comportement
non reconnu comme norme par l’Église,
il a droit, plus que toute autre personne,
à être reçu et écouté. Souvent socialement
exclu, il est prioritaire dans la transcen-
dance chrétienne qui va au-delà du juge-
ment moral. Il sera reconnu en tant que
frère, témoin de Dieu.
En ce qui concerne la chasteté, il nous est
d’abord rappelé qu’étymologiquement
“chaste” est le contraire d’“incestueux”.
Être chaste peut représenter le renonce-
ment à un monde de toute puissance, au
désir de coïncider avec son origine. À l’in-
verse de la continence, qui réside en la
“contention des pulsions sexuelles”, la
chasteté représente la régulation de l’or-
ganisation des pulsions et augmente le
pouvoir relationnel de celui qui s’y engage.
Cette chasteté basée sur un renoncement
dû à l’évolution n’a plus rien à voir avec
un sentiment de culpabilité entraînant un
refoulement malsain de la génitalité.
La stérilisation directe, perpétuelle ou tem-
poraire de l’homme ou de la femme et
toute action sur l’acte conjugal visant à
rendre impossible la procréation est inter-
dite. L’utilisation des préservatifs est auto-
risée si l’existence d’un des deux parte-
naires est menacée. Par contre, il est licite
d’avoir recours aux périodes infécondes,
légitimes, ceci usant d’une disposition
naturelle. “Cela permettra de savoir renon-
cer à l’usage du mariage dans certaines
périodes, de sauvegarder une mutuelle
fidélité, de donner la preuve d’un amour
vraiment et intégralement honnête. Ceci
préviendra aussi le risque de voir passer
une autorisation individuelle ou familiale
au niveau collectif par le biais des autori-
tés publiques”. Pour Jean-Paul II: “le choix
des rythmes naturels comporte l’accepta-
tion du temps de la personne, l’accepta-
tion du dialogue, du respect de la respon-
sabilité commune, de la maîtrise de soi”.
L’interruption directe du processus de
génération déjà engagé est illicite. De
l’avortement, le pape nous dit qu’il est illi-
cite, si “directement voulu et provoqué,
même pour des raisons thérapeutiques”
(24). L’Église confirme par la voix épisco-
pale que “tous, dans une unanimité qui
ne souffre aucune exception, continuent
de condamner l’avortement ainsi que tout
procédé, chimique ou mécanique, même
s’il est présenté comme contraceptif” (17).
Il est noté que s’il faut choisir entre deux
normes, la théorie du moindre mal n’est
pas retenue comme une excuse.
Dans la médicalisation de la suite de la
grossesse et de la naissance, le Mystère,
ainsi nommé par saint Paul et devant don-
ner vie à un être humain issu du Créateur,
doit être respecté en tant que tel, et res-
pecté aussi pour l’enfant en tant que per-
sonne. Toute médecine expérimentale dont
l’efficacité constituerait le seul sacré et qui
occulterait l’énigme du Mystère ne peut
être encouragée (8). Le diagnostic anténa-
tal est moralement licite, uniquement
quand il est destiné à la sauvegarde et à
la guérison de l’embryon ou du fœtus. Il ne
peut être pratiqué à une femme qui aurait
l’intention de demander une interruption
de grossesse en cas de malformation (12).
Reste la question délicate de l’aide médi-
cale à la procréation et de tout acte pou-
vant modifier les conditions de vie et le
devenir de l’embryon. L’encyclique
Donum Vitae (12) interdit la fécondation
hors du corps. La médicalisation de la
conception et de la grossesse fait interve-
nir, par la main du médecin manipulant
une technique, une personne supplé-
mentaire dans ce temps réclamé par le
pape “chaste et intime”. Néanmoins, cette
aide externe peut être admise en tant
qu’aide à donner la vie si elle est prati-
quée dans le respect des êtres “manipu-
lés” par cette technique et dans le respect
du processus d’humanisation. Dans le cas
d’insémination artificielle, seuls les
gamètes endogènes peuvent être utilisés:
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“La fécondation artificielle hétérologue
est contraire à l’unité du mariage, à la
dignité des époux, à la vocation propre
des parents et au droit de l’enfant à être
conçu et mis au monde dans le mariage et
par le mariage” (12). La congélation des
embryons, les thérapies géniques et l’uti-
lisation d’embryons humains à des fins
de recherche sont interdits.
Le clonage est totalement interdit sous
toutes ses formes; pour le Vatican, le clo-
nage thérapeutique est encore plus grave
que le clonage reproductif, car on utilise
le délit de suppression de l’être humain à
des fins thérapeutiques.
En conclusion, l’éthique chrétienne est un
subtil mélange de “la conscience morale
de l’être humain”, la Raison et de “l’ac-
cueil dans la foi de la manifestation de
Dieu dans l’histoire des hommes”, la Révé-
lation. “Raison et Révélation ont une
même source auprès du Dieu unique”.
Réflexions suscitées
par l’étude analytique des normes
de la doctrine catholique
• Religion et psychanalyse
Les découvertes freudiennes et le mes-
sage du Christ sont très proches sur bien
des aspects. Les Évangiles illustrent et
éclairent les lois de l’inconscient décou-
vertes au siècle dernier, par la confirma-
tion qu’elles représentent “cette dyna-
mique vivante à l’œuvre dans le
psychisme humain et sa force qui vient
de l’inconscient, là où le désir prend sa
source, d’où il part à la recherche de ce
qui lui manque” (10).
Sexualité et procréation
doivent être redéfinies
La sexualité, considérée comme un aspect
noble de l’être humain, présente de la
conception à la mort, est un élément essen-
tiel constituant le moteur de l’être dans
tout ce qu’elle engendre comme désirs au
sens large et, en cela, elle diffère de la géni-
talité. La procréation est élargie à une
conception globale comme projet dyna-
misant, à l’ensemble d’une vie et non
ramenée à la réduction de la rencontre pos-
sible entre deux gamètes. Dans cet esprit
et dans la recherche d’une humanisation
du sujet, sexualité et procréation ne sont
dissociées, ni dans leur concept général,
ni surtout dans leur contenu symbolique.
La sexualité dans sa vocation de rencontre,
de moteur, d’échange et de générosité per-
drait sa composante fondamentale si elle
n’était sous-tendue par sa finalité origi-
nelle, promouvant, dans la générosité de
cet échange, la naissance, métaphysique-
ment énigmatique, d’un nouvel être
humain. Écoutons les psychanalystes: “Le
critère inconscient de l’approche et de la
recherche de l’autre semble être toujours la
fertilité attendue. Un fruit est toujours
inconsciemment impliqué, sinon
consciemment voulu, lors d’une rencontre
entre hommes et femmes”. “L’appel par
le ventre à l’homme aimé est toujours
référé par le fantasme de la fécondité” (11).
Indépendamment de toute considération
religieuse, la dissociation sexualité/pro-
création reste difficile sur le plan incons-
cient. On est à la limite du conscient et de
l’inconscient, face aux débordements pos-
sibles et imprévisibles.
Dans l’exercice de notre métier, nous
sommes confrontés quotidiennement aux
aléas de cette dissociation: priver la rela-
tion à l’autre de cette dimension procréa-
trice symbolique définitivement par une
stérilisation va amputer la sexualité de sa
composante procréatrice et par là même
demander aux êtres engagés dans cette
relation de réorganiser leurs rapports en
tenant compte de cela.
Pour ce qui est de la réduction temporaire
de cette fonction procréatrice par la contra-
ception, il n’est pas rare de voir des
couples ayant des rapports trop bien pro-
tégés et depuis trop longtemps, consulter
pour signaler que leur sexualité s’est peu
à peu modifiée. Les raisons alléguées sont,
et à juste titre, mécaniques ou hormonales.
Mais ne peut-on s’interroger sur le fait
qu’une contraception moins médicale,
moins parfaite, puisse les aider à retrou-
ver une juste mesure dans leurs rapports,
méthode aussi moins efficace, nécessitant
donc un grand discernement de la part du
médecin qui la conseille.
De la même manière, nombreuses sont les
situations de grossesses non désirées,
aboutissant, pour la plupart à une
demande d’interruption, dues à une insuf-
fisance d’humanisation de cette relation
privée de procréation symbolique.
Enfin, nous sommes aussi soumis quoti-
diennement aux difficultés de nos
patientes ménopausées, à cet âge où, mal-
gré une correction convenable de la perte
œstrogénique, la fertilité vient de se décro-
cher de la sexualité.
Le début de la vie
L’origine de la vie spirituelle ou affective
dans la vie “cellulaire” d’un œuf fécondé,
pour les catholiques, est à la conception.
La question du début de la vie est essen-
tielle et c’est sur elle que reposent bien des
tourments éthiques actuels. Si le début de
la vie est considéré comme étant à la fécon-
dation, aucune technique basée sur la
manipulation des cellules embryonnaires
ne peut être acceptée, embryon, bien sûr,
mais cellules souches aussi. Ceci est fort
bien illustré par un débat récent ayant
opposé, au sein du Comité consultatif
national d’éthique, Axel Kahn argumen-
tant sur le fait que cette nouvelle méde-
cine régénératrice à partir de cellules
souches embryonnaires est justifiée par la
simple solidarité humaine, et auquel Oli-
vier de Dinechin répondait que l’accepta-
tion d’une médecine sacrificielle ouvrait
la voie à tous les abus. Mais, à l’inverse,
cette notion de début de la vie dès la
conception peut entraîner des déductions,
certes logiques, mais néanmoins inquié-
tantes, puisque la doctrine catholique
admet la réimplantation de l’embryon
congelé dans le ventre de la mère après la
mort du père. Le début de la vie est anté-
rieur, disent-ils, l’enfant a été conçu du
vivant de son père. Et pourtant, comment
faire recoller les deux morceaux d’une telle
histoire? La réimplantation post-mortem
est une aberration, le temps de congéla-
tion est un néant, un vide. Aucune parole
ne peut être posée sur ce temps-là.
Pour le comité consultatif national
d’éthique, l’embryon est une personne
potentielle.
Le protestantisme
Lorsque Luther en Allemagne et Calvin
en France provoquent la Réforme, dans la
première moitié du XVIesiècle, les Églises
protestantes se distinguent par leur désir
de ramener le christianisme à sa pureté
primitive en soumettant les décisions et
les traditions ecclésiastiques au contrôle
de l’Écriture Sainte. Du recul est pris par
rapport à la tradition au profit d’une foi
plus pure. Cette doctrine proclame la sou-
veraineté absolue et exclusive de Dieu, le
rôle prééminent du pape est rejeté. La
place occupée par Marie dans la théolo-
gie catholique est réduite et le culte des
saints n’est pas accepté. Le célibat des
prêtres et les vœux monastiques sont sup-
primés. Le corollaire en est la revalorisa-
tion du mariage et le fait qu’il n’est plus
incompatible avec le ministère (18).
Les fondements de cette doctrine
sont les suivants
Les Églises de la Réforme sont nées de
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leurs protestations contre la non-recon-
naissance du jugement personnel et c’est
à ce titre qu’elles vont réévaluer la res-
ponsabilité individuelle. Le jugement per-
sonnel réfléchi, éduqué, éclairé à la lumière
des Évangiles, ne nécessite pas d’autorité
moralement supérieure ou divinement ins-
pirée. Ces Églises ont une structure démo-
cratique et les idées qui en sont issues pro-
viennent de la réflexion commune
d’esprits divers issus de disciplines diffé-
rentes. Les normes proposées sont moins
rigides et elles seront livrées à la respon-
sabilité de la personne. Les zones d’incer-
titude sont acceptées ainsi que les situa-
tions dans lesquelles vont s’affronter des
normes contraires, l’arbitrage de la
conscience se fera en faveur du moindre
mal. La compassion peut s’appliquer à une
situation singulière: “toute pitié envers
l’homme est piété envers Dieu”. La Loi
divine a pour finalité l’homme et elle peut
donc s’accomplir dans une apparente
transgression. En effet, l’exception à une
règle est licite puisque “dans son applica-
tion à une situation singulière, elle devien-
dra la seule forme possible de la généra-
lité” (25). Dans la relation, le souci de
l’autre sera respecté par la reconnaissance
de “la trace de l’exemple de Dieu et de sa
loi”. Cet “autre” en relation d’amour sera
triple: le partenaire, l’enfant et Dieu. Elle
admettra donc un triple respect (15). Les
Protestants acceptent les zones floues dans
la morale, “les zones grises” de Paul
Ricœur.
La doctrine protestante en matière
de sexualité
• Sexualité et procréation peuvent
être dissociées
D’ailleurs elles l’ont toujours été, depuis
que le monde est monde. C’est dans cette
dissociation que réside l’humanité, dans
sa différence avec l’animalité. La nature
ne peut en aucun cas imposer sa loi à
l’homme. La nature n’est pas un maître
absolu auquel il faille obéir. Tout doit être
ramené au désir fondateur de vie (25). La
loi naturelle n’occupe pas la place qu’elle
a dans la religion catholique. “La loi natu-
relle, en diverses circonstances, n’a rien
d’une loi universelle, nous dit France
Quéré, on peut détourner la toute-puis-
sante nature, considérée comme sacrée par
tant d’autres, lors même que cette nature
a donné vie à un ventre récalcitrant”.
• En ce qui concerne le début de la vie
Il n’y a pas de commencement. Nous
sommes engagés dans la génération et
chargés de transmettre la vie que l’on a
reçue. L’origine, elle, est dans le retrait de
Dieu au moment de la création. Dieu se
retire en créant l’homme. La science, qui
s’est donné le pouvoir d’assister en direct
à la rencontre entre les gamètes, est pré-
sente à la conception. Donc Dieu et la
science ne se rencontreront jamais. Par
contre, Dieu convoquera l’humain à sa
responsabilité éthique. C’est l’alliance avec
la vie. La dignité du fœtus naît de l’ordre
de la parole, parole déjà présente lors de la
vie intra-utérine, puisque l’embryon, son
père et sa mère, s’installent d’emblée dans
un dialogue. La dignité du fœtus provient
du biologique ordonné à la parole. C’est
l’inscription de la chair dans l’ordre de la
parole qui est responsable de l’animation.
“Croisée invisible de la voix et du corps, il
deviendra sujet parlant”. “Nous ne
sommes jamais au commencement de rien,
mais toujours situés dans un commence-
ment dont la vie”. “L’âme du fœtus, c’est
l’union de la conception biologique au
futur respir de la naissance. Elle est rela-
tionnelle et le demeure, elle est l’irrepré-
sentable du sujet humain”, nous dit Marc
Faessler. Pour France Quéré, “La vie
humaine commence dès la première cel-
lule puisque celle-ci provient d’un homme
et d’une femme et que ce matériau ne
pourra donner qu’un être humain… elle
commence même avant cette première cel-
lule puisqu’elle est déjà dans la vivacité
du spermatozoïde et dans la patience
angoissée de l’ovule”. “En revanche, la
notion de personne suppose une
conscience de soi, une histoire personnelle,
un rapport aux autres, elle est donc en
devenir progressif” (25). La naissance n’est
pas seulement un processus organique
mais, en toutes circonstances, l’alchimie
d’une adoption. Dans les situations obs-
tétricales difficiles, le fœtus ne peut être
séparé, absolutisé. Il est en relation avec
la vie, avec ses géniteurs. Il partage leur
fragilité, leur malheur, le dialogue inté-
rieur entre les parents et le fœtus doit être
écouté.
Les conséquences de la doctrine
protestante sur la sexualité
La contraception est autorisée.
L’interruption de grossesse est laissée au
libre choix de la conscience.
La mise en évidence par le diagnostic anté-
natal d’une anomalie grave laisse l’arbi-
trage à la conscience en faveur du moindre
mal. Les médecins doivent transmettre
une information complète incluant les
conséquences à long terme. Pour les mal-
formations légères, il faut résister à un
avortement de convenance. Pour l’irrécu-
pérable, l’interruption médicale de gros-
sesse est autorisée. La dignité du fœtus est
respectée, y compris dans cette limite de
fracture avec l’alliance avec la vie.
Le diagnostic préimplantatoire est
autorisé.
“L’intervention d’un tiers dans la médi-
calisation de la conception et de la gros-
sesse est acceptée en tant que relais indis-
pensable dans le but d’aider à donner la
vie” (25). Toutefois, si ces techniques pro-
créatives sont autorisées, elles ne doivent
pas être surévaluées (15). La congélation
des embryons est admise. L’utilisation
d’embryons à des fins de recherche n’est
pas rejetée a priori.
Le clonage thérapeutique est accepté, c’est
l’implantation dans l’utérus qui compte
et non la fusion des gamètes.
Le clonage reproductif est condamné, mais
quelques Églises protestantes laissent une
porte ouverte à ce sujet.
Le judaïsme
En ce qui concerne le judaïsme, l’élément
caractéristique est qu’il forme une religion
dans laquelle les croyances sont fondées
sur des lois (2). Abraham, Jacob, Moïse et
David en furent les fondateurs. Abraham
établit le fait fondamental qu’il y a un Dieu
unique et qu’il est un Dieu de justice.
Moïse fait figure de législateur car c’est lui
qui reçut au Sinaï les “dix paroles”, desti-
nées au peuple hébreu et définies parfois
comme “la charte morale de l’humanité”.
Elles constitueront la base de la loi juive.
Les prophètes sont les gardiens scrupu-
leux de l’éthique et de la moralité qui en
découlent. Il n’y a pas de dogme dans le
judaïsme mais des éléments doctrinaux
essentiels:
- le rite;
- le respect de la morale;
- la recherche de la justice;
- la protection de la veuve et de l’or-
phelin;
- la paix et l’amour.
La mission de l’homme est de collaborer à
l’œuvre divine en tentant de parfaire la
création. Cette loi transmise par Dieu à
Moïse et assortie de commentaires est ins-
crite dans la Torah, premier Livre saint du
Judaïsme. Les Mitzvot, ou commande-
ments devant être respectés, sont au
nombre de 613. Maimonide, au Moyen
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