RELIGIONS G. DURAND RÉSUMÉ : La pensée éthique doit s’appuyer sur des normes solides d’origine législative et religieuse pour pouvoir s’établir. L’élaboration de la conscience individuelle permettra de trouver le juste équilibre entre objectivisme et subjectivisme et d’aider au mieux les patients dans les conflits éthiques auxquels la technicisation de la procréation les soumet. Pour cela, il est nécessaire d’étudier les dogmes inhérents aux différentes religions dans le domaine de la sexualité. Nous étudierons les dogmes et les doctrines catholiques, protestants, juifs et musulmans. Nous tenterons de comprendre l’élaboration de tel ou tel point de doctrine dans la morale religieuse qui le soutient en le resituant dans son histoire, de manière à être au plus près de la conscience éthique. Les applications concrètes concernant les normes en matière de sexualité et reproduction seront exposées pour les quatre religions monothéistes essentielles. Sexologies, Vol. XII, N° 45, p. XX-XX. MOTS-CLEFS : • Ethique • Sexualité • Reproduction • Catholicisme • Protestantisme • Judaïsme • Islam • Dogmes et doctrines 1 L’éthique de la sexualité face aux dogmes des religions monothéistes Gemma Durand, docteur en médecine et gynécologue, a passé sa thèse en 1987 sur: “La contraception à l’adolescence. L’impact de l’information” (Prix de thèse 1987). Elle est diplômée en stérilité féminine et en maladies du sein. Elle est l’auteur de plusieurs publications, notamment sur la contraception, l’IVG, sexualité et religion… Gemma Durand a écrit trois ouvrages de littérature: (Un poème en terre étrangère, 1997; Le père offert, 1999; La femme absente, 2000. Ed. Domens Pézenas) et un ouvrage de gynécologie (Dico Ado. 2001, Catherine Dolto, coord. Ed. Gallimard Jeunesse). L a gynécologie est une spécialité qui, plus que tout autre, nécessite la parole. Dans l’exercice de notre métier, on parle beaucoup, on écoute surtout. Mais, au fil des consultations, ces dernières années, peu à peu les mots ont commencé à manquer. Des questions restaient sans réponse. Comme une perte de clarté, une brume, un vertige. Les dogmes et les lois s’affaiblissaient, la morale hésitait; la morale universelle n’arrivait plus à se transposer à la particularité, à la singularité de la morale individuelle. Dans le huis clos de nos bureaux, il est question de conception, parfois de contraception. De désir d’enfant, de grossesse désirée, parfois d’interruption. D’enfant surveillé, d’anormalité; de redéfinition dans le doute des critères de la normalité. D’accueil, de respect. D’infertilité et de conception assistée. De procréation médicalement assistée dans laquelle on s’engage sans être capable de fixer la limite, sans être plus capable d’aider à renoncer, démunissant alors les couples de toute ressource leur permettant de sublimer l’absence de l’enfant qui ne viendra pas et de redevenir fertiles de fertilités symboliques. Les mots eux aussi ont changé; veut-on un enfant ou désire-t-on un enfant, simple détail de langage? Dans vouloir, il y a exigence, il y a immédiateté. Dans attendre il y a espoir. Dans l’attente est le temps, il y a une durée. A-t-on un enfant ou donne-t- on la vie? Dans avoir il y a possession, pouvoir. Dans donner la vie, il y a don. Sous les pieds, la terre a bougé, insensiblement. Maimonide, Averroès peutêtre, ont doucement demandé: qu’est devenu le sacré: le biologique? le génétique? Plus à la surface, les piliers se sont ébranlés. La conscience individuelle doit pouvoir s’appuyer sur des normes universelles d’origine législative et religieuse. Avec le progrès scientifique, le XXe siècle a vu se modifier les repères et s’effondrer, entre autres, les valeurs religieuses. Les avancées techniques ont doté l’homme d’une puissance nouvelle. Devenant maître de la nature, il est devenu l’objet même de sa puissance d’agir. Alors se pose la question “est-ce que savoir faire permet de pouvoir faire” et la réflexion éthique devient indispensable. Pour pouvoir poursuivre l’exercice de leur art, les médecins se regroupent, s’unissent à des religieux, des juristes, des psychanalystes, ils mêlent leurs réflexions, posent leurs doutes, leurs interrogations, ensemble ils font de l’éthique. Les questions souvent ne trouvent pas de réponse, la réflexion éthique consiste seulement à reposer les vraies questions, fixer les limites, laisser s’élaborer sa propre conscience. L’élaboration de la conscience individuelle permet de retrouver le juste équilibre entre objectivisme et subjectivisme et d’aider au mieux le patient dans les conflits éthiques auxquels la - VOL.XII, N°45 2 technicisation de la procréation le soumet. Il devient alors indispensable d’étudier les dogmes inhérents aux différentes religions dans le domaine de la sexualité. Nous étudierons les dogmes et les doctrines des catholiques, protestants, juifs et musulmans. Le catholicisme L’histoire du monde a été datée au cinquième siècle à partir de la naissance d’un homme, né en fait entre l’an VI et l’an XIV avant notre ère, en Palestine occupée par les Romains. Cet homme, prénommé Jésus, a été reconnu comme le Messie attendu, comme le fils de Dieu, comme Dieu lui-même fait homme. Quatre de ses amis, Matthieu, Marc, Luc et Jean ont écrit son histoire, de sa naissance, entourée d’annonces et de signes merveilleux, à sa “vie publique”, qui n’a duré que quelques années. De son nom grec, “Christ” est né le christianisme qui se distingue des deux autres grandes religions monothéistes, le judaïsme et l’islam, par l’affirmation de la divinité du Christ : Jésus “vraiment Dieu, vraiment homme”, livré au supplice et ressuscité, venu sauver les hommes par son sacrifice. Être chrétien aujourd’hui, c’est croire et affirmer que Jésus est le fils de Dieu et en tirer toutes les conséquences pour sa propre vie. Très tôt, et après avoir été expulsés de la synagogue, les chrétiens se séparent du judaïsme. Ils refusent la circoncision et prennent des libertés par rapport aux préceptes de la loi juive. Le christianisme n’est pas une religion du livre et les Textes Saints peuvent être interprétés dans une grande liberté, avec l’aide de l’Esprit Saint. Si Dieu est Trinité, c’est-à-dire Père, Fils et Esprit, cela revient à dire qu’il est vie, relation et amour. Le schisme d’Orient en 1054 entraînera la séparation de l’Église orthodoxe, due à des divergences religieuses (Primat de l’évêque de Rome et compréhension de La Trinité) mais surtout à des divergences de culture et de tradition. La Réforme, dans la première moitié du XVIe siècle, entraînera la séparation des Églises protestantes pour avoir voulu, tout en se réclamant du Credo (confession de foi chrétienne) obtenir le retour strict à l’Écriture comme source de la révélation et valoriser la liberté du chrétien par rapport au rôle médiateur de l’Église. - VOL.XII, N°45 Dans l’Église catholique, le Pape, successeur de saint Pierre, garde une fonction essentielle et unique pour l’unité de l’Église, et il peut user, s’il le désire, de “l’infaillibilité pontificale” (dogme établi durant le Concile du Vatican en 1870) pour déterminer un point de doctrine essentiel. Il a, de plus, la responsabilité des interventions sociales et publiques de l’Église (26). Les dogmes fondamentaux de la religion catholique et sur lesquels doit s’appuyer toute réflexion théologique sont: - Le mystère de La Trinité; - Le mystère de l’Incarnation; - La transmission du péché d’Adam à ses descendants; - La rédemption de ce péché par la mort du Christ; - Et les sept sacrements vécus en tant qu’étapes d’une vie spirituelle. Pour comprendre la morale catholique actuelle et les règles qu’elle propose, il faut d’abord définir plusieurs concepts: - Jésus-Christ a communiqué à Pierre et aux apôtres sa divine autorité et il les a envoyés enseigner l’Évangile et la loi morale qui en découle et dont ils sont les gardiens. Cette loi morale est constituée de la loi évangélique et de la loi naturelle. - les principes doctrinaux enseignés par la commission d’étude dirigée par le pape Jean XXIII en 1963, revus et corrigés par Paul VI, reposent sur une vision globale de l’homme, naturelle et terrestre, surnaturelle et éternelle; - la morale catholique ne peut être comprise que si elle est entendue et analysée dans ses trois dimensions, fondamentalement indissociables : sa dimension universelle; sa dimension particulière représentant des normes concrètes; et enfin sa dimension singulière, construite sur le fait qu’un individu est unique et que la morale doit prendre en compte cette unicité pour pouvoir être transcrite dans le réel. La morale catholique réside dans la subtile association de ces trois dimensions (27). En matière de sexualité, la doctrine catholique repose sur deux idées fondamentales: sexualité et procréation sont indissociables. Ceci repose sur plusieurs principes. Le premier principe concerne l’amour conjugal, pour lequel Paul VI dans son Encyclique Humanae Vitae nous explique qu’il n’existe dans sa vraie nature et dans sa vraie noblesse que si on le considère dans sa source suprême, Dieu. Il s’agit donc d’une relation d’amour unissant trois personnes, un homme, une femme et Dieu. Le mariage entre ces deux êtres sera ainsi un élément important de cette trilogie puisqu’“il provient du Créateur qui réalisera par lui son dessein d’amour”. “Il représente une collaboration avec Dieu à la génération et à l’éducation de nouvelles vies”. Il est signe sacramentel de la grâce puisqu’“il représente l’union du Christ et de l’Église”. Cet amour conjugal a quatre caractéristiques : - il est humain (les époux deviennent un seul cœur et une seule âme et atteignent ensemble la perfection); - il est total (“ils ne s’aiment pas seulement pour recevoir de l’autre mais pour l’autre”); - il est fidèle et exclusif (et ce jusqu’à la mort); - et fécond (car ordonné par sa nature à la procréation) (24). Cette définition de l’amour conjugal par le pape est le premier principe concernant la sexualité, principe rigide et clair, constituant le premier aspect de la morale universelle. Le second principe énoncé par Paul VI est le concept de “la paternité responsable” (24) que les évêques traduisent aussitôt “paternité et maternité responsables” (17). Partant du principe que “raison et volonté” doivent primer sur “instincts et passion”, le pape nous rappelle que “les êtres sont libres de leur choix en ce qui concerne la constitution de leur famille et donc le nombre d’enfants qu’ils désirent. Ils peuvent éviter une naissance dans le respect de la loi morale, en reconnaissant dans ce choix, leurs devoirs envers Dieu, envers eux-mêmes, envers leur famille et la société et ce dans une juste hiérarchie des valeurs” (24). Le troisième principe fondamental de l’encyclique de Paul VI concerne “l’acte matrimonial” et le fait qu’“union et procréation” ne sont pas dissociables. Dieu a rendu indissolubles les deux significations de cet acte. Il doit aboutir au sens de “mutuel et véritable amour” et à la très haute vocation de l’homme à la paternité (24). Cette sexualité a trois fonctions: - une fonction relationnelle: “la Bible présente la création de l’attirance sexuelle comme permettant de mettre fin au sentiment d’abandon de l’homme”. “La femme sort l’homme de son isolement 3 dans la construction du monde” (27). - une fonction de plaisir : la Bible reconnaît par le Cantique des Cantiques la “force érotique qui transit toute rencontre dans le couple”. Le plaisir entraîne la perte de la maîtrise et donc l’obligation d’avoir foi en l’autre et en soi-même. Le refus du plaisir pourrait équivaloir au refus de croire en l’autre. Mais ce sentiment éphémère de plénitude faisant oublier le manque qui nous constitue peut entraîner une suraccumulation de plaisirs constituant un danger. - enfin, une fonction fécondité. Ces trois fonctions constitutives de la sexualité ne seront épanouissantes que si elles s’ordonnent à la quête d’un monde conforme au projet de Dieu, un monde qui reconnaisse son créateur, un monde qui aime (27). La condition d’homme ou de femme sexués n’est pas une fatalité, encore moins un manque, mais une bénédiction, un don, un appel à une vie de liberté (7). En ce qui concerne la sexualité féminine, le plus grand changement de ces 30 dernières années n’a été ni la contraception ni encore moins l’IVG, mais, bien en amont, la volonté des femmes de mieux maîtriser leur descendance. Les femmes ont désiré avoir des rapports sexuels quand elles le voulaient, sans être enceintes, elles ont voulu dissocier sexualité et procréation. Pour ce faire, la loi Neuwirth leur a permis d’utiliser la contraception et elles l’ont utilisée. Massivement et très rapidement. Si la théorie néomalthusienne estime que la séparation entre sexualité et procréation offre une chance de liberté et de bonheur, l’Église rappelle que leur indissociabilité permet de “ne pas altérer la double réalité humaine”. D’une part, la fécondité humanisée s’enracine dans une vie sexuelle à laquelle le mariage donne sa pleine signification, d’autre part la sexualité trouve sa signification dans une relation d’amour établissant une communauté de vie débordante, source de vie, c’est-àdire féconde dans tous les sens du terme (7). L’Église catholique est rigoureuse sur les conséquences morales du rapport entre sexualité et fécondité. L’animation de l’embryon se fait dès la fécondation, le rendant dès lors personne humaine, digne de respect au même titre que tout autre et nous engageant vis-à-vis de lui aux mêmes droits et devoirs humains. Dans Evangelium Vitae, 1995, il est dit: “Dans la biologie de la génération est inscrite la généalogie de la personne”. “Dès que l’ovule est fécondé, une vie est inaugurée, différente de celle du père, différente de celle de la mère. Il ne sera jamais humain s’il ne l’est pas déjà”. L’embryon est une personne. Il doit être respecté et traité comme une personne dès sa conception. La thèse de l’animation immédiate est constante dans tous les textes. ■ Dans la doctrine catholique, quelles sont les applications pratiques de tout cela ? La cohabitation avant le mariage est reconnue comme ayant été positive dans des situations particulières mais n’est pas de l’ordre du “souhaitable habituel” (27). Les relations extraconjugales, bien que n’entraînant pas systématiquement l’échec du couple, ne peuvent être envisagées dans l’engagement dans la fidélité qu’est le mariage. Néanmoins, il est rappelé que la responsabilité engagée n’est pas seulement celle de celui qui trahit et qu’elles peuvent amener à la notion de “pardon” (27). Concernant l’homosexuel, comportement non reconnu comme norme par l’Église, il a droit, plus que toute autre personne, à être reçu et écouté. Souvent socialement exclu, il est prioritaire dans la transcendance chrétienne qui va au-delà du jugement moral. Il sera reconnu en tant que frère, témoin de Dieu. En ce qui concerne la chasteté, il nous est d’abord rappelé qu’étymologiquement “chaste” est le contraire d’“incestueux”. Être chaste peut représenter le renoncement à un monde de toute puissance, au désir de coïncider avec son origine. À l’inverse de la continence, qui réside en la “contention des pulsions sexuelles”, la chasteté représente la régulation de l’organisation des pulsions et augmente le pouvoir relationnel de celui qui s’y engage. Cette chasteté basée sur un renoncement dû à l’évolution n’a plus rien à voir avec un sentiment de culpabilité entraînant un refoulement malsain de la génitalité. La stérilisation directe, perpétuelle ou temporaire de l’homme ou de la femme et toute action sur l’acte conjugal visant à rendre impossible la procréation est interdite. L’utilisation des préservatifs est autorisée si l’existence d’un des deux partenaires est menacée. Par contre, il est licite d’avoir recours aux périodes infécondes, légitimes, ceci usant d’une disposition naturelle. “Cela permettra de savoir renoncer à l’usage du mariage dans certaines périodes, de sauvegarder une mutuelle fidélité, de donner la preuve d’un amour vraiment et intégralement honnête. Ceci préviendra aussi le risque de voir passer une autorisation individuelle ou familiale au niveau collectif par le biais des autorités publiques”. Pour Jean-Paul II: “le choix des rythmes naturels comporte l’acceptation du temps de la personne, l’acceptation du dialogue, du respect de la responsabilité commune, de la maîtrise de soi”. L’interruption directe du processus de génération déjà engagé est illicite. De l’avortement, le pape nous dit qu’il est illicite, si “directement voulu et provoqué, même pour des raisons thérapeutiques” (24). L’Église confirme par la voix épiscopale que “tous, dans une unanimité qui ne souffre aucune exception, continuent de condamner l’avortement ainsi que tout procédé, chimique ou mécanique, même s’il est présenté comme contraceptif” (17). Il est noté que s’il faut choisir entre deux normes, la théorie du moindre mal n’est pas retenue comme une excuse. Dans la médicalisation de la suite de la grossesse et de la naissance, le Mystère, ainsi nommé par saint Paul et devant donner vie à un être humain issu du Créateur, doit être respecté en tant que tel, et respecté aussi pour l’enfant en tant que personne. Toute médecine expérimentale dont l’efficacité constituerait le seul sacré et qui occulterait l’énigme du Mystère ne peut être encouragée (8). Le diagnostic anténatal est moralement licite, uniquement quand il est destiné à la sauvegarde et à la guérison de l’embryon ou du fœtus. Il ne peut être pratiqué à une femme qui aurait l’intention de demander une interruption de grossesse en cas de malformation (12). Reste la question délicate de l’aide médicale à la procréation et de tout acte pouvant modifier les conditions de vie et le devenir de l’embryon. L’encyclique Donum Vitae (12) interdit la fécondation hors du corps. La médicalisation de la conception et de la grossesse fait intervenir, par la main du médecin manipulant une technique, une personne supplémentaire dans ce temps réclamé par le pape “chaste et intime”. Néanmoins, cette aide externe peut être admise en tant qu’aide à donner la vie si elle est pratiquée dans le respect des êtres “manipulés” par cette technique et dans le respect du processus d’humanisation. Dans le cas d’insémination artificielle, seuls les gamètes endogènes peuvent être utilisés: - VOL.XII, N°45 4 “La fécondation artificielle hétérologue est contraire à l’unité du mariage, à la dignité des époux, à la vocation propre des parents et au droit de l’enfant à être conçu et mis au monde dans le mariage et par le mariage” (12). La congélation des embryons, les thérapies géniques et l’utilisation d’embryons humains à des fins de recherche sont interdits. Le clonage est totalement interdit sous toutes ses formes; pour le Vatican, le clonage thérapeutique est encore plus grave que le clonage reproductif, car on utilise le délit de suppression de l’être humain à des fins thérapeutiques. En conclusion, l’éthique chrétienne est un subtil mélange de “la conscience morale de l’être humain”, la Raison et de “l’accueil dans la foi de la manifestation de Dieu dans l’histoire des hommes”, la Révélation. “Raison et Révélation ont une même source auprès du Dieu unique”. ■ Réflexions suscitées par l’étude analytique des normes de la doctrine catholique • Religion et psychanalyse Les découvertes freudiennes et le message du Christ sont très proches sur bien des aspects. Les Évangiles illustrent et éclairent les lois de l’inconscient découvertes au siècle dernier, par la confirmation qu’elles représentent “cette dynamique vivante à l’œuvre dans le psychisme humain et sa force qui vient de l’inconscient, là où le désir prend sa source, d’où il part à la recherche de ce qui lui manque” (10). •Sexualité et procréation doivent être redéfinies La sexualité, considérée comme un aspect noble de l’être humain, présente de la conception à la mort, est un élément essentiel constituant le moteur de l’être dans tout ce qu’elle engendre comme désirs au sens large et, en cela, elle diffère de la génitalité. La procréation est élargie à une conception globale comme projet dynamisant, à l’ensemble d’une vie et non ramenée à la réduction de la rencontre possible entre deux gamètes. Dans cet esprit et dans la recherche d’une humanisation du sujet, sexualité et procréation ne sont dissociées, ni dans leur concept général, ni surtout dans leur contenu symbolique. La sexualité dans sa vocation de rencontre, de moteur, d’échange et de générosité perdrait sa composante fondamentale si elle n’était sous-tendue par sa finalité originelle, promouvant, dans la générosité de - VOL.XII, N°45 cet échange, la naissance, métaphysiquement énigmatique, d’un nouvel être humain. Écoutons les psychanalystes: “Le critère inconscient de l’approche et de la recherche de l’autre semble être toujours la fertilité attendue. Un fruit est toujours inconsciemment impliqué, sinon consciemment voulu, lors d’une rencontre entre hommes et femmes”. “L’appel par le ventre à l’homme aimé est toujours référé par le fantasme de la fécondité” (11). Indépendamment de toute considération religieuse, la dissociation sexualité/procréation reste difficile sur le plan inconscient. On est à la limite du conscient et de l’inconscient, face aux débordements possibles et imprévisibles. Dans l’exercice de notre métier, nous sommes confrontés quotidiennement aux aléas de cette dissociation: priver la relation à l’autre de cette dimension procréatrice symbolique définitivement par une stérilisation va amputer la sexualité de sa composante procréatrice et par là même demander aux êtres engagés dans cette relation de réorganiser leurs rapports en tenant compte de cela. Pour ce qui est de la réduction temporaire de cette fonction procréatrice par la contraception, il n’est pas rare de voir des couples ayant des rapports trop bien protégés et depuis trop longtemps, consulter pour signaler que leur sexualité s’est peu à peu modifiée. Les raisons alléguées sont, et à juste titre, mécaniques ou hormonales. Mais ne peut-on s’interroger sur le fait qu’une contraception moins médicale, moins parfaite, puisse les aider à retrouver une juste mesure dans leurs rapports, méthode aussi moins efficace, nécessitant donc un grand discernement de la part du médecin qui la conseille. De la même manière, nombreuses sont les situations de grossesses non désirées, aboutissant, pour la plupart à une demande d’interruption, dues à une insuffisance d’humanisation de cette relation privée de procréation symbolique. Enfin, nous sommes aussi soumis quotidiennement aux difficultés de nos patientes ménopausées, à cet âge où, malgré une correction convenable de la perte œstrogénique, la fertilité vient de se décrocher de la sexualité. ■ Le début de la vie L’origine de la vie spirituelle ou affective dans la vie “cellulaire” d’un œuf fécondé, pour les catholiques, est à la conception. La question du début de la vie est essen- tielle et c’est sur elle que reposent bien des tourments éthiques actuels. Si le début de la vie est considéré comme étant à la fécondation, aucune technique basée sur la manipulation des cellules embryonnaires ne peut être acceptée, embryon, bien sûr, mais cellules souches aussi. Ceci est fort bien illustré par un débat récent ayant opposé, au sein du Comité consultatif national d’éthique, Axel Kahn argumentant sur le fait que cette nouvelle médecine régénératrice à partir de cellules souches embryonnaires est justifiée par la simple solidarité humaine, et auquel Olivier de Dinechin répondait que l’acceptation d’une médecine sacrificielle ouvrait la voie à tous les abus. Mais, à l’inverse, cette notion de début de la vie dès la conception peut entraîner des déductions, certes logiques, mais néanmoins inquiétantes, puisque la doctrine catholique admet la réimplantation de l’embryon congelé dans le ventre de la mère après la mort du père. Le début de la vie est antérieur, disent-ils, l’enfant a été conçu du vivant de son père. Et pourtant, comment faire recoller les deux morceaux d’une telle histoire ? La réimplantation post-mortem est une aberration, le temps de congélation est un néant, un vide. Aucune parole ne peut être posée sur ce temps-là. Pour le comité consultatif national d’éthique, l’embryon est une personne potentielle. Le protestantisme Lorsque Luther en Allemagne et Calvin en France provoquent la Réforme, dans la première moitié du XVIe siècle, les Églises protestantes se distinguent par leur désir de ramener le christianisme à sa pureté primitive en soumettant les décisions et les traditions ecclésiastiques au contrôle de l’Écriture Sainte. Du recul est pris par rapport à la tradition au profit d’une foi plus pure. Cette doctrine proclame la souveraineté absolue et exclusive de Dieu, le rôle prééminent du pape est rejeté. La place occupée par Marie dans la théologie catholique est réduite et le culte des saints n’est pas accepté. Le célibat des prêtres et les vœux monastiques sont supprimés. Le corollaire en est la revalorisation du mariage et le fait qu’il n’est plus incompatible avec le ministère (18). ■ Les fondements de cette doctrine sont les suivants Les Églises de la Réforme sont nées de 5 leurs protestations contre la non-reconnaissance du jugement personnel et c’est à ce titre qu’elles vont réévaluer la responsabilité individuelle. Le jugement personnel réfléchi, éduqué, éclairé à la lumière des Évangiles, ne nécessite pas d’autorité moralement supérieure ou divinement inspirée. Ces Églises ont une structure démocratique et les idées qui en sont issues proviennent de la réflexion commune d’esprits divers issus de disciplines différentes. Les normes proposées sont moins rigides et elles seront livrées à la responsabilité de la personne. Les zones d’incertitude sont acceptées ainsi que les situations dans lesquelles vont s’affronter des normes contraires, l’arbitrage de la conscience se fera en faveur du moindre mal. La compassion peut s’appliquer à une situation singulière : “toute pitié envers l’homme est piété envers Dieu”. La Loi divine a pour finalité l’homme et elle peut donc s’accomplir dans une apparente transgression. En effet, l’exception à une règle est licite puisque “dans son application à une situation singulière, elle deviendra la seule forme possible de la généralité” (25). Dans la relation, le souci de l’autre sera respecté par la reconnaissance de “la trace de l’exemple de Dieu et de sa loi”. Cet “autre” en relation d’amour sera triple: le partenaire, l’enfant et Dieu. Elle admettra donc un triple respect (15). Les Protestants acceptent les zones floues dans la morale, “les zones grises” de Paul Ricœur. ■ La doctrine protestante en matière de sexualité • Sexualité et procréation peuvent être dissociées D’ailleurs elles l’ont toujours été, depuis que le monde est monde. C’est dans cette dissociation que réside l’humanité, dans sa différence avec l’animalité. La nature ne peut en aucun cas imposer sa loi à l’homme. La nature n’est pas un maître absolu auquel il faille obéir. Tout doit être ramené au désir fondateur de vie (25). La loi naturelle n’occupe pas la place qu’elle a dans la religion catholique. “La loi naturelle, en diverses circonstances, n’a rien d’une loi universelle, nous dit France Quéré, on peut détourner la toute-puissante nature, considérée comme sacrée par tant d’autres, lors même que cette nature a donné vie à un ventre récalcitrant”. • En ce qui concerne le début de la vie Il n’y a pas de commencement. Nous sommes engagés dans la génération et chargés de transmettre la vie que l’on a reçue. L’origine, elle, est dans le retrait de Dieu au moment de la création. Dieu se retire en créant l’homme. La science, qui s’est donné le pouvoir d’assister en direct à la rencontre entre les gamètes, est présente à la conception. Donc Dieu et la science ne se rencontreront jamais. Par contre, Dieu convoquera l’humain à sa responsabilité éthique. C’est l’alliance avec la vie. La dignité du fœtus naît de l’ordre de la parole, parole déjà présente lors de la vie intra-utérine, puisque l’embryon, son père et sa mère, s’installent d’emblée dans un dialogue. La dignité du fœtus provient du biologique ordonné à la parole. C’est l’inscription de la chair dans l’ordre de la parole qui est responsable de l’animation. “Croisée invisible de la voix et du corps, il deviendra sujet parlant”. “Nous ne sommes jamais au commencement de rien, mais toujours situés dans un commencement dont la vie”. “L’âme du fœtus, c’est l’union de la conception biologique au futur respir de la naissance. Elle est relationnelle et le demeure, elle est l’irreprésentable du sujet humain”, nous dit Marc Faessler. Pour France Quéré, “La vie humaine commence dès la première cellule puisque celle-ci provient d’un homme et d’une femme et que ce matériau ne pourra donner qu’un être humain… elle commence même avant cette première cellule puisqu’elle est déjà dans la vivacité du spermatozoïde et dans la patience angoissée de l’ovule”. “En revanche, la notion de personne suppose une conscience de soi, une histoire personnelle, un rapport aux autres, elle est donc en devenir progressif” (25). La naissance n’est pas seulement un processus organique mais, en toutes circonstances, l’alchimie d’une adoption. Dans les situations obstétricales difficiles, le fœtus ne peut être séparé, absolutisé. Il est en relation avec la vie, avec ses géniteurs. Il partage leur fragilité, leur malheur, le dialogue intérieur entre les parents et le fœtus doit être écouté. ■ Les conséquences de la doctrine protestante sur la sexualité La contraception est autorisée. L’interruption de grossesse est laissée au libre choix de la conscience. La mise en évidence par le diagnostic anténatal d’une anomalie grave laisse l’arbitrage à la conscience en faveur du moindre mal. Les médecins doivent transmettre une information complète incluant les conséquences à long terme. Pour les malformations légères, il faut résister à un avortement de convenance. Pour l’irrécupérable, l’interruption médicale de grossesse est autorisée. La dignité du fœtus est respectée, y compris dans cette limite de fracture avec l’alliance avec la vie. Le diagnostic préimplantatoire est autorisé. “L’intervention d’un tiers dans la médicalisation de la conception et de la grossesse est acceptée en tant que relais indispensable dans le but d’aider à donner la vie” (25). Toutefois, si ces techniques procréatives sont autorisées, elles ne doivent pas être surévaluées (15). La congélation des embryons est admise. L’utilisation d’embryons à des fins de recherche n’est pas rejetée a priori. Le clonage thérapeutique est accepté, c’est l’implantation dans l’utérus qui compte et non la fusion des gamètes. Le clonage reproductif est condamné, mais quelques Églises protestantes laissent une porte ouverte à ce sujet. Le judaïsme En ce qui concerne le judaïsme, l’élément caractéristique est qu’il forme une religion dans laquelle les croyances sont fondées sur des lois (2). Abraham, Jacob, Moïse et David en furent les fondateurs. Abraham établit le fait fondamental qu’il y a un Dieu unique et qu’il est un Dieu de justice. Moïse fait figure de législateur car c’est lui qui reçut au Sinaï les “dix paroles”, destinées au peuple hébreu et définies parfois comme “la charte morale de l’humanité”. Elles constitueront la base de la loi juive. Les prophètes sont les gardiens scrupuleux de l’éthique et de la moralité qui en découlent. Il n’y a pas de dogme dans le judaïsme mais des éléments doctrinaux essentiels: - le rite; - le respect de la morale; - la recherche de la justice; - la protection de la veuve et de l’orphelin ; - la paix et l’amour. La mission de l’homme est de collaborer à l’œuvre divine en tentant de parfaire la création. Cette loi transmise par Dieu à Moïse et assortie de commentaires est inscrite dans la Torah, premier Livre saint du Judaïsme. Les Mitzvot, ou commandements devant être respectés, sont au nombre de 613. Maimonide, au Moyen - VOL.XII, N°45 6 Âge avait recensé 13 articles de foi incontournables, qui composent la prière quotidienne et qui insistent particulièrement sur l’unicité du Créateur, le rôle du prophète MoÏse, la révélation par Dieu au Sinaï de la Torah, la récompense et le châtiment. Le Talmud constitue le recueil de tradition rabbinique interprétant la loi. Dans le Talmud, la Torah est interprétée et enseignée par les rabbins qui, par elle, fixent les commandements humains posant les limites de la morale. “Ce que la loi recommande de faire me donne figure humaine et donc sacrée”. Les limites de cette morale imposée par une loi Divine immuable et déterminée seront donc plus précises que dans la religion chrétienne. ■ Pour ce qui est de la sexualité Dans le judaïsme, l’amour a une place prépondérante ; il est une obligation morale et religieuse, concrétisée par le mariage qui est un devoir et dans lequel sexualité au sens large et plaisir sexuel plus particulièrement ont leur place (20). La sexualité est définie comme “un dialogue permanent avec Jéhovah” et elle est illustrée par le Cantique des Cantiques. L’union de l’homme et de la femme rétablit l’unité divine, la réussite du couple porte la marque du sacré (18). Comme dans la religion chrétienne, l’homme engagé dans la relation d’amour n’est pas seul, il est inscrit dans une histoire (19). Dans cette relation et dans le mariage, qui en est le corollaire immédiat, le choix de la personne aimée n’est pas primordial car elle est aimée pour elle mais aussi pour toute l’humanité qu’elle représente. L’amour est un tout, l’épouse est synonyme du foyer, la famille juive est construite sur l’amour et la passion, le plaisir et la conception des enfants. L’homme a le devoir d’être joyeux avec la femme qu’il a prise (20). Dans le livre de la création, la personne humaine est définie comme ayant dix qualités symbolisant parole et langage. Dix autres qualités symbolisent la sensualité. L’homme doit être complet dans cette bipolarité pour être accompli. Le langage permettra la multiplication des liens, l’épanouissement de la personnalité et l’accès à l’intelligence. La sensualité représente l’unicité de la relation pour l’éternité (6). Si Salomon essaya 1000 femmes et eut donc une vie dissolue, Isaac n’eut que Rébecca et l’aima “réellement” (6). Dans cette sensualité, la relation physique aura le pouvoir d’augmenter l’intelligence, créant ainsi le lien - VOL.XII, N°45 entre les deux composantes de la nature humaine, conduisant à la plénitude. • En ce qui concerne l’origine de la vie Il est dit: “jusqu’au 40e jour de grossesse, l’embryon est comme de l’eau” (1). Le fœtus fait partie du corps de la mère, il n’existe pas avant de naître. Il n’a pas de droit juridique, “pars viscero matrix”. L’embryon n’est pas une personne, il appartient à la femme. Il sera être humain à part entière lorsqu’il aura la tête dehors et qu’il respirera. Si l’accouchement présente un danger, les rabbins décideront de la priorité; tant que l’enfant est à l’intérieur, on peut le tuer pour sauver la mère. S’il est sorti en partie, il n’y a pas de priorité d’une vie par rapport à l’autre. •La loi juive concernant la sexualité La circoncision pratiquée au 8e jour de vie est un rite sacrificiel de signification initiatique. Elle scelle le sceau de l’alliance avec Dieu et est un signe de puissance. Les rapports sexuels ne sont pas autorisés avant le mariage. Le plaisir sexuel est un dû entre les deux époux unis par le mariage et la légitimité des rapports sexuels incombe à l’homme. L’abstinence totale peut être condamnée comme une faute grave. Les rapports sexuels sont interdits pendant les règles et ce jusqu’au 12e jour du cycle. Le mikvé, le bain rituel, amènera alors la purification. Si une femme est touchée pendant ses règles, l’homme doit se laver. L’acte sexuel devra être réalisé portes fermées, dans l’obscurité, dans le silence. Les livres saints seront recouverts. L’adultère est proscrit. L’onanisme est réprouvé. L’homosexualité est interdite. L’inceste est interdit. Le divorce est possible. Il n’y a pas de célibat pour les ministres de Dieu, les prêtres et les rabbins doivent se marier, La contraception n’est autorisée pour autant qu’elle n’est pas définitive (5), mais seulement à partir du moment où le couple aura mis au monde un garçon et une fille. Dans le judaïsme, l’IVG est à éviter. On ne porte pas d’interdit. L’IVG reste possible en cas de souffrance physique ou morale, et en toutes circonstances, la mère est prioritaire face à l’enfant. Le dépistage anténatal et le dépistage préimplantatoire sont autorisés, ainsi que la chirurgie sur le fœtus. Pour ce qui est de la médicalisation de la conception, la stérilité est considérée comme une malédiction car elle empêche d’obéir à “croissez et multipliez”. Les techniques de procréation médicalement assistées sont donc autorisées, mais à condition qu’elles ne privent pas les sujets “de visage et d’histoire” (19) (mère porteuse, gamètes exogènes…). Si le père et la mère transmettent le patrimoine génétique, si la mère transmet la religion, c’est le père qui transmet le patrimoine identitaire (2). Le sperme congelé et la création d’enfants posthumes sont des aberrations (5). Dans l’insémination artificielle, le sperme doit être celui du mari et recueilli si possible en évitant le péché d’Onan. Si le sperme devait, devant des cas de stérilité très graves mettant en jeu la santé mentale de la mère, être exogène, il ne peut être de donneur juif à cause du risque d’inceste (19). La congélation des embryons est autorisée, ainsi que l’utilisation des embryons à des fins de recherche. Le clonage thérapeutique est autorisé puisque l’animation de l’embryon ne se fait qu’au 40e jour. Le judaïsme est opposé au clonage reproductif. Dans toutes ces règles légales et en cas de conflit de normes, la pitié est un sentiment à éviter car elle entraîne une situation de supériorité. Mais si une situation singulière met un individu hors norme, c’est-àdire “hors histoire”, “hors du sacré”, le rôle du religieux sera d’accueillir ces êtres dans la communauté, “leur rendant visage et histoire, les regardant comme des personnes humaines, merveilleuses et sacrées en dépit ou peut-être grâce à leurs errances” (19). Ici non plus l’exclusion n’existe pas. En conclusion, la doctrine dans le judaïsme préserve la rencontre qui permettra aux êtres de se percevoir dans leur totalité, leur unicité et leur histoire. La transmission de la vie, qui met en jeu le père, la mère et Dieu, est sacrée et il ne faut pas oublier que si, pour les Juifs, religion et histoire sont indissociables, se reproduire est synonyme de survivre, et Hanoukka, la fête des lumières, le symbolise. L’islam La nuit du Destin, la 27e nuit du mois du ramadan, un ange visita un homme qui pratiquait une retraite spirituelle sur la montagne de la Lumière, située près de La Mecque. 7 Les premiers versets du Coran furent révélés à Mahomet qui les déchiffra alors qu’il ne savait lire. En fait, le Coran entier descendit sur lui en pluie d’étoiles, dit la tradition (16). Mahomet fit connaître cette Révélation autour de lui et naquit alors la religion islamique. Elle repose essentiellement sur la reconnaissance d’un Dieu unique et sur une fraternité universelle. Le calendrier musulman commence en 633 lors de l’Hégire, migration dans la ville qui deviendra Médine, de Mahomet et de la petite communauté musulmane qui l’entoure. Mahomet est reconnu prophète, il revient vers La Mecque et devient le “messager fidèle du Coran, délivrant un enseignement spirituel et éthique inspiré”. En “homme parfait” qu’il est, il restera “l’exemple excellent que tous les musulmans s’efforcent de suivre”. Centré sur l’adoration d’Allah, son Dieu unique, Dieu de toute l’humanité, l’islam, religion nouvelle, prend en fait ses racines dans la foi d’Abraham et jalonne l’histoire de prophètes envoyés par Dieu : Adam, Abraham, Moïse, Jésus. Le Coran prêche une éthique qui associe l’effort spirituel de l’homme et sa confiance en Dieu. La loi religieuse concrétise par des normes juridiques les principes spirituels de la relation de l’homme à Dieu et des valeurs éthiques régissant les rapports entre les hommes. Cinq piliers sous-tendent l’ensemble des rites: - la profession de foi; - la prière coranique, cinq fois par jour, suivant les ablutions purificatrices; - l’aumône légale; - le jeûne du mois de ramadan (neuvième mois lunaire); - et le pèlerinage à La Mecque, subordonné à la capacité financière et physique du sujet. Cette foi musulmane, construite sur ces cinq piliers, est pratiquée par la lecture régulière du Coran, les nombreuses prières et invocations quotidiennes, la pratique de la pudeur, du pardon, de la générosité et de l’hospitalité. S’ajoutent des interdits alimentaires ou de coutumes, la réglementation du statut personnel, les contrats et les peines. L’étude et la recherche du savoir sont une obligation, chez l’homme et chez la femme. Le Coran, dans ses 114 sourates, est aussi source d’enseignement. À cette première source de la tradition islamique s’ajoute la Sunna, résumant l’ensemble des coutumes présentées sous forme de lois, et permettant de codifier plus complètement la jurisprudence. Par ailleurs, se développe la théologie musulmane qui insiste sur le rôle de la raison et de la liberté humaine. En un mot, l’Islam, tout en présentant des dogmes et des rites simples offre une grande richesse spirituelle et intellectuelle (16). La sexualité y occupe une place importante. Elle sera au centre de la vie conjugale. Elle est déculpabilisée. Allah a créé la femme pour apporter le repos à l’homme, pour que le couple mène une vie équilibrée. Le mariage y représente une obligation canonique. Mahomet énonce qu’en se mariant l’homme accomplit la moitié de sa religion (4). La femme est un cadeau, par l’amour et la bonté qu’elle apporte et si, de sa conduite morale dépend l’honneur de la famille, c’est sur elle qu’en repose le fondement. Dans ce mariage, l’amour physique a toute sa place, conçu pour procréer avant tout, mais pas seulement, car le plaisir physique est un dû entre les époux. Il est un avantgoût du paradis, il ouvre la porte à la plénitude, mais si on le pratique, chez les musulmans, on n’en parle pas. Les relations sexuelles entre les époux sont un don de Dieu, l’œuvre de chair est devoir, y compris dans son érotisme (4). La métaphore du sillon dit aux hommes : “les femmes sont pour vous un champ de labour, allez à votre champ comme vous le voudrez” (20). L’abstention est un manquement aux préceptes du Coran et met en droit une femme de se plaindre de son mari. Le grand tabou en matière de sexualité consisterait en un amoindrissement de la différence entre les deux sexes (18). Les recommandations religieuses ordonnent une muraille située entre eux, infranchissable quant aux distinctions fondamentales: si l’homme doit se distinguer par sa virilité, la femme doit le faire par sa pudeur. Il est dit “que les femmes croyantes abaissent leur regard et protègent leur pudeur, qu’elles ne montrent leurs attraits qu’à leurs époux ou à leurs pères, qui possèdent leurs droits”. L’homme et la femme sont impurs après un contact sexuel qui entraîne une souillure nécessitant une purification avant toute lecture de textes sacrés. Mais si cette femme est objet de jouissance, elle est aussi génitrice (4). Car si le plaisir physique est reconnu en bonne place dans le mariage par le Coran, la procréation en reste la fina- lité première et elle revêt une fonction sacrale: “mariez-vous et procréez” (4). Ce but procréatif est l’excellence, mais s’en écarter est toléré. Au décours d’une bataille qui fit de nombreuses veuves et de nombreux orphelins, naquit la polygamie, car les soldats survivants épousèrent les veuves et leurs filles pour assurer leur subsistance (20). Par le fait d’avoir plusieurs femmes, l’homme peut se protéger du péché et rester pur. Mais si la polygamie est autorisée, dans le Coran, la monogamie est fortement encouragée, et Mahomet lui-même répondit à son frère qui lui demandait l’autorisation de prendre une seconde épouse: “il ne peut y avoir qu’un seul cœur dans ta poitrine”. Pour les musulmans, la vie débute avec la conception et l’être vivant est être humain dès cet instant (3). L’esprit, lui, investira la créature au 120e jour (14). L’enfant naît du ventre de sa mère ne sachant rien. Le fœtus n’a aucune personnalité. C’est un temps sans vie propre, un simple processus biologique. ■ Des normes précises concernant la sexualité La circoncision, culturelle et religieuse, marque l’inclusion dans la société musulmane et se réfère à la tradition abrahamique. Elle n’est pas mentionnée dans le Coran. C’est une sunna (loi). Elle sera suivie d’une fête mais pas de prières (18). La naissance d’une fille est entourée des mêmes joies que celle d’un garçon. L’excision est interdite (3). Les relations sexuelles hors normes entraînent réprobation et désaveu (4). Pendant les rapports sexuels, l’homme et la femme sont égaux, aucun des deux ne doit dominer l’autre, ils doivent se compléter. Les rapports sexuels sont interdits pendant les règles et après l’accouchement Les ablutions et purifications féminines dans les hammams après les rapports et après les règles créeront une union du spirituel au charnel dans une ambiance de sensualité et d’homosexualité non avouée (18). L’homosexualité est interdite. Le divorce est réprouvé mais admis. Si le but procréatif reste la finalité de l’acte sexuel, s’en écarter est admis, et la contraception sera tolérée, essentiellement en ce qui concerne les rapports interrompus et les préservatifs. Néanmoins, tout moyen de contraception reste autorisé s’il n’est pas abortif. Devant le choix d’un contra- - VOL.XII, N°45 8 ceptif, la femme est prioritaire face à l’homme. L’avortement n’est admis que si la grossesse présente un risque vital pour la mère (3), ainsi qu’à des fins thérapeutiques, jamais par confort personnel, dans quel cas il est assimilé à un meurtre. Le diagnostic anténatal peut être pratiqué en tant que “médecine de prédiction et de prévention” mais pas dans un but de dépistage d’anomalie grave, car “prédire est redoutable et cela peut se traduire par des paroles meurtrières s’il n’y a pas de solution” (3). L’aide médicale à la procréation est acceptée en tant qu’instrument permettant de donner la vie, ne transgressant pas la loi divine (14). Elle est un progrès thérapeutique qui doit respecter la dignité des êtres et leur dimension spirituelle (3). Les traitements de la stérilité sont licites, y compris l’insémination artificielle, mais avec des gamètes parentaux (3). La congélation d’un embryon n’est autorisée qu’en cas de nécessité urgente, dans ce cas, sa conservation engage la responsabilité morale du médecin. L’utilisation d’embryons à des fins thérapeutiques est en principe interdite. Les manipulations génétiques de quelque nature qu’elles soient sont interdites (3). En ce qui concerne le clonage, il est dit: le clonage d’un embryon, quel qu’en soit l’objectif est condamné. Cependant, il faut amener quelques réserves à cela concernant le clonage thérapeutique, puisque l’utilisation de cellules ou tissus humains est autorisée si elle a pour but de soigner. Dans le respect des différences attenantes au culte et au dogme, on retrouve donc dans l’Islam une base morale, des principes doctrinaux identiques à ceux des autres religions monothéistes étudiées, fondée sur la dignité humaine et sur le respect de l’être. Néanmoins, la différence essentielle repose sur la place sociale et affective de la femme, objet de jouissance et de procréation, vivant soumise à l’homme, pudiquement dans son ombre, responsable par sa conduite morale de l’honneur de la famille. Il est fort probable que cette situation ait fourni à tous les bases d’un équilibre familial et social dans un contexte bien déterminé. Mais l’émergence de la religion musulmane hors des frontières du monde islamique remet cet équilibre en question et, s’il est souhaitable que la femme soit moins soumise comme c’est le cas actuel- - VOL.XII, N°45 lement dans les couples musulmans modernes, cela devra se faire progressivement et sans heurts, pour ne pas fragiliser la situation déjà bien exposée de l’homme. Forte de la connaissance de l’ensemble de ces dogmes, forte de l’appui solide constitué par les lois de bioéthique devant suivre au plus près le progrès scientifique et dont les remous politiques n’ont que trop retardé la réécriture, la pensée éthique pourra poser les vraies questions et reprendra sa réflexion si elle peut s’élaborer à partir d’un langage clair. Il faut pour cela d’abord réinventer les mots justes. Les modifications syntaxiques comme, par exemple, le fait d’appeler un embryon de moins de quatorze jours “pré-embryon” afin de le consacrer librement à des fins utilitaires, ne sont que des petits arrangements avec la conscience tendant à se jouer de l’éthique. La religion catholique, plus que toute autre, a sacralisé l’embryon. Le progrès scientifique ainsi que ceux qui le portent ont tendance à sacraliser le biologique et le génétique. L’embryon est à la rencontre entre deux axes de temps, celui de la génération et celui de la rencontre sexuée entre un homme et une femme. Le sacré n’est-il pas dans le respect de ces deux lignes de temps croisées? Modifier l’ordre du temps est dangereux. Nul ne devrait être en droit de toucher au fil du temps, au fil des générations. L’enfant n’appartient pas à ses parents, leur désir est fondateur, leur parole humanisante mais il ne leur appartient pas. Un embryon ne peut être réduit à un “projet parental” terme à la mode, terme devenu sacré ? terme consacré depuis peu à la dignité de l’homme. L’embryon destiné à naître, le petit d’homme doit être rendu au lignage et à la génération. Alors, l’origine redeviendra énigme et l’histoire de l’humanité continuera à s’écrire, respectant l’intégrité du temps qui passe. Communication au 33e séminaire de l’AIHUS (3 avril 2003, Montpellier, France). RÉFÉRENCES 1- ATLAN P. La femme, le gynécologue et les religions. Schering Théramex. Paris, 1995. 2- BERNHEIM G. La reproduction religieusement assistée. Gyn-Obs 348, mars 1996. 3- BOUBAKEUR D. La maternité et le sacré. Spirale. Ed. Erès, 1996. 4- CHERIFI. La femme, le gynécologue, et les religions. Schering Théramex. Paris, 1995. 5- CHOUCHENA, La femme, le gynécologue, et les religions. Schering Théramex. Paris, 1995. 6- COHEN R. Le judaïsme en 70 thèmes. La Maison du Taleth, Paris, 1991. 7- DE DINECHIN O. La femme, le gynécologue, et les religions. Schering Théramex. Paris, 1995. 8- DE DINECHIN O. La maternité et le sacré. Spirale. Ed. Erès, 1996. 9- DOLTO F. À la source de chacun de nous. Échanges 213, juin 1987. 10- DOLTO F. L’évangile au risque de la psychanalyse. J.-P. Delarge éd. 1977. 11- DOLTO F. Sexualité féminine. Scarabée & co/AM Metailie, 1982. 12- Donum Vitae. Cahiers de l’Actualité Religieuse et Sociale 347. 13- FAESSLER M. Éthique, Religion, Droit et Reproduction. Schering Théramex. Paris, 1998. 14- FARI H.E. La reproduction religieusement assistée. Éthique, religion, loi et reproduction. [In: Gyn-Obs n° 348, mars 1996, pp. 4-7]. 15- FUCHS E. La reproduction religieusement assistée. Éthique, religion, loi et reproduction. [In Gyn-Obs n° 348, mars 1996, pp. 4-7]. 16- GUIDERDONI A. Dieu dans tous ses états. Télérama hors-série nov. 1996. 17- Humanae Vitae. Note pastorale. Assemblée plénière de l’épiscopat à Lourdes. Ed. Centurion, novembre 1968. 18- JACQUEMIN-LE VERN H. 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